Texte intégral
RTL : 27 mai 1996
RTL : Vous êtes en train d’accueillir un certain nombre de coopérants français qui arrivent du Centrafrique ?
Jacques Godfrain : Oui, exactement, plusieurs dizaines de Français, une vingtaine d’étrangers et des militaires français en relève qui sont dans cet Airbus.
RTL : Alors, vous vous dites ce soir, les choses sont bien terminées, c’est un succès ?
Jacques Godfrain : C’est un succès relatif, nous sommes satisfaits, bien entendu, que le calme revienne, qu’il y ait un accord technique, comme vous l’avez dit. Je voudrais surtout rendre hommage à ceux qui ont permis cet accord technique et surtout à l’armée française qui, selon tous les témoignages que je recueille encore à l’instant, comme lors du premier vol, à quatre heures et demie du matin, à Roissy, a été admirable pour assurer la sécurité des Français et des étrangers en République centrafricaine, ce qui était l’essentiel.
RTL : Vous y faisiez allusion il y a quelques jours, pas question pour la France de jouer les gendarmes en Afrique, mais cela pose, une nouvelle fois, la question des interventions françaises, cette fois-ci ce n’était pas dans le cadre des accords de défense ?
Jacques Godfrain : Non, vous savez, la priorité absolue de ce que nous faisons, c’est la sécurité des ressortissants français en particulier, mais également des étrangers en Afrique. Et l’armée s’est beaucoup attachée à ce travail qui a été parfaitement réussi.
RTL : Il n’y a pas une version un peu extensive de la sécurité ?
Jacques Godfrain : Dans les accords de coopération, nous mettons, depuis quelques années, tout en œuvre pour aider les pays africains à se démocratiser. Le fait est qu’en République centrafricaine, nous avons affaire à un président de la République, M. Patassé, qui a été élu non pas avec un score stalinien, un score de dictateur, mais avec 53 % des voix. Il est donc difficile de prétendre qu’il s’agit là d’une démocratie déguisée. Il a été élu. Dans ces conditions, le développement pour nous, la coopération, ne va pas sans davantage de libertés, de respect des droits de l’homme, liberté de presse, liberté d’association. C’est cela aussi que nous défendons en Afrique et je crois que c’est vers l’avenir que l’Afrique doit se tourner et travailler ainsi.
RTL : Avec un lien, comme François Mitterrand l’avait établi après le discours de La Baule, entre développement économique…
Jacques Godfrain : Oui, c’est sûr que le développement économique ne fait pas…
RTL : Et aide, enfin démocratie et progrès économique allant de pair ?
Jacques Godfrain : Oui, l’aide publique au développement n’ira pas en augmentant, par contre, ce qui ira en augmentant, c’est l’investissement privé, c’est le secteur privé qui prendra un peu le relais de l’aide publique dans quelques années. Mais cette aide privée, cet investissement privé ne viendraient que s’il y a de la sécurité. Vous savez, un bon ministre de la justice est plus garant du développement qu’un ministre des finances, parce que l’État de droit est essentiel pour que l’on investisse. Donc, c’est le développement de l’Afrique que l’on a tenté de sauver à travers cette opération.
RTL : Le développement de l’Afrique, mais l’Afrique connaît d’autres régions, notamment dans les Grands Lacs ?
Jacques Godfrain : Oui.
RTL : Où la situation est extrêmement difficile, en particulier, au Burundi ?
Jacques Godfrain : C’est vrai.
RTL : On a l’impression que la France est assez réservée quant à une éventuelle intervention ?
Jacques Godfrain : Oui, d’abord je voudrais…
RTL : Éventuelle…
Jacques Godfrain : Oui, ne croyez surtout pas que l’Afrique, ce soit le Rwanda, le Burundi, et ce qui vient de se passer au Liberia, en République centrafricaine. Il y a en Afrique, une très forte majorité de pays où, économiquement, les choses marchent, le taux de croissance de la Côte d’Ivoire va probablement être à deux chiffres, et si je vous disais les résultats exceptionnels auxquels arrive aujourd’hui l’agriculture du Mali, du Sénégal, du Burkina, etc., vous seriez surpris. Donc n’ayons pas une vision pessimiste de l’Afrique, au contraire, ne nous arrêtons pas à ce qui vient de se produire en République centrafricaine.
RMC : 28 mai 1996
RMC : Est-ce qu’à votre connaissance, ce matin, la révolte est terminée en République centrafricaine, Monsieur Godfrain, est-ce qu’en d’autres termes, l’ordre règne à Bangui ?
Jacques Godfrain : Des accords techniques, comme vous le savez, ont été signés…
RMC : Pourquoi ont dit techniques d’ailleurs ?
Jacques Godfrain : Techniques parce qu’ils sont passés entre militaires sur des sujets qui concernent les forces armées, qui concernent l’ordre public. Effectivement, à ce jour, l’ordre public a été rétabli. Je voudrais signaler une chose, c’est que les mutins étaient une partie du problème, les pillards une autre partie. Les mutins ne sont pas…
RMC : Vous voulez dire que les mutins n’étaient pas les pillards ?
Jacques Godfrain : Non, les mutins n’étaient pas les pillards, les pillards se sont fixés sur les événements qui se passaient sur le plan militaire.
RMC : Est-ce qu’on peut dire, Monsieur Godfrain, que ce sont les soldats qui ont permis que l’ordre règne à Bangui ce matin ?
Jacques Godfrain : Oui, je pense quel l’action de l’armée française a été déterminante pour la sécurité des Français.
RMC : Non, ce n’est pas la question que je vous posais.
Jacques Godfrain : Oui, mais je réponds à la question que tout le monde se pose, c’est que, grâce à l’armée française, on peut dire qu’il n’y a pas eu un mort parmi les civils français. Deuxièmement, il n’y a pas eu un militaire français tué, et de façon générale, nous avons certainement sauvé la vie de nombreux autres étrangers, des Américains, des Japonais, les Italiens, des Portugais, des Belges. J’ajoute une chose, c’est que dans ce qu’a fait l’armée française, qui était principalement pour la sécurité des populations, il y a eu, en arrière-plan, la possibilité pour elle de mener cette action, parce que nous étions dans un régime démocratique. Ce qui, pour nous, est également essentiel.
RMC : Mais armée française, Monsieur Godfrain, a fait bien plus que protéger les civils dans cette affaire, puisqu’on a vu un général français finalement négocier l’accord entre Centrafricains. Est-ce que c’est ce qu’il fallait faire ?
R. : Non, le général français a discuté très longuement avec les mutins parce qu’ils étaient…
RMC : Apparemment, il les a convaincus.
Jacques Godfrain : Ils étaient d’abord frères d’armes. Vous savez, c’est important qu’il y ait une discussion entre militaires, qui se comprennent. Ces mutins sont sortis de nos écoles françaises et là-dessus, je voudrais dire une chose importante, c’est que nos accords passés il y a longtemps avec ces pays sur le plan militaire ont un volet formation. Et, je crois qu’il faut beaucoup insister là-dessus parce que la formation que nous apportons aux Africains, pour leurs armées, leurs gendarmeries, est un élément fondamental d’État de droit. Lorsque nous avons des élèves africains dans nos écoles, c’est pour les amener sur le chemin de la démocratie, que les gendarmes puissent mener des enquêtes préliminaires pour que l’État de droit puisse régner. Que l’armée se considère comme l’armée de la nation, et non pas l’armée d’une ethnie. Et tout ça correspond à l’effort que la France fait pour que l’Afrique soit stable.
RMC : Est-ce que vous êtes inquiet, Monsieur Godfrain, des manifestations anti-françaises, qui ont quand même émaillé ces quelques journées de…
Jacques Godfrain : Non, pas essentiellement. D’abord, il ne faut pas exagérer le nombre des manifestants. L’immense majorité de la population de Bangui étant restée chez elle, on a pu compter un peu plus de mille personnes, ce n’est pas allé très loin. D’ailleurs, ces manifestations, si elles avaient été de masse, n’auraient jamais pu être contenues. Les images à la télévision l’ont prouvé, les manifestants passaient devant des soldats français au bord du trottoir. Donc, si elles avaient été autant que cela anti-françaises, elles n’auraient fait qu’une bouchée des soldats qui étaient là. Deuxièmement, je crois que la France reste, et plus que jamais sans aucun doute, le porte-parole des pays africains qui sont encore en difficulté, et je crois qu’à la veille du sommet du G7, il est important que nos partenaires des pays industriels comprennent bien la nécessité qu’il y a à aider ces pays. Si on laisse l’Afrique à la dérive, sans aucun appui extérieur pour son développement, alors nous aurons une Afrique en grand désordre, et ces grands désordres africains ne resteront pas sur ce continent, ils se transposeront chez nous. Et c’est à tout prix ce qu’il faut éviter.
RMC : Un mot alors sur le service militaire dont le président Chirac va donner les nouvelles orientations ce soir, à la télévision. Et vous êtes directement concerné, puisque dans votre ministère, vous vous appuyez beaucoup sur les appelés. Que deviendra votre ministère si le service militaire, comme on le dit, devient d’une durée d’une semaine à dix jours ?
Jacques Godfrain : D’abord, il y aura des actes de volontariat. La durée d’une semaine à dix jours, c’est un peu une prise de contact, que les jeunes pourraient avoir avec l’institution…
RMC : Rendez-vous citoyen.
Jacques Godfrain : Un rendez-vous citoyen. Et au cours de ce rendez-vous le jeune peut prendre connaissance de la méthode pour devenir coopérant, peut s’informer sur des associations, je pense aux « "Volontaires du progrès » qui est une association tout à fait remarquable, et de ce point de vue-là, nous pourrions certainement prendre plusieurs centaines de jeunes de plus, dans ces associations pour l’aide au développement. Moi, je suis très ouvert à cette nouvelle idée, c’est en tout cas ce que je propose actuellement pour que l’affaire du service militaire puisse déboucher positivement pour le développement.
RMC : C’est-à-dire que votre ministère aurait une action importante durant ce rendez-vous citoyen pour tenter de convaincre les jeunes gens de faire un service militaire dans votre ministère ?
Jacques Godfrain : Oui, pour les convaincre que nous pouvons attirer des jeunes et leur montrer qu’il a des voies au développement, en entrant dans ce nouveau service militaire.
RMC : Vous pensez que ce service militaire d’une durée de dix jours suffirait…
Jacques Godfrain : Attendez. Ce n’est pas un service militaire de dix jours, c’est le rendez-vous pendant lequel on explique aux jeunes quelles sont leurs possibilités d’avenir. C’est une orientation en fait.
RMC : En ce qui concerne le budget, ce sera un budget assez difficile, 1997, si j’ai bien compris ?
Jacques Godfrain : Oui, mais je voudrais qu’on passe du quantitatif au qualitatif. Tous les ans, depuis que je fais de la politique, chaque ministre commente les chiffres, s’ils augmentent, s’ils diminuent, et il prend ça comme un drame si ça diminue, un grand succès personnel si ça augmente. Je crois que le véritable succès personnel d’un ministre, c’est quand il fait mieux, avec la même somme ou même un peu moins. Parce que le rôle d’un ministre, ce n’est pas de ne pas entériner ce qui se passait l’année d’avant, c’est d’essayer de trouver des voies et moyens nouveaux, pour faire en sorte que l’argent soit mieux dépensé. C’est ce à quoi je m’emploie depuis un an, et je crois qu’on peut encore mieux faire, parce qu’il y a toujours des sources de gaspillage, et au contraire des points d’application des dépenses qui seront beaucoup plus porteurs que d’autres.
RMC : Mais vous, vous venez de nous expliquer tout à l’heure avec fougue, que vous teniez un domaine particulièrement sensible et que, si l’argent ne venait plus comme il était prévu à des pays qui sont en difficulté, ce serait un problème…
Jacques Godfrain : Écoutez, je dis quelquefois que je préfère beaucoup les petits projets de proximité, en Afrique, que les populations ressentent, parce que d’abord, ça les fixe sur leur territoire, ce qui est une partie de la solution au problème de l’immigration sauvage et clandestine, à de très grands projets qu’on ne maîtrise pas financièrement, dont on ne connaît pas la comptabilité dix ans après, dont on ne connaît pas les impacts écologiques. Je crois que beaucoup de petits points d’eau en Afrique, près des villages, valent bien souvent mieux qu’un immense barrage dont on ne connaît pas l’impact écologique. C’est ma tournure d’esprit, je crois que la coopération, c’est une coopération que les populations ressentent, et on peut certainement trouver des moyens pour mieux appliquer les dépenses que nous faisons.
Réponse à une question d’actualité à l’Assemblée nationale, à Paris le 28 mai 1996
Monsieur le président, Monsieur le député, il est vrai que jamais l’armée française n’avait été confrontée à de tels efforts avec une telle ampleur pour sortir de l’insécurité, et mettre en sécurité près de 4 000 personnes, que ce soit des Français, mais aussi des Européens, je pense aux Anglais, aux Allemands, aux Belges, aux Portugais qui étaient là, des Américains, des Japonais, qui tous, ont eu la vie sauve parce qu’environ 2 000 soldats français étaient engagés dans cette opération de sécurité. Pas un seul de ces Français, de ces étrangers, en République centrafricaine, n’a été blessé, ce qui est un résultat extraordinaire.
Deuxièmement, je voudrais souligner devant l’assemblée que les efforts faits par le général Thorette et les mutins pour entamer le dialogue, prolonger la discussion, parvenir à un accord, permettent aujourd’hui de voir la capitale, Bangui, vivre dans une sécurité, dans un calme que beaucoup n’espéraient pas il y a huit jours
Enfin, je voudrais dire qu’une déclaration très importante a été faite par le président Patassé concernant l’appel à l’union nationale pour un gouvernement très large et de rassemblement. Cette déclaration a été approuvée non seulement par beaucoup de forces politiques de République centrafricaine, mais également par les pays qui, en Afrique centrale et même en Afrique de l’Ouest – puisque même le Sénégal l’a exprimé – approuvent une telle position d’ouverture. Quant à l’avenir, je le dis clairement vis-à-vis de tous ceux qui dans cet hémicycle, se soucient de la démocratie et des droits de l’Homme, la France mettra tous ses moyens en œuvre pour que la vie démocratique africaine, le pluralisme des partis, la liberté de la presse, la liberté d’association, soient à l’ordre du jour dans l’ensemble des pays africains.