Texte intégral
Mes Chers Compagnons,
Le débat qui s'engage cette année à l'échelle de l'Europe est bien celui que nous les Gaullistes, nous souhaitons depuis toujours voir s'engager. Il s'agit enfin de donner à l'Europe sa dimension politique, c'est à dire, pour les peuples européens, sa dimension véritable. Il s'agit enfin de construire une Europe à visage humain.
Ce débat nous l'abordons avec confiance. Pour la première fois, en effet depuis vingt ans, nous nous engageons dans une étape cruciale de la construction européenne sous la conduite de l'un des nôtres, le Président de la République, Jacques Chirac. Pour la première fois depuis vingt ans, il nous appartient de dessiner et de proposer l'Europe que nous voulons, et non plus d'avoir à accepter, volens nolens, – ou à refuser – une Europe qui ne correspondait pas à nos souhaits. Et, je ne doute pas que dès l'ouverture de la Conférence Inter-gouvernementale, le 29 mars à Turin, Jacques Chirac ne donne à la politique européenne de la France l'impulsion nouvelle que les Français attendent de leur Président, comme, je le crois, les Européens l'attendent de la France.
Il est manifeste, mes Chers Compagnons, que l'Europe qui se dessine jusqu'ici n'est pas celle dont nous rêvions, et, pour tout dire, dont nous rêvons toujours. Elle n'est pas celle que le Général de Gaulle, à Bonn en 1966, décrivait comme une cathédrale, c'est-à-dire comme le plus bel édifice que puisse bâtir une même et grande civilisation.
En lieu et place, nous aurons édifié un marché, une monnaie et une Banque, puisque tel a été le projet des architectes de la construction européenne qui se sont succédés depuis vingt ans, projet ratifié, il est vrai, mais du bout des lèvres, par les Français.
Ce chantier est donc bien avancé et puisque comme le dit l'adage, « faute d'avoir ce que l'on aime, il faut aimer ce que l'on a », il sera mené à son terme.
Pâtirait-il, cependant, au point qu'on nous le dit, de ne pas l'être dans les délais fixés ? Permettez-moi d'en douter, ou alors c'est de la pertinence du projet lui-même qu'il conviendrait de douter. Il a fallu bien plus de temps que prévu par ses rédacteurs pour appliquer complètement le traité de Rome et je ne vois pas en quoi celui de Maastricht serait d'une nature différente. Ma conviction est que nous arriverons à l'union monétaire, mais que nous n'y arriverons pas l'épée dans les reins.
Si l'union monétaire, en effet, est et reste un objectif souhaité et partagé par l'ensemble des pays de l'Union Européenne, elle se fera, quelle que soit la date. À l'inverse, si la date fait problème, et elle fait problème, à l'évidence, pour la majorité des pays, la monnaie unique ne verra pas le jour, car la date ne sera qu'un prétexte, chacun le comprend bien.
N'en doutons pas. Pour être acceptée par les peuples européens, et au premier chef par les peuples allemand et français, l'Union Monétaire doit parachever, couronner, l'Union d'économies en expansion et créatrices d'emplois. Alors là, oui, la monnaie européenne apparaîtra à chacun comme un progrès. Mais si la monnaie unique doit sanctionner le chômage, ici et là, provoquer la séparation de la France en deux, celle de l'Europe elle-même en deux, alors, je crois que ce serait beaucoup plus porteur d'échec que de réussite et, au bout du compte, une régression plutôt qu'un progrès.
Mes Chers Compagnons, si le chantier de l'Union économique et monétaire, malgré tout, touche à sa fin – il aura fallu quarante et quelques années depuis le Traité de Rome – celui de l'Union Politique commence à peine. Et, je le disais au début de ce propos, je souhaite que nous l'abordions, celui-ci, sans complexe, car sur ce terrain-là, nul doute que la conception, la vision, les positions du Général de Gaulle aient été plus prophétiques que les autres. Alors, cette fois, ne nous laissons pas déposséder de cette grande idée qu'est l'union politique de l'Europe toute entière, la seule qui puisse garantir à notre continent, et pour des générations, ce qui est la raison d'être originelle de l'ensemble du processus de construction de l'Europe : la paix.
Voilà pourquoi il nous faut engager le débat de l'Union Politique en le déconnectant de celui sur l'Union Économique et Monétaire. C'est l'objectif d'origine qu'il convient maintenant de retrouver, cette « cathédrale » dont il faut jeter les fondations, étant entendu, je pense, ici, que c'est bien par les fondations qu'il faut, pour une fois commencer.
Je me félicite donc de ce que le document préparé par le groupe de travail de notre mouvement affirme d'entrée cette ambition, l'Union de la Grande Europe, comme étant celle du RPR, même si au fil des pages, ses propositions, souvent pertinentes, paraissent surtout destinées à améliorer le fonctionnement des institutions de l'Europe telle que nous la connaissons. Et, je regrette un peu que le document évacue sans ménagement le terme de « confédération », qui est précisément celui qu'employa le Général de Gaulle, et qu'il semble bannir à jamais la Russie du concert des nations européennes, ce qui me paraît insulter l'avenir.
Surtout, ce rapport, pour méritoire qu'il soit, ne prend pas, me semble-t-il, la question de l'Union Politique de l'Europe par le bon côté, qui est de définir, d'abord, les politiques qui seront du ressort de l'Union et celles qui resteront de la responsabilité des nations. C'est là, à mon sens, la première tâche à accomplir. Nous pourrons, après, en déduire la nécessité de telle ou telle réforme des institutions, ou celle de telle institution nouvelle.
Ces politiques, quelles sont-elles ? La paix, à l'intérieur de l'Europe, au premier chef. Nous sortons – espérons-le, en tous cas – d'une guerre sur le sol de notre continent. L'Europe y a perdu son crédit et a dû s'en remettre à l'ONU, puis à l'OTAN, c'est-à-dire aux États-Unis. Est-ce là le seul horizon où nous bornerions nos ambitions ? Est-il si illusoire de penser que l'Europe puisse se doter, au sein d'une enceinte existante, ou d'une à créer, d'une instance pan-européenne d'arbitrage et de résolution des conflits ? Ne voyons-nous pas que c'est à la mesure de cette réalité – il peut encore y avoir des guerres en Europe ! – que nous jugerons les peuples, si ce n'est les marchés.
C'est pourquoi il me semble que notre mouvement, qui n'a pas, en la matière, à être la simple décalcomanie du gouvernement, – il me semble que la CDU a manifesté davantage de liberté d'esprit, et sans dommage pour le Chancelier – se doit d'afficher sans honte et sans pusillanimité une toute autre ambition. Il me semble même que le gouvernement, comme le Président de la République, ne trouveraient qu'avantage à voir notre formation affirmer haut et clair une idée de l'Europe de cette envergure.
Ce serait un contre-sens, en effet, que de croire que l'Allemagne ne s'interroge pas tout autant que nous sur les objectifs et les moyens de l'Union Européenne, et qu'elle puisse imaginer longtemps encore la construction européenne comme une forme d'élargissement raisonné de la République fédérale. La mondialisation des échanges va en effet plus vite, beaucoup plus vite, que notre patiente construction européenne, parce qu'elle ne s'embarrasse ni d'institutions ni hélas de frontières ! Chacun de nos pays commence ainsi d'entr'apercevoir que l'union monétaire, même coiffée d'un chapeau politique, ne saurait à elle seule constituer très longtemps encore la force d'attraction qu'elle représentait, malgré tout, jusqu'ici.
Dans cette réflexion, qu'il serait vain de conclure aujourd'hui, le mouvement gaulliste doit jouer pleinement son rôle, non pour contrecarrer la diplomatie de la France, mais, tout au contraire, pour l'étayer davantage. Je l'ai dit, le chantier est immense et, sachons-le, il est vierge. Bien sûr, il serait illusoire d'imaginer que la dimension politique de l'Europe qu'il nous faut inventer, puisse faire abstraction de l'acquis d'un demi-siècle d'avancées dans l'ordre économique, monétaire, juridique ... pas davantage, pour prendre une comparaison aisément compréhensible, que la République n'a pu longtemps ignorer la France qu'avaient façonnés peu à peu quinze siècles de monarchie et de chrétienté.
Cette comparaison avec la naissance de la République n'est pas fortuite. C'est bien d'une révolution du même ordre dont l'Europe a besoin, du moins si nous voulons que naisse l'identité politique européenne qui devra, tôt ou tard, prendre le relais de la démarche économique qui a prévalu jusqu'ici et que dépasse, déjà, l'irruption de la mondialisation.
Si nous y parvenons, alors, oui, il y aura sans doute, au siècle prochain, quelle que soit la dénomination qu'elle prenne, une nation européenne à part entière, dans laquelle se reconnaîtra, toutes patries réunies, mais non effacées, l'ensemble des peuples européens.
L'ambition est-elle hors de portée ? Oui, si nous nous contentons de mettre nos pas dans les empreintes, confortables parce qu'encore fraîches, de Jacques Delors et de François Mitterrand. Non, si nous retrouvons les traces, qu'on aperçoit mieux dès qu'on prend quelque altitude, ou quelque recul, celles du Général de Gaulle.
La paix à l'intérieur ; la sécurité vis-à-vis de l'extérieur : telle est, à l'évidence, le deuxième support de l'Union européenne à construire. Les grandes orientations esquissées par le Président de la République vont dans ce sens, et nous percevons clairement que Jacques Chirac a l'intention, dans ce domaine, d'aller loin et d'aller vite. Je m'en félicite, tout en souhaitant que la Défense soit d'abord un pilier – et lequel ! – de l'édifice européen, avant d'être une des arches d'une organisation plus large du monde occidental. Il me semble que c'est bien par-là que passe la frontière entre une Europe qui serrait européenne et une Europe qui ne le serait pas.
La paix. La sécurité. La démocratie, enfin. C'est la dimension politique par excellence, sans laquelle il serait illusoire, ou rapidement criminel, d'imaginer une union politique digne de ce nom. Il n'est pas simple de concevoir une démocratie réelle à l'échelle de l'Europe, tant les nations apparaissent pour longtemps encore comme les communautés les plus adéquates à l'expression du suffrage universel, parce qu'elles seules permettent à des majorités et à des minorités de se former et de se respecter mutuellement. Dans les fédérations, on ne le sait que trop, les minorités sont rapidement nationales, voire ethniques.
Voilà pourquoi, le renforcement du rôle des Parlements nationaux, dans une première étape, est bien la voie qu'il convient de privilégier. Je crois, d'ailleurs, quelles que soient les déclarations de principe sur le rôle du Parlement Européen, que c'est bien la voie par laquelle la Cour Constitutionnelle allemande, dont les Français feraient bien de lire la décision sur le Traité de Maastricht, entend encadrer le processus d'unification européenne.
Il me semble que, parallèlement à cette plus grande association des Parlements nationaux, la possibilité d'organiser, sur les sujets de nature européenne, des referendums à l'échelle européenne donnerait, dans l'optique qui est la nôtre, une crédibilité certaine à la démarche politique.
Telles sont, mes Chers Compagnons, les quelques réflexions que m'inspire, à ce stade du débat, la volonté de voir notre pays de nouveau inspiré par le grand dessein européen du Général de Gaulle : bâtir l'Europe du XXIème siècle à la hauteur de l'ambition civilisatrice qui est la vocation de notre continent et y imprimer, autant que faire se peut, la marque universelle de la France.
Ne nous y trompons pas, en effet. L'Europe n'est pas un monde supérieur auquel il nous faudrait accéder pour résoudre, du même coup, tous nos problèmes. L'Europe est le prolongement de nous-mêmes, une dimension nouvelle pour notre génie propre, comme elle l'est pour le génie propre de nos voisins. Soyons donc certains qu'avec un peu d'audace, l'Europe politique sera bien pour la France et pour les Français le champ d'action naturel de notre inventivité en la matière. Sinon, autant donner raison à Charles Péguy : « C'est embêtant, dit Dieu. Quand il n'y aura plus de Français, il y aura des choses que je fais, et plus personne pour les comprendre ».