Texte intégral
1. Pourquoi je suis venu à cette rencontre ?
(Robert Hue, Jean-Michel Baylet, Jean-Pierre Chevènement, Alain Krivine, Dominique Voynet, Lionel Jospin)
Parce qu'on m'a invité. Je remercie Robert Hue et la direction du PC.
Parce que ma direction a été d'accord. Il est vrai : je lui avais suggéré.
Parce que j'ai toujours été partisan du rassemblement des forces de gauche (jeune militant, puis nouveau responsable du PS, 1er secrétaire, ministre de l'éducation nationale).
Parce que je sais que la gauche est plurielle : ici, radicalisme, écologie, communiste, gauche citoyenne, extrême-gauche, socialiste. Personne ne doit prétendre y exercer une hégémonie, même si les rapports de force existent. Je ne croyais pas hier à l'avant-garde, à la doctrine scientifique, je ne fonde pas aujourd'hui en supériorité les succès électoraux, relatifs, du PS. Ce sont les citoyens qui les établissent par leur vote.
Parce que je ne crains pas les divergences et les confrontations. Elles accompagnent la vie, notre histoire, la diversité de la société. Je déteste les diatribes et les leçons. Je me réjouis du nouvel état d'esprit à gauche et de la possibilité de débattre dans un bon climat.
C'est un bon moment historique pour nous parler. Personne ne peut prendre personne de haut. Car nous avons tous nos « bilans historiques ». Il est possible de nous critiquer, parce que nous avons gouverné 10 ans, présidé 14 et qu'on peut mesurer l'écart entre nos intentions et nos résultats. On a vu aussi le recul du « modèle social-démocrate » devant la vague du libéralisme. Mais les communistes ne peuvent nier la tragédie historique du stalinisme et constatent la fin, après 70 années de ce siècle, de l'espoir soulevé et du système social créé par la Révolution d'octobre 17. On pourrait aussi parler de la crise d'identité récente de Radical, des divisions des écologistes, de la marginalisation de l'extrême-gauche. Donc, parlons-nous en respectant chacun ce que nous sommes sans supériorité d'aucun de nous. Nous interroger ensemble sur les réponses à la fin de ce siècle.
Parce que, compte-tenu de la politique de la droite et de la situation du pays, nous pensons qu'il lui faut une gauche forte et si possible unie, parce que le mouvement de novembre/décembre a posé avec force des refus et des exigences que seul nous pouvons prendre en compte.
Parce que, enfin, j'ai eu l'honneur de représenter l'ensemble des forces de progrès, au deuxième tour de l'élection présidentielle. J'ai pu montrer qu'elle existait encore, la gauche. J'en garde un sentiment de gratitude et de responsabilité.
Une réunion comme celle d'aujourd'hui – à l'image du colloque organisé par le PS le 16 mars – mais en plus vaste et à l'initiative des communistes, est, je crois, sans précédent (capacité militante).
Pour que notre dialogue soit fructueux, il faut :
– ne pas cacher les divergences, afin d'être crédibles ;
– ne pas semer des illusions, afin de ne pas créer des déceptions ;
– ne pas répéter des constats de désaccord Pas besoin de se voir pour les faire. Chercher à nous enrichir mutuellement et dépasser nos positions premières.
2. Quel contenu du changement ?
(Jean-Michel Baylet, Dominique Voynet, Lionel Jospin, Robert Hue, Alain Krivine, Jean-Pierre Chevènement)
Quand on entend ce qui s'est dit ce soir, quand on voit que la bourse de New York baisse parce qu'on enregistre une baisse du chômage aux États-Unis, que le jour du 50e anniversaire de l'UNICEF, le G7, à Lille ne peut adopter une phrase sur l'interdiction du travail des enfants (J. Chirac/Europe sociale => texte sur la flexibilité – 3° voie)
Le contenu du changement doit être déterminé en partant du réel, de la réalité de notre société, de la réalité du vécu de millions de gens qui ont mis leur confiance en nous. Doit être affirmé contre le libéralisme et ses excès, et le conservatisme, pour une société plus juste et plus humaine où l'épanouissement de chacun soit possible.
Chômage massif, première préoccupation des français ? Alors mettre la politique pour l'emploi (croissance, baisse du temps de travail sans baisse de revenu, programmes de création volontariste d'emplois) au premier rang des priorités d'une politique de changement.
Inégalités, précarité ? Politique de justice sociale, réforme de la fiscalité, lutte contre l'exclusion. Hausse des salaires (conférence salariale).
Insécurité ? Grands programmes pour les quartiers, effort en faveur de la jeunesse, intégration de la population immigrée, politique de répression et de prévention de la délinquance à partir d'une police citoyenne mais en répondant aux problèmes de la jeunesse.
Menaces pour les services publics ? Soutien aux luttes de ceux qui se battent pour les préserver, refus des projets de privatisation, défense du service public, en France et en Europe.
Système de protection sociale fragilisé ? Refus de l'assurance privée, des retraites par capitalisation, mais acceptation de la maîtrise des dépenses de santé.
Risque de domination américaine ? Affirmation de la force de l'Europe, refus d'une Europe libérale dissoute dans une grande zone de libre-échange transatlantique, maintien de notre « autonomie de décision » en matière de défense, refus de la réintégration dans l'OTAN, affirmation d'une défense européenne.
Domination des capitaux financiers.
Risque de marginalisation de zones entières de la planète ? Redéfinition d'une politique égalitaire des relations nord-sud et révision de notre politique néocolonialiste africaine.
Danger pour les grands équilibres naturels ? Intégrons ces préoccupations aux négociations internationales et à notre politique d'aménagement des territoires.
À l'opposé de l'attitude de Jacques Chirac, nous devrons prendre des engagements que nous serons capables de tenir (sans édulcorer notre discours) et respecter ensuite le contrat passé avec le peuple. G7 => 3e voie mais accepte des déclarations sur plus de flexibilité !
3. Quelles conditions politiques du changement
(Alain Krivine, Jean-Pierre Chevènement, Jean-Michel Baylet, Lionel Jospin, Robert Hue)
Remercier Robert Hue et les responsables communistes de l'accueil.
Un bref retour sur l'Europe. Je ne sais pas si monnaie unique sera en 1998.
Ne pas bloquer sur un débat pour ou contre l'Europe. Attention à ne pas jeter l'enfant européen avec l'eau du bain de Maastricht.
Ni même sûr pour ou contre la monnaie unique.
Rechercher plutôt « quelle Europe » nous voulons. Car si nous n'essayons pas de faire l'Europe à notre façon, elle se fera sans nous, à la façon des autres.
Revenir sur la monnaie unique (si cela se présente).
Dimanche, nous avons, au PS, réaffirmé l'engagement sur la monnaie unique, non seulement parce que votée par le peuple avec le traité de Maastricht, mais parce que ce peut être une arme et non forcément un carcan.
Dans la sensibilité historique, des communistes existent :
– l'hostilité à la domination américaine : je ne veux pas que le dollar reste la « monnaie unique » ! (Les États-Unis sont contre la monnaie unique), étape pour réforme du SMI ;
– la crainte de la puissance allemande : nous sommes plus dépendants du Mark s'il y a un franc et un Mark que s'il y a une monnaie européenne.
De toute façon, le passage à la monnaie unique sera pour nous une décision politique, fondée sur l'appréciation d'exigences sociales. Pas d'automatisme mais libre appréciation.
Je veux faire bouger l'Europe après Maastricht. Je crois que c'est possible si les citoyens s'expriment et si les forces de gauche se battent. (Les éleveurs du Limousin, les pêcheurs de Bretagne, les travailleurs d'Airbus, sont pour la monnaie unique.)
En ce qui concerne les conditions politiques du changement, les choses paraissent maintenant assez claires à l'échelle historique.
La démarche sera gradualiste, et se fera à chaque étape sous le contrôle démocratique. Je dirai à Alain Krivine : les travailleurs dans la rue sont aussi citoyens. Et, ils tranchent entre les uns et les autres.
Elle devra être collective. Ne croyons pas que la France pourra régler ses problèmes dans l'isolement. Nous sommes internationalistes. Construire des rapports de force. C'est pourquoi, nous discutons de plus en plus dans le cadre du PSE, dans l'internationale Socialiste, le PDS (ex-PIC) des ex-PC d'Europe de l'Est travaillent avec nous.
Elle supposera la mise en mouvement des milieux populaires et des salariés.
À terme rapproché, les conditions politiques du changement doivent être clarifiées.
(Je suis d'accord sur l'idée de contrôle).
Parce que longtemps séparées.
Ces discussions sont assez neuves.
Les divergences restent fortes.
Vous-même vous dites : nous ne voulons plus recommencer ce qui a déjà été fait. Mais nous savons moins ce que veut dire : faire autre chose.
Ce qu'on peut dire, c'est qu'on a trouvé une méthode.
Nous revisitons les uns et les autres notre passé.
Nous sommes engagés dans des réflexions internes.
Nous avons engagé une confrontation de nos points de vue.
Il faut ne pas nous borner à ces dialogues entre formations politiques. Il faut élargir les confrontations aux syndicats, au mouvement associatif, et même à la population. Acteurs de la démocratie, assises citoyennes. Penser au mouvement de novembre/décembre.
C'est fondamental, face à une droite divisée et sans perspective et donc la politique est négative pour le pays.
Mais nous ne savons pas encore à quoi cette méthode va servir, quel est notre but.
Combattre la droite, oui.
Défendre les intérêts de la masse de la population :
– pour aller séparément et ensemble aux législatives ;
– pour aller plus loin, jusqu'au plan gouvernemental ? Je n'en sais rien. C'est trop tôt.
En tout cas, il faut partir des idées, des problèmes de fond.