Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, en réponse à une question sur les reports d'incorporation accordés aux jeunes titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée (CDI), à l'Assemblée nationale le 24 novembre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Arnaud Montebourg :
Je souhaite appeler l'attention de M. le ministre de la Défense sur l'application de l'article L.5bis A du code du service national. Un certain nombre de recours ont été engagés à l'initiative des services du ministère de la Défense, à l'encontre des décisions de report d'incorporation accordées par des commissions régionales indépendantes à des jeunes appelés du contingent, pourtant titulaires d'un contrat de travail à durée indéterminée. En Bourgogne, sur 180 décisions de report d'incorporation prises le 3 juillet par la commission régionale de Dijon, 41 ont fait l'objet d'un recours de votre ministère, dont 26 concernent le seul département de Saône-et-Loire.

Il semblerait que ces recours visent des jeunes titulaires d'un CDI depuis plus d'un an. Du fait de la relative ancienneté de leur contrat de travail, ils auraient pourtant dû être considérés comme ayant déjà réalisé leur première expérience professionnelle. Certains d'entre eux, qui s'étaient vu accorder un report d'incorporation notifié par les services préfectoraux, ont pris, je l'ai constaté moi-même, des engagements en matière d'emprunt et de logement qu'ils ne pourront pas respecter en cas d'incorporation immédiate.
Pourriez-vous clarifier la situation de ces jeunes, dont le dossier militaire a d'ores et déjà fait l'objet d'un traitement et faire en sorte que la décision initial de report d'incorporation soit respectée ?

Alain Richard :
Merci, monsieur Montebourg, pour la clarté de votre question. Je vois bien comment vous abordez le sujet. Mais souvenez-vous que le projet de loi que vous avez vous-même voté, fin 1997, a fixé une règle. Or, cette règle n'est pas que tous les jeunes titulaires d'un contrat à durée indéterminée bénéficient sans condition d'un report. D'ailleurs, si tel était le cas, les commissions chargées d'apprécier les cas n'auraient pas lieu d'être.
Le législateur a prévu que les jeunes titulaires d'un contrat de travail qui sont sous les drapeaux bénéficient d'une protection juridique nouvelle, à savoir que leur contrat de travail est maintenu. Au bout de dix mois de service, leur employeur est tenu de les reprendre dans le même poste de travail. Il a prévu également que les commissions administratives pourraient décider d'un report au cas où l'incorporation immédiate du jeune risquerait de compromettre son insertion professionnelle. Mais nombreux sont les jeunes dont l'activité professionnelle est assurée, qui sont liés par un contrat de travail à une entreprise dont la stabilité est indéniable et qui peuvent faire leur service militaire en conservant ce contrat de travail.
Voilà ce que doivent apprécier les commissions, qui décident du point de vu de l'intérêt général. Leurs décisions peuvent faire l'objet de recours lorsque les jeunes estiment qu'on leur a refusé à tort le report. Ces derniers obtiennent parfois satisfaction devant les tribunaux administratifs, qui statuent d'ailleurs très rapidement, ce qui va à l'encontre de tous les propose tenus sur la lenteur de la Justice. Les tribunaux administratifs, auxquels je tiens à rendre hommage, sont conscients de l'impact que de telles décisions peuvent avoir sur la vie des jeunes. Mais ils doivent aussi tenir compte des intérêts de la défense qui peut considérer que la commission a eu une appréciation inexacte du texte. Quoi qu'il en soit, ces recours sont en général jugés en très peu de temps, ce qui rejoint d'ailleurs le souhait du gouvernement qu'une jurisprudence se dégage très rapidement en la matière. Les premiers jugements – de sept ou huit tribunaux administratifs jusqu'à présent – sont convergents : la commission doit apprécier de façon réaliste les préjudices que peut avoir, en matière d'insertion, l'incorporation du jeune. Le système trouve ainsi son équilibre.

La volonté du législateur n'était pas douteuse. Elle était d'assurer la bonne marche des différents services de la défense pendant la période de transition. Vous savez, vous qui vous intéressez aux problèmes de sécurité publique, qu'aujourd'hui 12 000 jeunes servent dans la gendarmerie nationale. Toutes les brigades en ont besoin. Nous ne serions pas en mesure de les remplacer par les jeunes également qualifiés, également expérimentés en peu de temps. C'est un des exemples où des appelés continuent à assurer certains besoins de la défense.
Nous gérons de la façon la plus correcte cette adaptation progressive. À partir du mois prochain, des dispositions permettant un report d'incorporation et bénéficiant aux titulaires d'un contrat à durée déterminée vont augmenter la proportion de jeunes pouvant être dispensés. Mais, comme l'a voulu le législateur, le service militaire est encore en vigueur pour les jeunes nés avant le 31 décembre 1978. Nous devons faire en sorte que l'accomplissement de cette obligation se déroule dans le respect du principe d'égalité des jeunes devant la loi. Je crois que nous sommes pleinement d'accord sur cette démarche, monsieur le député.