Texte intégral
RTL : Dominique Voynet dit que les agriculteurs casseurs sont des céréaliers qui ne veulent pas perdre leurs privilèges. Vous partagez ce jugement ?
Jean Glavany : Cette manifestation d’avant-hier est troublante à bien des égards. Moi, je ne veux pas montrer du doigt, trop précisément, ce qu’étaient ces agriculteurs qui manifestaient. C’est à la justice de faire le travail. Elle le fait. Il y a une enquête. Des gens sont en garde à vue. Il y aura des procédures judiciaires et ces gens seront sanctionnés de leurs responsabilités, de leurs actes. Parce que ce qui s’est passé est grave. Ce qui est vrai, c’est qu’on ne comprend pas très, très bien le sens de cette manifestation dans la mesure où ces manifestants ont laissé sur place des tracts qui sont à bien des égards incompréhensibles. À la fois, ils protestaient contre la PAC – mais je voudrais savoir ce que Mme Voynet a avoir avec la PAC – ; ils manifestaient contre je ne sais quel projet de taxe qui n’est même pas dans les cartons du gouvernement. Enfin, on avait l’impression qu’ils manifestaient un peu contre tout et n’importe quoi. Mais, au bout du compte, ce que je retiens, c’est que c’étaient des actes totalement inadmissibles, inacceptables en démocratie et que, quels que soient leurs auteurs, ils doivent être condamnés et très sévèrement.
RTL : Luc Guyau les dénonce-t-il avec suffisamment de vigueur ?
Jean Glavany : J’ai eu cette conversation avec Luc Guyau à plusieurs reprises lundi et mardi. C’est sa responsabilité. Je pense qu’il a eu, en tout cas, le courage de dire qu’il les désapprouvait. C’était la moindre des choses…
RTL : Il ne condamne pas ! Il ne l’a pas dit.
Jean Glavany : Peut-être que le mot aurait été plus fort. En tout cas, ce qui est vrai, c’est qu’il a appelé les agriculteurs à la responsabilité et au calme dans la mesure où sa responsabilité à lui – puisqu’il représente l’ensemble des exploitants agricoles français, en tout cas, c’est l’organisation la plus représentative –, c’est de rester dans les lignes du droit et d’en appeler à la sérénité, parce que nous sommes devant des obstacles difficiles : c’est la renégociation de la PAC. À cette occasion, nous avons besoin de rendre aussi solidaire et cohérent que possible la nation avec son agriculture. Ce qui me navre le plus – en dehors des dégâts faits par ce genre d’actions qui sont inacceptables, je le répète – c’est surtout que ça donne une image de l’agriculture qui est déplorable et qui ne correspond pas à la réalité.
RTL : Il y a quand même une très grande incertitude sur l’avenir de la PAC, et notamment des baisses de prix garantis qui sont annoncées. Cela touche toute sorte de catégories d’agriculteurs, et notamment les éleveurs qui sont pourtant déjà durement touchés ?
Jean Glavany : Vous avez raison de dire que c’est une négociation difficile qui est devant nous. Nous rentrons dans le cœur de la négociation et j’aurais tendance à dire qu’on entre dans l’œil du cyclone. Je l’ai dit à plusieurs reprises, ces temps derniers : la PAC est dans le collimateur d’un certain nombre de responsables de la commission à Bruxelles, mais aussi de gouvernements européens qui considèrent que cette politique agricole commune, qui coûte 48 % du budget de l’Europe, coûte trop cher. Évidemment, il faut relativiser ça par rapport au PIB parce que le budget de l’Europe est très faible. À 1,27 % des produits intérieurs bruts européens, c’est négligeable. Mais en même temps, comme on veut faire plein de choses en Europe – on veut relancer l’Europe pour l’emploi, pour la croissance, etc. –, et comme on ne veut pas augmenter les contributions budgétaires à l’Union européenne parce qu’on est dans des politiques de réduction des déficits publics, eh bien du coup, si on veut faire plein de choses, il faut le faire au détriment de ce qui se fait déjà, c’est-à-dire la PAC.
RTL : Mais quelles seraient les conséquences pour la France ?
Jean Glavany : Les conséquences pourraient être, si on n’y prenait garde – et si la France, son gouvernement et le président de la République ne se battaient pas d’arrache-pied –, très graves pour l’agriculture française parce que la France est la première puissance agricole d’Europe. C’est la première puissance exportatrice d’Europe, en termes de produits agricoles ou agroalimentaires. C’est la deuxième puissance après les États-Unis au niveau mondial. Donc, nous sommes par la force des choses les premiers bénéficiaires de la PAC. Et donc, quand on a la PAC dans le collimateur, quand on veut réduire les dépenses de la PAC, c’est à la France qu’on s’adresse parce qu’elle est la première bénéficiaire. Donc évidemment, c’est une offensive en règle contre les intérêts français qui est très lourde de sens, sur laquelle le gouvernement se bat avec beaucoup de fermeté, mais qui exige, je le répète, qu’on reste solidaires et cohérents, qu’on reste tous ensemble.
RTL : Justement, entre le Premier ministre et le président de la République, il y a vraiment un front commun totalement uni, vis-à-vis de l’Allemagne qui dit : allez, on va sabrer tout ça parce que vraiment ça nous coûte trop cher !
Jean Glavany : Oui, il y a un front commun et c’est tant mieux. Parce que, d’une part, c’est une négociation internationale. C’est-à-dire qu’au bout du compte, l’accord qui interviendra, le compromis qui sera signé – il y en aura un forcément un jour –, sera signé dans un conseil européen par les chefs d’État et de gouvernement. Et on n’imagine pas une seconde que le gouvernement français, que le ministre de l’agriculture par exemple, prenne des positions qui ne soient pas validées a priori par le président de la République. Donc le Premier ministre, à chaque fois qu’il y a un arbitrage au niveau gouvernemental, va avec les ministres faire valider avec le président, discuter de cela. Et c’est une très bonne chose parce qu’il faut que la France parle d’une seule voix. J’ajoute que ça a un autre avantage justement, c’est que ça évite aussi, au plan national, les surenchères sur le thème : « plus ferme que moi, tu meurs. » Je pense qu’on a une position cohérente et qui permet d’être efficace au niveau européen.
RTL : Justement, sur ce front uni commun par rapport à l’Allemagne par exemple, on avait entendu le président de la République dire : il faut préserver les capacités exportatrices de l’agriculture française. Ce qui sous-entend une très forte production, notamment des céréaliers, alors que vous avez plutôt tendance à dire qu’il vaut mieux répartir la production agricole.
Jean Glavany : Ce n’est pas incompatible du tout. La réalité, c’est que la PAC a beaucoup servi la production française. Ça a fait de la France cette grande puissance productive et exportatrice. Ça a fait que les produits agricoles et agroalimentaires – grâce à la PAC, mais grâce aux agriculteurs français et à nos industriels – représentent 66 milliards d’excédents dans notre balance commerciale. Donc, c’est une très grande richesse que cette agriculture et ces industries agroalimentaires. Donc évidemment, il faut les préserver. En même temps, nous sommes obligés de regarder, au moment où justement on remet en cause tous ces financements qui coûtent chers à l’Europe et à la France – vous savez, l’agriculture française, c’est 70 milliards d’aides directes, ce n’est pas rien, il faut l’expliquer au contribuable –, eh bien nous pensons, et je pense que c’est un sentiment très largement répandu, qu’une meilleure répartition de ces aides ne serait pas une mauvaise chose. Parce qu’aujourd’hui, 20 % des agriculteurs, c’est-à-dire les plus riches, touchent 80 % des aides. Et, d’une certaine manière, ce système fait que : plus on produit, plus on a d’hectares, plus on touche des primes PAC. Par exemple, si on a 1 000 hectares, on touche cent fois plus que si on en a 10. Ça fait une distorsion dans la répartition des aides qui fait que ceux qui sont très puissants, le sont de plus en plus et que, par contre, la petite et moyenne exploitation, en Creuse, en Corrèze ou dans les Hautes-Pyrénées, a beaucoup de mal à vivre. Donc, une meilleure répartition et une réorientation des aides, c’est aussi un projet que nous essayons de faire passer au niveau européen. C’est difficile, mais les propositions de la France sur ce sujet commencent à être étudiées avec un certain intérêt, et je suis confiant.
RTL : Christian Jacob, l’ancien dirigeant des jeunes agriculteurs, aujourd’hui député RPR, dit : tout ça c’est très bien, mais Mme Voynet et les Verts font de la provocation. Il n’y a pas de projet de taxe sur les productions agricoles polluantes ?
Jean Glavany : J’ai entendu cette déclaration de Christian Jacob. Je le connais bien puisque j’étais parlementaire avec lui, qu’on s’est frotté un peu aux débats démocratiques de l’hémicycle. Mais franchement, là, je crois qu’il perd les pédales. Honnêtement, qu’un responsable politique – qui plus est, ancien responsable d’une organisation agricole – refuse de condamner ce qu’ont fait les agriculteurs avant-hier, en disant : c’est la faute à Madame Voynet qui provoque, je trouve que c’est un discours irresponsable ! Je le dis parce qu’il a fait un rapprochement en disant : on n’a jamais vu un Premier ministre monter au créneau pour une voiture brûlée en banlieue. Eh bien, si justement ! Et le problème, c’est qu’il faut qu’il y ait de la cohérence dans le discours politique des élus et des responsables. Il ne peut pas y avoir deux discours d’ordre, un pour les banlieues et un pour le monde rural. Il faut que ce soit le même et qu’on soit exigeants en termes d’ordre et de respect du droit pour toutes les catégories sociales.
RTL : En un mot, il y a un projet de taxe sur les activités agricoles polluantes ou pas ?
Jean Glavany : Non. Mais, il y a des choses qui existent, et puis il y a des gens qui moulinent des idées. Sur cette affaire-là, je peux vous dire, parce que nous y travaillons, qu’il n’est pas question aujourd’hui de projet de taxe dans les cartons du gouvernement. Donc, ce n’est pas la peine d’agiter des chiffons rouges pour énerver les agriculteurs dans une période où ils ont beaucoup de soucis. Je préfère en appeler à la sérénité et au calme.