Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à RMC le 26 février 1996 et France 2 le 27, sur la réforme de l'armée, l'augmentation des salaires et l'union de la gauche en vue d'une alternative politique.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - France 2 - RMC - Télévision

Texte intégral

Date : lundi 26 février 1996
Source : RMC/Édition du matin

P. Lapousterle : Pourquoi êtes-vous opposé à la direction générale prise par J. Chirac sur la plus grande professionnalisation de l’armée et son évolution vers l’armée de métier ? Pourquoi êtes-vous opposé à cette direction dont les Français semblent approuver le principe ?

R. Hue : D’abord nous verrons si les Français en approuvent d’une façon générale le principe mais j’estime que ce projet de J. Chirac, en matière de défense, est aussi grave et inquiétant que le tournant qu’il a pris lors du 26 octobre avec la monnaie unique. Il s’agit dans les deux cas d’une sérieuse mise en cause de la souveraineté nationale. Il s’agit dans les deux cas d’une sérieuse mise en cause de la souveraineté nationale. Il s’agit de rompre avec une armée citoyenne pour mieux inscrire nos moyens de défense au service d’une armée européenne sous commandement de l’OTAN. C’est pour cela que je suis foncièrement contre mais ce n’est pas la seule raison.

P. Lapousterle : Quel rapport entre la professionnalisation de l’armée et la perte d’indépendance de la France ?

R. Hue : Je crois qu’aujourd’hui on rompt avec cette armée liée à la nation. Notre armée est invitée à devenir un corps expéditionnaire sur le modèle de la guerre du Golfe, une sorte de gendarme du monde contre l’époque, du reste souvent au service des puissants, comme pendant la guerre du Golfe, dans le cadre de la stratégie américaine. Il s’agit de projeter nos troupes à l’extérieur et à n’a rien à voir avec les missions de protection de la France. Nous passons d’une vision défensive à une vision agressive. Quant aux choix, aux plans du nucléaire, ils sont aussi très inquiétants. Ils confirment les essais en laboratoire ce qui veut dire que l’on va surarmer au lieu de désarmer au moment où il faudrait s’inscrire davantage dans un processus multilatéral de désarmement.

P. Lapousterle : Vous n’allez pas me dire que vous avez approuvé le fait que la France ait été incapable pendant la guerre du Golfe, d’envoyer elle seule 1 000 homme hors du territoire !

R. Hue : Je ne m’inscris pas dans cette conception d’un corps expéditionnaire qui va aller guerroyer dans le monde au service des puissants. Ce n’est pas ma conception de l’armée.

P. Lapousterle : Et quand il s’agit d’éviter un génocide comme en ex-Yougoslavie ?

R. Hue : Il peut y avoir des coopérations avec d’autres pays sous l’égide de I’ONU en vue de favoriser telle ou telle démarche visant à aboutir à la négociation, à la solution des conflits. Là je m’inscris dans cette démarche mais pas dans celle visant à ce caractère offensif, agressif. Le lien défense-nation, cette question du service national, me semblent très importants.

P. Lapousterle : Vous savez bien que ce service ne contentait personne. Il n’y a pas un appelé qui était content de faire ce service militaire, et donc tous ceux qui ont envie de supprimer aujourd’hui ce service militaire suppriment quelque chose qui était rejeté pratiquement par tout le monde.

R. Hue : Je crois qu’en effet, ce qu’on donnait aux jeunes comme vision de l’armée ou ce qu’ils ressentaient en allant à l’armée dans la dernière période était vraiment de nature à la décourager. C’était en fait le contraire de ce que doit être la conscription. Cette façon de faire l’armée aujourd’hui est une vraie machine à dégoûter les jeunes de l’armée. Je suis pour le lien défense-nation. Ce que je veux dire par rapport au service national, puisque je suis contre ce corps expéditionnaire que l’on veut mettre en place, cette armée de métier, c’est qu’il faut un type nouveau de conscription. Un service court, de 6 mois, qui soit quelque chose de qualifiant pour les jeunes, moderne, une véritable formation militaire, courte, en fait un service utile pour les jeunes, pour la France. Et puisqu’il y a ce débat national il est important aujourd’hui, à propos du service national, d’inventer avec les jeunes eux-mêmes, un nouveau type de conscription qui serve à la fois les jeunes et la France.

P. Lapousterle : Pourquoi le service serait-il militaire au lieu d’être civil comme le propose J. Chirac ?

R. Hue : Ce qui est annoncé en matière de service civil me semble plus une sorte de service obligatoire, une sorte de CIP bis, c’est assez méprisant pour les jeunes. Remplacer dans les hôpitaux, les services publics, des emplois à créer, stables, par des appelés je ne suis pas d’accord ! Il faut créer des milliers d’emplois dans les services publics et non pas utiliser les jeunes à cela. Il faut un service militaire qui corresponde bien à notre époque, qui n’a rien à voir avec ce qui se fait actuellement et qui est décourageant pour les jeunes. Quelque chose qui soit enthousiasmant, qui participe à la nation, au service de la République.

P. Lapousterle : On vous a rarement entendu avocat aussi fervent des choses militaires...

R. Hue : Je suis pour la défense de la France et de mon pays.

P. Lapousterle : Et le référendum ? Pourquoi les Français n’auraient-ils pas le droit de décider chacun et collectivement ce qui doit arriver au service militaire ? Ne serait-ce pas une bonne solution ?

R. Hue : Si le Président de la République veut consulter les Français je crois qu’il faut qu’il sorte de cette démarche de diversion qu’il a engagée à propos de la défense nationale et qu’il revienne à une question essentielle aujourd’hui : l’engagement de la France dans la monnaie unique. J’ai proposé qu’il y ait un référendum sur cette question et voilà un thème qui pourrait être tout à fait important pour permettre aux Français de s’exprimer sur une question tellement décisive pour le pays.

P. Lapousterle : P. Mauroy, la semaine dernière, nous disait ici, que « si la gauche l’emportait en 98, il n’y a pas de raison que les ministres communistes ne participent pas à ce Gouvernement ». Seriez-vous d’accord pour participer à un gouvernement à la suite d’une victoire de la gauche en 98 ?

R. Hue : Je ne m’inscris pas dans une démarche de caractère électoral. Je crois que ce qu’il faut actuellement, pour la gauche française, c’est qu’elle participe de la construction d’une alternative réelle, progressiste, à la politique du pouvoir en place. Avoir des ministres pour faire quoi ? Il s’agit de mettre en œuvre une véritable politique différente, qui s’attaque à l’argent-roi, qui ne s’inscrive pas dans une démarche qui entraîne ensuite de terribles désillusions pour le peuple. La question essentielle, qui est devant nous immédiatement, c’est celle de la construction politique, une œuvre à inventer à gauche et qui n’existe pas.

P. Lapousterle : Le PS selon vous n’est pas prêt, n’est-il pas encore en mesure de présenter un programme intéressant ?

R. Hue : Je vois que sur toute une série de questions, au PS, il y a des approches différentes et il y en a certaines avec le PC qui marquent des divergences totales. Je pense qu’il faut que tout ça avance naturellement. Regardez par exemple sur l’Europe actuellement je vois que le PS reste attaché à la conception de monnaie unique. Pour moi cette monnaie unique est très dangereuse. Je suis pour la construction européenne mais pas pour mettre la France en situation de soumission par rapport à l’Allemagne.

P. Lapousterle : Pourtant vous allez les uns chez les autres, vous allez aux réunions du PS !

R. Hue : Tout ce qui peut contribuer à ce que le débat avance fait que nous allons dans les différentes initiatives qu’organise le PS. Il y a un colloque prochainement j’y serai. Nous les invitons aussi à ces forums pluralistes qui sont organisés à travers le pays car nous pensons que l’accord, la construction politique nécessaire, ne doivent pas se faire au niveau des états-majors seulement, mais doivent se faire avec les citoyens eux-mêmes. Avec le mouvement social, il y a une grande participation, une volonté d’être entendu et il faut donc que les citoyens participent à cette construction politique.


Date : mardi 27 février 1996
Source : France 2/Édition du soir

B. Masure : Vous protestez contre l’instauration du RDS mais il faudra bien d’une manière ou d’une autre boucher le trou de la Sécu ?

R. Hue : Je proteste parce que les Français sont ponctionnés une nouvelle fois. Concernant le trou de la sécurité sociale, j’ai proposé que l’on prélève sur les revenus financiers. On va prélever à nouveau dans la poche des salariés, massivement, dix fois plus que dans la poche des revenus financiers. C’est absolument anormal. On ponctionne les Français par tous les bouts alors que par ailleurs, les banquiers, les spéculateurs jouent par tous les bouts, l’argent pour l’argent. Je dis qu’il faut donc absolument prélever l’argent autrement et l’utiliser autrement. Et accordez-moi qu’il y a un an, B. Masure, j’étais à la France en directe avec vous et je préconisais pour s’attaquer à ce problème de relancer la consommation, la croissance, l’emploi précisément par une augmentation des salaires.

B. Masure : Quelles mesures concrètes proposez-vous pour relancer la consommation et les salaires ?

R. Hue : Je propose une augmentation sensible des salaires et je l’ai évoqué à plusieurs reprises. Je propose une augmentation sensible du SMIC, une augmentation de 1 000 francs de tous les salaires inférieurs à 15 000 francs et naturellement, il faut bien trouver les moyens de financer cela. Actuellement, il y a de l’argent dans ce pays, les mouvements financiers sont considérables. Je propose tout simplement de taxer à 0,5 % ces mouvements financiers, ces opérations financières. Il y a là, largement de quoi augmenter les salaires et si on augmente les salaires on relancera la machine. Pendant la campagne présidentielle, j’étais un peu seul à dire qu’il fallait augmenter les salaires et orienter l’argent différemment. Regardez comment ces questions, aujourd’hui, sont posées et viennent dans le mouvement social, viennent par un certain nombre de gens qui disent que c’est la solution

B. Masure : Vous avez déclaré que la réforme du service national constituait une sérieuse remise en cause de la souveraineté nationale, cela dit un sondage montre que 71 % des Français approuvent cette décision de réformer le service national alors ?

R. Hue : Je ne néglige pas les questions de défense et les Français non plus mais qui ne voit pas qu’il y a là une opération de diversion pour échapper à l’échec patent qu’il y a par ailleurs au plan économique et social. La proposition qu’il fait va nous donner une armée qui sera complètement coupée de la nation. Cette armée de métier, qui en fait sera un corps expéditionnaire pour aller guerroyer à travers le monde, c’est une conception agressive, ce n’est plus la conception de la défense du territoire. Je vois bien que la conscription, il est nécessaire de la changer. Je suis pour un nouveau type de conscription car les jeunes ont vraiment le sentiment de perdre leur temps au service militaire. Mais ce n’est pas l’armée de métier qui va apporter la réponse. Il faut bien professionnaliser un certain nombre de choses mais en tout état de cause, qui applaudit à tout rompre l’armée de métier ? Quel est l’homme politique qui applaudit le plus ? J.-M. Le Pen ! Il applaudit des deux mains ! Il propose même de donner plus d’argent à l’armée de métier que n’en prévoit le Gouvernement aujourd’hui et il prévoit aussi, et ça c’est grave, d’infiltrer à terme cette armée de métier. Eh bien, je dis aux jeunes : regardez, ce que dit Le Pen, c’est très grave et voilà le danger de l’armée de métier. Naturellement, je suis pour un nouveau type de conscription qui soit plus court mais il faut vraiment une armée qui soit plus efficace, qui soit qualifiante, que l’on ait l’impression de ne plus perdre son temps, de mieux connaître le territoire, intervenir. Il y a vraiment à réconcilier la jeunesse avec cette conception de la défense et de la nation qui est essentielle pour moi.