Texte intégral
Entretien du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec RFI (Paris, 19 janvier 1996)
Q. : Monsieur le ministre, vous revenez d'une tournée au Liban et en Syrie. C'est votre troisième tournée dans la région. Qu'est-ce que cela veut dire pour le rôle de la France sur place ?
R. : Cela veut dire que la France est de retour au Proche-Orient, au Moyen-Orient et dans le pourtour méditerranéen, qu'elle considère que c'est pour elle une priorité de tout premier plan, une très grande priorité pour elle.
Nous avons l'intention, sous la responsabilité et l'autorité du Président de la République qui le souhaite ardemment, de faire en sorte que la France soit présente, qu'elle renoue, renforce, développe les liens d'amitié qu'elle a avec la totalité de ces pays, pratiquement sans exception et qu'elle y mette de la volonté et de la chaleur.
Q. : Quelles sont les attentes de ces pays à l'égard de la France et qu'est-ce que la France peut leur apporter ?
R. : Je crois que tous ces pays attendent beaucoup de la France. Partout où je suis allé, j'ai entendu le même message : nous attendons une participation plus forte de la France à toutes les questions qui nous intéressent. Et ces questions sont de trois ordres : des questions politiques, de sécurité, nous avons proposé un Pacte de stabilité pour la Méditerranée qui permette à l'avenir de régler les différends de façon pacifique ; naturellement la grande affaire du développement économique : il ne peut pas y avoir de paix durable lorsqu'il y a, d'un côté, des peuples riches, de l'autre côté des peuples pauvres, et il faut donc pousser, aider au développement des pays du sud de la Méditerranée ; et puis tout ce qui intéresse le dialogue des civilisations, La Méditerranée est l'un des lieux du monde où se sont confrontés, parfois brutalement, parfois au contraire de façon plus amicale, quelques-unes des plus grandes civilisations, des plus grandes religions du monde. Eh bien, nous voulons faire ensemble de la Méditerranée un grand espace culturel de dialogue et de paix.
Q. : Le terrain est déjà occupé par les Américains. Est-ce qu'il y a encore de la place pour la France ?
R. : Oui ! C'est peut-être même pour cette raison que nous sommes très désirés sur place et que nous allons y aller.
Q. : Vous vous êtes entretenu avec le Président syrien. Est-ce que le processus de paix avec Israël vous semble proche de parvenir à une fin. Quelles informations avez-vous recueilli sur place ?
R. : J'en ai parlé aussi bien en effet avec le Président Hafez El Assad qu'avec mes interlocuteurs israéliens et j'ai observé que des deux côtés, il y avait le même jugement, c'est-à-dire le sentiment que le partenaire est dans une disposition de vouloir vraiment la paix.
Q. : Les Libanais semblent un petit peu exclus de ces négociations. Quel sentiment là aussi avez-vous recueilli ?
R. : Non, ils ne sont pas exclus ! Les Libanais eux-mêmes ont pris la décision de souhaiter que les négociations directes entre Israël et le Liban interviennent lorsque les choses du côté syro-israélien seront plus avancées, mais croyez-moi, bien entendu, il y aura des négociations entre le Liban et Israël dans le même cadre et je suis convaincu qu'elles aboutiront positivement.
Radio-Shalom : 19 janvier 1996
Q. : Quel regard avez-vous posé sur le processus électoral dans les territoires lors de votre précédente visite ?
R. : Quand je suis allé là-bas, c'était au mois de décembre, la campagne électorale n'était pas ouverte du tout. J'ai eu le grand bonheur d'être à Bethléem vingt-quatre heures après le départ des troupes israéliennes et de participer à la joie et à l'émotion de la population palestinienne. Mais le processus électoral n'était pas encore en cours. Nous avons là-bas vous savez mille observateurs dont trois cents Européens. C'est un Européen d'ailleurs qui est en charge de la responsabilité globale de cette fonction d'observation. Je crois qu'il y a quelques incidents mais, globalement, j'ai le sentiment que les observateurs font bien leur travail et peuvent accomplir leur mission.
Entretien du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, avec les médias français et arabes (Paris, 19 janvier 1996)
Je voulais faire avec vous un peu le point de l'étape libanaise et syrienne qui achève une tournée qui s'est déroulée en trois étapes : la première étape au mois de septembre (Égypte, Jordanie), la deuxième au mois de décembre (les Territoires palestiniens et Israël) et la troisième étape, cette semaine (Liban, Syrie).
Tout d'abord, pourquoi cette tournée ? Parce que la France accorde une priorité de premier plan à sa politique au Proche et au Moyen-Orient ainsi qu'en Méditerranée. Nous avons depuis très longtemps noué des relations qui, pour certaines, datent de plusieurs siècles -nous avons fait connaissance avec le Liban il y a 900 ans -, qui sont donc très anciennes, très fortes et qui, en même temps, ont connu au cours de ces dernières années un certain ralentissement.
La France souhaite désormais donner toute sa dimension à sa présence, à sa politique, à son influence, à sa participation dans cette partie du monde. C'est donc une vraie et grande priorité et en même temps, c'est, du coup, une politique nouvelle. C'est l'une des nouvelles dimensions de la politique étrangère française du septennat qui commence. Les circonstances s'y prêtent. Je veux dire par là qu'en même temps que nous prenons cette décision, c'est aussi parce que nous avons constaté et analysé que nous entrons dans une période nouvelle. Le processus de paix s'achève, en tout cas entre dans sa dernière phase. C'est une phase qui concerne plus particulièrement la France puisqu'elle concerne le Liban et la Syrie, cette partie du Proche-Orient qu'elle connaît particulièrement et avec laquelle elle a des liens.
Donc, nous entrons dans une période nouvelle. Je crois qu'on n'a pas fini de mesurer le caractère entièrement nouveau de cette situation, puisque, depuis 50 ans, on n'a jamais imaginé ces circonstances. L'acte fondateur, pour nous, de cette nouvelle configuration, c'est le sommet de Barcelone. Événement considérable, d'abord, parce qu'il s'est tenu. Hier, on a pu mettre autour de la table l'ensemble des partenaires de la Méditerranée, Libye exceptée.
Je dois reconnaître que pour cela, les uns et les autres ont fait des efforts. C'est en quelque sorte une conférence de l'après-paix. Chacun a accepté de considérer qu'il en était bien ainsi, bien que tout ne soit pas réglé. J'ai dit aux uns et aux autres et en particulier aux Israéliens, aux Syriens, aux Libanais, que je leur étais reconnaissant d'avoir accepté - si j'ose dire - d'anticiper et d'être présents.
C'est donc une ère nouvelle qui s'approche. La France entend y jouer pleinement son rôle. Voilà le cadre dans lequel tout ceci s'est déroulé.
Ma visite au Liban a été extrêmement riche et instructive. Comme vous le savez, j'ai parlé de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du Liban. J'en avais déjà parlé d'ailleurs avec les Israéliens, avec tous mes interlocuteurs.
J'ai veillé, d'ailleurs, au cours de cette tournée, à dire partout la même chose. Rien évidemment n'est plus simple que de dire à chacun ce qu'il a envie d'entendre, même si c'est contradictoire. Donc, j'ai tenu le même langage aux uns et aux autres : à la fois, l'intention claire de la France d'être présente et « participative », son souci de nouer des liens de cordialité, d'amitié, de coopération avec chacun d'eux, sa disponibilité dans le cadre du processus de paix, et sa disposition à concourir, à l'avenir, aux trois volets de la conférence de Barcelone, sur les trois grands sujets de l'avenir, c'est-à-dire le projet d'arrangements de sécurité, pour l'avenir, en Méditerranée ; le développement économique, absolument essentiel, à la fois fruit et condition de la paix autour de la Méditerranée et au Proche-Orient ; et tout ce qui concerne les rapports humains dans une partie du monde où les plus grandes civilisations, les plus grandes religions se sont croisées depuis des millénaires, souvent heurtées, et nous aimerions qu'elles soient capables, au cours de la génération qui vient, de nouer des liens entre elles. Voilà ce que je voulais vous dire pour la présentation des choses.
Les Libanais m'ont très bien accueilli. J'ai vu le Président Hraoui, le Président Hariri, le Président Berri. Tous ont accueilli, avec beaucoup plus que de l'intérêt le retour de la France, car il s'agit bien d'un retour de la France. Les propos que j'ai tenus étaient très clairs, me semble-t-il. Les Syriens m'ont accueilli - je crois qu'on peut le dire - avec une réelle chaleur : le Président Hafez-el-Assad, le vice-président Khaddam, le ministre des affaires étrangères, M. Charna. J'ai trouvé que nous pouvions parler franchement, utilement. Il y avait, là aussi, un vrai désir, une véritable attente d'un dialogue avec la France et d'un rôle de la France dans cette région. Tous attendent, me semble-t-il, que la France soit, d'une certaine façon, le fer de lance de la présence européenne. C'est très encourageant. Après tout, en commençant cette tournée, je savais bien que je ne serais pas mal accueilli. Mais enfin, je ne savais pas très bien si, en dehors de la courtoisie des relations internationales, de la sympathie que la France a évidemment conservée dans cette région du monde, je ne savais pas s'il y avait une vraie attente de la France. Mon sentiment, c'est que cette attente est générale. Les rencontres ont été nombreuses. Je pourrais aussi faire la liste de ceux qui sont venus à Paris : M. Shimon Pérès à Paris, M. Arafat, le Roi de Jordanie, le Président Moubarak, M. Khaddam, etc. les uns et les autres ayant été reçus par le Président de la République, le Premier ministre, etc. Donc il y a une véritable multiplication des échanges dans les deux sens, de part et d'autre.
Q. : En quoi la politique française est-elle nouvelle ? En quoi se distingue-t-elle de la politique américaine au Proche-Orient ?
R. : Ce qui est nouveau, c'est l'intention affichée d'être présent, actif sur le terrain. La nouveauté, ça n'est pas simplement d'avoir des relations. La nouveauté, c'est de vouloir agir et de bouger. Nous voulons le faire avec détermination et, vous le verrez au cours des mois qui viennent, avec force. C'est cela le principal.
Vis-à-vis des Américains, eux, c'est eux et nous, c'est nous, même si, sur beaucoup de sujets, nous avons toutes ces raisons de travailler ensemble, et par exemple de saluer le rôle très important, l'engagement important de nos amis américains au service de la paix.
Q. : Qu'est-ce que la France a réellement à apporter ?
R. : Beaucoup. Franchement beaucoup. D'abord, sa connaissance ancienne et approfondie de ces pays C'est important dans les relations internationales.
Ensuite, comme je vous le disais tout à l'heure, en dehors d'elle-même et en dehors de ce qu'elle représente, elle est de façon assez nette, me semble-t-il, pour ces pays, l'un des moteurs et sans doute le moteur le plus puissant qui entraîne l'Union européenne. Or peut dire que la Conférence de Barcelone est une proposition française qui est devenue une initiative européenne.
Enfin, un désir qui me paraît assez clair, des uns et des autres, de ne pas dépendre uniquement d'un seul grand partenaire. Nous apportons aussi, naturellement, nous contribuons à apporter les six milliards de dollars mis sur la table par l'Union européenne, ce n'est pas rien, même si, pour dire la vérité, on n'en a pas tellement parlé. On voit bien quand même qu'on attend en effet de notre part, à la fois un rôle politique fort, un soutien économique sensible, et, naturellement, il ne faut pas oublier aussi notre coopération culturelle, nous sommes un des rares pays à avoir une politique culturelle très active. Cela aussi, c'est important : au Liban nous avons annoncé un projet d'institut supérieur des affaires, un projet très important mené par la Chambre de commerce de Paris et par le ministère des affaires étrangères, patronné par la Chambre de commerce de Beyrouth et par la Banque du Liban. Cela les intéresse beaucoup. Nous soutenons l'université Saint-Joseph, le réseau universitaire libanais, le réseau scolaire.
Q. : Aujourd'hui que tout est en place, dans cette dernière phase qui est le volet syro-israélien, et que Washington organise tout, la France essaie de s'insérer pour essayer en plus de recueillir un certain dividende de la paix dans la région. Le moment venu, les Américains vous laisseront-ils quelque chose ? L'exemple de la guerre du Golfe est là...
R. : Nous avons dit très clairement partout - on pourrait résumer les choses en prenant une vieille formule française : « pas d'argent, pas de Suisse ». Autrement dit, il ne faut pas compter sur nous pour payer pour le compte de tiers. Nous sommes disponibles, au sein de l'Union européenne, et d'ailleurs autrement, clans le domaine économique mais nous participons volontiers à ce à quoi nous avons participé. Pour le reste, il y aura toujours de mauvais esprits pour dire des choses désagréables, mais on ne peut pas plaire à tout le monde. On arrive trop tard ? On n'arrive jamais trop tard. L'histoire est longue. Le processus de paix est un événement tout à fait considérable, historique et qui va changer complètement la donne, complètement.
Q. : Sur les négociations justement entre la Syrie et Israël, quelle impression vous ont donné les dirigeants ?
R. : Ce que j'ai compris, c'est que finalement, dans ce premier échange de vues, les discussions ont pris un caractère très général, que sur aucun dossier on n'était entré clans le vif du sujet, mais que chacun en était reparti persuadé des bonnes intentions de l'autre, des intentions réelles de l'autre. J'ai entendu cela en Syrie.
Q. : Les Syriens vous ont-il parlé des relations économiques avec Israël ? Ne jugent-ils pas cela prématuré ?
R. : Disons que, pour les Syriens, la première question, c'est l'évacuation du Golan. Et en même temps, les Syriens savent bien que nous entrons aussi dans un monde nouveau et que cela aura des conséquences pour chacun.
Q. : Est-ce qu'ils ne craignent pas une hégémonie économique d'Israël dans la région ?
R. : Ils sont intéressés à une présence française significative, très intéressés, vraiment, ils sont demandeurs. Il faudra préciser sous quelle forme. Ils sont demandeurs d'une vraie présence de la France. Cela répond directement et clairement à votre question.
Q. : À propos de l'accord qui se dessine entre la Syrie et Israël, est-ce qu'au Liban il y a une demande pour que la France joue un rôle pour éviter que le Liban fasse finalement l'ardoise de la paix ?
R. : J'ai lu dans beaucoup de journaux quelque chose qui m'a paru bien aventureux, à savoir qu'Israéliens et Syriens étaient tombés d'accord pour qu'il revienne à la Syrie d'assurer la sécurité au Liban. C'est ce que j'ai lu dans beaucoup de journaux, des journaux d'ailleurs israéliens, français, dans beaucoup de journaux dans le monde entier. C'est en fait une sorte d'idée reçue. Je ne sais pas ce que les gens pensaient avant que je n'en parle, mais je sais que Shimon Pérès m'a dit le contraire, que j'en ai parlé avec les Syriens et les Libanais, qu'ils m'ont dit le contraire, et d'ailleurs au moment même où j'étais au Liban, la veille, les Syriens ont fait une déclaration tout à fait officielle disant que, clans leur esprit, c'était aux Libanais de discuter d'un éventuel accord de paix et que ce serait à l'armée libanaise de le mettre en œuvre.
Q. : Les Syriens ont dit cela ?
R. : Oui. C'est ce que, d'ailleurs, ils m'ont dit à moi, mais je n'avais même plus besoin de poser la question ; deux jours avant, était tombée une déclaration tout à fait officielle, ce qui nous prouve - je le dis au passage - qu'il est utile que quelqu'un dise les choses ! Cela permet sinon de changer les opinions, en tout cas de provoquer des déclarations et des affirmations qui vont, me semble-t-il, dans le bon sens !
Q. : Est-ce que les mots veulent dire la même chose dans la bouche d'un Français, d'un Libanais, d'un Syrien à propos notamment de souveraineté et d'indépendance ? Est-ce que les Syriens sont prêts à reconnaître diplomatiquement le Liban et est-ce que les Israéliens et les Syriens s'accommoderaient vraiment d'un retrait mutuel de leurs forces et d'un Liban souverain, indépendant et dont l'intégrité territoriale serait vraiment reconnue ?
R. : Vous savez, j'ai l'esprit relativement simple. Je vais vous dire, je suis tout à fait convaincu que - Paris ne s'est pas fait en un jour - il faut continuer à parler, à dialoguer, discuter de façon à faire progresser les choses. Je suis convaincu qu'elles vont progresser. Et je suis tout à fait convaincu que la participation de la France, le dialogue avec la France, de la France avec les partenaires en question, y compris avec le Liban et la Syrie, sont des éléments importants, très importants, qui contribueront à faire évoluer les choses.
Nous parlons une langue claire, qui est la langue française. J'ai parlé de la souveraineté et de l'intégrité territoriale du Liban. Je ne parle pas chinois, je parle un langage clair, et je pense que nos interlocuteurs l'ont compris comme cela. Ensuite, vous me dites que ce n'est pas encore réalisé tout à fait comme il le faudrait...
Q. : Pour les Syriens, est-ce un langage clair ?
R. : Les propos qui sont tenus m'ont paru des éléments tout à fait intéressants qui justifient le développement de notre dialogue.
Q. : La France est-elle prête à contribuer à la sécurité de la frontière libano-israélienne ?
R. : Oui, mais je l'ai dit moi-même en Israël, je l'ai dit au Liban, je l'ai dit en Syrie, oui, pour autant que ce soit nécessaire, pour autant qu'on nous le demande.
Q. : La France est présente aujourd'hui au sein de la FINUL. Faut-il une nouvelle mission pour la FINUL ?
R. : Vous ne pouvez pas me demander quelle sera l'issue d'une négociation qui n'a pas commencé entre Israël et le Liban. Je répète que les Libanais souhaitent que ce soit l'armée libanaise qui prenne en charge la sécurité à ses frontières. C'est une responsabilité qu'ils veulent prendre, une responsabilité digne d'un État et de sa souveraineté. Alors, vous me dites est-ce que ce sera la FINUL ? Peut-être qu'un système de garanties sera issu des négociations. Si tel est le cas, ce que nous avons dit, c'est que nous étions tout à fait disposés à nous y engager.
Q. : Comment voyez-vous le règlement des dettes syriennes ?
R. : Des négociations se poursuivent lundi. Vous savez que le vice-ministre des affaires étrangères syrien est à Paris et rencontrera M. Gaymard. Ces experts vont travailler sur ce sujet.
Q. : Avez-vous avancé à Damas sur ce dossier ?
R. : À Damas, non ! À Damas, nous avons évoqué plusieurs sujets pour constater que nous avions décidé de travailler entre experts.
Q. : Cela prendra encore du temps ?
R. : Disons que ce sont des discussions qui sont en bonne voie.
Q. : Ce retour de la France dans la région est ressenti par certains Libanais chrétiens comme une sorte d'abandon de votre part. Est-ce que vous avez ressenti cela ?
R. : Non !
Q. : Même pas lors de votre rencontre avec le patriarche Sfeir ?
R. : Pas du tout. Ce serait un comble !
Q. : M. Itamar Rabinovitch, qui connaît bien le dossier puisqu'il a négocié avec Israël et les Syriens, affirme que, selon lui, les Libanais, dans les jours qui viennent, devraient montrer clairement qu'ils veulent rentrer dans les négociations. Vous qui revenez de là-bas, avez-vous ce sentiment ?
R. : Je crois que le moment va approcher où se noueront des discussions entre le Liban et Israël. Un calendrier, cela me paraît un peu prématuré...
Q. : Est-ce que vous avez abordé avec les Libanais ou les Syriens l'avenir du Hezbollah ?
R. : J'ai abordé avec eux tout ce qui concerne la sécurité, naturellement. Et j'ai même insisté auprès d'eux sur le fait qu'il était tout à fait nécessaire que ce soit une vraie paix et que toute garantie nécessaire soit fournie par chacun à l'autre.
Q. : Est-ce qu'il n'est pas dangereux pour le Liban qu'il y ait un accord israélo-syrien avant une négociation entre le Liban et Israël, entre le Liban et la Syrie ? On ne parle pas du tout de négociations entre le Liban et la Syrie pour le retrait des troupes, on ne parle pas du tout de négociation entre le Liban et Israël pour le retrait des troupes et si un accord se fait sur le Golan entre Israël et la Syrie, on risque d'arriver à un état de fait par la suite.
Est-ce qu'il n'y a pas un risque de ce côté-là ?
R. : Nous avons dans tous mes déplacements, insisté sur le caractère primordial de l'intégrité territoriale et de la souveraineté libanaise. Ce sont des sujets sur lesquels nous n'avons pas fini de travailler et de progresser.
Vous verrez les choses progresser, je n'ai aucune espèce de doute. Ce que j'ai senti au Liban, plutôt du côté de l'opinion que des dirigeants que j'ai rencontrés, c'est au fond une espèce d'inquiétude générale sur leur avenir. Je crois au contraire que le Liban a toutes les raisons d'avoir confiance en lui. Cette confiance peut être fondée sur beaucoup d'éléments en particulier sur un, qui est très impressionnant, c'est que le Liban est devenu aujourd'hui un véritable chantier. Il paraît que c'est le deuxième chantier du monde. J'avais vu Beyrouth il y a trois ans, j'étais allé comme ministre du logement, c'était un champ de ruines. C'était très émouvant, tragique. J'avais vu des plans du projet Solidair. C'étaient des plans posés sur des ruines. Aujourd'hui, c'est un chantier de partout, ça creuse, ça construit, etc.
Q. : À propos de logements, avez-vous parlé des projets intéressant les sociétés françaises ?
R. : Oui, j'ai parlé de beaucoup de projets intéressant l'économie française, parce que ne croyez pas que dans ce genre de déplacements, j'oublie les entreprises françaises, au contraire ! Je suis chaque projet, j'ai parlé de la quasi-totalité, pour ne pas dire de la totalité des projets en cours à mes interlocuteurs de façon très précise.
Q. : Lorsque vous étiez au Liban, vous avez parlé du problème des élections législatives. Or, tous les leaders de l'opposition qui se trouvent ici et au Liban vous ont reproché d'inviter les Libanais à participer à ces élections alors qu'il y a 40 000 soldats syriens et 10 000 soldats israéliens. Est-ce que dans un pays occupé, on peut organiser des élections libres et démocratiques telles que la France les voit ?
R. : Que chacun me comprenne bien ! La France n'a pas l'intention de s'ingérer dans les affaires de qui que ce soit, à aucun moment. Pour autant, elle peut parler. J'ai dit aux Libanais très librement qu'ils feront ce qu'ils voudront. C'est leur affaire. Ce que je pense, c'est que quand un pays est à un moment décisif et qu'il a l'opportunité d'aller aux urnes, c'est le moment de choisir son destin. Alors, ensuite, entre Libanais, il y a des discussions sur les modalités, sur le mode de scrutin, je le comprends, mais franchement, quand un peuple est à un moment historique, à tout moment, il faut y aller, il faut dire ce qu'on veut.