Interview de M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, à "Libération" le 22 septembre 1998, sur la dégradation de la situation économique japonaise en dépit d'un plan de relance massif et de baisse d'impôts et sur son effet de retardement de la reprise des économies des pays du Sud-Est asiatique.

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Circonstance : Fin de la visite de M. Sautter au Japon le 21 septembre 1998

Média : Emission Forum RMC Libération - Libération

Texte intégral

Libération : Comment expliquez-vous la dégradation de la situation économique japonaise malgré les plans de relance annoncés ?

Christian Sautter : Au cours des derniers mois, la crise économique japonaise s'est encore accentuée, et 1998 sera une nouvelle année de récession. Le ministre de l'agence de planification économique, que j'ai rencontré, s'attend à une croissance négative d'au moins 1,5 %. Nous sommes aujourd'hui à un moment de vérité. Le gouvernement et l'opposition viennent de se mettre d'accord sur un compromis concernant l'assainissement du secteur bancaire. Quelles que soient les ambiguïtés et les incertitudes qu'il peut comporter, ce plan marque la volonté d'aller de l'avant. Il est essentiel que le Japon adopte maintenant une stratégie économique plus lisible, notamment par les marchés financiers. Les prochains jours seront déterminants, puisque le plan bancaire doit être voté avant la fin de l'actuelle session parlementaire, le 7 octobre.

Libération : Qu'avez-vous demandé à vos interlocuteurs japonais ?

Christian Sautter : Je leur ai dit que croissance et assainissement bancaire sont liés et sont urgents. Et j'ai senti chez mes interlocuteurs une volonté nouvelle de traiter les problèmes assez rapidement. Je les ai trouvés plus lucides et plus transparents. Contrairement à certains, je ne suis pas venu prodiguer des conseils sur ce qu'il faut faire pour retrouver le chemin de la croissance, mais pour encourager les autorités japonaises et les parlementaires à trouver des solutions.

Libération : Pour relancer son économie, le Japon a suivi les conseils de la communauté internationale : plan de relance massif, baisses d'impôts (alors que les finances publiques sont en piètre état), nouvelle baisse des taux. Qu'est-ce qui n'a pas marché ?

Christian Sautter : Pour soutenir la demande, le Japon a effectivement entrepris des plans de travaux publics et de baisse d'impôts massifs. Le gouvernement a hérité d'un plan de relance de 16 000 milliards de yens (730 milliards de francs) qui va compléter par un nouveau plan de 10 000 milliards de yens (450 milliards de francs) lors de la prochaine session parlementaire, auquel il ajoutera 7 000 milliards de yens (20 milliards de francs) de baisse des impôts… Ce sont des injections considérables. Mais les plans de relance ne sont que des mesures conservatoires. La vraie clé de la reprise, c'est le retour à la confiance des épargnants et des consommateurs. Ce qui passe par le règlement des problèmes bancaires.

Le processus de reprise doit se faire en deux temps. D'abord, les plans massifs interrompent la baisse de la production. Mes interlocuteurs estiment que cela pourrait se produire au cours des deux trimestres qui viennent. Ensuite, pour que l'économie reparte vraiment, il faut que les consommateurs et les entreprises retrouvent l'envie de consommer et d'investir. Ceci pourrait avoir lieu lors de la prochaine année fiscale. Mais le processus peut être aussi plus lent. Personne n'attend une reprise rapide.

Libération : N'y a-t-il pas un paradoxe japonais dans le sens où ce pays riche doté d'une industrie puissante n'arrive pas à sortir de la crise ?

Christian Sautter : Le Japon est un pays paradoxal. Son potentiel de croissante n'arrive pas à se convertir en croissance effective, car les conséquences de l'éclatement de la bulle financière n'ont pas été traitées. Il est sûr qu'il a fallu que des problèmes assez graves se posent pour que les autorités cherchent des solutions. Elles commencent à le faire. Il faut les encourager.

Libération : Le Japon est-il conscient de retarder la convalescence des économies asiatiques ?

Christian Sautter : Au lieu de se tirer mutuellement vers le haut, l'Asie et le Japon ont une tendance à peser l'un sur l'autre. Il est frappant de constater que les ventes du Japon en Asie ont fortement baissé, de même que les importations en provenance des pays d'Asie. La conclusion que j'en tire est qu'une reprise de l'économie japonaise, aussi rapide que possible, est vraiment nécessaire pour la convalescence des pays d'Asie, la Chine exceptée, puisqu'elle n'est pas malade. L'Europe et les États-Unis ne peuvent pas tirer à eux seuls la croissance mondiale.