Article de M. Bernard Stasi, vice-président de Force démocrate et député européen, dans "Le Figaro" du 7 mai 1996, sur l'engagement de la France dans les négociations de paix entre Israël et le Liban, et le rôle de l'Europe dans le bassin méditerranéen, intitulé "Retour au Proche-Orient".

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  • Bernard Stasi - vice-président de Force démocrate et député européen

Média : Le Figaro

Texte intégral

La France a pris la tête d'une politique de partenariat euro-européen.

Tous ces morts inutiles et tous ces villages détruits. Et aussi ces conséquences dramatiques pour Israël, notre ami : Shimon Pérès, cet homme de paix, dénoncé comme criminel de guerre après le carnage de Cana ; la Syrie, mise au ban de la communauté internationale à Charm-el-Cheikh, devenue, en deux semaines, un acteur majeur et incontournable dans toute négociation sur l'avenir du Proche-Orient ; les hezbollahs, considérés désormais comme des héros et des martyrs et bénéficiant de la sympathie de la grande majorité de la population libanaise…

Il serait indécent, pour la France, au moment où les hostilités viennent de prendre fin, de se laisser aller au moindre triomphalisme. Comment, cependant, pourrions-nous ne pas éprouver une certaine satisfaction pour le rôle joué par notre pays à l'occasion de ce conflit ?

Ce n'est pas par gloriole patriotique que nous devons nous réjouir de voir la France parmi les cinq pays chargés de surveiller l'accord qui vient d'intervenir.

Si la France, malgré les rebuffades de Warren Christopher, s'est obstinée à participer aux négociations, c'est tout d'abord parce que, dans un conflit de cette nature, il est difficile d'aboutir à une solution acceptée par tous lorsqu'un médiateur unique soutient inconditionnellement une des deux parties qui s'affrontent.

La France, en la circonstance, a considéré aussi qu'il était de son devoir de défendre la population libanaise, soumise à rude épreuve par les évacuations forcées et les bombardements meurtriers. Quelques jours après le discours par lequel Jacques Chirac avait solennellement proclamé la volonté de la France d'aider le Liban à retrouver la sécurité et l'indépendance, tout autre comportement aurait été ressenti par les Libanais comme un reniement et une trahison. Et ceux qui, en France, ont dénoncé l'indifférence, pour ne pas dire la lâcheté, dont notre pays a souvent fait preuve, au cours de ces dernières années, à l'égard du Liban, ne peuvent que s'en féliciter.

Mais ce n'est pas seulement pour tenir ses engagements envers le Liban que la France a voulu participer au règlement du conflit. Ce qui se jouait, en réalité, dans ces négociations, c'était aussi le rôle de l'Europe dans l'ensemble du bassin méditerranéen. Alors que l'Union européenne a, pendant de nombreuses années, tourné le dos au bassin méditerranéen, la conférence de Barcelone de novembre 1995 a marqué la volonté de l'Union de développer une politique volontariste de partenariat euro-méditerranéen.

Entraîner l'Europe

Dans cette perspective, l'absence de l'Europe, au moment où risquait d'être remis en cause le processus de paix engagé dans une des régions du monde qui fut l'un des berceaux de la civilisation européenne, aurait enlevé toue crédibilité à cette nouvelle ambition de l'Union.

Il était normal que les Etats-Unis qui, depuis le début de ce processus, ont réussi à tenir à l'écart les Européens, réagissent avec agacement face à l'obstination française. On peut, en revanche, s'étonner et regretter que peu de nos partenaires de l'Union aient paru comprendre l'importance de l'enjeu. En vérité, c'est la conception même de l'Union européenne qui est en jeu.

Si, en toutes circonstances, à propos de tout conflit dans le monde, et même s'il ne produit sur notre continent ou dans son propre voisinage, nous devons laisser à la puissance américaine le monopole de l'initiative et de la médiation, quel sens, quel contenu, quelle ambition pouvons-nous donner à cette politique étrangère commune que nous nous efforçons de mettre en place avec nos partenaires de l'Union ?

Même s'il arrive encore que, par la force de l'habitude, notre pays manifeste sa volonté politique avec des accents un peu trop nationalistes, la France de Jacques Chirac, au Proche-Orient comme ailleurs n'entend pas pratiquer un jeu solitaire. Elle souhaite vivement entraîner avec elle ses partenaires de l'Union, afin que l'Europe soit plus présente et plus influente dans le monde.

Etre, dans certains domaines, dans certaines zones géographiques l'avant-garde et le porte-parole de l'Europe, n'est-ce pas, après tout, la vocation de la France ?