Interview de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, dans "La Croix" du 12 janvier 1999, sur les principes de laïcité et d'égalité entre les femmes et les hommes motivant son refus d'accepter le port du foulard islamique dans les établissements scolaires.

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Média : La Croix

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La Croix
Hier en fin de journée, vous avez reçu une délégation de professeurs et le proviseur du collège Jean-Monnet de Flers (Orne). Que leur avez-vous dit ?

Ségolène Royal
Je me demande si la sensibilité des enseignants a été suffisamment prise en compte. Ils se sentent agressés – voir humiliés – par le port ostensible de signes religieux. On leur impose une nouvelle contrainte alors qu'ils ont déjà beaucoup d'autres soucis. Pour régler un tel problème, il faut du temps. Ce temps est pris sur l'enseignement scolaire. Nous devons être plus plus clair et plus ferme dans l'application des principes de la République. Et, en même temps, faire du cas par cas. Ainsi, à chaque fois que le port du voile correspond à une volonté de provocation délibérée, il est nécessaire que l'État saisisse les tribunaux administratifs. Le cas de Flers m'interpelle. La jeune fille qui porte le foulard islamique est d'origine turque. Or, en Turquie, même les mouvements les plus traditionnels acceptent le principe de laïcité qui empêche tout port de signe religieux dans les écoles.

La Croix
Dans d'autres cas, ne faut-il pas mieux accueillir les jeunes filles pour mieux les intégrer ?

Ségolène Royal
Cela dépend. Les procédures de médiation doivent s'imposer partout. Si des parents les refusent, je considère qu'il s'agit de leur part d'une preuve de prosélytisme, de propagande. À ce moment-là, l'inscription d'office des enfants à l'école est, de mon point de vue, à reconsidérer.
En revanche, si la médiation est acceptée, on peut se rendre compte que les parents mettent en avant le seul intérêt de leur enfant. A nous alors de faire évoluer cette prise de conscience vers l'abandon du port du voile. Dans le cas contraire, l'école de la République ne peut, ne doit pas l’accepter.
En tant que femme, je l'accepte d'autant moins car le port du voile signifie être en infériorité comparée à l'homme. Je veux que l'on apprenne, dès le plus jeune âge, l'égalité entre les sexes. Sinon, l'autorité des femmes sera contestée, comme c'est déjà le cas dans certains collèges. Enfin, j'insiste pour que, lorsqu'un processus de médiation est enclenché, les deux parents soient entendus. Le père comme la mère.

La Croix
En quoi le port du foulard rompt-il le principe de la laïcité ?

Ségolène Royal
D'abord par la façon dont il est reçu. Je ne vois pas pourquoi on respecterait des convictions d'un côté et pas de l'autre. Les convictions des enseignants doivent être pris en considération de façon prioritaire. Car ce sont eux qui sont appelés à transmettre les lois de la République. Par ailleurs, le port du foulard renforce le sentiment d'inégalité entre hommes et femmes. Cela peut décourager certaines familles qui ont fait l'effort de dévoiler leur fille pour être conforme à la loi française. Surtout si on est laxiste avec certaines familles intégristes, comme c'est le cas à Flers. Enfin, cela peut porter préjudice à certaines filles qui s'appuient sur la loi française pour refuser l'enfermement. Car le voile est le symbole de l’enfermement.

La Croix
Dans le Gard, une enfant de six ans porte le voile en maternelle…

Ségolène Royal
J'examine de très près cette affaire. Dans les pays islamistes, le port du voile est imposé à la puberté. Il ne faudrait pas, sous prétexte que l'on se trouve en France, faire du prosélytisme en imposant le foulard à un tout petit enfant. En classe, on enlève son blouson, on enlève son manteau, on enlève aussi ce que l'on a sur la tête.

La Croix
En aura-t-on fini un jour avec ces affaires de foulard ?

Ségolène Royal
Le nombre de cas a énormément diminué. Nous sommes passés de 2 000 en 1991, à moins d'une centaine aujourd'hui. C'est bien parce qu'il y a moins de cas qu'il faut être plus ferme. Ces dernier cas sont des vrais manifestations d'intégrisme. Les familles modérées, tolérantes, elles, ont compris que la République l’est aussi.