Texte intégral
Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,
La langue française est au coeur de notre culture et de notre patrimoine, un patrimoine que nous partageons avec l'ensemble de la communauté francophone. Instrument essentiel de la cohésion sociale, elle est aussi un des vecteurs majeurs du rayonnement de notre pays. L'action du Gouvernement doit viser à lui conserver ce rôle. Tel est le sens de la politique pour l'emploi de la langue française que je viens de présenter en Conseil des ministres.
Cette présentation a lieu à l'occasion de la dixième édition de la journée de la francophonie et de la première édition de la « semaine de la langue française ». Avec l'opération nationale « le français comme on l'aime », j'ai souhaité faire de cette semaine un moment privilégié de sensibilisation du public, à travers des jeux, des concours, des lectures, des témoignages, des débats autour de l'emploi de la langue française. La presse écrite et audiovisuelle, dans son ensemble, s'est massivement associée à cette opération, publiant de très nombreuses informations, tribunes, articles, et je tiens à l'en remercier, notamment Radio-France, TV5, Le Figaro, Ouest-France, Le Midi libre et aussi, je m'en réjouis particulièrement, le journal L'Équipe.
Mais cette présentation de la politique pour l'emploi de la langue française a également lieu au moment où commence le Salon du livre de Paris, qui sera inaugurés demain et dont l'invité d'honneur, vous le savez, est l'édition américaine. Ce soir même, j'aurais le plaisir de recevoir rue de Valois, les éditeurs et les actuels américains venus à Paris pour participer au Salon. Je vois dans cette coïncidence de calendrier ne symbole. Elle montre que pour notre pays, agir pour sa langue et sa culture, ce n'est pas se replier sur soi et s'opposer aux autres, en participer aux anglo-saxons, mais c'est dialoguer avec eux, leur être ouvert, amical, accueillant.
I. – Le rattachement de la délégation générale à la langue française au ministère de la culture
Avant d'exposer devant vous le contenu de l'action que j'entends mener, je veux vous en présenter brièvement l'instrument :
Le Premier ministre a décidé de placer la délégation générale à la langue française, qui était jusque-là un de ses services propres, sous mon autorité. Quant au conseil supérieur de la langue française, il demeure auprès du Premier Ministre, et je salue son vice-président, Bernard Quemada, et ses membres, présent parmi nous aujourd'hui.
Je tiens à ce que ce rattachement corresponde à une augmentation des moyens d'action de la délégation. Dès 1996, j'ai doublé le budget dont cette dernière dispose. En outre, la politique de la langue française sera désormais relayée par les directions régionales des affaires culturelles. Dans chacune d'entre elles, sera désigné un conseiller chargé de la langue française.
Toutefois, la politique de la langue française conservera son caractère interministériel. Pour ce faire, un groupe interministériel permanent, composé de représentants des ministères concernés, sera mise en place. La coordination et l'animation de ce groupe seront assurées par la délégation générale à la langue française.
Un projet de décret précisant ces orientations a été examiné en Conseil des ministres ce matin même.
II. – Les trois grands axes de la politique pour l'emploi de la langue française
La politique pour l'emploi de la langue française s'articule autour de trois axes :
– assurer la présence et le rayonnement du français, langue de la République ;
– conserver au français son rôle de langue de communication internationale ;
– préserver la diversité culturelle et linguistique dans le monde par la promotion du plurilinguisme.
A. – Assurer la présence et le rayonnement du français, langue de la République
Langue de la République, le français est la langue de l‘unité nationale et du lien social. Nous devons veiller à ce que son emploi soit respecté en France et à ce que la langue française dispose des mots nécessaires pour exprimer toutes les notions du monde contemporain. Nous devons aussi rendre les Français sensibles à ce que représente leur langue pour eux-mêmes et pour notre pays et favoriser la maîtrise de la langue française qui est un facteur essentiel d'insertion.
1) Assurer l'emploi de la langue française
La loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française est l'instrument essentiel de la politique de l'État à l'égard de la langue française. C'est une loi de service qui, dans un contexte d'ouverture des frontières et de mondialisation de l'économie, a pour objet de garantir aux salariés, aux consommateurs, au public, dans notre pays, une information en français dans un certain nombre de circonstances de la vie quotidienne et professionnelle. Elle traduit en outre la volonté politique de veiller au respect de l'emploi de la langue française comme langue de l'enseignement, de l'audiovisuel et des services publics tout en favorisant le pluralisme linguistique.
Ce texte est appliqué avec beaucoup de vigilance. Les tribunaux viennent ainsi de sanctionner les premières infractions à la loi constatées par la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes : le tribunal de Chambéry a condamné un magasin de la chaîne Body Shop qui proposait à la vente des produits dont l'étiquetage et le mode d'emploi était entièrement en anglais.
Les pouvoirs publics continueront à veiller avec détermination à la bonne application de la loi. À cette fin le Premier ministre a signé une circulaire précisant certaines de ses dispositions, publiée au Journal officiel de de jour. Mais le Premier Ministre rappellera également aux ministres qu'ils doivent veiller exemplairement à l'application de la loi par leur administration et leurs agents.
Enfin, pour orienter son action, le ministère de la culture lancera, dès 1996, des études pour disposer d'informations statistiques précises. Combien de colloques en français, combien de colloques en langues étrangères, et dans quelles langues, sur notre territoire ? Combien d'emplois de traducteurs et d'interprètes, dans la presse, l'édition, l'audiovisuel, correspond à quelle formation ? Combien d'emploi de correcteurs, dans les métiers de l'écrit ? Combien d'emplois supplémentaires de ce type peuvent-ils créés ? Ou encore, quelle place est faite et doit être faite, dans les actions d'insertion, à la maîtrise de la langue ? Voici quelques-unes des questions qui se posent à nous.
Pour lancer, orienter et suivre les études à mener, j'ai décidé de créer un observatoire national qu'Yves Berger, écrivain, directeur littéraire des édition Grasset, membre du Conseil supérieur de la langue française, m'a fait l'amitié et d'accepter de présider. En concertation avec la délégation générale à la langue française et le département des études et de la prospective du ministère. Yves Berger me proposera d'ici le mois de juin une méthodologie et un programme d'études pour 1996 et 1997.
2) Favoriser l'enrichissement de la langue française et la diffusion des travaux de terminologie
Le français doit disposer des mots et expressions nécessaires pour exprimer les niions et réalités contemporaines, notamment dans les domaines économique, financier, scientifique et technique. Pour tenir compte de la décision du Conseil Constitutionnel sur la loi du 4 août, un nouveau décret sur l'enrichissement de la langue française remplacera le décret de 1986. Les nouveaux termes français nécessaires, proposés par des professionnels des secteurs publics et privés réunis dans des commissions spécialisées, seront harmonisés par la commission générale de terminologie, puis soumis à l'Académie française. Seuls les mots que celle celle-ci aura approuvés seront publiés au Journal officiel. Leur emploi sera obligatoire pour les personnes publiques.
Pour favoriser la diffusion de la terminologie, j'ai souhaité que les termes sur lesquels travaillent les commissions de terminologie soient accessibles sur Internet, dès la phase initiale des travaux, par le serveur du ministère de la culture. Cette diffusion permettra de donner, très rapidement, aux traducteurs et interprètes des équivalents français aux mots nouveaux qu'ils rencontrent. En outre, la réalisation de dictionnaires numérisés de langues de spécialité sera soutenue par fonds d'aide aux produits multimédias du Centre national de la cinématographie et par la délégation générale à la langue française.
3) Mettre en oeuvre une politique de sensibilisation du public et conduire des actions pour favoriser la maîtrise de la langue française, comme facteur de cohésion sociale et d'insertion
Par-delà la volonté des pouvoirs publics, un politique de promotion de la langue française ne peut réussir que si les Français – dans leur ensemble – y apportent adhésion et soutien.
Tel est le sens de l'opération « Le français comme on l'aime », que je viens d'évoquer. De plus, l'opération de sensibilisation des jeunes « Mots en fête », conduite pendant l'année 1995, a permis de disposer d'intéressants travaux sur la langue française réalisés par des enfants encadrés par des linguistes, des pédagogues et des créateurs de langue, qui portent notamment sur les niveaux de langue, l'étymologie, l'évolution du vocabulaire. Les documents réalisés à partir de ces travaux seront proposés aux collectivités locales et aux associations qui souhaiteront créer des ateliers « Mots en fête » pour faire découvrir le français aux enfants et aux jeunes sous une forme ludique et pour favoriser le dialogue entre les générations. Le département de l'Essonne met actuellement en place un atelier de ce type.
Mais il me semble aussi qu'une action plus précise de sensibilisation à l'importance de la maîtrise de la langue doit être conduite en direction des différents partenaires de l'insertion, notamment ANPE et Fonds d'action sociale (FAS). Il faut offrir à ceux qui cherchent à s'insérer, une formation qui aille au-delà de la simple rédaction du curriculum vitae ou de la lecture de documents administratifs. Il faut leur proposer de véritable formations à la rédaction et à l'élocution.
Enfin, chacun sait chacun désormais que la petite enfance est le moment décisif de l'apprentissage de la langue et qu'un rapport réussi ou échoué à sa propre langue se joue largement dans les premiers temps de la vie. C'est pourquoi la délégation générale à la langue française lancera une série d'actions destinées à sensibiliser les familles ainsi que les personnels des crèches et des garderies à l'importance du dialogue avec les tout petits enfants.
B. – Conserver au français, son rôle de langue de communication internationale
Le français a la chance d'être la deuxième langue de communication internationale. C'est l'un de nos atouts dans la compétition mondiale. Nous devons savoir le conserver et le promouvoir en assurant sa présence dans les secteurs sensibles.
1) Soutenir la présence du français dans la vie scientifique et économique
La France est le premier pays pour l'accueil des colloques et congrès. Le français doit être présent dans ces grandes manifestations internationales. J'ai donc décidé de mettre en place un système de soutien à la traduction simultanée, qui sera doté dès cette année d'une somme d'un million de francs.
Les ministères de la culture, de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, des affaires étrangères et de la coopération renforceront leur action pour soutenir les revues scientifiques dans le domaine des sciences exactes et favoriser leur diffusion. Le ministère de la culture apportera également un soutien accru à des organismes comme la Fondation Alfred Kastler de l'Académie des Sciences, qui assure aux chercheurs formés en France un enseignement du français et leur adresse après leur départ des revues en français.
2) Assurer la présence du français dans les organisations internationales
Pour veiller au respect du français dans les organisations gouvernementales, la délégation générale à la langue française apportera son concours au ministère des affaires étrangères pour faire respecter le statut juridique d du français et d'abord par les Français eux-mêmes. Le ministère de la culture participera également à des actions de formation proposées aux fonctionnaires internationaux en poste dans des organisations ayant leur siège en France. Ces formations leur permettront de développer leur connaissance de la France et du français.
En outre, à titre expérimental, le ministère de la culture proposera dès cette année une assistance terminologique sur Internet aux traducteurs de plusieurs organisations internationales spécialisées. Cette proposition a été faite à Genève la semaine dernière aux organisations concernées et a reçu un accueil empressé.
Enfin, pour assurer la présence du français dans les organisations non-gouvernementales, un groupe de suivi et de propositions, associant notamment tous les ministères suivant l'activité de telles organisations, sera mis en place. Une collaboration plus étroite, secteur par secteur, sera proposée aux autres pays francophones.
C. – Promouvoir le plurilinguisme
La politique de la langue française s'accompagne de la promotion de plurilinguisme et de l'ouverture aux autres langues et cultures. Notre objectif est positif. Il consiste à préserver la diversité culturelle et linguistique dans le monde et en premier lieu en Europe.
1) Construire une société de l'information plurilingue
Il faut avant tout favoriser l'usage des normes techniques, tels les jeux de caractère, qui permettent, par exemple, la saisie et la circulation correcte sur les réseaux du français et des autres langues européennes. Il faut qu'il puisse y avoir des accents sur Interne. Je crois que nous devons agir à la fois au niveau des conditions techniques et au niveau des contenus.
Pour ce faire :
– des instructions seront diffusées pour que les administrations françaises tiennent compte de ces normes pour le développement de leurs systèmes d'information et pour leurs acquisitions de matériel ;
– le ministère de la couture favorisera la présence d'experts francophones dans les instances internationales de normalisation afin que les normes qu'elles élaborent permettent le plurilinguisme ;
– il participera, avec l'Agence française de normalisation (AFNOR), à la réalisation et à la diffusion de guides techniques, explicitant de façon précise les normes à implanter pour la réalisation de produits et services en français et plurilingues sur Internet.
Il importe aussi de disposer d'outils plurilingues :
– pour permettre aux utilisateurs d'accéder à des informations en langue étrangère en formulant des interrogations dans leur langue, des projets de terminologie plurilingue concertée seront soutenus dès 1996 par le ministère de la culture dans le cadre de programmes européens ;
– pour développer leurs produits, les industries de logiciels ont besoin de lexiques, de dictionnaires et de grammaires informatisés. Une structure européenne chargée de collecter, d'évaluer et de diffuser ces ressources pour les langues de l'Union vient d'être créée. Le ministère de la culture soutiendra ses travaux pour la langue française.
Enfin, il importe de faire connaître et de rendre aisément accessibles les services existants en langue française. Or, les plus connus des moyens de recherche utilisés pour trouver une information sur Internet ne prennent bien en compte que les contenus en langue anglaise. Pour faire connaître les services existants en langue française, le ministère de la culture aidera la réalisation de répertoires. Un premier annuaire sera présenté au public dès la fin du mois de mars. Le ministère favorisera aussi la réalisation de logiciels facilitant la recherche d'informations en français.
2) Une attitude dynamique à l'égard des langues étrangères
L'apprentissage de deux langues étrangères est le moyen le plus efficace de promouvoir le plurilinguisme. En outre, si l'anglais est la langue la plus étudiée dans la plupart des pays d'Europe comme première langue, le français arrive largement en tête comme seconde. En France, dès la rentrée 1997, l'enseignement d'une deuxième langue vivante sera généralisé en classe de quatrième. La situation est loin d'être la même dans la plupart des pays de l'Union. La France soutiendra donc au niveau européen et au niveau bilatéral, toutes les initiatives susceptibles de favoriser l'enseignement de deux langues vivantes dans les Etats membres de l'Union.
En France même, le plurilinguisme constitue désormais un des volets de la politique d'accueil des touristes étrangers en France. Le ministère de la culture appuiera les actions conduites par le ministère du tourisme, notamment dans le cadre de la campagne « Bonjour » qui donnera lieu à des opérations spécifiques.
Telles sont, Mesdames, Messieurs, les mesures en faveur de l'emploi de la langue française que je souhaitais vous présenter aujourd'hui.