Texte intégral
Europe 1 : Les producteurs de porcs ont entamé, cette nuit dans le Finistère et le Morbihan, une semaine d'action pour protester contre la nouvelle baisse des cours, la plus importante depuis un demi-siècle. Que décidez-vous ce matin, lundi ?
Jean Glavany : Dans quelques instants, je vais prendre le train pour Bruxelles. La première des choses que je décide, c'est de retaper sur la table du conseil de l'agriculture, à l'égard du commissaire Fishler, et ce coup-ci un peu plus fort. Parce que ça fait déjà deux fois – en novembre et en décembre – que je demande à l'Union européenne, non seulement de faire ce qu'elle a déjà fait, c'est-à-dire des dégagements de marché, des exportations – vers la Russie notamment –, mais de mettre vite en place un groupe de travail sur la maîtrise de la production porcine au niveau communautaire. À chaque fois que je l'ai demandé, j'ai été suivi par l'ensemble des ministres de l'agriculture d'Europe – la crise n'est pas française, elle est européenne, elle est même mondiale –, et cela fait trois mois qu'on attend ce groupe de travail. Et donc, je dirais aux agriculteurs, aux producteurs de porcs qui manifestent : manifestez avec moi, contre le commissaire Fishler, parce que c'est lui qui doit prendre cette décision, et très vite.
Europe 1 : Ce n'est pas de la démagogie ?
Jean Glavany : Ce n'est pas de la démagogie. On ne réussira rien de façon durable simplement au plan national. Il faut donc que l'Europe s'en mêle.
Europe 1 : Vous êtes inquiet ? Vous pensez que les prix vont encore baisser ?
Jean Glavany : Je le crains, parce que rien ne peut nous permettre de croire que cela va s'arrêter. C'est une crise qui va être longue et profonde. Le cours du porc était à 5,02 francs jeudi dernier ; mais aux États-Unis, au Canada, il doit être aux alentours de 3 francs, 3,50 francs. Donc, le cours mondial est en chute libre, en crise. Il faut donc une intervention internationale, et en particulier européenne.
Europe 1 : Aujourd'hui, il y a une surproduction ?
Jean Glavany : Il y a une surproduction européenne notamment, et donc il faut maîtriser cette production à tout prix.
Europe 1 : Est-ce que vous allez interdire, comme le demandent les producteurs de porcs du Finistère et du Morbihan, l'importation de viande étrangère ?
Jean Glavany : Très sincèrement, je ne crois pas que cela soit le coeur du problème. Le coeur du problème, c'est de maîtriser la production, et ensuite, au plan national, que l'on prenne des dispositions d'ordre social pour permettre aux plus petits de franchir ce cap. Cela a été fait par Louis Le Pensec. J'ai pris des dispositions complémentaires, au niveau de 150 millions de francs, qui sont en place – depuis quelques jours seulement –, mais qui sont en place ! Et je réunirai, demain soir, la profession porcine pour regarder les dispositifs complémentaires que l'on peut mettre en oeuvre. Je pense qu'il faut aller surtout dans la direction de la maîtrise de la production.
Europe 1 : Quelles décisions nouvelles prendrez-vous demain soir avec les éleveurs ?
Jean Glavany : L'axe qui me préoccupe est le suivant : à partir du moment où l'on produit plus, il faut maîtriser cette production, faire en sorte qu'on plafonne, qu'on réduise sensiblement cette production. Je ne veux pas que cette crise de surproduction et les solutions que l'on trouve soient aux dépens des petits producteurs. Je veux aussi privilégier le maintien de petits et de moyens exploitants. Donc, cela veut dire que les grosses porcheries industrielles fassent des efforts, qu'elles soient moins nombreuses.
Europe 1 : Les faire payer davantage ?
Jean Glavany : En tout cas, les aider moins. Mettre des dispositifs agro-environnementaux de système protégé qui soient plus draconiens ; contrôler mieux ces opérations ; faire en sorte qu'on ne multiplie pas les porcheries industrielles partout en France…
Europe 1 : Cela a des effets sur la Bretagne, sur la pollution, sur les sols.
Jean Glavany : Cela a tous ces effets-là et il y a un effet de surproduction. Cela a un effet social, c'est-à-dire que cela détruit des petites exploitations.
Europe 1 : Face à des violences qui sont organisées, est-ce que l'État peut aller de recul en recul ? Est-ce que vous n'êtes pas obligé d'accepter la compétition et le marché ?
Jean Glavany : Le marché, on peut sûrement l'accepter, les violences sûrement pas ! Et donc, l'État, devant ce type de comportements, sera toujours ferme, parce que je crois que l'on n'a pas à céder devant la violence. Je veux bien comprendre les producteurs – surtout les petits qui souffrent le plus –, je veux bien les aider – surtout les petits, parce que ce sont eux qui ont le plus besoin –, mais je ne veux pas accepter la violence.
Europe 1 : Mais quand vous dites : il faut qu'ils manifestent pour moi et avec moi, vous les encouragez à faire de la castagne ?
Jean Glavany : Non, je leur demande de manifester leur mécontentement, à dire leur colère et à s'adresser, par tous les moyens, à Bruxelles et à M. Fishler pour qu'ils mettent en place ce groupe de travail sur la maîtrise de la production.
Europe 1 : Aujourd'hui, à Versailles, l'Europe va progresser. Les pro-européens – ils sont sept fois plus nombreux que les eurosceptiques – vont être très vite confrontés à la réforme de la PAC. Tout le monde prévoit du grabuge en 99. Il y en aura ?
Jean Glavany : Ce n'est pas impossible. 99 devrait être une grande année européenne. Cela a commencé par la mise en place de l'euro. Il y a des effets économiques bénéfiques déjà perceptibles, y compris dans l'agriculture. L'agriculture européenne a énormément souffert des variations monétaires au sein de l'Europe. Pour les agriculteurs, l'euro est une très bonne chose. C'est une année européenne avec l'euro, la ratification du traité d'Amsterdam, quelles que soient les critiques que l'on peut faire à ce traité. Dans trois mois, les élections européennes seront un grand rendez-vous démocratique. Il y aura un grand débat sur l'Europe. Et parallèlement, il y a cette négociation sur l'agenda 2000, c'est-à-dire le financement de l'Europe avec, au coeur de cette négociation, le financement de la PAC sur laquelle il y a de graves dangers, et sur laquelle il peut y avoir du grabuge.
Europe 1 : Vous le sentez monter ?
Jean Glavany : Je le sens monter. Dans quelques heures à Bruxelles, cela va être l'occasion pour moi de taper sur la table, parce qu'il me semble qu'au niveau européen, on ne tire pas les leçons de ce qui se passe en Europe. On ne tire pas les leçons de la politique agricole commune de 92 et des besoins qui montent dans la population européenne.
Europe 1 : Cette colère de la France, vous la croyez justifiée aujourd'hui ?
Jean Glavany : Oui, parce qu'on ne peut pas faire comme si les choses n'existaient pas. On ne peut pas faire une réforme de la PAC très coûteuse, sans savoir qu'il y a des problèmes budgétaires qui sont posés. Après, on ne saura pas comment financer et on dira qu'il faudra faire le co-financement, c'est à dire qu'il faudra démanteler la politique. Et on ne peut pas faire comme s'il n'y avait pas dans l'opinion des bruits ou des sentiments profonds qui s'expriment sur la légitimité des aides à l'agriculture.
Europe 1 : Si l'Europe de Bruxelles réduit les aides et les subventions, est-ce que la France va accepter de prendre tout ou partie à sa charge, l'aide aux agriculteurs ? C'est-à-dire renationaliser l'aide à l'agriculture française ?
Jean Glavany : On a déjà dit « non » au niveau du ministère de l'agriculture à plusieurs reprises, également au niveau du gouvernement. Le président de la République a refusé. Donc, nous refusons l'idée de cofinancer, c'est-à-dire de renationaliser ce qu'on appelle les aides au marché, les aides aux produits, tout ce qui s'appelle les organisations communes de marché. Ce sont une des politiques européennes les plus intégrées depuis quarante ans. Ce n'est pas au moment où l'on cherche à renforcer l'Europe que l'on va désintégrer ce qui a été au coeur de la construction européenne.
Europe 1 : Le président de la République – qui est depuis toujours le défenseur des agriculteurs – et le Premier ministre sont-ils sur la même longueur d'onde ? Et est-ce qu'ils sont prêts à aller à la bataille ?
Jean Glavany : Pour l'instant, ce sont les ministres qui vont à la bataille. Ce que je sais, c'est que tout ce qui a été décidé au niveau gouvernemental, a été validé par l'Élysée et le président de la République dans le cadre d'un conseil restreint. Donc la France va tout à fait unie à cette bataille.
Europe 1 : En sept ans, la France a perdu 200 000 exploitations, 300 000 actifs. D'ailleurs, elle ne s'en porte pas trop, trop mal…
Jean Glavany : Si, si, elle s'en porte mal ! Il faut dire qu'elle s'en porte mal parce que je pense que, justement, on est au coeur du problème. Depuis des années, cette politique agricole commune, a beaucoup financé les produits : plus on produisait et plus on était aidé. Du coup, cela a provoqué cet énorme exode rural et la suppression de centaines de milliers d'exploitations. Il faut arrêter ce carnage ! Il faut reconquérir le territoire.
Europe 1 : Vous ne voulez pas que la PAC continue à laisser des milliers d'agriculteurs français sur le carreau ?
Jean Glavany : Eh bien, voilà ! Et donc, ce que je veux, c'est reconquérir le territoire rural, c'est-à-dire d'aider les exploitants plus que les produits. Et donc, de retrouver une manière de reconquérir le territoire, de retrouver de l'emploi. Tout le monde réfléchit à l'emploi au niveau européen : tous les ministres de l'économie, tous les ministres de l'emploi. Comment faire pour lutter pour l'emploi ? C'est l'objectif majeur. Et nous, en matière agricole, au niveau européen, on oublierait l'emploi sur le bord de la route ? C'est majeur comme débat pour l'agriculture.
Europe 1 : Quand vous dites : colère de la France, des tensions à venir, peut-être du grabuge, il y a aussi les rapports entre la France et l'Allemagne : M. Schröder estime que son pays sort de la phase de culpabilité qui faisait payer l'Allemagne pour les autres, plus que les autres. Il veut réduire la contribution allemande. L'Allemagne ne paiera plus.
Jean Glavany : Enfin, ne paiera plus ! N'exagérons rien. Elle veut payer moins, eh bien, on en parle ! Mais cela ne veut pas dire que les revendications budgétaires allemandes soient à prendre ou à laisser. Elles font partie de la discussion. Nous ne sommes pas obligés de nous caler sur les revendications budgétaires allemandes. On doit les intégrer parce qu'elles sont manifestement incontournables, mais ce n'est pas pour autant que nous allons les accepter dans leur intégralité.
Europe 1 : Donc, à cause de l'agriculture, il faut s'attendre à des tensions Paris-Berlin, et des tensions au niveau européen ?
Jean Glavany : J'ai le sentiment que les choses vont se tendre dans les jours qui viennent, mais c'est peut-être une phase normale dans le cadre de ce genre de négociations. En tout cas, il est temps aujourd'hui de réaffirmer quelques principes sur la volonté de la France, la construction européenne et l'avenir de l'agriculture européenne.
Europe 1 : Vous pensez que vous agissez aussi bien pour le RPR, l'UDF, le PS et les Verts ?
Jean Glavany : Quand on parle à la table de négociation à Bruxelles, on parle au nom de la France.