Interview de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, dans "Le Figaro" le 16 février 1999, sur ses priorités en matière de politique culturelle française à l'étranger et la préparation de la réforme du marché de l'art français.

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LE FIGARO. - Ne craignez-vous pas, par votre présence, d'institutionnaliser la présence française à l'Arco ?

Catherine TRAUTMANN. - C'est un mauvais procès qu'on fait là à la France. Ma présence est logique par rapport à ma priorité qui est aujourd'hui, par l'aide à l'exportation, la connaissance des artistes, la mise en réseau, la mobilisation des institutions, de contribuer à faire connaître la richesse de la création française d'aujourd'hui à l'étranger. Il faut inciter à voir et à acheter : les artistes ne peuvent pas vivre des seules acquisitions publiques.
Il n'y a pas pour moi, d'art officiel... Je pense que ma présence publique, que je ne souhaite pas imposer et que je ne veux pas encombrante, me permet, en même temps, de voir ce qui est fait. J'accompagne simplement, à ce moment-là sans substituer ma parole à ce qui est montré... Mais je constate que, quand je ne suis pas présente, on me reproche de ne pas être là.

LE FIGARO.- La subvention du commerce de l'art à l'étranger ne vous gêne-t-elle pas ? N'y a-t-il pas mieux à faire ?

- Les incitations financières que nous pouvons apporter restent modestes puisqu'elles ne bénéficient qu'aux galeries qui présentent au moins 50 % d'oeuvres d'artistes français (ou vivant en France) et en réalité elles ne prennent en charge qu'environ un tiers dos coûts do location des stands. Au total, c'est beaucoup moins qu'un pour cent du budget consacré aux arts plastiques. Par rapport au retour qu'on peut en attendre, c'est un coup de pouce conséquent ; mais cela ne se substitue pas à l'effort fait par chacun.

LE FIGARO.- Pensez-vous toujours rapprocher le ministère de la culture et celui des affaires étrangères pour harmoniser la politique culturelle de la France à l'étranger ?

- Nous l'envisageons avec Hubert Védrine. Nos deux cabinets ont commencé à travailler. Nous avons mis en place des structures et nous avons effectué, à partir de là, un tour d'horizon sur ce qui devait être fait concernant l'intervention culturelle à l'étranger, chacun étant conscient que nous devons mieux nous coordonner et mieux travailler ensemble. L'Afaa va avoir, de ce point de vue, un rôle déterminant. Nous avons proposé qu'il y ait un contrat d'objectif entre nous qui permette de clarifier les interventions des uns et des autres. Je constate qu'en réalité, dans les accords bilatéraux, en matière d'échanges d'exposition, le ministère de la culture joue déjà un rôle important. En même temps, sur le plan européen, nous sommes en train de reprendre les bilans des échanges avec chacun des pays membres. Nous sommes à la recherche d'une politique culturelle européenne - pour laquelle je milite – et en même temps nous incitons les pays à évoluer de manière concomitante. Nous avons quelques sujets sensibles concernant notamment la fiscalité. Je plaide pour qu'il n'y ait pas de distorsion sur le plan de la fiscalité de l'art au plan européen, mais pour que nous profitions dans ces domaine, comme dans les autres, de cet espace pour la circulation optimale des oeuvres et une meilleure connaissance et reconnaissance des artistes. Il faut aussi parler de marché. Sur cette stratégie, nous sommes tout à fait en phase avec le ministère des affaires étrangères. Il va y avoir prochainement une réunion à propos de l'Afaa, de tout ce qui concerne les aspects liés à la politique culturelle à l'étranger. Ce qu'on peut en attendre, c'est d'avoir des relations simplifiées.

LE FIGARO.- Quelles sont vos priorités en matière de politique étrangère ?

- Ce que nous avons fait pour Arco, nous allons le faire dans d'autres occasions. Nous allons réaliser des informations à destination dos pays avec lesquels nous pouvons développer des échanges pour qu'ils puissent se repérer sur la scène artistique française. Nous allons augmenter le nombre de monographies bilingues. Nous avons prévu d'instituer un fonds franco-japonais. Ce qui me frappe, c'est qu'aujourd'hui, pour exister sur le marché de l'art, tout le monde dit qu'il faut passer par les Etats-Unis. C'est sans doute important mais pas exclusif. Il faut que nous ayons aussi nos réseaux au sein de l'Europe. A Cologne, à Bâle, il y a des foires importantes. Londres est également une ville qui compte. Je souhaite que Paris retrouve une place déterminante.

LE FIGARO.- Jusqu'à présent, en Asie, Paris était perçue comme le paradis des arts. Mais aujourd'hui la difficulté d'obtention des visas nuit gravement à notre image...

- Je me suis rendu compte de cela. Nous nous efforçons de régler le problème.

LE FIGARO.- N'y a-t-il pas une information à faire passer ? Il y a là une importante contre-publicité.

- Vous avez raison. J'ai demandé qu'on traite la question des artistes comme on traitait celle des étudiants. Pour favoriser la venue d'artistes étrangers en France.

LE FIGARO.- Paris a une force d'attrait extraordinaire dans le monde. Ne pensez-vous pas qu'il convient de mieux utiliser ce potentiel ? Dans ce sens, l'abandon du Grand Palais (12 000 m2 de surface d'exposition en plein Paris) et l'absence d'une biennale d'art contemporain dans la capitale ne sont-ils pas des manques majeurs ?

- L'abandon du Grand Palais ! Que me dites-vous là ! Les travaux vont commencer dès le prochain semestre. Nous allons consolider le sous-sol, les murs. La toiture. C'est beaucoup mais c'est prévu. On a une estimation qui dépasse le milliard... Ce qui manque à l'heure actuelle c'est un lieu pour exposer les jeunes créateurs.

LE FIGARO.- Et une biennale…

- La biennale de Lyon est une belle réalisation qui doit continuer. Pour le reste, il faudra trouver un lieu supplémentaire.

LE FIGARO.- L'inertie du gouvernement dans la réforme du marché de l'art français - notamment la réforme des commissaires-priseurs - ne favorise-t-elle pas exagérément les maisons de vente Christie's et Sotheby's à Londres et à New York ?

- Nous avons mis au point, sous l'égide de la ministre de la justice, une réforme du statut des commissaires-priseurs. Le texte est prêt, examiné avec soin, en concertation avec la profession. Il est important que cette réforme puisse être engagée rapidement, sinon je crains que la France ne soit, en effet, défavorisée par rapport aux grandes organisations de vente Sotheby's et Christie's. Mais lorsque ce cap sera passé, le marché de l'art français sera redynamisé.


Propos recueillis par Michel NURIDSANY