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Libération : Le Parti communiste vient de lancer une pétition pour un référendum sur le passage à la monnaie unique. Votre initiative n'a guère rencontré d'écho. Est-ce la démonstration que votre diagnostic sur la construction européenne est erroné ?
Robert Hue : Je ne le pense pas. Il y a peu, la marche à la monnaie unique était présentée comme la voie royale, sans contestation ni alternative possibles. Aujourd'hui, il ne se passe pas un jour sans qu'une voix s'élève pour la mettre en cause, que ce soit à propos du calendrier prévu, de la rigueur des critères ou, plus fondamentalement, de son bien-fondé.
On voit bien que le mouvement social de décembre a posé un certain nombre de questions qui ne sont pas pour rien dans les interrogations sur la monnaie unique. Elles ont contribué à raviver les contestations de la construction actuelle. À droite, il n'y a guère qu'Alain Juppé pour se cramponner mordicus au dogme. Au Parti socialiste, si l'on s'inscrit toujours résolument en faveur de la monnaie unique, l'heure n'est plus comme hier à chanter les bienfaits de Maastricht sur les tribunes avec la droite.
C'est pour contribuer au grand et vrai débat nécessaire, et pour permettre aux Français de se faire entendre, que nous avons pris l'initiative de la pétition. Elle n'en est qu'à ses débuts et, dans quelques semaines, nous ferons le point des signatures recueillies.
Libération : Vous avez récemment exhumé la notion d'« instrument monétaire commun ». Est-ce une évolution de votre part ?
Robert Hue : Exhumé, non ! Cette notion a été avancée lors du 28e congrès du Parti communiste français (en janvier 1994, ndlr). Elle est fondée sur l'idée que la monnaie est avant tout un moyen au service d'un objectif. L'instrument monétaire commun de coopération – je tiens à ce terme – devrait être utilisé pour favoriser l'essor des coopérations monétaires entre pays européens. Cela pour permettre la création d'emplois et d'activités nouvelles impliquant notamment un nouveau développement des services publics.
Constitué à partir des monnaies nationales, il pourrait nourrir un fonds commun servant à financer les coopérations et à lutter contre les spéculations. C'est donc tout autre chose que la monnaie unique, gérée par une banque centrale européenne, totalement aux mains des marchés financiers l'utilisant comme moyen pour jouer le rôle de « gendarme » économique de l'Europe, ainsi que l'a dit le président de la Bundesbank. Il ne peut y avoir de construction politique forte qui nie les souverainetés. Il ne peut y avoir de monnaie unique qui sacrifie les monnaies nationales. La monnaie est une expression de l'identité d'un peuple. Un peuple qui ne battrait pas monnaie perdrait une partie de son âme.
Libération : Philippe Séguin, l'un des opposants à Maastricht, comme vous, tient depuis peu un discours différent sur l'Europe. Partagez-vous ses nouvelles options ?
Robert Hue : Il ne cesse d'évoluer ! Et j'éprouve donc quelques difficultés à cerner sa pensée. Il formule des doutes, des critiques, il continue à se dire partisan de la monnaie unique, il en appelle à l'élaboration de contre-propositions. Mais contre-propositions à quoi ? Je n'ai rien d'autre à dire sur les positions de Philippe Séguin car, demain, peut-être seront-elles encore différentes...
Libération : Au sein même du PCF, des dirigeants, comme Philippe Herzog, vous reprochent de privilégier le projet national au détriment du projet européen. Que leur répondez-vous ?
Robert Hue : Le Parti communiste français se veut porteur d'un projet ambitieux pour la France, d'une politique audacieuse de développement des atouts de la France, inscrite dans une construction européenne nouvelle. Cette dernière est inséparable de notre projet de développement à la française. Le reproche de décalage entre notre projet national et notre nouveau projet de construction européenne ne me paraît pas fondé. Entre les deux, il y a un lien étroit, une symbiose nécessaire.
Libération : Vous souhaitez « une nouvelle construction européenne ». Comment la définissez-vous ?
Robert Hue : En opposition radicale à l'actuelle construction qui ne laisse à la France d'autres choix qu'une sorte d'adaptation régressive à la mondialisation dominée par les marchés financiers. Avec des effets désastreux : plus de privatisations, plus de déréglementation, des sacrifices sociaux et salariaux, la soumission au deutschemark, à la Bundesbank et à la future banque centrale. Cette démarche-là, c'est l'organisation de la guerre économique au profit des plus puissants et au détriment des peuples. Il ne peut en résulter que fractures et désunion. C'est le contraire de ce dont rêvent les Européens.
Libération : Mais quel est votre projet ?
Robert Hue : C'est une construction européenne qui soit une véritable communauté, permettant d'agir ensemble face aux problèmes que rencontrent les peuples et les nations d'Europe. C'est une communauté dotée d'institutions démocratisées faisant jouer leur rôle aux parlements nationaux (dépositaires de la souveraineté) et au Parlement européen qui doit accroître son pouvoir de contrôle sur les organismes communautaires.
Libération : La conférence inter-gouvernementale du 29 mars sur les institutions peut-elle modifier le cours de la construction européenne ?
Robert Hue : La conférence inter-gouvernementale n'aura malheureusement pas à son ordre du jour la monnaie unique et les questions sociales. Je souhaite que la Conférence souligne que les institutions européennes doivent impérativement respecter les souverainetés nationales, c'est-à-dire laisser à chaque peuple la possibilité de choisir son destin. Ces institutions doivent être par ailleurs profondément démocratisées afin que la construction européenne s'édifie en fonction des intérêts et des aspirations des peuples. Ce n'est pas le cas aujourd'hui : les structures européennes sont coupées des peuples et de la réalité économique, sociale et politique des nations.