Texte intégral
Entretien accordé au quotidien « Jornada » et à l'hebdomadaire « Siempre », à Paris, le 20 mai 1996
Q. : Quel est le but, en tant que ministre des Affaires étrangères, de votre visite au Mexique ?
R. : La France et le Mexique sont unis par des liens anciens, denses et privilégiés. Le premier but de ma visite sera donc de consolider ces bonnes relations bilatérales. Dans le domaine politique, j'aurai de nombreux entretiens, notamment avec M. Gurria, ministre des Relations extérieures, et je serai reçu par le Président Zedillo. Le Mexique a toujours été un de nos partenaires privilégiés en Amérique latine et joue désormais un rôle important sur la scène internationale. Les thèmes d'entretien ne manqueront pas !
Dans le domaine économique, le Mexique reste pour nos investisseurs un des pays les plus attractifs du continent américain. L'entrée en vigueur de l'ALENA en janvier 1994, qui a suscité des inquiétudes de la part de nos industriels, qui ne bénéficient pas des mêmes avantages que leurs concurrents des États-Unis et du Canada, la crise financière de décembre 1994, la contraction des échanges entre la France et le Mexique en 1995, pourraient faire douter de l'existence de perspectives économiques intéressantes. Il ne faut pas que nos hommes d'affaires se détournent d'un marché prometteur. C'est un message que j'espère faire passer à l'occasion de ma visite.
Je souhaite que celle-ci permette de donner une impulsion nouvelle aux relations franco mexicaines. La tenue de la première commission mixte créée par l'accord-cadre de coopération signé en 1992 – que j'aurai l'honneur de coprésider, aux côtés de M. Jose Angel Gurria Trevino, mon homologue, répond à cette volonté. Elle sera l'occasion d'approfondir la coopération bilatérale dans tous les domaines entre la France et le Mexique, d'en déterminer en commun les grands axes pour l'avenir, jusqu'à la prochaine rencontre.
Q. : Au lendemain de l'annonce de l'ouverture de négociations entre l'UE et le Mexique, quelle est la position que vous attendez de la part des autorités mexicaines ?
R. : Vous savez que l'Union européenne et le Mexique ont déjà signé, en 1991, un accord de coopération. Les négociations qui vont prochainement s'ouvrir ont pour objet la négociation d'un nouvel accord politique, commercial et économique.
Le principe de ce nouvel accord a été arrêté il y a un an, à Paris, par une déclaration solennelle entre l'Union européenne et le Mexique. Du côté européen, nous avons défini nos propositions sur ce que pourra être le contenu de cet accord. J'espère qu'elles seront bien accueillies par les autorités mexicaines et que les négociations pourront avancer rapidement sur ces bases. Les propositions européennes répondent à notre volonté d'approfondir l'ensemble de nos relations, y compris en matière économique et commerciale par une libéralisation progressives et réciproque. Je souhaite que nous puissions parvenir à une conclusion du nouvel accord au second semestre de cette année. C'est un accord important pour le Mexique, mais aussi pour l'Union européenne, compte tenu de l'influence de votre pays sur le continent américain.
Q. : Quelle sera la position européenne en cas de désaccord, et surtout si celui-ci porte sur un sujet délicat, tel que la question agricole ou la banane ?
R. : Les propositions européennes définissent le contenu que l'Union souhaite donner au nouvel accord avec le Mexique. Je pense qu'il ne devrait pas y avoir de difficulté majeure entre l'Union et le Mexique sur ces propositions. Bien sûr, dans des négociations de ce type, il faut s'efforcer de rapprocher les points de vues, et parfois trouver des compromis, mais je suis optimiste. L'essentiel est de créer, à travers cet accord, une relation de partenariat privilégiée entre l'Union européenne et le Mexique, dans le domaine politique comme sur le plan économique. Je ne prévois pas d'obstacle insurmontable en matière agricole, dans la mesure où certains produits sensibles pourront être exclus à la demande de l'une ou l'autre partie. Quant à la banane, je ne peux que regretter que le Mexique se soit joint au panel déposé par les États-Unis à l'OMC. Je pense sincèrement que cela n'est pas dans l'intérêt de votre pays et que cette affaire pourrait se régler de façon amiable. Vous savez l'importance de la banane pour nos producteurs, notamment dans les départements français d'Amérique.
Q. : Depuis la crise financière qui a secoué le Mexique en 1994, les États de l'UE, la France notamment, font-ils confiance au plan de redressement économique du gouvernement mexicain ?
R. : Oui, la France croit en l'avenir du Mexique. Comme je vous l'ai dit, un des buts de ma visite sera de réaffirmer cette confiance.
Q. : Quelle est l'image que garde la France d'un pays comme le Mexique, qui n'arrive pas à sortir d'une crise économique ou politique pour en arriver à une autre ? Est-il possible de négocier avec un tel pays ?
R. : La France attache une grande importance au renforcement de ses relations avec le Mexique. Parce que le Mexique joue un rôle prépondérant sur le continent américain par son appartenance à l'Amérique latine et à l'Accord de libre-échange Nord-américain (ALENA), parce qu'il est désormais un partenaire important des relations internationales. La France et le Mexique se connaissent de longue date, leurs histoires se sont parfois mêlées. Ces relations sont d'autant plus vivantes qu'elles se nourrissent du dialogue permanent de nos deux grandes cultures. Enfin, l'ouverture économique et l'effort considérable mené par le Mexique pour moderniser son économie rendent ce marché attractif pour les investisseurs étrangers. Pour toutes ces raisons, il est normal de « négocier » avec le Mexique.
Q. : Allez-vous traiter la question de la réglementation des investissements à court terme avec les autorités mexicaines ? Quelle est la position de la France à ce sujet ?
R. : Comme vous le savez, la négociation d'un accord de protection mutuelle des investissements est en cours. Un second tour de négociations vient d'avoir lieu à Mexico, les 2 et 3 mai dernier.
La France est attachée à l'accélération de ces négociations. À cet effet, elle proposera prochainement des dates pour une troisième rencontre entre négociateurs à Paris, qui devrait être la dernière.
374 entreprises françaises étaient enregistrées au Mexique à la fin de 1995, dont 258 à participation majoritaire. Mais avec moins de 2 milliards de dollars d'investissements, la France n'est pas à la hauteur de son rang de troisième investisseur mondial ! Le retour des investisseurs français au Mexique passe en particulier par le renforcement de la sécurité juridique.
C'est pourquoi l'accord d'encouragement et de protection des investissements devra contenir les principes qui figurent dans les soixante accords de ce type que la France a signés et que nos investisseurs attendent : libre transfert des revenus, arbitrage international inconditionnel en cas de différend entre l'investisseur et le pays d'accueil. Je souhaite que sur ces points, nos amis mexicains nous rejoignent.
Q. : Est-il prévu de traiter la question de la suppression bilatérale de visas pour les touristes ?
R. : L'instauration de l'obligation de visas par la France a été prise en 1986 dans un contexte marqué par de nombreux actes terroristes sur le territoire français. Cette mesure répondait à une préoccupation de sécurité. Il est vrai que la situation a évolué. J'aurai certainement l'occasion d'en débattre avec mon collègue José Angel Gurria Trevino, afin de voir si une solution peut être trouvée, qui convienne à nos deux pays.
Q. : Le Président français Jacques Chirac a-t-il prévu une visite d'État Olt de travail au Mexique ? Existe-t-il la possibilité que le Président mexicain Ernesto Zedillo se rende en France prochainement ?
R. : En effet, le Président Zedillo a invité le Président Jacques Chirac à se rendre au Mexique. Mais auparavant nous serons heureux d'accueillir en France votre Président. Sa visite était prévue pour le début de l'année 1996, cela n'a pas été possible à ce moment-là, mais l'invitation lui a été renouvelée.
Entretien au quotidien mexicain « Reforma », à Paris, le 20 mai 1996
Q. : Monsieur le Ministre, votre visite au Mexique les 23 et 24 mai prochains donnera lieu à la première réunion binationale France-Mexique. Pourriez-vous nous expliquer l'importance de cette réunion dans les relations entre les deux pays ?
R. : Je voudrais dire toute l'importance que nous attachons au renforcement de nos relations avec ce grand pays qu'est le Mexique. Parce que la France et le Mexique se connaissent de longue date, que leurs histoires se sont parfois mêlées. Parce que ces relations sont d'autant plus vivantes qu'elles se nourrissent du dialogue permanent de nos deux grandes cultures.
Cette première commission mixte créée par l'accord-cadre de coopération signé en 1992 – que j'aurai l'honneur de coprésider, aux côtés de M. Jose Angel Gurria Trevino, mon homologue – répond à cette volonté de donner une impulsion nouvelle à ces relations privilégiées. Elle sera l'occasion d'approfondir la coopération bilatérale dans tous les domaines entre la France et le Mexique, d'en déterminer en commun les grands axes pour l'avenir, jusqu'à la prochaine rencontre.
Q. : Celle réunion permettra-t-elle d'établir un accord de protection pour les investissements comme le souhaitent les investisseurs français et mexicains ?
R. : Comme vous le savez, la négociation d'un accord de protection mutuelle des investissements est en cours. Un second tour de négociation vient d'avoir lieu à Mexico, les 2 et 3 mai derniers.
La France est attachée à l'accélération de ces négociations. À cet effet, elle proposera prochainement des dates pour une troisième rencontre entre négociateurs à Paris, qui devrait être la dernière.
374 entreprises françaises étaient enregistrées au Mexique à la fin de 1995, dont 258 à participation majoritaire. Mais avec moins de 2 milliards de dollars d'investissements, la France n'est pas à la hauteur de son rang de troisième investisseur mondial ! Le retour des investisseurs français au Mexique passe en particulier par le renforcement de la sécurité juridique.
C'est pourquoi l'accord d'encouragement et de protection des investissements devra contenir les principes qui figurent dans les soixante accords de ce type que la France n signé et que nos investisseurs attendent : libre transfert des revenus, arbitrage international inconditionnel en cas de différend entre l'investisseur et le pays d'accueil. Je souhaite que sur ces points, nos amis mexicains nous rejoignent.
Q. : La France se distingue particulièrement dans son combat contre le trafic de drogues. Dans ce domaine, quels sont les accords de coopération envisagés avec le Mexique ?
R. : Une coopération existe déjà entre la France et le Mexique. Une convention d'entraide judiciaire en matière pénale a été signée le 29 janvier 1994 qui couvre le trafic de stupéfiants. Des programmes de coopération dans le domaine de la sécurité sont menés par un service français spécialisé relevant du ministère de l'Intérieur, et dont une antenne est installée à Mexico auprès de l'Ambassade.
Mais nous voulons aller au-delà de ce qui existe. C'est pourquoi un accord de coopération relatif à la lutte contre le trafic et l'usage illicite de drogues et de substances psychotropes est en cours de négociation entre la France et le Mexique. Je souhaite qu'il puisse rapidement être signé.
Q. : Les discussions entre les 15 pays de l'Union européenne quant aux négociations sur l'accord politique et commercial entre le Mexique et l'Union européenne ont donné lieu, ces derniers mois, à une vive polémique sur les réticences françaises et hollandaises pour arriver à un tel accord. Quelle est aujourd'hui la position de la France ?
R. : La position de la France n'a jamais changé sur ce dossier ! Je sais que des doutes ont été exprimés sur les intentions réelles de la France, qui n'étaient pas dénués d'arrière-pensées. Permettez-moi donc un bref rappel historique.
La France est à l'origine de la proposition de conclure entre le Mexique et l'Union européenne un accord global, politique, économique et commercial. M. Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, s'était fait le porte-parole du Mexique devant nos partenaires en février 1994 et cette idée avait été accueillie sans enthousiasme excessif. Nous sommes néanmoins parvenus à faire figurer ce projet dans les conclusions du sommet de Corfou et à obtenir sous présidence française qu'une déclaration solennelle soit signée entre l'Union européenne et le Mexique : c'était le 2 mai 1995. Au sommet de Madrid, les termes figurant dans la déclaration solennelle prévoyant une libéralisation « réciproque, progressive et globale » des échanges ont été rappelés. Concluons sur ces bases. Nous n'avons jamais rien dit d'autre !
Le 13 mai un accord a pu se faire sur le compromis de la présidence italienne. Les ambiguïtés qu'il contenait avaient suscité de notre part des demandes d'éclaircissement. Nous n'avons pas été les seuls : l'Espagne et la Grande-Bretagne ont aussi posé des questions et demandé des amendements. D'autres partenaires encore. Ceci est normal et il ne faut pas y voir je ne sais quelles « réticences ». L'essentiel est qu'un accord ait pu être trouvé. Je m'en réjouis.
Q. : Pensez-vous que l'établissement d'une zone de libre-échange entre l'Union européenne et un pays comme le Mexique, d'un moindre niveau de développement et faisant partie d'un accord de libre-échange avec les États-Unis, soit compatible avec l'Organisation mondiale du Commerce et avec la politique agricole commune ?
R. : Notre objectif commun est celui de développer entre le Mexique et l'Union européenne les échanges de marchandises et services, ainsi que l'investissement. Le Mexique est en effet pour nous un partenaire majeur. Je souhaite que nos entreprises saisissent l'occasion qui leur est offerte d'intensifier leurs échanges et d'enrayer la tendance à la baisse que nous avons pu constater ces derniers mois. Pour remplir cet objectif, le futur accord que l'Union et le Mexique vont prochainement négocier définira un cadre favorable en vue d'une libéralisation progressive et réciproque des échanges. Il nous appartiendra ensuite de remplir ce cadre, de lui donner chair et consistance. Il va de soi que les dispositions de l'accord devront être conformes aux règles de l'OMC, cadre multilatéral auquel nous sommes particulièrement attachés. Lorsqu'elles arrêteront le calendrier et les modalités d'une réduction des obstacles aux échanges, l'Union européenne et le Mexique devront donc veiller à cette conformité. Pour répondre à votre question sur la compatibilité avec la politique agricole commune, il est également prévu que les parties devront prendre en compte la sensibilité de certains produits, sans toutefois vider l'accord de son contenu.
Q. : La France est le seul pays de l'espace Schengen et de l'Union européenne à demander un visa de touriste aux ressortissants mexicains. Pourriez-vous nous dire si ces visas se maintiendront avec l'ouverture totale des frontières européennes, ou si la France et le Mexique envisagent un accord pour leur annulation ?
R. : L'instauration de l'obligation de visa par la France a été prise en 1986 dans un contexte marqué par de nombreux actes terroristes sur le territoire français. Cette mesure répondait à une préoccupation de sécurité. Il est vrai que la situation a évolué. J'aurai certainement l'occasion d'en débattre avec mon collègue José Angel Gurria Trevino, afin de voir si une solution peut être trouvée, qui convienne à nos deux pays.
Q. : Les relations entre la France et le Mexique se sont toujours appuyées sur leur proximité culturelle. Quelle est la place qu'occupe le Mexique dans le nouvel élan que le gouvernement français veut donner à la diffusion de la langue et de la culture françaises dans le monde ?
Des démarches comme les accords récents entre chaînes de télévision française et mexicaine ou la réintroduction prochaine « du monde diplomatique » en espagnol au Mexique sont-elles représentatives de cet élan voulu par la France ?
R. : Si l'on parle culture, il n'est pas besoin de longs discours entre Français et Mexicains, pour se comprendre et faire des choses ensemble. Mieux qu'une tradition d'amitié et de coopération, c'est une sorte de complicité naturelle qui préside aux échanges entre nos intellectuels, nos artistes, nos créateurs, nos institutions culturelles et académiques. Car au fond, nous partageons en cette fin de siècle le même défi : « Non au monopole ! Oui à la diversité ! ». À partir de ce désir commun, tout devient facile entre nos deux pays, ancrés chacun dans une culture latine forte et vivante. C'est dans cet esprit que nous cherchons il promouvoir la langue et la culture françaises au Mexique.
Nous le faisons grâce à un dispositif français culturel et de coopération, l'un des plus importants que nous ayons dans le monde. Il faut entretenir ce capital, le moderniser, l'adapter à de nouveaux défis. Lors de mon séjour au Mexique je poserai la première pierre, au cœur de Mexico, d'un futur centre culturel français d'un genre nouveau.
Les démarches que vous citez ont la même ambition mais en utilisant d'autres méthodes. Et puis, il faut que nous sachions saisir les formidables potentialités offertes par les nouvelles technologies de production, diffusion et consommation culturelles.
Q. : Quel est le regard de la France sur le dossier du Chiapas où persiste une situation de tension entre le gouvernement mexicain et l'armée zapatiste ?
R. : L'affaire du Chiapas est une affaire interne mexicaine, mais depuis le début des tensions, la France a suivi avec attention la situation et a noté avec satisfaction les efforts du gouvernement mexicain pour résoudre les problèmes sociaux et économiques qui sont à l'origine de cette crise. Je me réjouis que le dialogue établi entre le gouvernement et l'EZLN ait débouché sur un premier accord en février dernier et je souhaite, évidemment, que ce dialogue se poursuive dans l'intérêt des populations concernées. Il augure bien de la pacification des esprits.
Q. : La France sera-t-elle un contrepoids politique, économique et culturel à l'influence américaine au Mexique et en général en Amérique latine, comme elle le fait dans d'autres régions du monde ?
R. : Je parlais auparavant de « diversité » et de refus de tout monopole en matière culturelle. Ceci est vrai dans les autres domaines. Que serait un monde dominé totalement par une seule philosophie politique, une seule culture, une seule économie ? Chaque pays, chaque peuple a quelque chose d'unique à communiquer aux autres.
La France souhaite offrir un autre regard sur le monde, une autre façon d'aborder les grandes questions qui se posent à tous.
En ce qui concerne plus particulièrement l'Amérique latine et le Mexique, il s'agit d'un continent avec lequel des liens historiques et culturels très forts existent, qui nous rapprochent. Par ailleurs, la France est un État d'Amérique en raison de ses départements des Antilles Guyane. Il est donc naturel qu'elle soit présente. Cela dit, nous souhaitons être des partenaires, aussi bien des États latino-américains que des États-Unis d'Amérique.
Q. : La loi Helms-Burton renforçant l'embargo contre Cuba et menaçant les investisseurs étrangers dans l'île de représailles vous paraît-elle justifiée ?
R. : Elle est injustifiable, contraire à la liberté du commerce qui est un des principes du droit international, contraire à l'esprit, sinon à la lettre de l'Organisation mondiale du commerce à laquelle la France est très attachée.
Nous l'avons dit aux autorités américaines. Je souhaite que la voix de la raison prévale et qu'en définitive le Président des États-Unis, comme il en a le droit, décide de suspendre l'application des dispositions les plus controversées de ce texte.
Entretien accordé à la télévision mexicaine « Eco », à Paris, le 20 mai 1996
Q. : Quelle est votre appréciation les relations bilatérales entre le Mexique et la France et en général avec le continent latino-américain ?
R. : C'est un grand plaisir pour moi d'aller au Mexique. D'abord, parce que c'est la première fois que je vais dans votre pays et ensuite parce que le Mexique est un partenaire extrêmement important pour la France. Nous fondons beaucoup d'espoir sur les relations franco-mexicaines. Le Mexique est en train de devenir une grande puissance mondiale. Nous pensons que l'Amérique du sud et l'Amérique centrale joueront dans les dix ans qui viennent un très grand rôle économique et politique et nous souhaitons que la France tourne ses regards vers vous.
Q. : Quel est votre objectif dans ce voyage, le commerce ? la politique ?
R. : L'objectif est d'abord politique : établir, au début du nouveau septennat du Président de la République Jacques Chirac, des relations fortes de partenariat, d'amitié entre la France et le Mexique, entre le gouvernement français et le gouvernement mexicain, entre le peuple français et le peuple mexicain. C'est d'abord un objectif politique. Mais, naturellement, les questions économiques seront très importantes dans les discussions car dans le monde moderne, les rapports étroits entre deux peuples, entre deux pays, s'expriment très souvent par des rapports économiques entre les entreprises. Nous voulons intensifier les échanges économiques entre nous, les investissements français au Mexique, et bien entendu, les investissements mexicains en France, pour qu'il y ait vraiment des rapports de travail très intenses.
Q. : Cette question économique va être négociée avec l'Union européenne. Vous n'étiez pas d'accord concernant les problèmes agricoles, pourquoi avez-vous changé voire position ? Pourquoi avez-vous précisé ?
R. : Je ne suis pas d'accord sur ce que vous venez de dire. C'est la France qui est à l'origine de la négociation entre l'Union européenne et le Mexique. C'est nous qui, en 1994, avons été les premiers à dire à nos partenaires européens qu'il fallait entamer le dialogue avec le Mexique. À l'époque nous étions seuls, nos partenaires ne paraissaient pas s'intéresser beaucoup au Mexique. C'est sous la présidence française de l'Union européenne au mois de mai 1995 qu'a été prise la décision, par une déclaration de l'Union européenne, d'ouvrir les négociations avec le Mexique. Nous avons toujours été en faveur d'une telle perspective.
Ensuite, il y a les discussions techniques entre les experts. J'ai compris que, peut-être, certains de nos partenaires étaient venus dire au Mexique, que les Français étaient trop exigeants ; ce n'était pas le cas, il y a eu des discussions d'experts sur le cadre de ces discussions, sur le contenu des discussions économiques entre l'Union européenne et le Mexique, et plusieurs pays ont posé des questions. La France, c'est vrai, mais aussi la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Allemagne et d'autres. Finalement, nous sommes tombés d'accord, il y a quelques jours tous ensemble, sur une déclaration qui fixe de façon excellente les conditions dans lesquelles la négociation euro-mexicaine va pouvoir s'ouvrir maintenant, à très bref délai, entre la Commission européenne de Bruxelles et les autorités mexicaines. J'espère que tout cela ira vite car notre souhait le plus ardent est de développer rapidement des relations très étroites entre l'économie mexicaine et l'économie européenne.
Q. : Mais vous n'étiez pas d'accord pour un libre-échange ?
R. : Les mots ne doivent pas rendre la vie compliquée. L'essentiel ce sont les faits. Notre objectif c'est de renforcer les échanges commerciaux, économiques, et les investissements entre l'Europe et le Mexique. Pour les raisons que je vous ai dites, le Mexique est en train de devenir une grande puissance politique et économique en Amérique et dans le monde. Et l'Europe, premier ensemble commercial du monde, à la fois par le nombre d'habitants et par le volume des échanges extérieurs, est tout à fait ouverte à ce dialogue économique avec le Mexique pour lequel nous avons beaucoup de projets.
Q. : Y aura-t-il une limite pour la libéralisation complète ?
R. : Non, il n'y a pas de limites si ce n'est l'application des règles de l'Organisation mondiale du Commerce à laquelle nous avons tous adhéré, il y a maintenant 18 mois, et qui sont les règles qui fixent pour l'ensemble du monde, de façon égale, un échange égal, libre, loyal. Ne croyez pas que nous ayons des réserves, nous n'en avons aucune. Plus il y aura d'échanges entre l'Europe et le Mexique, plus la France sera contente, sans réserve.
Q. : Dans cet accord que vous allez signer, y aura-t-il un volet politique ? Comprendra-t-il des exigences à l'égard du Mexique ?
R. : Non, ne mêlons pas les choses. Dans les accords dits de coopération, il y a souvent un volet politique, c'est plutôt positif, il n'y a pas de réserves ni de réticences. Nous considérons le Mexique comme un grand pays, une grande démocratie qui a trouvé sa stabilité au cours des années passées et qui est pour nous un partenaire sûr, loyal et efficace.
Q. : Êtes-vous préoccupé par le fait que d'autres pays à l'exemple du Mexique demandent plus à l'Union européenne, demandent des accords qui aillent au-delà de ce qu'ils ont déjà obtenu ?
R. : Il faut que nous ayons une idée simple. Le développement du commerce, les investissements des uns vers les autres, tout cela va dans le bon sens. L'histoire des hommes est très précise sur ce point : plus le commerce se développe, plus la démocratie progresse, plus la liberté se renforce, et plus les conflits s'éloignent. Les échanges économiques transportent avec eux une atmosphère de prospérité et de paix. Il faut jouer cette carte de l'échange entre nous avec une très grande détermination.
Q. : Nous avons le sentiment que dans cette période la France se montre plus forte, plus vigoureuse dans les négociations ?
R. : C'est normal que chacun ait des intérêts à défendre. Dans une négociation, chacun veut naturellement obtenir le meilleur résultat pour lui. Au départ d'une négociation, il y a toujours des différences d'appréciation. Dans la négociation, il y a forcément des moments où l'on est plus en moins exigeant, et arrive le moment où l'on finit par tomber d'accord et chacun retire les mêmes avantages que l'autre : c'est cela une bonne négociation qui se termine bien, parce que chacun pense avoir trouvé des raisons d'en être satisfait. Il faut des concessions, nous en faisons. Vous en ferez certainement. Nous aurons ainsi un très bon résultat.
Q. : La politique extérieure de la France s'est exprimée plus fortement avec le Président Jacques Chirac. Du point de vue de la politique extérieure, ce voyage illustre-t-il la plus forte volonté de la France, son plus fort intérêt d'être présente au Mexique et dans celle région du monde ?
R. : Voyez bien les choses. La France est déterminée à être davantage présente dans la vie des nations. Au cours des années passées, sans doute avons-nous eu une attitude plus réservée. Nous voulons maintenant aller de l'avant, vers les autres pays qui sont souvent ouverts, comme vous l'êtes vous-mêmes au Mexique et souvent attentifs au propos de la France. Nous sommes très attentifs à l'ensemble de l'Amérique du sud et de l'Amérique centrale. C'est un ensemble dans lequel il y a à la fois des populations très importantes en nombre, une stabilité politique forte et un rythme de développement élevé. Tout cela fait de l'Amérique centrale et de l'Amérique du sud un pôle de développement et de puissance pour les années qui viennent que nous considérons comme l'une de nos grandes priorités. Ce voyage au Mexique, le premier que je fais dans cette partie du monde, sera suivi d'autres, doit montrer, je l'espère, que la France porte un très grand intérêt à votre pays, et aussi à l'ensemble de la région. De ce point de vue, nous sommes un pays indépendant, libre, aux ordres de personne, nous suivons ce que sont les intérêts de la France, le rayonnement de notre pays, culturel en particulier. Entre la France et le Mexique, les liens de l'Histoire et de la culture sont des liens très intenses et en même temps, nous sommes d'une certaine façon l'un des pays leaders de l'Union européenne et comme je le disais tout à l'heure. L'Union européenne est désormais le plus grand marché du monde et est en train de devenir, elle aussi, un pôle de puissance dans le monde. Je crois que le grand ensemble régional européen doit se tourner vers ce grand ensemble régional que constitue l'Amérique centrale et l'Amérique du sud et nous devons établir entre nous des rapports très forts. Il y a toutes les raisons pour cela.
Nos intérêts actuels, mais aussi l'Histoire, ont établi entre l'Europe, en particulier les pays du sud de l'Europe, et votre continent, des liens très anciens. Tout cela doit nous donner une façon très optimiste et très volontariste de regarder vers l'avenir. C'est ce que fera la France.