Interview de M. François Léotard, président de l'UDF et maire de Fréjus, dans "La Tribune Desfossés" du 30 mai 1996, sur le développement économique du Var et sur la vie politique locale notamment les affaires touchant la classe politique varoise et la gestion municipale de Toulon par le Front National.

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Média : La Tribune Desfossés

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La Tribune : Le Var connaît des difficultés tant sur le plan économique, avec la fermeture des chantiers navals, que politique, avec les multiples affaires. Et de fortes inquiétudes pèsent sur la DCN et l’arsenal de Toulon, ville gagnée par le Front national l’an passé. Comment ce département peut-il envisager son redressement économique ?

François Léotard : Ce département a un certain nombre d’atouts, mais aussi de handicaps. Les handicaps, c’est notamment l’image détestable qui a prévalu, ces dernières années, du fait de la succession d’un certain nombre d’affaires. C’est aussi un manque de notoriété. Mais il a aussi de nombreux atouts : l’espace, l’eau, la production agricole – de qualité, je pense par exemple au vin -, la présence d’industries et de sous-traitants extrêmement performants, ce que l’on a vu dans l’obtention de contrats à l’exportation, comme celui des frégates pour l’Arabie Saoudite. Et puis, bien entendu, un secteur tertiaire très développé autour du tourisme, qui en fait le premier département d’accueil en France.

La Tribune : L'assemblée départementale a engagé une réflexion sur l'aménagement du territoire qui conduit à la création de trois pôles de développement. Partagez-vous cet objectif ?

François Léotard : D’abord, sur l'idée d'aménagement du territoire au sens plus régional du terme, je regrette que deux décisions n'aient pas été prises et qu'elles continuent à être reportées indéfiniment. La première concerne le TGV Sud-Est, et la seconde le troisième aéroport régional. Voilà des décisions extrêmement structurantes. S’il y a des choses auxquelles les collectivités publiques doivent s'attacher, c'est bien à cela. Or, là, aucune décision majeure n'a été prise depuis plusieurs années. Non seulement par l'État mais aussi par les décideurs locaux. Je le regrette, car voilà deux réflexions - même si elles portent leur effet à l'horizon 2005-2010 - qu'il est urgent d'engager. C'est maintenant que la décision doit être prise. D'autant plus que les deux dossiers coïncident. On peut faire comme à Satolas une conjugaison du fer et de l'air, à peu près au même endroit, c'est-à-dire au centre Var. Je regrette que depuis trop longtemps il n'y ait pas eu cette volonté des acteurs locaux de se mettre autour de la même table. C'est regrettable parce que si l'on ne fait pas cela, il faudra multiplier les autoroutes. Or, il faut bien voir que la vraie décision écologique, c'est le TGV. Le temps vaut cher. Justement parce que l'on sait que ce sera long il faudrait maintenant prendre des options, par exemple sur le foncier, parce qu’ensuite ce sera impossible.

Niveau du département, je crois que tout ce qu'on peut faire dans le sens Nord-Sud est bon. Il faut vraiment que nous essayons de développer cet aménagement Nord-Sud qui fait vivre l'arrière-pays et qui désasphyxie la côte elle-même. C'est une leçon majeure qui je crois, peut-être retenue. Ensuite, il faut trouver un système fondé sur les PME qui permette à un artisanat local et à de petites entreprises de survivre dans un département qui est aujourd'hui menacé par les très grandes entreprises, commerciales ou de production. C'est plus facile à dire qu'à faire mais cela suppose que, là aussi, nous trouvions des formules originales de soutien aux PME, notamment dans l'arrière-pays.

La Tribune : Les restructurations attendues dans les industries de défense et le reformatage des armées font poser des menaces sur l'activité toulonnaise. Que convient-il de faire pour ne pas voir [illisible] d’entreprises liées à la DCM et à l’arsenal ?

François Léotard : Si le plan de charge actuel est maintenu à Toulon, c'est notamment grâce aux décisions que j'ai été amené à prendre entre 1993 et 1995 et, plus particulièrement, les contrats signés avec l'Arabie Saoudite sur les frégates. J'avais également pris une autre décision, mais qui semble être remise en cause, de créer autour de la place de Saint-Anne un hôpital militaire de très haute qualité dans la région varoise à besoin. Je ne suis pas trop inquiet pour l'avenir, sauf pour Saint-Tropez. Le Charles-de-Gaulle sera stationné à Toulon. C’est là sont les six sous-marins nucléaires d'attaque qui emploient beaucoup de personnel d'entretien et de maintenance, c'est là que vont être fabriquées les frégates saoudiennes et nous aurons sur Hyères les premiers Rafale marine.

La Tribune : Venons-en au climat délétère qui s'est développé au lendemain des affaires mettant en cause nombre d'élus locaux. Beaucoup de varois estiment que la priorité consiste aujourd'hui à réhabiliter l'image du département. Comment y parvenir ?

François Léotard : Je crois que c'est en train de se faire grâce au travail du président Hubert Falco, qui est un homme de grande qualité, très intègre, très droit et qui a remis de l'ordre dans les pratiques du conseil général. Il y a d'abord un changement d'hommes qui est très bénéfique pour le Var puisqu'il a lui-même comme projet politique de mettre fin à toutes sortes de pratiques qui ont entaché la réputation du département. Sur tout cela, il faut faire souffler le vent de la salubrité, de la justice et du respect des lois et des règles. C'est en train de se faire. Les procès qui vont avoir lieu mettront un terme, je l'espère, à ce sentiment ou à cette image négative que peuvent avoir les gens à l'extérieur comme à l'intérieur du Var. Je compte beaucoup sur la justice pour que les procédures arrivent à leur terme, et qu'enfin il soit clair que les gens qui ont fait des choses illégales ont été ou seront sanctionnés.

La Tribune : N'avez-vous pas donné le sentiment, bien qu'étant élu local et patron du Parti républicain, de ne pas vouloir vous immiscer dans les difficultés de la classe politique varoise ? Vous auriez pu prendre les dispositions qui s'imposaient, avec l'autorité que vous conféraient vos responsabilités nationales…

François Léotard : J'ai contribué en 1985 au basculement politique du département. Je crois pouvoir dire sans arrogance que j'en suis l'acteur principal. Je ne suis plus ni conseiller général ni conseiller régional. Et je n'ai pas l'intention d'être président du conseil général, ni président du conseil régional. J'ai choisi une autre forme de vie publique qui est fondée sur le couple mairie-fonction nationale. Mais pas d'autres. Et je suis tout à fait résolu dans cette pratique. Je n'ai pas d'autres préoccupations et je n'en aurai pas d'autres. Cela ne veut pas dire que je me désintéresse. Je crois à la notion d'équipe. Il y a un bon président à la région, qui est Jean-Claude Gaudin, il y a un bon président au département… Je les aide quand je peux le faire, mais je n'ai pas l'intention de me substituer à eux ni aujourd'hui ni demain.

La Tribune : Pourquoi, néanmoins, en qualité de président du Parti républicain, ne pas être intervenu pour mettre fin à un certain nombre de pratiques locales qui nuisaient fortement à votre famille politique, celle du PR, comme à celle de l'UDF ?

François Léotard : Dès 1986, j'ai fait savoir à des responsables nationaux importants que certaines pratiques étaient condamnables et pouvaient faire l'objet de poursuites judiciaires. Il se trouve que je n'ai pas été entendu. Cela fait dix ans que je mets en garde certains contre des situations que j'estime graves. Je ne suis ni magistrat, ni policier, les journalistes. Je suis élu, j'essaie de faire en sorte que dans les mandats que j'ai reçus, les choses se passent bien. On peut m'en faire le reproche, mais on ne peut s'occuper de tout. Je ne suis pas le président du conseil général et je n'ai pas l'intention de l’être. Mais si j'avais eu l'intention de l’être j'aurais considéré que c'était ma tâche.

La Tribune : Le RPR s’efforce aujourd'hui de conquérir une place plus importante au sein de la majorité. Les affaires et la victoire du Front national à Toulon ont laissé des traces. Comment analysez-vous les relations UDF-RPR dans ce département ?

François Léotard : Je pense qu’elles peuvent être confiantes malgré l'attitude qui a consisté à faire battre Josette Pons, lors des législatives partielles dans la circonscription. Il ne faut pas nous dire à nous, ou à moi, que nous contestons au RPR sa juste place. Ce sont les électeurs qui tranchent et qui la lui contestent, que ce soit dans les Alpes-Maritimes, dans les Bouches-du-Rhône ou dans le Var. J'essaie de faire en sorte que l'UDF soit forte, qu'elle soit la première force politique de la région. Je continuerai dans cet esprit.
Je crois que ce qu'il faudra faire, et je m’y emploi, c'est une concertation préalable sur l'ensemble du département, et si possible sur l'ensemble de la région, pour voir quel est le meilleur candidat à présenter dans chaque circonscription, en prenant en compte les cantonales de 1998, les régionales et les législatives. Il y a suffisamment de consultations pour que chacun trouve sa place. J'y suis tout à fait disposé et je ferai preuve de bonne volonté. À condition, encore une fois, que des comportements comme celui qui a prévalu dans la 6e circonscription du Var ne donne pas prise au sentiment de trahison que nous avons ressenti. Il est bien clair que notre adversaire reste le parti socialiste.

La Tribune : Le Front national gère la ville de Toulon depuis un an. Quel jugement portez-vous sur cette première année de mandat ?

François Léotard : Je crois d’abord que l’on a voulu faire des trois villes conquises par le Front, notamment de Toulon, une vitrine du Front National. C’est plutôt une arrière-cour ! Un simple constat suffit pour parler d’une véritable contre-performance : division de l’équipe municipale, mort d’homme et attitude étonnante de la part de certains élus vis-à-vis de l’opinion. Non seulement la situation de l'ordre public n'a pas changé mais elle s'est aggravée et on ne peut pas dire que les élus soient aujourd'hui en mesure de mériter la confiance qui, à l'époque, leur a été accordée. Je souhaite que les Français s'en rendent compte. Il ne s'agit pas de mettre les Toulonnais en situation de quarantaine mais de regarder précisément ce que fait le front lorsqu'il a des responsabilités. La dépense publique, et donc la dette, ont été considérablement augmentées. La division de l'équipe municipale est réelle et l'état de l'opinion toulonnaise est particulièrement préoccupant. Je ne vois donc pas en quoi cette victoire du Front national en juin dernier peut être considérée comme une victoire. C'est plutôt pour les amis de M. Le Pen une vraie défaite de gestion.

La Tribune : Le département doit faire face à une très forte croissance démographique en raison des flux migratoires. Une population nouvelle, à la recherche d'emploi, qui vient se greffer essentiellement dans l'aire toulonnaise. Comment relever ce défi ?

François Léotard : Je suis un libéral, et je considère que les actions menées aujourd'hui sur fonds publics sont soit souvent inefficaces, soit dangereuses pour l'économie générale du pays car elles ont recours à l'impôt. Je préfère une autre approche. Est-ce qu'il y a des acteurs, à l'intérieur du département du Var, et autour de lui, décentralisés, qui acceptent de s'immerger dans une perspective forte de développement économique ? De nombreuses opérations sont en train de voir le jour dans le département grâce à des opérateurs privés. Je ne suis pas certain qu'il faille à tout prix les administrer, au sens où on l'entend habituellement, c'est-à-dire mettre derrière eux des fonctionnaires, des subventions, des autorisations.

Nous avons en effet cette pression que vous évoquez, de l'ordre de 15 000 personnes supplémentaires par an en dehors du développement démographique. C'est un vrai problème puisque ces personnes-là, quel que soit leur âge, sont convaincues que le soleil va les aider dans leur vie professionnelle. Jamais un climat n'a favorisé le développement de l'emploi. Parmi ces 15 000 personnes, une partie d'entre elles sont des jeunes actifs et il est très difficile de leur trouver du travail quand ils n’en ont pas eu ailleurs, en Bretagne, en Alsace ou dans le Nord. Voilà la perspective. Il n’y a pas un seul acteur qui gère le département, il y a une multitude d’acteurs que sont les maires, la chambre de commerce et d’industrie, les entreprises privées… Le problème est d’assurer leur synergie plutôt que de se substituer à eux.