Interview de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, dans "Le Figaro" le 13 février 1999, sur le couple franco-allemand, le Parti socialiste européen, les négociations avec l'Allemagne sur la réforme de la PAC et sur l'élargissement de l'Union européenne.

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Le Figaro. Quel est l’avenir du couple franco-allemand ?

Dominique Strauss-Kahn. La coopération franco-allemande fait vivre les systèmes européens. Notre couple franco-allemand sera amené, de plus en plus, à piloter ensemble l’évolution de l’Europe. Notre amitié exige un approfondissement de la connaissance du partenaire.

De plus, les Français doivent venir voir ce qui se passe dans la nouvelle Allemagne et les Länder de l’Est. Je n’y étais pas revenu depuis la réunification. J’ai rencontré des gens, des responsables d’entreprises et des salariés locaux. J’ai donc pris deux jours et demi sur mon temps pour voir comment la nouvelle Allemagne essaye de répondre à ses problèmes. J’ai énormément appris dans ces différentes rencontres.

Le Figaro. Je vous ai entendu parler allemand avec Oskar Lafontaine. Vous aimez cette langue ?

Dominique Strauss-Kahn. Beaucoup. Je le parle depuis ma prime jeunesse et dans ma famille, on est d’origine alsacienne. Du côté paternel, on a toujours parlé allemand. Je regrette de ne pas pouvoir pratiquer plus souvent parce que la plupart des échanges se réalisent en anglais.

« Libres à eux »

Le Figaro. Récemment, l’Allemagne et la France se sont opposées sur la question du retraitement du nucléaire. Avez-vous demandé à nos amis allemands d’infléchir leur politique ?

Dominique Strauss-Kahn. Pas du tout. J’ai dit que les Allemands étaient libres de déterminer leur propre politique. C’est ainsi qu’on m’a cité. Nous respectons la décision du gouvernement allemand. Cela ne veut pas dire que les contrats signés entre les entreprises ne doivent pas être satisfaits. Nous sommes d’accord aujourd’hui sur cela.

Quant au rythme de démantèlement choisi, nous préférerions, nous, qu’il ne soit pas trop rapide, mais en aucune manière je n’invite les Allemands à changer de politique. Libre à eux d’en décider. On a commencé à discuter au niveau des entreprises et je crois que les choses se passent bien.

Le Figaro. Le parti socialiste français a-t-il des liens privilégiés avec le Parti social-démocrate allemand (SPD) ?

Dominique Strauss-Kahn. Ils ont une habitude ancienne de travailler ensemble. Mais nous avons aussi des liens avec le Labour et les autres Partis socialistes européens.

Le Figaro. Dans la campagne électorale européenne, quel sera, à droite, votre adversaire le plus dangereux ?

Dominique Strauss-Kahn. Ce n’est pas à moi de faire le tri. J’ai compris qu’il y aura plusieurs listes à droite en France. Il est clair que la droite française est plutôt éclatée. La décision de l’UDF de faire cavalier seul conduit à trois listes, celles de MM. Séguin, Pasqua et Bayrou. Nous nous battrons, nous, sous nos couleurs pour faire avancer nos idées. Quant au danger, les seules listes qui me paraissent dangereuses sont celles conduites par M. Le Pen et par M. Mégret.

Le Figaro. Existe-t-il un projet socialiste commun pour les élections européennes ?

Dominique Strauss-Kahn. Oui, le Parti socialiste européen a commencé à préparer un texte. Il sera discuté dans chaque parti dans chacun des pays. Puis un congrès du PSE se tiendra les 1er et 2 mars à Milan.

Il adoptera les propositions des Partis socialistes et sociaux-démocrates d’Europe pour les européennes.

Le Figaro. On vous considère comme le groupe le plus structuré au Parlement européen…

Dominique Strauss-Kahn. Le Parti populaire européen est structuré lui aussi. Seulement, nous, nous irons dans chacun de nos pays à ces élections avec un programme collectif qui aura été élaboré en commun. Ce programme évidemment repose sur l’idée qu’il faut lutter contre le chômage. Pour cela, il nous faut plus de croissance, mais il n’y a pas que la croissance.

Tous les autres instruments favorisant l’emploi peuvent être utilisés, certains le sont davantage dans tel ou tel pays. Pour le temps de travail, les Français sont en flèche. Mais les économies ne sont pas les mêmes.

Mission première

Le Figaro. Vous venez de dire qu’il pourrait y avoir une baisse des taux d’intérêt…

Dominique Strauss-Kahn. Ce serait une bonne nouvelle si dans les mois qui viennent les taux continueraient à baisser et cela ne me paraît pas impossible d’y réfléchir vu la faiblesse de l’inflation. Lutter contre l’inflation est la mission première de la Banque centrale européenne. Elle est aujourd’hui très basse en France et en Allemagne, ce qui ouvre une perspective positive à l’évolution des taux. Mais ce genre de décision doit être pris par la BCE et elle est totalement indépendante.

Le Figaro. Comment interprétez-vous l’échec de la coalition rouge-verte allemande dans la Hesse dimanche dernier ?

Dominique Strauss-Kahn. Le SPD a plutôt un peu augmenté. Ce sont surtout les Verts qui sont touchés. Cela semble très directement lié au débat sur la double nationalité en Allemagne, un sujet très vif dans l’opinion allemande.

Comment financer l’élargissement

Le Figaro. Avez-vous un litige avec les Allemands sur le budget agricole européen ?

Dominique Strauss-Kahn. La France a fait des propositions en matière agricole qui reposent sur l’idée de dépenses dégressives. Nous refusons catégoriquement le principe du cofinancement qui est totalement contraire à l’esprit même de la construction européenne, lequel prévoit un financement de la PAC  au niveau communautaire. Mais nous avons fait un pas en avant : nous ne refusons pas de faire évoluer la PAC. Ayant apporté une contribution à la stabilisation des dépenses européennes, nous attendons maintenant que les autres en fassent autant chacun sur son problème. Nous voulons que tous les aspects du dossier soient mis sur la table. Il y a les fonds de cohésion, l’élargissement, la contribution britannique, les calculs des contributions brutes compte tenu du produit intérieur brut. Il faut que chacun y mette du sien.

Le Figaro. L’élargissement de l’Union européenne est-il finançable dans ces conditions ?

Dominique Strauss-Kahn. L’élargissement sera très coûteux et la contribution de tous sera plus forte à dix-huit qu’à quinze. Mais il est nécessaire du point de vue politique. La réflexion que nous entamons aujourd’hui doit se faire à quinze et il faut voir jusqu’à quel montant on acceptera de financer l’élargissement.

Le Figaro. L’élargissement, c’est pour quand ?

Dominique Strauss-Kahn. Je ne suis pas sûr qu’en 2006 toutes les négociations auront abouti. Bien sûr qu’on y parviendra, mais ce sera beaucoup plus compliqué que l’adhésion de l’Espagne. Cinq ans de négociations me paraissent raisonnables et nous commençons à négocier dans 3 ou 4 ans.