Interviews de M. Arnaud Leenhardt, vice-président du CNPF et président de la commission sociale du CNPF, à France 2, France-Inter et dans "Le Figaro" du 2 février 1996, sur les relations entre le CNPF et le gouvernement en ce qui concerne les "contreparties" en terme d'embauche liées aux aides aux entreprises.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission Les Quatre Vérités - France 2 - France Inter - Le Figaro - Télévision

Texte intégral

Date : vendredi 2 février 1996
Source : France 2/Édition du matin

G. Leclerc : Avez-vous l'âme d'un apparatchik, selon le terme employé par A. Juppé ?

A. Leenhardt : Je n'ai pas du tout le sentiment d'être un apparatchik. J'ai été embauché par la société Vallourec il y a 35 ans, depuis deux ans. Je suis président du conseil de surveillance et non plus PDG, j'ai toujours vécu sur le terrain et je me sens beaucoup plus un homme de terrain qu'un homme d'appareil. D'ailleurs je n'ai des responsabilités nationales que depuis peu de temps.

G. Leclerc : On reproche aux entreprises d'avoir bénéficié d'allégements de charges sans qu'il n'y ait aucun effet sur l'emploi ?

A. Leenhardt : Je crois qu'il y a véritablement une incompréhension et je crois aussi que cet échange de petites phrases qui manquent un peu de bienveillance devrait cesser de part et d'autre. Donnant-donnant, c'est effectivement une expression que l'on a beaucoup entendue, je crois qu'il y a des mesures qui ont été prises sur des allégements de charges qui sont bienvenues et qui ont certainement permis de sauver des emplois et peut-être d'en créer.

G. Leclerc : Mais cela ne se voit pas dans les chiffres du chômage ?

A. Leenhardt : C'est extrêmement difficile de les voir. Vous êtes dans une période où il n'y a pas de croissance. Nous nous attendions à ce qu'il y ait des dégradations de l'emploi pendant cette période. Il y a par contre un endroit où il y a une contrepartie qui se pose d'une façon extrêmement simple, ce sont les contrats qui sont aidés, de qualification d'adaptation, et là, c'est du donnant-donnant parce qu'à chaque contrat, il y a une bonification, donc, c'est tout à fait mesurable.

G. Leclerc. : N'avez-vous pas le sentiment que certaines grandes entreprises empochent les bénéfices des allégements et ne créent pas d'emplois ?

A. Leenhardt : Pas du tout. Je connais des chefs d'entreprise qui cherchent des commandes, je ne connais pas de chef d'entreprise qui cherchent des subventions. Il y a vraiment de la part des chefs d'entreprise des gens qui font leur travail et je crois qu'il faut les laisser faire leur travail. Ce ne sont pas des chasseurs de primes mais des chasseurs de commandes.

G. Leclerc. : A. Juppé a dit hier qu'il y avait un devoir national d'insertion des jeunes, le patronat s'était engagé en juin et décembre 1995 à créer jusqu'à 250 000 emplois de jeunes et on ne les retrouve pas ?

A. Leenhardt : D'abord, c'est tout à fait récent. C'était en décembre dernier. En juin, effectivement, il y avait eu une recherche et nous avions trouvé avec les partenaires sociaux une possibilité pour engager plus de jeunes. Il y avait précisément là quelques aides pour des contrats d'adaptation notamment, et ces aides ne sont pas venues. Mais il y a eu des projets qui ont été faits et il y a un progrès très important que nous attendons, c'est dans le cadre de l'apprentissage où nous travaillons la question ces temps-ci.

G. Leclerc. : L. Fabius a émis hier l'idée de d'une sorte de quotas de jeunes dans les entreprises ?

A. Leenhardt : On en avait parlé également le 21 décembre. Quand il y aura des embauches dans les entreprises, il faudrait qu'il y ait une embauche sur deux qui soit faite auprès de jeunes. Nous sommes tout à fait favorables à ce genre de mesures. Si nous avions des quotas, est-ce tellement mesurable ? Je pense que c'est une mauvaise idée. Mais que nous fassions un effort ciblé sur les jeunes, nous en sommes tout à fait d'accord et dans le mesure concernant le système qui permet au bout de 40 ans de quitter la société même quand on n'a pas 60 ans, c'est une mesure où nous avons décidé que ce serait en priorité des jeunes qui en bénéficieraient.

G. Leclerc : Le patronat anglais s'est prononcé pour une hausse des salaires et du pouvoir d'achat, n'est-ce pas la solution pour relancer l'emploi ?

A. Leenhardt : Je crois que le pouvoir d'achat a été donné à travers ce qui a été fait et cette année aussi il y a eu des augmentations de salaire qui sont significatives. Je pense que nous avons tous constaté qu'il y avait une épargne qui augmentait, donc je ne crois pas que ce soit véritablement la solution.

G. Leclerc : Ne peut-on rien faire contre la dégradation de l'emploi ?

A. Leenhardt : Si. Le meilleur plan pour l'emploi, c'est un plan qui sur la durée devrait donner de l'oxygène   l'économie. L'économie est asphyxiée par les prélèvements que nous connaissons tous, au niveau de. 45 %, les dépenses publiques correspondent à 56 % du PNB, il faut absolument arriver à baisser ces dépenses. Je suis frappé de voir que depuis vingt ans le nombre de fonctionnaires – ou de personnes qui dépendent de la fonction publique – a augmenté de 50 %. Pendant le même temps, les actifs qui ne dépendent pas de la fonction publique ont augmenté de 7 %. Il faut arriver à dégonfler les dépenses de l'État. Elles sont beaucoup trop nombreuses et c'est là où l'on aura de l'oxygène. Le véritable plan pour l'emploi, c'est le soutien à la croissance. C'est la diminution des prélèvements, c'est des réformes de l'État.

G. Leclerc : Une autre solution est préconisée maintenant par le gouvernement, la réduction du temps de travail, vous ne semblez pas très chaud ?

A. Leenhardt : Ah si ! Nous avons fait de nombreuses réunions avec nos partenaires sociaux où nous avons réfléchi à ces questions-là, nous pensons qu'il y a une voie parmi d'autres, l'aménagement du temps de travail, qui permet d'avoir plus de souplesse, d'acquérir de la compétitivité, qui peut s'échanger contre l'annualisation et la réduction du temps de travail. Nous avons passé 33 séances en 1995 avec nos partenaires sociaux sur tous ces sujets, on a négocié et maintenant la négociation va se passer dans les branches. Elle a commencé. Il y a 60 professions qui ont déjà décidé de négocier l'aménagement du temps de travail.

 

Date : vendredi 2 février 1996
Source : France Inter/Édition du midi

JL. Hees : Dans la querelle qui vous oppose à Matignon, vous en avez remis une louche, aujourd'hui encore dans Le Figaro. L'expression « recettes à la petite semaine » est la vôtre. Qu'est-ce qui ne va pas entre vous et le Premier ministre ? On va vous finir par vous accuser de faire la politique et de vouloir peut-être un autre Premier ministre, non ?

A. Leenhardt : Non, pas du tout. Je n'avais pas du tout l'impression d'en avoir remis une louche. Je voudrais dire que le torchon ne brûle pas tellement entre le gouvernement et le patronat, comme vous le laissez entendre.

JL. Hees : On a mal lu les journaux, alors ?

A. Leenhardt : Non. Il faut savoir quand même que nous avons soutenu et nous continuons à soutenir le plan Juppé. Les mesures du ministre ARTHUIS qu'il a sorties il y a quelques jours sont tout à fait bonnes. Donc, nous sommes globalement d'accord avec le gouvernement. Il se trouve qu'il y a des petites phrases. Vous en citez une de moi qui a été tirée d'un contexte. Je suis navré d'avoir contribué aux petites phrases, je suis contre les petites phrases ; je trouve qu’elles sont tout sauf bienveillantes.

JL. Hees : La langue vous a fourché alors ?

A. Leenhardt : Retirée effectivement d'un certain contexte, peut-être, elle est considérée comme une petite phrase parmi les autres. Ce n'était pas du tout mon idée. Mon idée, c'est que nous avons besoin d'apaisement. Les patrons peuvent être agacés dans certains cas par certaines réactions. Ils travaillent, ils sont occupés à chasser les commandes et pas à chasser les primes. C'est vraiment le sentiment que je voudrais donner, parce que c'est le mien.

JL. Hees : Il y a tout de même un vrai débat de fond. Quand le Premier ministre dit voilà, on donne des aides aux entreprises et on ne voit rien venir. Le contribuable, après tout, qui aide l'entreprise, il peut se poser des questions aussi, des questions légitimes ?

A. Leenhardt : Il faut être clair : il y a eu des aides qui ont été données, des aides qui ont été ciblées sur des bas salaires pour permettre d'être compétitifs avec des pays qui ont des bas salaires. Ces aides ont certainement servi à sauver des emplois, peut-être à en créer. Vous avez M. BOROTRA, il y a quelques jours, qui disait qu'il y a 60 000 emplois dans le textile, habillement, cuir, chaussures qui sont menacés. Ces aides ont certainement contribué à en sauver et contribueront à en sauver d'autres, et ça ce n'est pas mesurable. Il y a un autre débat où alors on peut parler de contreparties et de donnant-donnant : ce sont les aides qui sont attachées à des contrats qui aident les jeunes pour entrer dans l'entreprise. Il y a des bonifications pour des contrats d'adaptation, des contrats d'orientation et d'autres contrats. À ce moment-là, c'est du donnant-donnant. S'il y a contrat, il y a aide et s'il n'y a pas de contrat, il n'y a pas aide. Donc c'est mesurable, quantifiable. Donc, il faut bien faire la séparation entre les aides générales qui sont difficilement mesurables et celles qui sont parfaitement quantifiables.

JL. Hees : La question de fond, c'est tout de même de savoir si le CNPF regarde le Premier ministre d'une certaine façon. Est-ce que M. A. JUPPÉ s'y prend bien pour faire face aux problèmes qui nous occupent, en l'occurrence le chômage ? Votre avis à vous, CNPF ?

A. Leenhardt : Je suis assez de l'avis de B. Jeanperrin. Nous avons des problèmes qui sont à court terme et c'est très ennuyeux de voir des statistiques qui ne sont pas favorables – il y a même une dégradation de l'emploi. Ce sont des mouvements que nous attendions. Nous étions au quatrième trimestre 1995 dans une croissance zéro. Et on sait très bien que, dans ce cas-là, il y a des répercussions sur l'emploi et ça va continuer sans doute un peu. Nous avons des espoirs nettement plus grands pour le deuxième semestre 96. Dans une période de croissance zéro, il est extrêmement difficile d'attendre des bonnes nouvelles concernant l'emploi.

JL. Hees : Cc qu'on appelle la fatalité du chômage ?

A. Leenhardt : Il n'y a pas de fatalité du chômage. Le meilleur plan-emploi, c'est un plan qui donne de l'oxygène à l'économie, et donner de l'oxygène à l'économie, c'est s'occuper qu'il n'y ait pas trop de prélèvements, que le budget de l'État soit le meilleur possible. Je crois que c'est quand le Premier ministre s'occupe des déficits, il va dans le bon sens. C'est son meilleur plan pour l'emploi, parce que ces prélèvements, les dépenses globales de l'État, c'est 56 % du PIB. Eh bien, ces dépenses-là asphyxient l'économie. Donc le Premier ministre est dans son rôle quand il s'occupe de diminuer les déficits.

B. Jeanperrin : Revenons quand même sur cette petite phrase qui n'en est pas une, mais qui explique quand même les choses sur le fond. Quand vous dites : « des mesures à la petite semaine », on fait, ce que vous ne voulez pas voir, c'est les hommes politiques se mêler de choses négociées avec les partenaires sociaux ? Vous ne voulez pas voir le politique se mêler de la réduction du temps de travail, vous ne voulez pas voir le politique prendre des tas de petites mesures sur les contrats pour les jeunes des banlieues et autres, parce que vous voulez faire des choses de fond, sur l'apprentissage, qui dure plus longtemps. C'est ça que vous ne voulez pas ?

A. Leenhardt : Vous avez parfaitement raison. Nous avons eu une politique contractuelle tout au long de l'année 95. J'ai compté que nous avions eu 33 réunions avec des partenaires sociaux. Au cours de ces réunions, qui ont été des réunions, quelquefois des groupes de travail, des groupes de négociations, nous avons parlé entre nous de choses qui concernaient nos entreprises, qui concernaient nos partenaires et nous-mêmes. Et nous pensons que nous sommes mieux placés que le gouvernement pour dire ce qu'il faut à nos entreprises, au niveau de l'organisation du travail. Nous avons décidé de prévoir des négociations qui se prolongent, qui ont commencé dans les branches. Vous savez qu'il y a une soixantaine de branches qui négocient en ce moment de l'aménagement du temps de travail.

JL. Hees : On peut se poser aussi la question sur ces réunions, dès l'instant où le Premier ministre assiste à la réunion. Il y a eu une réunion importante le 21 décembre. On a dit : on va créer 250 000 emplois pour les jeunes. Et vous, dans cette interview au Figaro, vous dites : « oui, bon, peut-être. Cela, c'est la conclusion du gouvernement, ce n'est pas forcément la nôtre ».

A. Leenhardt : Il se trouve que je n'aime pas faire des promesses que je ne suis pas sûr de tenir.

J L. Hees : Celle-ci n'est pas réaliste ?

A. Leenhardt : Il faut avoir des objectifs. Nous allons faire tout ce que nous pouvons. Nous avons prouvé que nous étions capables de faire des choses importantes dans l'apprentissage. J'ai en tête les augmentations des deux dernières années : 36 % de plus dans le domaine de l'apprentissage. Il y a deux ans, je ne l'aurais pas promis. Nous l'avons fait. Je préfère faire que promettre. Je pense que nous y arriverons. Nous avons comme objectif 200 000 apprentis. Effectivement, nous essayerons, à-travers d'autres possibilités, d'arriver aux 250 000 qui ont été indiqués.

G. Zénoni : Souvent, le patronat dit : il y a, dans toutes les primes qu'il peut y avoir, les aides, les procédures, on ne s'y retrouve plus. Est-ce que je vous trahis si je dis que vous préfériez qu'il n'y ait pas de primes, pas d'aides et qu'on vous laisse travailler tranquilles, et là, il y aurait de l'emploi qui repartirait ?

A. Leenhardt : Au fond de moi-même, je suis un peu de cet avis. C'est-à-dire que nous ne chassons pas les primes. Nous avons le sentiment qu'en créant tel contrat, telle ou telle adaptation, nous allons auprès de l'ANPE transférer le mistigri d'une catégorie de chômeurs à une autre. Donc, nous pensons qu'en dehors de la croissance, il n'y a que des déplacements à la marge concernant le chômage et l'emploi.

JL. Hees : Cela tombe bien. Parce que A. JUPPÉ disait hier : « il n'y aura plus d'allégements, sauf si c'est écrit quelque part que ça représente un emploi ? »

A. Leenhardt : Eh bien, je serai assez partisan de dire : banco ! C'est une façon de plus d'être d'accord avec le gouvernement !

B. Jeanperrin : Cela dit, si le politique réagit comme ça, c'est parce que du côté des entreprises, tous les bilans actuellement font des provisions, dans les grandes entreprises, pour restructurations, pour adaptations. Il y a quelques plans sociaux qui vont sortir très bientôt. Est-ce que vous croyez quand même qu'A. Juppé n'a pas tort de vous dire qu'il faudrait quand même que vous soyez un peu plus citoyens ?

A. Leenhardt : La vie de l'entreprise est une adaptation permanente. Vous me citez quelques entreprises. Regardez le domaine de la Défense nationale. Ce n'est pas l'entreprise privée qui est en train d'indiquer qu'il allait y avoir de graves problèmes au niveau de l'emploi dans le domaine de la Défense nationale ! Tout le monde s'adapte aux circonstances. Donc il y a effectivement des problèmes. Chacun les règle au moment où il le peut.

 

Date : 2 février 1996
Source : Le Figaro

Jean Gandois, le président du CNPF, qui accompagne actuellement le chef de l'État aux États-Unis, parviendra-t-il à effacer l'incompréhension grandissante entre les pouvoirs publics et les « apparatchiks du patronat » ? C'est en effet ainsi que le Premier ministre résume le malaise né de la relance de la polémique sur les contreparties aux baisses de charges, exigibles des entreprises : « Je ne perçois pas, pour ce qui me concerne, de divorce entre les entreprises et le gouvernement. Je sens parfois un petit peu de polémique entre les apparatchiks et le gouvernement », a en effet déclaré hier Alain Juppé devant l'Association nationale pour la démocratie locale.

Le matin, sur Europe 1, il avait une nouvelle fois plaidé en faveur du « devoir national d’insertion des jeunes », et renouvelé son avertissement aux entreprises pour qu'elles respectent la règle du « donnant-donnant ». Le gouvernement, a-t-il dit, « ne prendra pas d'autres mesures d'allègement de charges s'il n’y a pas de donnant-donnant », de « renvoi d’ascenseur » sous forme d’embauches, notamment des jeunes.

Le Figaro Économie : Après le Président de la République, applaudi par les syndicats, Alain Juppé vient une nouvelle fois d’évoquer le problème des contreparties aux baisses de charges dont bénéficient les entreprises. Ce donnant-donnant est-il acceptable ?

Arnaud Leenhardt : Que les choses soient claires quand il y a une baisse des charges généralisée sur les bas salaires, les conséquences en matière d'emploi sont positives, mais extrêmement difficiles à évaluer. Il faut, par des rendez-vous réguliers, essayer d'en mesurer les conséquences. Au contraire, lorsqu'il s'agit d'une aide financière liée à un contrat de travail, le problème des contreparties ne se pose pas : il y a automatiquement autant de contrats que de financement. C'est le « donnant-donnant mesurable ».

Le Figaro Économie : Les statistiques du chômage sont particulièrement mauvaises fin 1995. Quelle analyse faites-vous de cette hausse de 100 000 demandeurs d'emploi sur les cinq derniers mois de l'année ?

Arnaud Leenhardt : Dans une période de croissance nulle, comme ce fut le cas au dernier trimestre, avec de surcroît une grève qui a perturbé beaucoup d'entreprises, on ne pouvait qu'enregistrer des mauvais chiffres. Il ne faut pas s'en étonner outre mesure alors que l'on s'attend à une reprise progressive, surtout au deuxième semestre 1996.

Nous devons travailler à moyen et long terme. Tout au long de 1995, nous avons eu pas moins de 33 réunions avec nos partenaires syndicaux, traduction d'un dialogue social extrêmement riche et novateur. L'année sociale qui vient de s'achever ne peut se réduire aux conflits du mois de décembre dans le secteur public.

On a voulu résumer tout le dialogue mené en 1995 en une nuit à Matignon : cela ne reflète pas la situation réelle. Nous en faisons, nous, un bilan très positif, dont les résultats se manifesteront avec le relais par les branches de l'accord du 31 octobre sur le temps de travail.

Le Figaro Économie : Quels résultats concrets peut-on en attendre ?

Arnaud Leenhardt : D'ores et déjà, une soixantaine de branches ont annoncé l'ouverture de négociations. Le gouvernement a bien compris que cela devait être négocié au niveau des branches et des entreprises. J'espère que cette politique contractuelle ne sera pas remise en cause par des initiatives de parlementaires, qui, souvent, ont une grande méconnaissance du monde de l’entreprise. Pour traiter de l’emploi, il ne faut pas des recettes à la petite semaine, mais une action offensive et continue.

Le Figaro Économie : La réduction du temps de travail, prônée aujourd'hui par le gouvernement, sera-t-elle au centre de ces négociations ?

Arnaud Leenhardt : Il faut s'accorder sur une organisation du travail qui permette d'augmenter la compétitivité. S'agissant de réduction du temps de travail, notre accord est clairement de l'échanger contre l'annualisation de la durée du travail. Seule une plus grande flexibilité, gage d'une meilleure compétitivité, peut nous permettre de créer ou de sauver des emplois.

Le Figaro Économie : Combien ?

Arnaud Leenhardt : On peut avoir des objectifs, mais un comptage arithmétique en la matière n'est pas sérieux.

Le Figaro Économie : Pourtant, vous vous étiez bien engagés sur l'embauche de 150 000 jeunes en juin dernier ?

Arnaud Leenhardt : Cet objectif était soumis à des mesures d'aide de la part de l'État, auxquelles il n'a pas souscrit.

Le Figaro Économie : Vous ne souscrivez donc pas davantage à l'objectif de 250 000 jeunes embauchés, mentionné à l'issue du sommet du 21 décembre ?

Arnaud Leenhardt : C'est un objectif que le gouvernement a inscrit dans son relevé de conclusions.

Le Figaro Économie : Il n'empêche que le chômage des jeunes reste le problème numéro un. Quelles actions entendez-vous mener ?

Arnaud Leenhardt : L'accord de juin n'ayant pas pu être appliqué, nous sommes convenus lors du sommet du 21 décembre dernier de reprendre l'ensemble du problème. Les entreprises sont prêtes à se mobiliser, elles en ont fait la démonstration avec l'opération « Cap sur l'avenir ».

L’apprentissage, passeport pour l’emploi

Une rencontre avec nos partenaires syndicaux devrait se tenir dans la deuxième quinzaine de mars. Il faut, au préalable, que soit régie le problème de l'apprentissage. Nous voudrions par exemple réfléchir à la mise en place de véritables passerelles entre les entreprises et l'éducation nationale. Aujourd'hui, le problème essentiel est de se remobiliser autour de mesures simples, lisibles et pérennes.

Le Figaro Économie : Le projet de loi sur l'apprentissage qui va être examiné la semaine prochaine à l'Assemblée nationale ne vous convient donc pas ?

Arnaud Leenhardt : L'apprentissage est un des meilleurs vecteurs d'entrée dans le monde du travail. Je vous rappelle que les entreprises ont fait des efforts sans précédents, puisque, en deux ans, le nombre des apprentis a augmenté de 36 %.

Mais aujourd'hui, tout le monde le sait, il existe un véritable problème de financement si l'on veut poursuivre dans cette voie. C'est le nerf de la guerre. Or le projet de loi du gouvernement ne répond pas aux besoins, et il est très déséquilibré.

Il prévoit en effet le versement d’une prime de 26 000 francs par apprenti sur deux ans, soit 13 000 francs par an. Mais en échange, les entreprises perdent tous les avantages actuel liés à l’embauche d’un jeune (exonération de la taxe d’apprentissage, crédit d’impôt et prime), soit 30 000 à 45 000 francs ! Non seulement cet écart risque de casser l’élan actuel, mais il pénalise gravement les entreprises qui, à partir d’une cinquantaine de salariés, sont les plus susceptibles de développer l’apprentissage, tant sur un plan qualitatif que quantitatif.

Dans l’accord interprofessionnel que nous avons signé avec nos partenaires syndicaux le 5 juillet 1994, nous demandions que la prime varie de 15 000 à 30 000 francs. À défaut, nous préconisons de revenir à une exonération forfaitaire sur la taxe d’apprentissage qui serait de 40 francs par heure de formation, mais seulement pour les formations longues, au-delà de 400 heures.

Je vous rappelle qu’en tant que formation initiale l’apprentissage devrait relever beaucoup plus de la collectivité nationale. L’embauche de 200 000 apprentis par an, puisque tels sont nos objectifs, c’est 200 000 étudiants de moins, pour un coût sensiblement inférieur.

Le Figaro Économie : Le gouvernement a également annoncé l’ouverture du contrat initiative emploi aux jeunes. Qu’en pensez-vous ?

Arnaud Leenhardt : L'apprentissage est un vrai passeport pour l’emploi. Le CIE est une aide efficace pour l’embauche, avec des effets d’aubaine inévitables. La mise en place de cette formule pour les adultes chômeurs de longue durée a « télescopé » d’autres mesures. Je crains que l’effet ne soit le même pour les jeunes, au détriment de l’alternance, et en particulier de l’apprentissage. Le CIE incite les entreprises à trop prendre en considération l’avantage financier, certes réel, au détriment peut-être de la qualité, c’est-à-dire de la formation. Il faut que le gouvernement nous laisse revoir l’ensemble du dispositif avant d’ouvrir une nouvelle formule. La priorité est d’assurer le financement du développement de l’apprentissage.

Le Figaro Économie : Vous poursuivez mardi la négociation sur les régimes complémentaires de retraite. Les syndicats vous accusent d’avoir noirci les perspectives de croissance pour imposer aux actifs et aux retraités des efforts d’autant plus importants que vous refusez toute hausse de cotisation.

Arnaud Leenhardt : C’est une présentation inexacte des choses : nous nous sommes basés sur l’hypothèse moyenne des scénarios établis par les experts des deux régimes Arrco et Agirc. Nos interlocuteurs syndicaux connaissent aussi bien que nous les perspectives démographiques, auxquelles personne ne peut échapper : il nous faut équilibrer les régimes en sachant qu’à terme il n’y aura plus que deux actifs pour supporter un retraité qui percevra sa pension pendant vingt ans, alors qu’en 1975 on comptait quatre actifs pour payer la pension d’un retraité pendant seulement dix ans !

Il n’est pas exact, par ailleurs, de dire que nous refusons la hausse des cotisations : celle-ci est d’ores et déjà programmée, puisque nous avons accepté en 1993 que le taux des cotisations Arrco passe progressivement de 4 % à 6 %, et en 1994 que celui de l’Agirc passe progressivement de 12 % à 16 %. Au terme du processus, nous consacrerons globalement pour la retraite un quart de la masse salariale. Il ne nous paraît pas raisonnable d’aller au-delà, car toute nouvelle hausse deviendrait intolérable pour les actifs. Il y a un vrai problème d’équité entre les générations, c’est pourquoi nous proposons d’adapter le rendement des régimes aux nouvelles données démographiques.

Pour un dispositif de régulation automatique

Il est tout à fait que ce langage responsable est difficile à tenir, quand dans le même temps la réforme des régimes spéciaux de retraite est renvoyée à plus tard. Mais nous, nous sommes dans un vrai régime paritaire, et nous entendons assumer nos responsabilités avec nos partenaires syndicaux. C’est pourquoi nous attendons leurs propositions, mardi, lors de la prochaine réunion.

Le Figaro Économie : S’agissant de l’assurance maladie, soutiendrez-vous jusqu’au bout les orientations de réforme, et notamment la recherche d’un mécanisme qui garantisse le respect des objectifs quantifiés de dépenses défini ?

Arnaud Leenhardt : Bien évidemment : il n’est pas question pour nous d’avoir les prélèvements sans les réformes. On ne peut pas faire l’économie d’un dispositif de régulation et d’implication collective jouant automatiquement en cas de dérapage des dépenses. Mais il nous paraît indispensable d’avoir des exigences analogues vis-à-vis de l’hôpital.