Articles de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "FO Hebdo" les 17 et 24 janvier 1996, sur les déficits publics et sociaux, l'augmentation de la pression fiscale et la future loi de financement de la Sécurité sociale, intitulés "Maintenir la pression" et "Economie et Sécurité sociale".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : FO Hebdo

Texte intégral

Force ouvrière Hebdo : 17 janvier 1996

Maintenir la pression

En ce début d'année, les perspectives dressées par plusieurs organismes économiques sont mauvaises, non seulement en France mais aussi dans d'autres pays dont l'Allemagne où le chômage croît assez fortement.

En France, par exemple, le centre de prévision de l'expansion prévoit pour 1996 une croissance limitée à 1 %, une consommation stagnante à 0,8 %. Dans ces conditions, le chômage augmenterait au minimum de 150 000 personnes cette année. 1996 s'engage donc sous la logique de la récession, voire de la déflation. L'engrenage infernal se poursuit. Ainsi, le ralentissement de l'activité économique va réduire les rentrées fiscales d'environ trente milliards de francs, le budget de l'État demeurant toujours officiellement calculé sur la base d'une croissance de 2,8 % cette année.

Dans ces conditions, le déficit va s'alourdir ce qui peut conduire le gouvernement à serrer encore la vis cette année pour respecter sa volonté de réduire coûte que coûte les déficits publics et sociaux d'ici 1997.

Il en est de même pour la sécurité sociale. La faiblesse des salaires, l'augmentation du chômage vont encore pénaliser ses recettes. À nouveau, cela justifie largement les positions que nous avons défendues contre le plan Juppé qui s'inscrit bien dans une logique d'austérité économique et sociale.

Il est aussi significatif de voir que les perspectives ne sont guère plus brillantes en Allemagne, qui est en ce moment le pays d'Europe qui enregistre la plus forte dégradation de l'emploi. Les entreprises y sont en pleine restructuration, à tel point que les perspectives de gains de productivités seraient de l'ordre de 12 % !

Dans ces conditions, tant en France qu'en Allemagne, le respect des critères européens de convergence apparaît de plus en plus, pour nombre d'experts, comme un gageure.

Et pourtant l'objectif demeure officiellement 1997, ce qui implique l'austérité économique et sociale.

Dès lors, il convient plus que jamais que nous réaffirmions nos positions et revendications, tant en matière de salaires que d'emploi, de protection sociale et de conditions de travail. C'est une question de justice sociale et d'efficacité économique. Contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement, il ne s'agit pas d'un choix entre la vertu et le laxisme, comme si les choix actuels étaient incontournables.

Il ne s'agit pas, par exemple, de plaider pour des déficits élevés. Mais l'expérience actuelle montre qu'un déficit peut s'aggraver du fait de l'austérité.

A contrario, augmenter le pouvoir d'achat conduirait à soutenir la consommation, donc à réduire le déficit public. En la matière, il y a urgence. Les prélèvements annoncés pour février vont encore pénaliser lourdement les salariés, chômeurs et retraités et diminuer la confiance.

Il faut d'ailleurs noter, à ce propos, l'injustice dont vont être victimes les chômeurs et retraités qui se verront, eux, taxés par le RDS sur leurs revenus de janvier.

Les syndicalistes ont aujourd'hui la responsabilité de maintenir la pression, notamment en revendiquant des augmentations de pouvoir d'achat et en exigeant le maintien d'une sécurité sociale solidaire et égalitaire. N'est-ce pas dans les périodes de difficultés qu'il faut des régimes sociaux efficaces et disposant des moyens de faire face ?

Fondamentalement, il s'agit, comme l'explique Ricardo Petrella*, de combattre « l'évangile de la compétitivité et la trinité Pri-Dé-Lib (Privation – Dérèglementation et Libéralisation) ».

Ce combat vaut tant au niveau national, qu'européen et international : c'est celui du syndicalisme libre et indépendant.

* Directeur de la division recherche sociale à la Commission européenne.


Force ouvrière Hebdo : 24 janvier 1996

Économie et Sécurité sociale

Le gouverneur de la banque de France a chaussé des lunettes grossissantes. Il est l'un des seuls aujourd'hui à pronostiquer une croissance de 2,5 % en 1996, de nombreux instituts tablant plutôt sur un taux de 1,5 %.

Donnant par ailleurs un satisfecit à la politique économique menée par le gouvernement, le concrétisant par une baisse de 0,25 point des taux d'intérêt, le gouverneur encourage le gouvernement à poursuivre les réformes structurelles, notamment en matière d'éducation, de formation professionnelle et de fonctionnement du marché du travail.

Si l'on en croit le journal Libération*, l'affirmation par les pouvoirs publics de la réduction prioritaire des déficits publics et sociaux, et l'amorce de la baisse des taux d'intérêt fit l'objet d'un « deal » entre le pouvoir et la Banque de France. Ainsi, dans cette même logique, le gouverneur de la Banque de France aurait été consulté au cours de l'élaboration du plan Juppé sur la sécurité sociale.

Tout cela confirme l'analyse de Force ouvrière sur ledit plan : il se situe, tant du point de vue du contenu que de la méthode, dans une logique de satisfaction des intervenants sur les marchés financiers, en conformité avec la politique économique d'austérité.

Le mouvement de novembre-décembre a permis de faire reculer le gouvernement sur de nombreux points. Cela est à mettre au crédit du syndicalisme et des salariés dans l'action.

D'autres évolutions sont en cours. Il en est ainsi du rôle du Parlement. Celui-ci sera examiné par l'Assemblée nationale le 23 janvier prochain.

Le projet gouvernemental présenté aux députés se situe en retrait par rapport aux intentions initiales. Lors de la présentation à la commission parlementaire, le ministre de la justice a ainsi précisé qu'il fallait respecter le paritarisme social, qu'il ne s'agissait pas d'adopter un véritable budget de la sécurité sociale, ni un taux fixe de dépenses, mais un objectif.

Visiblement, la commission parlementaire veut, elle, aller plus loin dans le rôle du Parlement. Les députés ont majoritairement adopté, en commission, un amendement selon lequel la loi en débat serait une loi de financement de la sécurité sociale, portant sur les dépenses et les recettes. Cela marquerait indubitablement une volonté permanente de politisation du dossier sécurité sociale, avec un quelque sorte de vote d'une loi de finances spécifique.

Ainsi, s'ils approuvent l'objectif de 2,1 % d'augmentation des dépenses en 1996, les parlementaires mettront en face les recettes correspondantes, Visiblement, il est plus que difficile de concilier démocratie sociale et démocratie parlementaire sur ce dossier.

Visiblement aussi, l'un des problèmes tient au fait qu'une modification de la Constitution ait été annoncée, ce qui, complique aujourd'hui, sans aucun doute, le dossier.

Moins diserts sur d'autres thèmes, notamment en matière de politique économique et financière ou de politique européenne, les députés sont gagnés par le couple libéralisation économique – dirigisme social.

En faisant ce que l'on pourrait appeler une OPA sur le social, en poussant à une fiscalisation croissante du financement, les pouvoirs publics feraient le choix de politiser en permanence la sécurité sociale, tout en la mettant sous la coupe de dogmes économiques ultralibéraux. Visiblement, tout le monde n'a pas compris les raisons de notre réaction et du mouvement social qu'elle a engendré.


* Libération : 19 janvier 1996 – Histoire d'un DEA au sommet de l'État