Texte intégral
Date : jeudi 8 mai 1997
Source : RTL
O. Mazerolle : Le 8 mai est une date historique. Il est important de la célébrer ?
A. Laguiller : Écoutez, moi je ne participerai pas à toutes ces cérémonies commémoratives parce que je ne sais pas, exactement, quelle victoire on fête. Je pense qu'on est toujours dans une société d'injustice où les risques de guerre existent toujours.
O. Mazerolle : Cette campagne électorale a commencé maintenant depuis un peu plus de deux semaines. Elle répond à votre attente ?
A. Laguiller : Quand on entend M. Chirac parler d'élan partagé, on se demande de quel partage il s'agit. Parce que le partage, on le connaît : c'est, d'un côté, pour les travailleurs, pour les couches populaires, les sacrifices et, d'un autre côté, pour le patronat, pour les financiers, pour les propriétaires des grandes entreprises industrielles et commerciales, la richesse et les profits.
O. Mazerolle : Vous ne croyez pas, comme le dit le Président de la République et comme le dit la majorité, qu'il faut une prospérité pour avoir de la solidarité à partager ?
A. Laguiller : Le problème, c'est que cette richesse n'est pas du tout partagée. Moi, j'avais dit dans ma campagne électorale en 1995 pour les présidentielles, qu'il suffirait de prendre la moitié des bénéfices des grandes entreprises et qu'on pourrait immédiatement créer 5 millions d'emplois payés 8 000 francs par mois. Là, ce serait un vrai partage.
O. Mazerolle : Mais l'investissement, n'est pas créateur d'emplois à vos yeux ?
A. Laguiller : Il n'y a pas d'investissement justement Vous savez très bien que tous ces bénéfices des grandes entreprises ne sont pas réinvestis dans la production. Vous savez très bien que cela sert à alimenter des circuits financiers, des circuits spéculatifs et à alimenter les coffres-forts de la bourgeoisie et sa richesse, et pas du tout à créer des emplois.
O. Mazerolle : Il y a aussi beaucoup de petites entreprises qui, elles, créent des emplois ?
A. Laguiller : Vous savez, on parle toujours des petites entreprises pour justifier les bénéfices et les profits des grandes entreprises. Alors, les petites entreprises qui créent des emplois, c'est bien, celle qui dit qu'elle n'y arrive pas, c'est comme les grandes entreprises. Moi, ce que je demande, et ce dont je parle dans cette campagne, c'est un contrôle des travailleurs et de la population sur toutes les comptabilités des entreprises pour voir où vont les profits qui sont gagnés à la sueur des travailleurs.
O. Mazerolle : Pourquoi ? Vous ne voulez pas vous intégrer d'une certaine façon à une campagne de la gauche ?
A. Laguiller : Aujourd'hui, la gauche n'a pas plus de programme que la droite en ce qui concerne le chômage. Parce qu'avoir un programme pour en finir avec le chômage aujourd'hui, cela veut dire puiser dans les caisses du patronat, puiser dans les richesses de la bourgeoisie pour créer tout de suite les cinq millions d'emplois qui manquent.
O. Mazerolle : C'est ce que dit aussi le parti communiste ?
A. Laguiller : Le parti communiste dit, peut-être, qu'il faut se servir de l'argent et R. Hue a un programme un peu différent de celui du parti socialiste qui comporte quelques mesures en faveur des travailleurs. Mais ce programme, il est prêt à l'abandonner au soir du premier tour pour pouvoir entrer dans un gouvernement où c'est Jospin qui dictera, de toute façon, sa conduite et où c'est le programme du parti socialiste qui sera appliqué. Ce programme prévoit les mêmes choses que la droite. La droite nous dit : on va continuer à baisser les charges sociales du patronat ; et la gauche nous dit : nous, on va donner des primes au patronat. Cette politique, depuis 20 ans qu'on donne des milliards au patronat, pour l'inciter à créer des emplois, ne crée pas d'emplois. Alors, il vaudrait mieux que l'État économise cet argent et crée avec cet argent des emplois qui manquent dans tous les services publics aujourd'hui, parce que, justement, M. Chirac s'attaque au service public. Il a tort. Le service public doit être au service de la population et pour être bien au service de la population, que ce soit dans les hôpitaux, les transports en commun, à la Poste ou ailleurs, il faudrait aujourd'hui embaucher au lieu de supprimer des emplois.
O. Mazerolle : Les emplois d'État, dans beaucoup de pays, on a vu que cela ne réussissait pas.
A. Laguiller : Où cela ?
O. Mazerolle : En URSS, par exemple.
A. Laguiller : Actuellement, il y a dans ces pays qui composaient l'ex-URSS, des millions de chômeurs qu'il n'y avait pas auparavant. Je ne dis pas que l'URSS était un paradis, mais en ce qui concerne l'emploi, je crois que vous visez mal.
O. Mazerolle : Imaginons un moment : vous êtes ministre du travail. Qu'est-ce que vous faites ?
A. Laguiller : Je vous le dis, je demande au gouvernement d'arrêter immédiatement toutes les aides au patronat et de créer tout de suite des centaines de milliers d'emplois. C'est possible du jour au lendemain. Ce sont des centaines de milliards, ces aides depuis 20 ans.
O. Mazerolle : Vous bloquez les comptes des entreprises ? Comment cela se passe ?
A. Laguiller : Je fais en sorte que l'État cesse de s'endetter pour donner de l'argent aux entreprises parce qu'il est de bon ton, aujourd'hui, de parler de déficit public. C'est vrai que quand l'État a un déficit public, cela veut dire des milliards qu'il rembourse aux banques, qu'il rembourse aux propriétaires des emprunts qu'il a dû faire pour éponger le déficit public. On peut parler de fracture sociale, comme le fait M. Chirac, mais cette fracture sociale est due à ce que je viens de décrire. Cette fracture sociale va aboutir à une explosion sociale parce que je crois que cela n'est plus possible : les travailleurs, les petites gens, les pauvres n'acceptent pas la situation qui leur est faite dans l'un des pays le plus riches du monde où l'on voit resurgir la misère à l'aube du XXIe siècle.
O. Mazerolle : Vous qui sortez depuis peu de temps, d'ailleurs, du Crédit Lyonnais, puisque maintenant vous êtes en préretraite...
A. Laguiller : Depuis un mois, oui.
O. Mazerolle : ... Vous savez ce que c'est que l'État actionnaire. Cela a donné lieu à des pertes financières énormes.
A. Laguiller : Parce qu'il faut un contrôle des travailleurs et de la population y compris sur les entreprises publiques, pas seulement sur les entreprises privées. Il aurait fallu pour les employés du Crédit Lyonnais la levée du secret professionnel, du secret bancaire, du secret commercial. Et peut-être que, là, on se serait aperçu plus vite que les directions successives du Crédit Lyonnais, aidées par les gouvernants, étaient en train d'amener le Crédit Lyonnais à la catastrophe.
O. Mazerolle : Vous n'êtes pas du tout candidate à un gouvernement de gauche ?
A. Laguiller : Pour l’instant, je suis candidate à la députation. Je me présente dans la sixième circonscription de Seine-Saint-Denis. Lutte ouvrière présente des candidats dans 321 circonscriptions, dont 38 % de femmes et croyez-moi, si nous avions plus de voix que ce que j'ai fait en 1995, c'est-à-dire beaucoup plus que les 1,6 millions voix, cela ferait une pression de gauche qui ferait peur au patronat, qui ferait peur aux partis qui seront au gouvernement parce que ce serait une pression du point de vue des intérêts des travailleurs, du point de vue des intérêts des classes populaires et pas du point de vue de ceux qui, comme Le Pen, pèsent, avec leurs 15 %, même s'ils n'ont pas de députés, dans le sens d'un démagogie xénophobe et sécuritaire.
O. Mazerolle : Pour vous, Juppé et Jospin, c'est du pareil au même ?
A. Laguiller : Je ne choisirai pas entre Jospin et Juppé : je vous dirais qu'au deuxième tour, on ne choisit pas. On vote plutôt contre quelque chose que pour quelque chose. Mais au premier tour, les travailleurs qui en ont assez de cette situation, les chômeurs qui n'en peuvent plus de plonger dans la misère peuvent donner un avertissement à la bourgeoisie et à tous les grands partis en votant pour les candidats de Lutte ouvrière.
Date : lundi 12 mai 1997
Source : France Inter
A. Ardisson : Vous avez obtenu 5,3 % des suffrages à la dernière élection présidentielle. Et, sauf miracle – je doute que ce mot fasse partie de votre vocabulaire – vous ne devriez pas avoir d'élu à la prochaine Assemblée. Alors, dans ces conditions, quelle signification donner au vote Lutte ouvrière, autrement dit, quelle utilité ?
A. Laguiller : Je peux vous dire en tout cas que, si nous avons des élus dans ces élections, ce seront des élus qui ne voteront aucune des mesures qui pourraient aggraver encore le sort de la classe ouvrière. Le sens de la présentation des 321 candidats et candidates que Lutte ouvrière présente dans ces élections, c'est d'abord de permettre aux travailleurs de dire qu'ils savent que, pendant qu'on aggrave la situation de la classe ouvrière, les plus grandes entreprises de ce pays font d'énormes bénéfices. Les 500 premières entreprises de ce pays ont fait 1 200 milliards de bénéfices en 1996. En prenant simplement le tiers de cet argent, on pourrait immédiatement créer trois millions d'emplois et en finir avec les trois millions de chômeurs officiels, en les payant avec un salaire décent, charges comprises. Voilà, ce que j'ai à dire et ce que personne ne dit. Il n'y a que les candidats de Lutte ouvrière qui diront cela dans cette campagne. Et si, contrairement à vos prédictions pessimistes, nous doublions le 1,6 million de voix que j'avais obtenu en 1995, croyez-moi : cela ferait peur à tout le monde. Cela ferait peur au patronat, aux dirigeants des grands partis de gauche comme de droite, parce que cela prouverait qu'il y a une colère qui monte dans la classe ouvrière.
A. Ardisson : Votre intention, c'est quand même de faire bouger surtout les dirigeants de gauche ?
A. Laguiller : Vous savez, il s'agit, pour les travailleurs aujourd'hui, de donner un avertissement au futur gouvernement, quel qu'il soit, et de dire que la classe ouvrière ne va pas pouvoir supporter de plus en plus de chômage, de plus en plus de précarité. Or, que propose la gauche, comme d'ailleurs le programme de la coalition RPR-UDF ? C'est encore une fois de permettre aux grandes entreprises de ce pays de faire plus de bénéfices en leur donnant, en ce qui concerne la droite, des exonérations de charges sociales, en ce qui concerne le programme du parti socialiste, des aides. Alors que cette politique qui est menée depuis 20 ans ne sert qu'à enrichir le grand patronat et ne crée pas d'emplois puisque le chômage ne cesse pas d'augmenter.
A. Ardisson : Dans votre programme, le point essentiel, c'est la suppression de toutes les aides à l'emploi, et ce pour remédier au chômage. C'est un paradoxe qui mérite d'être expliqué !
A. Laguiller : Il n'y a pas d'aides à l'emploi : il y a une aide au patronat, une aide aux bénéfices. Les bénéfices des entreprises aujourd'hui, c'est le total des aides – soi-disant aides à l'emploi – plus les exonérations d'impôt et toutes les exonérations de charges sociales. Jusqu'à quand va-t-on abaisser le coût du travail ? Le coût du travail a été suffisamment abaissé comme ça ; d'une part, par ces aides et en plus, par le poids du chômage. Aujourd’hui, quand on parle de salaire minimum dans ce pays, cela ne veut plus rien dire. Combien de salariés sont-ils obligés d'accepter des salaires inférieurs au Smic ?
A. Ardisson : J’en conclus que vous ne croyez pas aux créations d'emplois promises par le parti socialiste, même les 350 000 financés sur fonds publics ? C'est pourtant un petit peu la même philosophie : retirer des aides à l'emploi inefficaces pour créer de véritables emplois à la place.
A. Laguiller : Lorsque le programme du parti socialiste parle de création d'emplois, d'incitation vis-à-vis des patrons pour créer 350 000 emplois, c'est de nouveau en leur donnant des aides. Ils les appellent « primes », mais je dis que l'État devrait économiser cet argent.
A. Ardisson : Je parle des emplois publics.
A. Laguiller : Ces aides vont représenter, en 1997, 60 milliards. Avec cela, on pourrait tout de suite embaucher dans tous les services publics, au lieu de supprimer des emplois dans les hôpitaux, dans les transports en commun des grandes villes, à la SNCF, à La Poste. On pourrait tout de suite embaucher des centaines de milliers de travailleurs. Et ce serait bien plus efficace que de distribuer de l'argent à fonds perdus, comme tous les gouvernements ne cessent de le faire.
A. Ardisson : Dans votre hostilité aux programmes en présence, n’y a-t-il pas quand même une échelle de valeur ?
A. Laguiller : Si le parti socialiste, si L. Jospin et R. Hue disaient « nous allons prendre sur les bénéfices des grandes entreprises, sur la richesse de la bourgeoisie pour créer tout de suite 3 millions d'emplois », évidemment que nous appellerions à voter pour eux ! Mais ce n'est pas cela, ce qu'ils veulent faire. Ce qu'ils veulent faire, c'est gérer comme l'Union de la gauche l'a déjà fait, comme la droite le fait de nouveau depuis quatre ans : gérer les affaires de la bourgeoisie au mieux des intérêts du patronat. La classe ouvrière doit se méfier de ses ennemis qu'elle connaît bien, mais elle doit se méfier aussi de ses faux amis. Elle peut le dire et l'exprimer en votant pour les candidats de Lutte ouvrière.
A. Ardisson : Vous ne reviendrez pas, je pense, sur vos non-consignes de désistement entre les deux tours.
A. Laguiller : C'est à eux de changer. La classe ouvrière a assez payé. A la bourgeoisie aujourd'hui de faire les sacrifices ! Depuis 20 ans, c'est le monde du travail, ce sont les travailleurs, ce sont les chômeurs qui font les sacrifices. Prenons sur les bénéfices des entreprises. Salarions les 3 millions de chômeurs. Partageons le travail entre tous. Comme cela, on allégera tout : il n'y aura plus besoin de donner des indemnités de chômage ; les caisses de retraite et les caisses de sécurité sociale auront suffisamment d'argent pour qu'il y ait des retraites correctes pour tous ceux qui ont peiné toute leur vie et pour qu'il y ait une protection sociale digne de cette fin du XXe siècle.
A. Ardisson : Même les travailleurs, lorsqu'ils regardent leur fiche de paye, s'aperçoivent que les charges sociales pèsent très lourd dans le salaire. Pouvez-vous exclure totalement que les charges soient un obstacle à l'emploi ?
A. Laguiller : En tout cas, en ce qui concerne les salariés, ces charges n'ont pas cessé d'augmenter : on a eu l'augmentation de la CSG en 1993 ; on a eu le RDS en 1996. Il est sûr que le niveau de vie des travailleurs baisse forcément. Quand on nous parle de baisse des impôts, on sait très bien que ce type d'impôt existe pour les salariés. Par contre, pour le patronat, on n'a pas cessé de baisser les charges.
Date : jeudi 15 mai 1997
Source : France 2
France 2 : Vous êtes toujours fidèle à vos positions : vous renvoyez les deux programmes économiques, n'est-ce pas ?
A. Laguiller : Je crois que dans les programmes d'A. Juppé et de L. Jospin, il n'y a rien qui puisse en finir avec le drame que vivent des millions de gens aujourd'hui, des millions de personnes, de familles à cause du chômage. Et l'un et l'autre proposent, une nouvelle fois, leurs vieilles recettes qui ont cours depuis vingt ans et qui consistent à donner de l'argent au patronat sous forme d'exonérations sociales, sous forme de subventions, sous forme d'aides, nous dit L. Jospin, pour inciter les patrons à créer des emplois. Et depuis tout le temps que cela dure, il n'y a pas d'emplois créés. Les Français en ont assez de cette situation et ils peuvent le dire en votant pour les candidats de Lutte ouvrière qui, eux, disent qu'il faut prendre sur les énormes profits, les centaines de milliards de profits des plus grandes entreprises de ce pays qui, en plus, ont le culot de supprimer des emplois et de licencier. Et cela, il faudrait justement l'interdire. C'est sur ce programme que se présentent les 321 candidates et candidats de Lutte ouvrière dans cette campagne des législatives.
France 2 : Cela veut dire que les 700 000 emplois proposés ne vous passionnent pas. Cela veut dire quoi ? Au second tour, vous allez laisser les électeurs voter ce qu'ils veulent ? Vous allez les inciter à s'abstenir ?
A. Laguiller : Cela veut dire que même si on créait 700 000 emplois en deux ou trois ans, il y aurait quand même près de quatre millions de personnes avec leurs familles qui restent sur le bord de la route alors que l'on pourrait, tout de suite, en prenant les deux tiers du profit des grandes entreprises, créer trois millions d'emplois payés un salaire correct, charges comprises et répartir le temps de travail entre tous. Comme aucun des deux camps ne propose cette politique, eh bien, je ne donnerai pas de consignes de vote.
Date : lundi 19 mai 1997
Source : RMC / Edition du matin
P. Lapousterle : À chaque campagne électorale, présidentielle ou législative, on vous voit réapparaître. Je voulais juste vous demander si c'est toujours avec la même énergie que vous entamez ces périodes électorales ?
A. Laguiller : C'est avec la même énergie que je milite tous les jours et je ne voudrais pas être absente des campagnes électorales, alors que c'est régulièrement que je mène mon combat politique. Ce serait quand même un peu ennuyeux de ne pas être présente quand les électeurs s'intéressent d'un peu plus près aux idées justement.
P. Lapousterle : Entre les périodes électorales que faites-vous ?
A. Laguiller : Comme tous mes camarades, nous militons dans les entreprises, dans les quartiers où nous habitons pour défendre le programme et les intérêts des travailleurs et des chômeurs.
P. Lapousterle : Vous n'avez jamais été tentée, depuis le début de votre longue carrière politique, de laisser tomber et de vous intéresser à autre chose ?
A. Laguiller : Si je suis en train d'abandonner quelque chose c'est mon entreprise, puisque que j'ai décidé de me mettre en préretraite depuis un mois, justement pour me consacrer encore plus à la politique et encore plus au développement de mon organisation, Lutte ouvrière, dans l'espoir d'en faire un vrai parti qui soit réellement implanté à l'échelle nationale.
P. Lapousterle : Tout le monde sait votre méfiance vis-à-vis des grands groupes politiques qui dirigent ce pays en alternance depuis quelques années. L. Jospin a dit : il faut lutter contre le scepticisme. Est-ce que vous approuvez cette phrase ?
A. Laguiller : Pour lutter contre le scepticisme il faudrait avoir au parti socialiste un programme beaucoup moins flou que celui qui est présenté aujourd'hui par L. Jospin et qui ressemble finalement comme un frère jumeau à celui d'A. Juppé. Parce qu'en ce qui concerne la catastrophe qui existe dans ce pays, à savoir le chômage ce sont trois millions de chômeurs officiels sans compter tous ceux qui ne vivent que d'allocations ou de travaux précaires, pour réellement changer quelque chose, il faudrait un programme qui ait réellement pour but de faire payer les riches, de prendre sur les profits du grand patronat pour créer des emplois. Or, ce que nous proposent Jospin ou Juppé, c'est une nouvelle fois de donner des aides au patronat. L. Jospin dit des aides et Juppé dit exonération de charges sociales. Dans les deux cas, cela revient encore à donner des milliards au patronat, ce qu'il fait depuis 20 ans et ce qui ne crée pas d'emplois. Le patronat empoche l'argent, il ne crée pas d'emplois nouveaux et les grandes entreprises de ce pays affichent des bénéfices sans cesse en hausse. Nous, nous disons : cela suffit, les travailleurs ont assez fait de sacrifices depuis 20 ans, aujourd'hui il faut déplacer les sacrifices, c'est à la bourgeoisie, c'est au grand patronat de payer.
P. Lapousterle : Vous savez bien qu'il y a certaines entreprises qui ferment parce qu'il n’y a pas de marché et qu'elles ne peuvent pas subvenir à leurs besoins ? Vous le savez, quand même ? Beaucoup de chômeurs sont chômeurs après la fermeture de leur entreprise.
A. Laguiller : Quand Schweitzer décide, pour Renault, de fermer l'usine de Vilvorde, dans le même temps, on impose aux travailleurs de Douai, des équipes supplémentaires, des horaires en hausse continuelle, des heures supplémentaires. Alors, en réalité, le problème n'est pas là. Il est de partager le travail. Mais pour payer ces salariés entre qui on partagerait le travail - ce qui allégerait d'autant les cadences et la peine de ceux qui sont au travail aujourd'hui - il faut avoir de l'argent pour le faire. Cet argent, on peut le prendre sur les bénéfices des grandes entreprises. Vous savez, on évalue aujourd'hui les bénéfices des grandes entreprises de ce pays - je ne parle pas des petites entreprises en faillite - entre 1 200 et 1 600 milliards. Il suffirait d'à peine la moitié de ces bénéfices pour salarier tout de suite trois millions de chômeurs et partager le travail entre tout le monde.
P. Lapousterle : Vous reprenez une formule célèbre de J. Duclos : L. Jospin et A. Juppé, c'est blanc bonnet et bonnet blanc ?
A. Laguiller : Oui, d'autres ont dit quelquefois la peste ou le choléra.
P. Lapousterle : Sérieusement, vous le pensez cela ?
A. Laguiller : Mais je pense réellement que les deux ont le même programme. Je sais lire comme tout le monde, il n'y pas une seule mesure présentée par Jospin qui va dans le sens des intérêts des travailleurs. Même ce que dit le PC : 1 000 francs d'augmentation du Smic, Jospin n'en veut pas. Il dit qu'il faudra une conférence nationale sur les salaires pour discuter tous les ans des salaires. Mais d'où il sort ? Il ne sait pas que cela se fait tous les ans dans les entreprises et que les patrons disent non. Alors, il faut qu'on soit soumis au bon vouloir du patronat ? Et pour les salaires et pour la diminution du temps de travail, même si c'est un gouvernement qui se dit de gauche ? Effectivement, au deuxième tour on n'aura pas le choix.
P. Lapousterle : Quand vous entendez L. Jospin reconnaître les erreurs de la période Mitterrand, quand vous entendez R. Hue qui veut allez plus à gauche que le programme de L. Jospin, vous pensez que tout cela, ce sont des paroles qui ne changent rien sur le fond ?
A. Laguiller : Il ne s'agit pas d'erreur de la part du parti socialiste, il s'agit que le parti socialiste n'est plus socialiste. Il a décidé d'être admis à gérer les affaires de la bourgeoisie au gouvernement. Bien sûr que le parti communiste a des revendications aujourd'hui qui pourraient améliorer le sort des travailleurs. Quand il parle d'une augmentation de 1 000 francs du Smic, c'est sûr que ce serait bon à prendre si c'était appliqué dans le monde du travail. Mais ce programme, R. Hue va l'abandonner au soir du premier tour pour avoir des ministres dans un gouvernement de gauche qui va mener la même politique que la droite.
P. Lapousterle : Vous pensez vraiment qu'on pourrait résoudre le problème du chômage rapidement en France ? Vous pensez que c'est une réelle possibilité, alors que dans les autres pays d'Europe tout cela se révèle très difficile ?
A. Laguiller : Je crois qu'il faut que, dans les autres pays d'Europe, il y ait des révolutionnaires, il y ait une extrême gauche pour justement dire : voilà où cela ne va pas, ce qui ne va pas depuis 20 ans. C'est sûr qu'il y a une crise et qu'il y a une stagnation de la production, mais justement, dans une période comme cela, tous les grands groupes capitalistes font des profits, tous les bourgeois - quelques dizaines de milliers dans ce pays, ou ailleurs en Europe - améliorent leur fortune. J'espère que, dans toute l'Europe, il y ait des militants comme nous pour dire cela. Nous avons une occasion comme ces élections, qui ont été anticipées, pour dire cela et pour dire aux travailleurs : faites au moins un geste utile pour vous-même en votant pour ce programme de défense des intérêts du travailleur. Parce que c'est la seule façon de faire pression sur le patronat, sur le futur gouvernement quel qu'il soit, qu'il continue à être de droite ou qu'il soit, soi-disant, de gauche. C'est la seule façon de voter à l'extrême-gauche, c'est le geste que nous demandons aux travailleurs de faire.
P. Lapousterle : Taxer les riches, c'est possible, à votre avis, quand l'argent peut disparaître de France en une journée par un télex et partir à l'étranger ? Est-ce vraiment possible d'imaginer de taxer le capital ?
A. Laguiller : Les virements d'argent se font par télex, par ordinateur. Il y a bien des travailleurs derrière ces télex et ces ordinateurs. Dans le cas d'une mobilisation des classes ouvrières, on pourrait empêcher ces déplacements, de capitaux. Je sais qu'il est de bon ton de dire aux travailleurs qu'ils doivent être pour l'intérêt national. Mais on n'impose jamais aux patrons de laisser leur argent dans le pays. Si on n'arrivait pas à empêcher l'argent de partir, on garderait quand même leurs usines, leurs châteaux. On les ferait fonctionner nous-mêmes.
P. Lapousterle : Quand Blondel disait hier qu'il prévoyait des mouvements sociaux importants dans les semaines qui viennent. Vous pensez qu'il a raison ?
A. Laguiller : Je le souhaite. Je crois que le courant qui pourrait se porter sur Lutte ouvrière dans ces élections sera suffisamment important pour redonner courage, justement, aux travailleurs qui sont démoralisés, qui sont le dos au mur et qui sentent bien qu'ils sont les seuls sacrifiés de la crise.
P. Lapousterle : Si jamais le 1er juin au soir, la majorité était reconduite et que, le lendemain, le Président de la République renommait A. Juppé comme Premier ministre, quel serait votre pronostic ?
A. Laguiller : Vous savez, que cela soit Juppé ou un autre, la politique qui sera menée sera une politique qui sera favorable au patronat et donc, pour les travailleurs, la seule solution sera de se battre. Simplement, j'espère qu'un courant se sera exprimé, plus important que le 1,6 million de personnes qui avaient voté pour ce programme par le biais de ma candidature en 1995 et qu'ainsi, cela redonnera confiance à la classe ouvrière dans ses luttes.