Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je tenais tout particulièrement à être ici parmi vous, aujourd’hui. La Moselle m’est très chère. Je la connais bien : j’en suis l’élu.
Les anciens combattants qui sont avec nous aujourd’hui, et que j’ai maintenant l’honneur de représenter, savent mieux que moi ce que fut l’histoire de notre terre. Ils l’ont vécu, alors que je n’étais pas né. Je devrais en fait leur laisser la parole.
J’appartiens à une génération qui n’a pas connu la guerre, qui n’a pas eu à combattre, qui ne peut savoir ce que signifie vraiment se sacrifier pour son pays.
Je sais cependant que c’est aux anciens combattants que je dois la paix, la sécurité et la liberté. C’est à vous, Mesdames et Messieurs, que nous devons ces biens précieux. C’est vous qui avez assuré la paix que nous connaissons en Europe depuis maintenant cinquante ans.
Et je veux vous rendre hommage en rappelant votre histoire aux jeunes qui sont ici, pour qu’ils soient conscients, comme moi, de ce qu’ils vous doivent.
Le destin de la Moselle a été particulièrement tragique. Il y a près de soixante ans, ici, ce n’était plus la France ! Entre 1940 et 1941, les forces d’occupation ont expulsé plus de 130 000 personnes. Avec les évacués, cela représentait le tiers de la population !
Le but était de créer ici une nouvelle civilisation : une civilisation nazie. Il fallait effacer en Moselle toute trace de la France.
On ne pouvait plus parler français ; la presse française était interdite ; les femmes, les hommes, comme les villes, devaient germaniser leurs noms. Ceux qui refusaient étaient expulsés ou déportés.
À partir d’octobre 1942, les Allemands ont même incorporé des Mosellans de force dans la Wehrmacht. Ce sont les « malgré-nous ».
Essayez d’imaginer, je m’adresse à vous, les jeunes lauréats, ce qu’ont pu ressentir ces jeunes hommes, Français dans leur cœur, dans leur âme, obligés de combattre contre d’autres Français, pour une nation qui n’était pas la leur, pour un régime qu’ils n’acceptaient pas.
Mais la Moselle a résisté. Et dans la Résistance, elle a combattu avec fierté pour rester française, pour recouvrer la liberté, pour que la démocratie reprenne sa place.
Elle a combattu avec courage, comme en témoignent tragiquement, près d’ici, le fort de Queuleu et le camp de Woippy. Tant de morts, fusillés, torturés, déportés…
Et c’est aussi à Metz que Jean Moulin est mort. Le héros national, le chef de la Résistance, arrêté près de Lyon, par Klaus Barbie, est mort ici.
La Moselle est donc une région symbole de la Résistance française. Quel meilleur endroit pour le concours de la Résistance et de la déportation !
Ici, c’est la terre même de la Résistance. Même la barbarie la plus achevée n’a pas eu raison de la Moselle qui a rappelé, avec force, qu’elle est, était et demeurait française, fidèle aux valeurs de la République.
Le thème du concours était cette année « les femmes dans la Résistance ». Je pourrais presque dire était enfin « les femmes dans la Résistance ». Car je pense qu’on ne rend pas assez hommage à ce que les femmes ont apporté dans la lutte contre le nazisme.
Tous les jeunes qui ont participé au concours l’ont d’ailleurs bien ressenti et exprimé, avec talent : les femmes ont eu un rôle majeur.
Contrairement aux guerres précédentes, c’était une guerre de volontaires. Et les femmes se sont engagées, risquant leur vie, et parfois celles de leurs enfants, pour défendre notre pays.
Dès le 18 juin 1940, refusant l’armistice et la collaboration, certaines ont été à Londres, rejoindre le général de Gaulle. D’autres sont restées en France, intégrant les réseaux de résistance.
Célèbres ou anonymes, toutes sont admirables. Infirmières, secrétaires, agents de liaison, combattantes en armes… toujours elles sont restées fidèles aux idéaux de la République française, et ont lutté pour eux.
Le concours de la Résistance et de la déportation est un formidable moyen de se souvenir. Et la mémoire est essentielle. Elle est le lien entre notre passé et notre avenir.
Si on oublie ce que notre pays a vécu, on met notre avenir en péril. On laisse la porte ouverte aux extrémismes, à l’intolérance. On perd un héritage précieux de solidarité, de courage. On perd un modèle d’une qualité rare, unique.
Les résistantes sont des pionnières. Alors que les femmes n’avaient pas le droit de vote, elles ont prouvé à des hommes incrédules, qu’elles savaient se battre, au moins aussi bien qu’eux.
Certaines avaient déjà conquis leur autonomie. Mais la guerre leur a donné l’occasion de faire mieux, d’aller plus vite, plus loin. D’obtenir enfin des droits qui étaient leur dû, ainsi à la Libération celui de voter. Les droits de l’homme devenaient aussi ceux de la femme.
Il reste sans doute encore du chemin à parcourir. L’égalité n’est malheureusement jamais acquise. Mais aucun progrès, aucune victoire ne sont possibles si on baisse les bras. Que les jeunes filles qui sont ici n’oublient pas ce message de leurs aînées, le message de la Résistance !
Et c’est mon rôle de la rappeler. Je me dois d’être le porte-parole des anciens combattants. Je veux être un relais, un pont entre les générations.
Celle, d’abord, bien sûr, des résistants, des déportés, des soldats en uniforme, sans lesquels notre pays ne serait plus une terre de liberté, une démocratie respectueuse des libertés individuelles.
Ma génération ensuite. Je suis né en 1944. J’ai donc le privilège, je vous l’ai dit, de ne pas avoir connu la guerre, de ne pas avoir eu à me battre pour mon pays.
La génération, enfin, des enfants qui sont ici, et qui sont conscients des sacrifices consentis pour eux, pour leur avenir, par leur aînés.
Je veux que tous ces jeunes sachent ce qui s’est passé en France, il y a près de soixante ans. Et quoi de mieux que le concours national de la Résistance et de la déportation pour cela ?
Des milliers de jeunes étudiant en même temps les pages les plus sombres, et aussi les plus glorieuses de notre histoire. Des milliers de jeunes réfléchissant sur ce que leur pays a pu connaître de douleurs et d’humiliations.
Je l’ai dit il y a quelques jours, le 17 juin, au Panthéon, lorsque je rendais hommage à Jean Moulin : l’ignorance est le plus grand des dangers. C’est elle qui permet à la violence et la xénophobie de progresser. C’est elle qui permet aux idéologies extrémistes de trouver une audience qui est, malheureusement, de plus en plus large.
Ce concours est le meilleur moyen de sensibiliser les jeunes de notre pays à ce qu’induisent ces idéologies de barbarie.
Comment pourrait-on supporter en silence qu’on nie le drame de la déportation, qu’on réaffirme sans honte l’existence d’une inégalité raciale, qu’on s’attaque à la mémoire de résistants admirables, respectables ?!
Il faut au contraire répondre, sans cesse, sans faiblir, à ces attaques. Et l’éducation, l’instruction civique, l’enseignement de l’Histoire sont certainement les meilleures des réponses.
N’oublions jamais les idéaux de la Résistance. Liberté. Solidarité. Tolérance. Ce sont les traditions de notre pays, ses valeurs fondamentales, fondatrices.
Les nazis s’y sont attaquées. Ils ont trouvé immédiatement contre eux des milliers d’hommes et de femmes, « combattants de l’ombre », prêts à mourir pour que ces valeurs survivent. Pour que leurs enfants et leurs petits-enfants connaissent comme eux un pays libre, ayant cette devise magnifique : « Liberté. Égalité. Fraternité ».
Ces idéaux sont aussi des armes, capables de soulever des montagnes, capables de vaincre le régime le plus violent, le plus déshumanisé de l’Histoire.
C’est la solidarité des résistants qui a permis la victoire. Leurs voix se sont unies et sont devenues un cri, puissant, qui leur a donné courage et confiance, qui leur a permis de survivre malgré la torture, malgré la déportation. Leur solidarité était leur force.
On ne pourra jamais assez remercier les résistants pour ce qu’ils nous ont laissé en héritage. On peut au moins veiller à ce que celui-ci ne se perde pas.
Si je ne devais avoir qu’une mission dans ce vieux ministère, ce serait celle-ci : veiller à ce qu’aucun Français n’oublie cet exemple, ce modèle offert par la Résistance et qu’au contraire ils le suivent, avec ferveur et enthousiasme !