Texte intégral
France 2 : mercredi 27 mars 1996
R. Roche : Un maire communiste a été élu, dimanche dernier, à Sète : le Front national s'en est réjoui puisque vous aviez appelé à faire battre le candidat de la majorité et vous appelez de la même façon à faire battre la candidate de la majorité dans une législative partielle dans l'Orne dimanche prochain. Quel est l'objectif de cette nouvelle stratégie définie par J.-M. Le Pen ?
B. Mégret : Nous ne nous réjouissons pas de l'élection d'un communiste ou d'un socialiste. Nous les combattons aussi. Nous entendons sanctionner les candidats RPR-UDF pour deux raisons : la première, c'est que ce pouvoir trahit, à peine élu, à peine en place, ses engagements électoraux. On nous avait annoncé moins de chômage et il y en a plus. Moins d'impôts et ils ont augmenté de façon spectaculaire. La fin de la pensée unique et la dictature du politiquement correct. Bref, aucun changement avec le socialisme. Ensuite, on a l'impression que Chirac admire tellement Mitterrand qu'il applique le célèbre slogan : « Mitterrand l'a rêvé, Chirac le fait ». Le FN, lui, est clairement dans l'opposition au pouvoir en place.
R. Roche : L'avertissement que vous adressez au Gouvernement est de quel type ? Que voulez-vous en obtenir ?
B. Mégret : Nous ne voulons plus ce déni de démocratie qui fait qu'il y a maintenant 15 % de Français, ceux qui se reconnaissent dans le FN, qui sont privés de leur droit de représentation à l'Assemblée. Et nous voulons, dans la perspective des élections de 1998, un changement de mode électoral. Ce dernier est totalement illégitime puisqu'il établit, en fait, deux catégories de citoyens : ceux qui ont le droit d'être représentés à l'Assemblée et les sous-citoyens qui sont privés de ce droit fondamental. Ça ne peut plus durer.
R. Roche : J.-F. Mancel dit que vous voulez « ramener les socialistes au pouvoir ».
B. Mégret : Je constate d'abord que ce sont le RPR et l'UDF qui ont nommément et systématiquement appelé à voter pour un candidat socialiste ou communiste chaque fois que, dans les élections précédentes, un FN était sur le point de gagner. Je suis bien placé pour le savoir à Vitrolles ou dans les Bouches-du-Rhône.
R. Roche : Ne risquez-vous pas de jeter le trouble dans votre électorat qui a été mis à contribution pour faire élire des candidats de gauche ?
B. Mégret : Pour l'instant le problème c'est que le RPR et l'UDF pratiquent une politique socialiste, ils font du mitterrandisme sans Mitterrand, c'est encore pire !
R. Roche : Vous ne profitez pas un peu de la faiblesse relative du Gouvernement même s'il dit que « le printemps est arrivé » car la gauche gagne aussi du terrain, même sans vous ?
B. Mégret : La faiblesse du Gouvernement, c'est à lui qu'il doit s'en prendre. Je pense que cette faiblesse est liée au fait qu'ils ne résolvent aucun problème, et que dès qu'un événement survient, on voit le décalage qu'il y a entre la politique qu'ils préconisent et l'action qu'ils mènent. En matière d'immigration, tout le monde est soi-disant d'accord pour l'expulsion des clandestins ; il y a des clandestins qui se manifestent, qui se déclarent à Paris, et au lieu de les expulser, ils sont relâchés.
R. Roche : Il y a des procédures en cours.
B. Mégret : Oui et c'est bien long.
R. Roche : Les chefs d'État et de Gouvernement se réunissent vendredi, à Turin, pour jeter les bases d'une révision d'un aménagement du traité de Maastricht. Vous aussi vous êtes pour une révision du traité mais pas du tout dans le même sens.
B. Mégret : Nous voulons que soit saisie l'occasion de cette conférence intergouvernementale pour réviser les traités européens car actuellement, c'est la pagaille, la confusion, l'ambiguïté. Et surtout c'est une Europe qui détruit les nations et qui soumet l'Europe à la domination américaine et à toutes les pressions commerciales extérieures. Nous voulons une Europe qui respecte les nations. Quelques idées : réinscrire la souveraineté des nations dans le traité, supériorité du droit français sur le droit communautaire, droit de sécession à savoir, pouvoir quitter l'Union si on le souhaite, l'Europe à la carte, la décision à l'unanimité et la hiérarchie des préférences, la priorité nationale et ensuite la préférence européenne. Enfin un fonctionnement clair : le Conseil des ministres décide, la Commission exécute, et le Parlement européen peut être simplement consulté.
R. Roche : Comment jugez-vous de l'usage et du fonctionnement de l'Europe à la lumière de la crise de « la vache folle » ?
B. Mégret : Je constate que dans cette affaire, le FN, une fois de plus, voit ses thèses confirmées par les événements : les frontières sont nécessaires ! On a bien besoin de celles-ci pour empêcher l'importation de viande bovine sur le territoire français.
R. Roche : On parle plutôt de cordon sanitaire que de frontières.
B. Mégret : Oui mais c'est une frontière sanitaire et on voit bien à quel point les frontières ne sont pas néfastes comme on nous le disait, mais sont au contraire des instruments bénéfiques et nécessaires de protection. Je vois même qu'on est en train de rétablir un label « produit en France » qui était l'une des cinquante propositions en matière de préférence nationale, que j'avais proposée il y a quelques années.
R. Roche : L'élargissement de l'Europe, de quinze actuellement à une trentaine peut-être à l'horizon 2000-2010, vous y êtes favorable ?
B. Mégret : Si on refonde l'Europe sur la notion d'une confédération de nations souveraines qui coopèrent entre elles librement, nous sommes pour l'élargissement de l'Europe à tous les pays européens, mais aux seuls pays européens. Nous ne voulons pas de la Turquie qui n'est pas un pays européen. Nous voulons un référendum pour ce nouveau traité de Maastricht.
RTL : jeudi 28 mars 1996
M. Cotta : Le Front national s'est-il engagé dans une guérilla active contre le Président et le Gouvernement ?
B. Mégret : Oui, nous ne faisons pas cela pour faire élire des candidats de gauche. Nous combattons la gauche, les socialistes comme les communistes. Nous sommes mêmes en flèche dans ce combat comme nous l'avons été dans le passé.
M. Cotta : Cela ne s'est pas vu à Sète, non ?
B. Mégret : Mais ce n'est pas le Parti socialiste ou le Parti communiste qui est au pouvoir aujourd'hui. C'est le RPR et l'UDF et de ce point de vue-là, en effet, nous engageons la bataille contre ce pouvoir car il se révèle incapable de mener une politique de changement par rapport au socialisme. J. Chirac, A. Juppé sont en place depuis maintenant un certain nombre de mois et rien n'a changé. On nous avait annoncé la baisse du chômage, le chômage a augmenté.
M. Cotta : J.-M. Le Pen n'a-t-il pas dit : « J. Chirac, c'est L. Jospin en pire » ?
B. Mégret : J'ai le sentiment, s'agissant d'A. Juppé par exemple, que sa politique était la même que celle que pratiquait, il y a quelques années, L. Fabius. C'est le même produit, c'est le même emballage, il n'y a que l'étiquette qui change. Et quant à J. Chirac, on a l'impression qu'il admire tellement F. Mitterrand qu'il pratique le slogan : « Mitterrand l'a rêvé, Chirac le fait ».
M. Cotta : Lorsque le bureau politique du Front national dit qu'il sanctionnera systématiquement les élus UDF-RPR si, je cite le communiqué, « le pouvoir en place maintient l'ostracisme et les attaques anti-démocratiques dont il se rend coupable à l'égard du FN », que demandez-vous lorsque vous demandez que l'on vous traite autrement ?
B. Mégret : C'est la deuxième raison de la décision que nous avons prise. Il s'agit de faire en sorte que les Français qui se reconnaissent dans le Front national, qui sont maintenant plus de 15 %, puissent enfin être représentés à l'Assemblée national puissent jouir d'un droit légitime à être représentés dans les institutions de la République. Actuellement, c'est un véritable déni de démocratie et c'est le RPR et l'UDF qui en sont responsables.
M. Cotta : Vous demandez le retour au scrutin proportionnel n'est-ce pas ?
B. Mégret : Il faut absolument changer ce mode de scrutin puisque ce dernier est aujourd'hui totalement illégitime puisqu'il empêche une juste représentation du peuple français dans les institutions. Cela ne peut plus durer.
M. Cotta : Vous avez pris le parti de faire une démonstration et de préférer faire élire un candidat de gauche que le candidat de la majorité. Pensez-vous que ce slogan valable pour des élections partielles, peut être recommandé pour des élections générales ?
B. Mégret : Je pense que l'on ne peut pas écarter cette perspective. Actuellement, ce qu'il faut bien voir, c'est que ce n'est pas nous qui faisons le jeu de la gauche. C'est le pouvoir qui fait la politique de la gauche. Il le fait tellement, qu'actuellement, dans un certain nombre de conseils régionaux, comme en région PACA, que je connais bien puisque c'est ma région, le pouvoir RPR-UDF fait passer son budget en complicité avec les socialistes. Dans les élections passées, le RPR et l'UDF ont fait voter pour des candidats de gauche communistes ou socialistes pour empêcher le Front national de passer. Ils ont même renoncé à conquérir le conseil général des Bouches-du-Rhône pour ne pas avoir de conseillers généraux du Front national.
M. Cotta : Avouez que c'est un paradoxe de préférer faire élire un candidat communiste pour sanctionner un pouvoir dont vous dites qu'il est à gauche ?
B. Mégret : Je dirais que c'est en ce sens que J.-M. Le Pen expliquait qu'à bien des égards, le RPR et l'UDF sont d'une certaine façon pires que le PS puisqu'ils font une politique de gauche sans le dire ouvertement.
M. Cotta : Et si la gauche gagnait en 1998, y compris à votre détriment ?
B. Mégret : Nous considérons qu'il faut sortir de ce dilemme, que les Français doivent comprendre que la solution ne viendra pas en une pseudo-alternance PS, PC, RPR, UDF ; cela ne marche pas pour les uns, on repasse aux autres. Il y a une solution alternative qui correspond à un vrai changement, c'est la solution du Front national.
M. Cotta : Vous pensez que le Front national est à lui seul une solution alternative ?
B. Mégret : Je pense que le Front national peut être le noyau dur d'un pôle alternatif. Je crois que ceux, qui au sein du RPR et de l'UDF par exemple, se rendent bien compte qu'ils sont dans l'impasse, devraient en tenir compte et se tourner vers nous.
M. Cotta : Vous demandez à la majorité actuelle autre chose que la représentation proportionnelle ? Quel autre acte attendez-vous de la majorité pour renoncer à votre mot d'ordre de boycottage ?
B. Mégret : C'est la principale chose que nous demandons. Pour le reste, ce que nous demandons mais nous savons que nous l'obtiendrons pas car ce serait un changement de politique, ce serait de prendre réellement en compte les aspirations des Français, d'honorer les promesses de J. Chirac. Il nous avait dit moins d'impôts, les impôts ont augmenté alors qu'il serait temps de les baisser. On nous avait qu'il n'y aurait plus de pensée unique or c'est la politiquement correcte qui triomphe, il serait temps de rétablir un peu de liberté dans notre pays. Bref tout cela nécessiterait un vrai changement que seul le Front national peut apporter.
M. Cotta : Vous avez dit que vous désiriez acquérir un pilier de crédibilité sur le terrain économique et social, dans quels domaines ?
B. Mégret : C'est justement dans la perspective d'incarner ce pôle d'alternative parce que les socialistes sont discrédités sur le plan social et le RPR et l'UDF sont discrédités sur le plan économique. Nous voulons montrer que le Front national est le mieux placé pour faire baisser les impôts, par exemple. C'est ce que nous avons tenté d'obtenir dans les tous conseils régionaux et municipaux où nous sommes présents ; c'est ce que font les maires du Front national puisqu'à Marignane, les impôts ont baissé, à Orange, ils n'ont pas augmenté. En moyenne, on augmente beaucoup moins – puisque c'est vrai Toulon augmente légèrement – infiniment moins que la moyenne des autres villes.
M. Cotta : Pensez-vous qu'il faille durcir les lois Pasqua sur l'immigration clandestine ?
B. Mégret : Il faut changer de politique. On a actuellement, une politique d'intégration des immigrés : il faut une politique de retour des immigrés. On voit avec cette affaire des Africains expulsés, enfin évacués de l'église Saint-Ambroise, quel décalage il y a entre le discours du Gouvernement et la réalité des choses. On nous dit les immigrés clandestins doivent être expulsés et lorsque des immigrés ouvertement clandestins défient la République, on est incapable de les renvoyer chez eux.
M. Cotta : Demandez-vous l'augmentation du délai de rétention ?
B. Mégret : Nous demandons le rétablissement de l'expulsion par décision administrative, ce qui n'empêche pas des recours juridictionnels mais qui ne doivent pas être suspensifs.
M. Cotta : Vous ne rendez pas hommage de ce point de vue au ministre de l'Intérieur qui, lui, fait plusieurs charters depuis qu'il est là ?
B. Mégret : Plusieurs charters ... On a constaté que les chiffres d'expulsion effectives sont inférieurs à ceux de l'année dernière et que le taux d'application des décisions de justice en matière d'expulsion est de 22 % c'est-à-dire qu'il y quatre expulsions sur cinq qui ne sont pas concrétisées.