Texte intégral
Le Journal du Dimanche, 10 janvier 1999
Le JDD : Comment expliquez-vous les variations de Philippe Séguin ?
François Fillon : Il n'a pas varié, mais a appliqué scrupuleusement la ligne définie en bureau politique : ni alliance avec l'extrême droite, ni connivence avec la gauche. Nous voulions mettre un terme aux ambiguïtés de Charles Million, mais pas au prix d'une alliance avec la gauche. Le RPR était d'accord pour soutenir la candidature de Mme Comparini, puisque la région revenait à l'UDF, mais pas qu'elle soit l'élue de la gauche.
Le JDD : Vous vous sentez trahi ?
François Fillon : Trahi sans doute pas, trompé sûrement.
Le JDD : Pensez-vous qu'il y ait eu un complot UDF-PS-mairie de Lyon, comme l'affirment vos alliés de DL ?
François Fillon : Non, je ne le crois pas. Mais c'est à l'UDF de le prouver. Il y a une crise au sein de la droite républicaine, ce n'est ni la première, ni la dernière. Mais nous nous interrogeons désormais, au RPR et à DL, sur la stratégie de l'UDF. Elle doit clarifier rapidement ses intentions. L'alliance, c'est une alliance RPR-DL-UDF, pas une alliance RPR-DL-UDF-PS-PC-Verts-etc.
Le JDD : Comment doit-elle le prouver ?
François Fillon : En acceptant très rapidement la discussion franche que lui demande depuis un certain temps déjà le RPR. Cela fait plusieurs semaines qu'il est difficile de réunir le bureau de l'alliance à cause de l'UDF. Chaque jour dans la presse, je lis des attaques ad hominem contre le président du RPR. Une clarification rapide s'impose.
Le JDD : Mais pensez-vous quand même que l'alliance a éclaté ?
François Fillon : J'espère qu'elle n'a pas éclaté. Disons qu'elle est sérieusement malmenée. Mais je veux encore croire que cette confrontation avec l'UDF permettra de dissiper les doutes.
Le JDD : Et la liste européenne d'union conduite par Séguin ?
François Fillon : On verra après les explications de l'UDF.
Le JDD : À l'UDF, Gilles de Robien parle des « déserteurs de l'alliance », ceux qui n'ont pas voté pour Mme Comparini, et leur demande de s'expliquer.
François Fillon : Mais de qui parle-t-il donc ? L'alliance n'a jamais eu pour stratégie le front, ou l'arc républicain. Au troisième tour, la solution du doyen, Pierre Gascon, s'imposait car c'était la seule qui permettait de respecter le choix des électeurs, comme elle aurait déjà dû s'imposer en mars dernier.
Le JDD : Le RPR a déjà dit qu'il ne participerait pas à l'exécutif autour de la nouvelle présidente. Comment voyez-vous l'avenir de cette assemblée ?
François Fillon : La dissolution me paraît inévitable à terme. La nouvelle présidente ne peut pas présider efficacement cette assemblée régionale avec le soutien de soixante élus de gauche et quinze de droite. Bien sûr, nous soutiendrons ses décisions quand elles iront dans le sens des engagements pris en commun avec les électeurs. Mais, avec soixante voix de gauche, je doute que ce soit souvent le cas. Nous sommes devant une nouvelle imposture.
Le JDD : Comment pourrait-il y avoir dissolution ?
François Fillon : L'assemblée régionale peut démissionner collectivement, mais cela paraît exclu. En fait, sans majorité, Mme Comparini aura les pires difficultés pour composer un bureau, et je ne vois comment elle pourra faire adopter son budget. De toute façon, quand il faut quarante-huit heures pour élire un président de conseil régional, que cela se fait sous les huées, la démonstration est clairement faite que cette assemblée ne peut fonctionner. Politiquement, la dissolution s'impose !
Le JDD : Quelles conclusions tirez-vous de cet épisode ?
François Fillon : Il est grand temps de réformer notre organisation territoriale. Or, je n'ai aucune confiance dans la réforme en cours proposée par la gauche. Elle pousse à toutes les magouilles entre les deux tours, elle est clairement orientée contre la droite.
France Info – 12 janvier 1999
Patrick Boyer : L'invité aujourd'hui est François Fillon, porte-parole du RPR. François Fillon, bonjour. Alain Madelin proposait, dès hier soir, une liste européenne DL-RPR. Le président de Démocratie libérale est-il le mauvais génie du RPR ?
François Fillon : Non, certainement pas. C'est un allié qui s'est montré particulièrement solide dans les dernières difficultés que nous avons traversées et nous avons la plus grande considération pour les positions qu'il prend, d'autant que c'est un allié loyal et fidèle.
Patrick Boyer : Que ne serait pas le président de l'UDF ?
François Fillon : Il ne vous a pas échappé que nous avions quelques désaccords sur la façon dont a été conduite l'élection à la présidence de la région Rhône-Alpes et nous attendons une explication franche avec l'UDF, qui n'a pas encore eu lieu afin de comprendre ce qui s'est passé, s'il s'agit d'un incident localisé ou s'il s'agit au contraire de l'amorce d'un changement de stratégie, ce que laisserait plutôt à penser les dernières déclarations des uns et des autres et en particulier, des responsables de l'UDF.
Patrick Boyer : Alors, monsieur Bayrou, le président a répondu que d'entrée de jeu, que de toute façon, il y avait urgence républicaine pour sauver une région en état de coma démocratique.
François Fillon : Elle est toujours en état de coma démocratique et, la magouille qui a été conduite à l'initiative, d'une certaine manière des socialistes et de monsieur Queyranne, ne change rien au problème. Il n'y a toujours pas de majorité pour gouverner cette région et il n'y en aura pas plus demain. L'urgence républicaine a bon dos. La vérité, c'est que c'est au moment où le danger de l'extrême droite disparaissait d'une certaine manière, d'abord en raison des divisions de l'extrême droite et puis en raison de l'échec de Charles Million dans sa tentative politique, qu'on nous ressort sous une autre appellation le front républicain qui est la meilleure façon d'encourager une bonne partie des électeurs de droite à voter pour l'extrême droite.
Patrick Boyer : Vous parlez de magouilles. Il s'agit d'une élection qui conserve la région Rhône-Alpes à la droite républicaine et qui élit en plus une femme, qui est la seule présidente de région aujourd'hui en France.
François Fillon : Que ce soit une femme qui soit élue, je m'en réjouis et je n'ai rien contre madame Comparini en tant que telle, mais dire que cette région est conservée à la droite, c'est se moquer du monde. Une région dont la majorité, un président dont la majorité est aux deux tiers composée de socialistes, de communistes et de Verts, n'est pas une région conservée à la droite. On peut raconter tout ce que l'on veut, on verra dans les jours qui viennent que la politique que madame Comparini sera amenée à conduire devra forcément être une politique acceptée par les gens qui l'ont élue. Cette région n'a pas été conservée à la droite, ça n'est pas exact de le dire.
Patrick Boyer : Mais dans un premier temps, vous étiez d'accord pour voter pour elle. Alors pourquoi le RPR a t'il tellement changé d'avis dans cette affaire ?
François Fillon : Ça n'est pas le RPR qui a changé. Ce sont les circonstances qui ont profondément changé. Nous avions indiqué que cette région avait vocation à être gouvernée par l'UDF ; d'ailleurs nous n'avions pas de candidat à cette élection et que nous soutiendrons madame Comparini qui avait la faveur de François Bayrou. Mais, nous avions aussi indiqué que nous ne voulions pas entendre parler de front républicain pour les raisons que je viens d'indiquer parce que nous pensons vraiment que c'est de l'absence de débat droite-gauche, que se nourrit pour une très large part l'extrême-droite. Au premier et au second tour, nous avons apporté loyalement nos voix à madame Comparini. Lorsque nous nous sommes aperçus que monsieur Queyranne qui était en position de l'emporter au troisième tour se désistait en faveur de madame Comparini, nous avons considéré qu'il y avait là un accord politique passé entre elle et la gauche, qui était extrêmement dangereux pour l'opposition républicaine et pour l'alliance et donc, nous avons décidé de ne pas la soutenir, après lui avoir dit à plusieurs reprises pendant des heures, car tout cela a duré des heures qu'il fallait qu'elle se retire et qu'elle permette, que soit mis en oeuvre une solution qui soit respectueuse des choix des électeurs.
Patrick Boyer : Alors, une solution respectueuse. Donc, monsieur Gascon, milloniste, carignoniste à Grenoble, soutenu les élus lepenistes, condamnés par les tribunaux de la République. Ça, c'est une belle tête d'affiche pour l'alliance ?
François Fillon : Oui, on dit beaucoup de bêtises sur ce sujet.
Patrick Boyer : Ce n'est pas faux tout ça ?
François Fillon : C'est tout à fait faux. Enfin, ce qui est scandaleux…
Patrick Boyer : Il est milloniste, il est carignoniste, il est condamné par les tribunaux et il est soutenu par les élus lepenistes.
François Fillon : Monsieur Emmanuelli a été condamné par les tribunaux ; le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale a été condamné par les tribunaux ; ça n'empêche pas leurs amis politiques de les soutenir et de continuer à leur confier des responsabilités. Je crois que la question n'est pas là et la façon dont certains responsables politiques, y compris à l'UDF ont sali la personnalité de monsieur Gascon qui a été résistant, qui a été interné à Büchenwald, qui a conduit une guerre exemplaire, moi me choque profondément. Ceci étant, ce n'est pas la personnalité de monsieur Gascon qui était en cause. Ça aurait été n'importe qui à sa place, la question aurait été la même. Dans un cas de figure d'égalité totale entre la droite et la gauche, seul le doyen d'âge pouvait permettre de l'emporter sans justement, avoir besoin…
Patrick Boyer : Avec les élus FN.
François Fillon : Attendez, il n'avait pas besoin des élus du Front national.
Patrick Boyer : Mais, il avait quand même les voix.
François Fillon : Et il les a maintes reprises refusées en indiquant qu'il ne solliciterait aucun accord du Front national. Nous n'étions pas du tout dans le cas de figure de monsieur Million qui avait besoin des voix du Front national pour être élu et vous me permettrez de vous dire que ce n'est pas parce que, à telle ou telle occasion, le Front national choisit d'apporter ses voix à un élu de droite que celui-là immédiatement doit voir sa droiture mise en cause.
Patrick Boyer : Alors, à Lyon dans la région, il y a une élue RPR qui incarne un peu cet esprit de résistance du gaullisme. Elle est proche de Philippe Séguin. Elle est maire du Ve, elle s'appelle madame Geoffroy et elle a élu madame Comparini.
François Fillon : Nous avons été avec madame Geoffroy en désaccord sur ce sujet. Je vous ferais remarquer simplement que madame Geoffroy a aujourd'hui refusé de participer à l'exécutif de madame Comparini.
Patrick Boyer : Sur votre ordre.
François Fillon : Sur notre ordre, mais il lui arrive parfois de ne pas suivre les ordres qui lui sont donnés par la direction du Rassemblement pour la République, parce que je crois qu'elle se rend compte que la position qui a été prise et qu'on peut comprendre au plan de la région Rhône-Alpes, au plan du fonctionnement de cette région, encore que je ne crois pas qu'elle conduise à des résultats bien brillants. Cette position pose un problème politique national.
Patrick Boyer : Mais au fait, monsieur Fillon, lorsqu'à Dreux, le Parti socialiste se désiste pour le RPR, pour faire barrage sur madame Stirbois, le RPR ne fait pas la fine bouche.
François Fillon : On était dans une situation complètement différente. Lorsque quelques voix de gauche se portent sur un candidat de droite pour lui permettre d'être élu lorsqu'il y a un danger de Front national, ce n'est pas du tout la même situation que lorsque soixante élus de gauche qui sont en position de l'emporter décident, parce qu'ils sont en train de tendre un piège à l'alliance, de se retirer en faveur d'une candidate qui n'a que quatorze voix pour la soutenir et alors qu'il n'y a aucun danger de voir le Front national élu.
Patrick Boyer : François Bayrou, dans ses voeux à la presse tout à l'heure, constate qu'il y a deux cultures à droite : celle de l'opposition systématique, la vôtre, la culture de guerre civile, dit-il, et celle de l'opposition constructive, celle de l'UDF.
François Fillon : Je crois que François Bayrou commet une erreur d'analyse qui m'étonne de sa part car, si on peut évidemment admettre que sur tel ou tel sujet l'UDF et le RPR n'aient pas la même position par rapport aux positions du gouvernement et nous n'avons d'ailleurs, nous pas la culture d'opposition systématique, mais nous comprenons très bien que l'UDF puisse avoir sur un certain nombre de sujets une autre opinion que la nôtre par rapport au projet du gouvernement. En revanche, ce qui est en cause dans l'affaire Rhône-Alpes, ça n'est pas du tout ça. C'est l'amorce d'une alliance avec la gauche pour gouverner une région, qui peut préfigurer, aujourd'hui le penser, en tout cas qu'on ne prouve pas le contraire, qui peut préfigurer une alliance avec le gouvernement un jour pour gouverner la France.
Patrick Boyer : Vous feignez d'y croire là ou… ?
François Fillon : Écoutez, personne ne nous a aujourd'hui apporté la preuve du contraire. Nous avons constitué une alliance sur des bases qui étaient extrêmement claires, de refus de toute connivence avec la gauche et de refus de toute compromission avec le Front national. Cet engagement qui avait été pris au sein de l'alliance a été, d'une certaine manière, trahie. Il faut maintenant que la situation soit clarifiée.
Patrick Boyer : Merci. François Fillon, porte-parole du RPR était l'invité de France Info.
Lettre de la Nation Magazine – 15 janvier 1999
Depuis deux ans, le Rassemblement est engagé dans un processus de rénovation et de reconquête de l'opinion publique. Celui-ci est fondé sur une double réflexion. Premièrement, la réconciliation des Français avec la politique passe par un renouveau du débat démocratique ce qui exige un combat clair d'idées et de valeurs permettant d'éclairer le choix des électeurs. Deuxièmement, l'avenir de l'opposition républicaine ne doit être en aucun cas placé dans les mains de l'extrême droite ou de la gauche. Cette double réflexion nous a amenés à définir une stratégie ferme : ni compromission avec le FN, dont l'objectif est de marginaliser la droite, ni connivence avec la gauche dont l'espoir secret est de casser la droite républicaine.
En Rhône-Alpes, cette stratégie a été mise en échec pour des raisons de personnes et de querelles partisanes. Au troisième tour de cette élection, le bon sens et l'intérêt bien compris de la droite républicaine auraient été de soutenir le doyen d'âge, Pierre Gascon, arrivé en tête et seul en mesure d'être élu suivant le principe de non-compromission et de non-connivence. L'UDF en a décidé autrement et s'est lancée, en maintenant coûte que coûte la candidature de Mme Comparini, dans une entreprise solitaire, irresponsable et sans lendemain.
Solitaire, car cette décision dénature la démarche offensive de l'alliance pour la France contre la politique gouvernementale. L'UDF, soucieuse de faire un « coup » pour exister, a joué contre son camp sans se soucier des conséquences nationales de son choix. Comment, en effet, expliquer aux citoyens que le gouvernement fait fausse route, et, d'autre part, prétendre que la droite et la gauche peuvent assumer ensemble la gestion de la seconde région de France ?
Irresponsable, car en choisissant de faire élire Mme Comparini en nouant un accord avec ses adversaires naturels, l'UDF s'est à la fois lovée dans le scénario de la gauche et pliée à la logique de l'extrême droite.
Si la gauche, on l'a vu, ne voulait pas de la présidence de la région, elle souhaitait en revanche faire la démonstration qu'elle pouvait dicter sa loi et sa politique, ce qui supposait de faire élire un candidat de droite affaibli.
Mme Comparini est ainsi tombée dans le piège que M. Queyranne lui avait tendu. Mais ce scénario élaboré par la gauche consacre également la logique de l'extrême droite qui prétend que la droite et la gauche sont complices.
Enfin, cette élection est sans lendemain car cette alliance de circonstance n'ouvre aucun avenir politique réel à la région Rhône-Alpes. Outre le fait qu'elle brouille totalement le fonctionnement sain de la démocratie (ou la majorité gouverne et où l'opposition surveille et critique), elle préfigure des lendemains laborieux au sein d'une institution régionale dépourvue d'équipes et de projets cohérents.
Cette échappée solitaire de Mme Comparini constitue donc une victoire à la Pyrrhus.
D'une alliance détestable avec le FN, on est passé à une alliance contre nature qui ne mènera nulle part. Otage de M. Queyranne, cible privilégiée de l'extrême droite, le nouvel exécutif de la région – auquel le RPR a décidé de ne pas participer – sera confronté aux mêmes difficultés que celles autrefois rencontrées par Charles Million. À terme, la seule solution sera celle de la dissolution de cette assemblée ingouvernable afin de clarifier les conséquences d'un scrutin absurde menant à une élection dérisoire.
Une question ne peut être désormais éludée : cette élection constitue-t-elle un mauvais épisode local ou annonce-t-elle de la part de l'UDF un changement de stratégie ?
Nous attendons une réponse précise. Jusqu'à présent, le RPR a travaillé de façon constructive en faveur de l'alliance pour la France.
Nous estimons nécessaire de poursuivre dans la voie de l'union et suggérons, avec nos partenaires de Démocratie libérale, de nous mettre au travail ensemble pour préparer l'élection européenne.
Depuis plusieurs semaines, certains UDF ne se sont pas privés de harceler Philippe Séguin qui, en tant que président de l'alliance, est naturellement désigné pour conduire la liste d'union de la droite républicaine. Jusqu'à présent nous avons estimé de notre devoir de nous taire afin de ne pas compromettre l'essentiel. Mais notre patience a des limites.