Texte intégral
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire que vous présidiez était précis sur les défaillances de l’agriculture corse. Votre analyse a-t-elle évolué depuis que vous êtes ministre ?
Jean Glavany - Non seulement mon analyse n’a pas évolué mais elle constitue aujourd’hui l’orientation du ministère en Corse. La remise en ordre et le redressement des institutions agricoles insulaires sont en cours, les responsabilités des uns et des autres sont établies et l’on en tire toutes les conséquences. Certains ont voulu faire croire que nous voulions démanteler la MSA, la SAFER et je ne sais trop quoi d’autre encore.
Le contraire est aujourd’hui démontré avec la mise en place du plan de redressement de la SAFER. Je souhaite généraliser la démarche qui a été alors suivie : le gouvernement n’est intervenu qu’à la demande des professionnels et a accepté d’aider la SAFER parce que celle-ci avait su construire un plan de redressement sérieux et rigoureux. J’incite les uns et les autres à suivre cet exemple.
Corse Matin - Comment analyse la « spirale de l’échec » qui a conduit l’agriculture insulaire où elle en est ?
Jean Glavany - L’agriculture corse n’est pas uniforme et on ne peut pas dire qu’elle soit globalement en situation d’échec. Il y a même quelques succès spectaculaires !
Le travail qui est en cours sur la dette et les audits que le gouvernement a décidé de financer permettra d’y voir plus clair et d’identifier des situations très contrastées.
Il faut sortir d’une rhétorique artificielle sur la faillite de l’agriculture corse, discours qui a permis de parler de tout sauf d’agriculture. Les plans de désendettement successifs ont gonflé l’endettement et donné lieu à de nombreux détournements.
Il était alors plus facile pour certains de se mettre sous le robinet plutôt que de travailler leur exploitation.
Ceci est définitivement terminé, il n’y aura plus de plan de désendettement.
Corse Matin - « Le clientélisme a contribué à l’échec ».
Jean Glavany - Enfin nous allons pouvoir travailler sur la réalité de l’agriculture corse, analyser les erreurs d’investissement qui ont été commises dans la plaine orientale, prendre en compte les handicaps de l’île, organiser la reconnaissance des multiples fonctions de l’agriculture corse notamment en montagne et, surtout, soutenir les vrais professionnels, les agriculteurs porteurs d’un projet de développement et d’un savoir-faire et non plus quelques poignées de profiteurs.
La principale cause des difficultés actuelles réside dans des dysfonctionnements qui pouvaient exister dans la distribution des crédits et subventions et qui contribuaient à la dispersion et à l’inefficacité des financements. Le clientélisme a ainsi contribué à l’iniquité et à l’échec.
Corse Matin - Quels seraient les remèdes pour avoir une agriculture corse saine et non déficitaire ?
Jean Glavany - Les remèdes sont simples et ne sont pas spécifiques à la Corse. C’est d’abord la compétence professionnelle et l’organisation collective, indispensables pour mener à bien des projets. C’est ensuite la structuration des filières autour du pari de qualité.
Cela suppose des efforts, des engagements communs des producteurs, l’obtention de signes de qualité et la mise en place de réseaux de commercialisation. C’est la seule manière de valoriser les atouts nombreux de l’agriculture corse au bénéfice des producteurs, notamment pour les productions traditionnelles. Les AOC qui existent (miel, vin, fromage…) sont un véritable succès qui doit servir d’exemple.
C’est ce type de démarche que le prochain contrat de Plan doit aider en priorité.
Corse Matin - Le « contrat territorial d’exploitation »
Jean Glavany - Par ailleurs l’agriculture corse souffre de handicaps que nul ne songe à nier et qui doivent être pris en compte. C’est notamment vrai en zone de montagne ou l’agriculture joue un rôle essentiel d’aménagement du territoire.
Avec le contrat territorial d’exploitation, nous disposerons bientôt d’un outil parfaitement adapté à cette situation. L’agriculteur pourra passer avec l’État un contrat : en contrepartie de ses engagements (qualité, emploi, préservation de l’environnement), il pourra toucher des aides complémentaires, et cela dans la plus grande transparence.
Enfin, il faut être plus efficace dans l’utilisation des aides publiques. Il ne manque pas d’argent et les crédits sont trop souvent sous-consommés et mal utilisés. L’ODARC doit poursuivre la réforme en cours de ses pratiques pour que l’argent public aille moins aux structures intermédiaires et plus aux agriculteurs.
Ce chemin de la réussite demande des efforts et du temps mais il est ouvert à tous ceux qui souhaitent l’emprunter. Ceux-là trouveront toujours l’État à leurs côtés.
Corse Matin - « Optimiste sur le dossier de la dette ».
Dans votre rapport, vous avez souligné les « dérives » du Crédit agricole. Où en est le dossier de la « banque verte » ?
Jean Glavany - Ce dossier a plusieurs volets, le premier étant judiciaire : la mise en examen de la caisse en tant que personne morale permettra d’aller au bout du dossier et d’établir clairement les responsabilités.
Dans l’immédiat, le Crédit agricole participera avec les autres créanciers à une démarche de traitement concertée de la dette. Ce sont les créanciers et non l’État qui mènent cette démarche.
Le ministère se contente de prendre en charge les coûts d’audits des exploitations qui permettront aux agriculteurs qui en ont besoin de faire le point de leur situation et d’étudier la viabilité de leur exploitation.
Mon objectif est de rendre possible la poursuite de l’activité des exploitations viables qui ont un véritable potentiel de création de richesse dans l’île.
Il revient aux créanciers et aux agriculteurs de faire, de part et d’autre, les efforts nécessaires. Il me semble que cette démarche se met en place dans de bonnes conditions et commence à donner des résultats. Par ailleurs on note à la MSA et au Crédit agricole une nette reprise des paiements.
Je suis donc assez optimiste sur le dossier de la dette qui se réglera de façon pragmatique dans le temps et la discrétion. Le plus important est désormais de bâtir un contrat de plan état-région qui permette d’assurer le redressement et le développement de l’agriculture corse.
Ce travail a été commencé, il reprendra son cours dès le lendemain des élections territoriales.
Corse-Matin - Vous déclariez dans nos colonnes, le 6 juin 1998, que, comme partout, la Corse devait bénéficier d’un suffrage universel libre, sincère et parfait. Comment expliquez-vous alors l’attitude du ministère de l’intérieur qui avait conclu à la validité des élections territoriales, annulées peu après par le Conseil d’État ?
Je ne souhaite pas m’arrêter à tel ou tel commentaire qui n’est, toujours, que diversion : le fond c’est d’abord que les élections donnent lieu à un grand et beau débat démocratique sur l’avenir de la Corse et que leurs résultats soient irréprochables.
Quand il y a doute, il faut annuler : la démocratie ne supporte pas le doute.
Corse Matin - Était-ce le moment opportun de s’attaquer aux arrêtés Miot alors que vous préconisiez vous-même une remise à plat complète de la fiscalité en Corse ?
Jean Glavany - Là encore, refusons le débat sur l’opportunité. Est-ce que vous croyez sincèrement que le problème corse se limite à un débat d’opportunité ?
Revenons-en au fond : les arrêtés Miot, sont-ils oui ou non un obstacle au développement économique de la Corse ? Moi, j’en suis convaincu car le non-règlement des successions et la multiplication des indivisions ont, peu à peu, créé un maquis juridique foncier inextricable qui s’oppose concrètement à toute initiative. Alors soyons cohérents : si c’est un obstacle au développement de la Corse, il faut le supprimer !
Et, une fois de plus, ne confondons pas le fond et la forme.
Corse Matin - Quel est votre sentiment sur le dossier Érignac, les espoirs d’élucidation et les turbulences, à l’approche du premier anniversaire de la mort tragique du préfet ?
Je ne suis ni ministre de l’intérieur ni ministre de la justice. Je n’exprimerai donc pas sur ce difficile dossier. Mais, bien entendu, je forme un vœu très ferme : que les assassins du préfet soient retrouvés et châtiés.
Par souci de justice bien sûr et par respect pour la mémoire d’un homme qui était un très grand serviteur de l’État.
Mais aussi pour que cesse cette campagne insidieuse sur le thème « rien ne change puisqu’on ne trouve pas les assassins d’Érignac » menée par ceux-là même qui, depuis des années, se satisfaisaient très bien qu’on n’élucide aucun crime…