Texte intégral
Date : Mercredi 4 juin 1997
Source : France 2
France 2 – G. Leclerc : Huit députés écologistes à l'Assemblée : pour quoi faire ?
Y. Cochet : Pour changer la politique, à la fois le style et le fond. Donc nous ferons des propositions sur tous les domaines qui nous intéressent, qui intéressent tous les Français, aussi bien dans le domaine social, le chômage, l'emploi, les salaires que dans le domaine plus proprement traditionnel aux écolos, c'est-à-dire l'environnement au sens large, la politique de la ville, l'aménagement du territoire, l'agriculture, les transports.
G. Leclerc : Il y aura au moins un ministre écologiste au gouvernement. Quel poste visez-vous ? Ce ne serait pas forcément l'environnement ?
Y. Cochet : Si, on a réfléchi ensemble, à la fin de notre conseil national, et on en a discuté avec les socialistes, et singulièrement avec L. Jospin : il est normal que l'on puisse prendre l'environnement mais en un sens élargi. J'appellerais ça « l'écologie urbaine et rurale » ou « environnement-aménagement du territoire-ville », enfin, toutes les choses qui vont bien ensemble. Si l'on ne prend que l'environnement-petites fleurs-petits oiseaux, ça ne va pas. Il faut élargir le concept pour avoir une meilleure politique.
G. Leclerc : Autre chose qui peut surprendre, on dit que ce ne serait pas l'un des huit élus. Pourquoi se priver des gens qui ont le plus d'expérience ?
Y. Cochet : On réfléchit et surtout L. Jospin ; rien n'est décidé encore. Donc, ça se saura dans la matinée ou l'après-midi puisque le Gouvernement – au moins dans sa composition ministérielle, je ne parle pas des secrétariats d'État – sera décidé cet après-midi. On y réfléchit. Il y a des avantages et des inconvénients. L'inconvénient, c'est que l'on est huit députés : donc, si l'on en enlève un, ça ne fait plus que sept. On a des suppléants socialistes, donc c'est un socialiste qui deviendrait député. Mais ce ne sont pas ces petites considérations arithmétiques qui vont nous faire réfléchir, c'est plus les capacités et la possibilité de représenter les Verts et l'écologie politique.
G. Leclerc : Donc ça pourra être l'un des élus ?
Y. Cochet : Ça pourrait.
G. Leclerc : Vous avez dit « ministre de l'environnement », vous êtes également candidat à un secrétariat d'État ?
Y. Cochet : Certainement, on l'a évoqué avec L. Jospin. On a beaucoup de propositions en matière sociale. Nous pensons, à côté de cet environnement élargi, à un secrétariat d'État dans le domaine social pour ce que l'on appelle l'économie solidaire. C'est-à-dire comment faire pour que ce qui n'est ni public, ni privé au point de vue emploi et qui n'est pas dans le secteur concurrentiel mais qui concerne les emplois de proximité, tout ce qui concerne les emplois précaires de type associatif mais avec un statut mal défini, puisse devenir un vrai travail. On pourrait dire activer les dépenses passives du chômage avec un vrai statut, un vrai travail mais qui serait subventionné.
G. Leclerc : Quelles seraient les mesures prioritaires, symboliques, à prendre tout de suite ?
Y. Cochet : Ce ne sont pas des mesures symboliques mais réelles. Évidemment, comme l'emploi est le problème numéro un en France, il y aura, dès les semaines qui viennent, avant la fin juillet, une conférence nationale sur l'emploi, sur la réduction du temps de travail et sur les salaires, où l'on définira cette loi-cadre sur les 35 heures qui doit ensuite permettre à tous les partenaires sociaux de discuter pour voir l'application de manière souple, dans chaque branche, dans chaque entreprise. Mais l'objectif doit tout de suite être proclamé par une loi-cadre qui sera évidemment votée par l'assemblée. Et puis, d'autre part, il doit y avoir des mesures plus proprement symboliques mais qui donnent une orientation ou une réorientation de certaines politiques. Je pense, en matière d'environnement et d'aménagement du territoire, à l'abandon du projet de canal Rhin-Rhône. Je pense également à l'abandon de Superphénix, cette usine nucléaire qui est la plus dangereuse du monde. Et je pense à l'extension de l'aéroport de Roissy.
G. Leclerc : Est-ce que ça ne risque pas, justement, de poser des problèmes ? Parce qu'au nom de l'environnement, vous demandez l'arrêt de l'extension de Roissy, le gel des constructions de centrales nucléaires : il va y avoir de vrais problèmes au gouvernement.
Y. Cochet : Non, il n'y a pas de problèmes gouvernementaux au sens où nous avons des textes communs, par exemple avec le PS, qui datent depuis plusieurs mois et qui indiquent très clairement ces mesures et ces orientations, sachant que c'est pour cinq ans et qu'il faut voir ça à moyen terme. Ceci étant dit, on ne pourra pas, évidemment, dès demain matin, commencer à fermer les centrales nucléaires. Ce n'est pas ça, hormis Superphénix. Pour les autres, il faut remettre sur le chantier la politique énergétique de la France et voir de quelle manière on peut la réorienter sur le moyen terme.
G. Leclerc : D'une façon générale, aller au gouvernement, ça veut dire : opter pour un certain réalisme, un certain pragmatisme. Est-ce que vous n'avez pas peur de perdre votre âme ?
Y. Cochet : "Non, on veut faire de la politique pour changer réellement les choses, pour transformer la société. Lorsque l'on veut changer les choses, c'est du réalisme évidemment Ceci étant dit, on veut les changer selon une certaine orientation que nous avons évidemment discutée en commun avec les socialistes, les communistes, le MDC, etc. Donc c'est tous ensemble. J'allais dire pour le meilleur et pour le pire, mais évidemment pour le meilleur vu les attentes de la population qui a quand même donné la décision extrêmement forte qu'il ne fallait pas faire comme la droite, mais comme la gauche et les écolos. II faut maintenant se mettre au travail et le faire.
G. Leclerc : Sur l'Europe, vous avez aussi des positions éloignées des socialistes. On peut trouver un terrain d'entente ?
Y. Cochet : Nous avons, là aussi, des textes communs sur l'Europe, nous sommes européens. Nous ne sommes pas contre la monnaie unique : elle doit être conditionnée, par exemple, au fait que l'Italie et l'Espagne en fassent parti, au fait qu'elle soit contrôlée, que la banque centrale soit contrôlée par ce que l'on peut appeler un gouvernement économique de l'Europe. Tout ceci est tout à fait acceptable, nous sommes pour.
Date : Jeudi 5 juin 1997
Source : RTL
RTL - O. Mazerolle : Vous espériez deux ministres, vous en avez une. Déçu ?
Y. Cochet : Pas du tout puisqu'elle est doublement ministre : aménagement du territoire et environnement, voilà beaucoup de travail pour D. Voynet.
O. Mazerolle : Les ministres qui sont aux postes clefs sont expérimentés et incarnent le « pas tout de suite » de L. Jospin. Là aussi, craignez-vous que certains objectifs ne soient pas réalisés ?
Y. Cochet : Non, d'une part parce qu'il y a des bases programmatiques et politiques pour ce gouvernement qui avaient été conçues entre le Parti socialiste et le Parti communiste d'un côté, le Parti socialiste et les Verts de l'autre. Ce programme donne des indications de politique dans la durée. On a toujours dit, et D. Voynet la première, que ce n'est pas en quarante jours que l'on va bouleverser la France. C'est donc sur une législature, sur cinq ans, qu'aussi bien D. Voynet que l'ensemble du gouvernement pourront réaliser ce programme.
O. Mazerolle : Tout de même, les Verts insistaient beaucoup sur les 35 heures, voire les 32 heures le plus vite possible, sur le RMI accessible aux jeunes à partir de l'âge de 18 ans, alors ?
Y. Cochet : Mais, cela va se faire dans la durée. Je pense qu'il va y avoir bientôt, dans quelques semaines, cette conférence nationale sur les salaires, sur l'emploi, sur la réduction du temps de travail. À ce moment-là sera conçue la loi-cadre sur les 35 heures qui sera débattue au Parlement. Puis, cette loi sera débattue pendant quelques mois par les partenaires sociaux et enfin, mise en œuvre en 1998.
O. Mazerolle : L. Jospin avait parlé d'un délai de deux à trois ans…
Y. Cochet : Nous verrons bien. Nous pousserons en tout cas.
O. Mazerolle : Vous allez pousser au Parlement ?
Y. Cochet : Bien sûr.
O. Mazerolle : Alors justement, les Verts sont des militants. On les a vu auprès des sans-papiers, du DAL. Mais maintenant, vous avez une sorte de respectabilité institutionnelle puisque vous entrez pour la première fois au Parlement, alors allez-vous être respectables ou trublions ?
Y. Cochet : Mais nous sommes et nous serons les deux. Nous n'allons pas changer de nature parce qu'il faut une cravate pour rentrer à l'Assemblée nationale ! Pas du tout !
O. Mazerolle : Vous aurez une cravate ? D'ailleurs, vous en portez une ce matin !
Y. Cochet : C'est un détail sans importante. Ceci étant dit, nous conserverons une base vis-à-vis de la population. Nous sommes des gens de terrain, des militants. Nous sommes dans les syndicats, les associations, dans les luttes, les manifs. Ceci étant dit, nous pousserons à l'Assemblée nationale pour que le Gouvernement qui a été élu puisse mettre en œuvre la politique pour laquelle il a été élu.
O. Mazerolle : Vous continuerez à manifester ?
Y. Cochet : Bien entendu ! C'est même, je crois, l'erreur qu'il ne faudra pas refaire comme on l'avait fait en 1981, c'est-à-dire se croiser les bras à partir du moment où les copains sont au gouvernement. Eh bien, pas du tout ! Une société dynamique, vivante, une vraie société démocratique et citoyenne, c'est lorsque, aussi bien entre la base et le sommet, il y a des conflits comme il y a des contrats.
O. Mazerolle : Vous allez laisser vivre sa vie à D. Voynet, avec les autres ministres ou vous allez l'entourer étroitement pour qu'elle n'oublie rien ?
Y. Cochet : Je crois qu'elle est fort capable de diriger ce double ministère. Ceci étant dit, mon équipe va travailler avec elle. D'autre part, elle est encore la première des Verts, donc il n'y aura pas de problème de liaison avec elle.
O. Mazerolle : Qu'est-ce que vous attendez d'elle prioritairement ?
Y. Cochet : Vous savez, il y a un certain nombre d'engagements que l'on dit symboliques mais qui sont réels comme la fermeture de Superphénix, à la fois parce que cela nous semble l'installation nucléaire et industrielle la plus dangereuse du monde et puis parce que c'est un signe de réorientation de la politique énergétique. Mais évidemment, cette politique ne pourra être faite qu'à long terme ! Ce n'est pas en quelques mois que l'on pourra totalement transformer le paysage énergétique. Ce sera la même chose pour la canal Rhin-Rhône. Nous pensons qu'il faut développer les transports en commun et ce sera donc un signe que, dans la politique des transports, il peut y avoir une réorientation. J'ajouterai aussi, pour les transports, l'abandon de l'extension de l'aéroport de Roissy. Et cela marche très bien parce qu'avec l'aménagement du territoire, on verra comment on peut réguler le ciel européen.
O. Mazerolle : Et le moratoire sur le troisième aéroport de la région parisienne ?
Y. Cochet : Absolument.
O. Mazerolle : Sur les centrales nucléaires, vous ne voulez plus de construction de nouvelles centrales nucléaires et notamment celle qui était prévue près de Nantes ?
Y. Cochet : En effet et je crois qu'avec les socialistes nous sommes particulièrement d'accord. La preuve en est que dans les manifestations contre cette centrale on trouvait des Verts et des socialistes, comme J.-M. Ayrault, qui sera sans doute le nouveau président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale.
O. Mazerolle : Le savoir-faire d'EDF dans le domaine nucléaire lui permet de décrocher beaucoup de contrats à l’étranger. Vous ne craignez pas que si son savoir-faire est battu en brèche en France – dans le propre pays d'EDF – cela ne lui nuise pour ses contrats à l'étranger ?
Y. Cochet : Nous pensons qu'EDF, cela veut dire Électricité de France et non pas Nucléaire de France. Les ingénieurs, les cadres, les ouvriers du groupe EDF sont des gens très qualifiés, qui sont dans une grande maison, mais qui sont là pour faire de l'électricité, avec la notion de service public. Il faut donc revenir à cela. On peut faire de l'électricité autrement qu'avec du nucléaire.
O. Mazerolle : On ne va pas quand même pas fermer les centrales qui existent !
Y. Cochet : Non, je vous l'ai dit. C'est un programme à moyen terme de douze ou quinze ans. On va y réfléchir. On va préparer une nouvelle loi sur l'énergie. On fera les choses progressivement, mais on les fera.
O. Mazerolle : Et EDF ne devrait plus chercher à vendre de centrales nucléaires à l'étranger ?
Y. Cochet : Je ne parle pas de vente et de commerce mais de politique énergétique de la France.
O. Mazerolle : Il y a une loi sur la protection de l'air qui a été votée récemment. Vous allez poursuivre ? La circulation alternée par exemple, c'est un projet important ?
Y. Cochet : C'est la loi de C. Lepage qui a fait un certain travail mais qui n'avait pas beaucoup de prérogatives ministérielles. Je crois que cette loi sur l'air, toute récente, est insuffisante et insatisfaisante. Donc, D. Voynet reviendra dessus.
O. Mazerolle : Les autoroutes, au pilori ?
Y. Cochet : Il y a un moratoire prévu sur le schéma autoroutier et notamment en Île-de-France où l'on sait que les projets sont démentiels et parfois trop favorables aux entreprises de travaux publics. Il faut voir de quelle manière organiser l'ensemble des transports en France et notamment favoriser plutôt la voie ferrée que la route.
O. Mazerolle : Aménagement du territoire, pour les Français cela fait un peu techno !
Y. Cochet : Pas du tout ! C'est quelque chose de très concret. Le territoire, c'est la géographie politique. Les élus locaux, y compris les maires des toutes petites communes, savent ce que c'est que l'aménagement du territoire. Par exemple, la notion de pays, il y a beaucoup de communes en France, il y a les départements, les régions, il y a plein de structures et le pays peut être une nouvelle structure qui effacerait d'autres anciennes structures. D'ailleurs, on y vient. Il y a beaucoup de maires qui font de l'intercommunalité pour le ramassage des ordures, les incendies, etc. On va vers l'intercommunalité et pourquoi ne pas formaliser cela dans la notion de pays, qui pourrait peut-être un peu rationaliser cela ?
O. Mazerolle : Dans le programme des Verts, il y était fait mention de s'attaquer aux monopoles des compagnies privées de l'eau. D. Voynet va s’y attaquer ?
Y. Cochet : Je crois qu'il va y avoir une discussion à l'intérieur du gouvernement pour savoir, sachant que l'eau est un service public, de quelle manière elle peut être concédée, ou rester en tant que service public par des droits, par l'affermage avec les municipalités. En tout cas, moins sous le contrôle de compagnies qui ne font pas que l'eau d'ailleurs ; elles font beaucoup d'autre chose maintenant.
O. Mazerolle : C'est un point sensible ?
Y. Cochet : C'est un point très sensible, d'autant plus que ces compagnies sont parfois un peu trop politisées et il faut séparer la politique de l'économie.