Interview de MM. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, et Werner Hoyer, secrétaire d'État allemand aux affaires étrangères, dans les quotidiens "Pravda" et "Slovenska Republika" le 29 juin 1996, sur la démocratie, les minorités et l'adhésion à l'Union européenne de la Slovaquie.

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Intervenant(s) : 
  • Michel Barnier - Ministre délégué aux affaires européennes ;
  • Werner Hoyer - Allemagne. Secrétaire d'État aux affaires étrangères

Circonstance : Voyage conjoint de M. Barnier et M. Werner Hoyer en Slovaquie les 30 juin et 1er juillet 1996 : entretiens à Bratislava sur "la démocratie slovaque" dans la perspective de son adhésion à l'UE.

Média : Pravda - Slovenska Republika

Texte intégral

Entretien accordé par le ministre délégué aux Affaires européennes, M. Michel Barnier, et par le secrétaire d'État allemand aux affaires étrangères, M. Werder Hoyer, au quotidien "Pravda", à Brastislava, le 29 juin 1996

Q. : Depuis la première démarche de l'Union européenne en octobre l'an dernier, les représentants du Gouvernement slovaque se plaignent d'une communication insuffisante entre Bratislava et Bruxelles et en attribuent la faute à la Commission européenne. L'objectif de la critique slovaque est sans doute d'obtenir une intensification des rencontres au niveau le plus haut, c'est-à-dire entre le Premier ministre Meciar et ses partenaires de la Commission européenne et des différents États membres.

Est-il réaliste de penser que de tels contacts entre la Slovaquie et la France, entre la Slovaquie et l'Allemagne auront lieu dans une période proche ?

Ce sujet fera-t-il l'objet également de vos entretiens à Bratislava ?

M. Barnier : Contrairement à ce que vous suggérez, nous, c'est-à-dire, l'Allemagne et la France, mais aussi la Commission et les autres membres de l'Union européenne, entendons maintenir un dialogue politique actif avec les autorités slovaques. Notre visite le prouve. Le commissaire Van Den Broek est venu à Bratislava en mars dernier. En ce qui concerne la France, M. Meciar a rencontré le Président Chirac l'année dernière, en marge du sommet de Cannes, le Président du Conseil national slovaque était à Paris il y a un mois.

M. Hoyer : Je ne peux qu'approuver ce que mon collègue a dit. Le Premier ministre Meciar s'est rendu deux fois en Allemagne ces derniers mois. Nous recherchons le dialogue avec la partie slovaque, parce que nous sommes attachés à un dialogue approfondi sur toutes les questions qui ont trait au rapprochement avec la Slovaquie. C'est la raison pour laquelle il y aura encore à l'avenir des contacts politiques, que ce soit dans nos pays ou en Slovaquie. Le fil du dialogue ne doit pas être rompu.

Q. : Les objections de l'Union européenne envers la Slovaquie avaient rapport avec le mauvais état de la démocratie en Slovaquie. Avez-vous l'impression que, dans ce domaine, la situation s'est améliorée, que l'on y respecte à nouveau la démocratie parlementaire, le pluralisme et les Droits de l'Homme ?

M. Barnier : La démocratie parlementaire et le pluralisme existent en Slovaquie, sinon votre pays ne serait pas déjà membre associé à l'Union européenne, ce qui signifie qu'il a vocation à adhérer, à terme, à l'Union. Il est vrai que les vives tensions, apparues non seulement entre majorité et opposition, mais aussi entre certaines institutions slovaques, ont surpris. Des mesures restrictives, par exemple sur l'enregistrement des fondations, sur l'état d'urgence ou la diffusion de fausses nouvelles, le statut des langues minoritaires, sans être forcément attentatoires aux libertés par elles-mêmes, ont, par leur accumulation, créé l'impression que la transition vers l'État de droit pourrait se trouver fragilisée. Notre sentiment est que les autorités slovaques ont conscience des préoccupations de l'Union européenne, de nos opinions politiques, et s'efforcent de procéder aux ajustements nécessaires.

M. Hoyer : Les avis de la Commission tiendront compte de tous ces aspects, puisque ce qu'on appelle les "critères de Copenhague" prévoient l'existence dans les pays candidats "d'institutions garantissant la démocratie, la primauté du droit, les Droits de l'Homme, le respect des minorités et leur protection".

La Commission est ainsi appelée à réaliser une sorte "d'audit démocratique" de chaque candidat.

Q. : La tension en Slovaquie entre le Premier ministre Meciar et le Président Kovac est incompréhensible pour bon nombre de gens en Occident, beaucoup de représentants slovaques affirment par contre qu'une telle tension entre deux agents constitutionnels est caractéristique des sociétés en cours de transformation en Europe centrale et orientale. Partagez-vous cet avis ?

M. Hoyer : Nous ne voulons pas nous immiscer dans les relations entre les dirigeants politiques slovaques. Quoi qu'il en soit, il est évident qu'un conflit ouvert entre les organes constitutionnels influencent de façon négative l'image qu'un pays présente l'extérieur, et peut de ce fait éveiller le doute quant à la poursuite par ce pays du processus démocratique en cours. L'union européenne a clairement fait connaître sa position sur cette question le 25 octobre 1995.

M. Barnier : Nous n'entendons pas en effet nous immiscer dans les relations entre les deux principales personnalités slovaques, toutes deux éminemment respectables. Ce qui importe est que les tensions qui peuvent exister et qui sont naturelles même dans nombre de démocraties occidentales, entre tel chef de l'État et son chef de gouvernement, n'affectent pas la cohésion et l'image de la démocratie slovaque.

Q. : De nombreux slovaques supportent mal l'attention soutenue que prête l'Union européenne à la situation de la minorité hongroise en Slovaquie. Ils affirment que la Slovaquie se situe bien au-dessus du niveau standard européen en matière de minorité nationales et qu'il n'y a donc pas de raison de s'inquiéter. En même temps, ils craignent que l'on abuse de cette attention pour exiger la création d'une autonomie hongroise au sud de la Slovaquie. De quelle manière considérez-vous ce problème ?

M. Barnier : La France et l'Allemagne ont des systèmes institutionnels, des modes d'organisation administrative et juridique très différents, modelés par des histoires très différentes. Pourtant, nos deux pays sont également persuadés que l'élargissement de l'Union européenne suppose un traitement exemplaire des minorités nationales des pays candidats. C'est si vrai que le traitement des minorités figure parmi les "critères de Copenhague" fixés pour l'adhésion des nouveaux membres.

M. Hoyer : Nous saluons à cet égard la ratification du Traité de base hungaro-slovaque, considéré comme un signal positif. Le traité contribue non seulement à améliorer nettement les relations bilatérales entre la Slovaquie et la Hongrie, mais aussi à renforcer la stabilité de la région et de l'Europe dans son ensemble. Désormais, il importe de donner vie à ce traité. Le merveilleux accueil que la Hongrie a réservé au Président Kovac les 12 et 13 juin était un signe encourageant prouvant que les relations entre les deux pays sont sur la bonne voie.

 

Entretien accordé par le ministre délégué aux Affaires européennes, M. Michel Barnier, et par le secrétaire d'État allemand aux Affaires étrangères, M. Werner Hoyer, au quotidien "Slovenska Republika", à Bratislava, 29 juin 1996

Q. : Votre visite en Slovaquie est qualifiée d'exceptionnelle. En quoi la considérez-vous, vous, comme exceptionnelle, et pourquoi commencez-vous la série de vos voyages en Europe centrale et orientale précisément par la Slovaquie ?

M. Hoyer : Le choix de la Slovaquie résulte du fait que ni l'un ni l'autre n'avions encore visité votre pays. Il ne s'agit donc pas de traiter la Slovaquie différemment des autres pays associés candidats à l'adhésion. Nous souhaitons d'ailleurs renouveler cette première expérience.

M. Barnier : Cette visite est exceptionnelle en ce sens qu'elle est effectuée par deux ministres de deux pays fondateurs de l'Union. Nous avons voulu marquer symboliquement l'étroitesse de la concertation franco-allemande à propos de cette question cruciale qu'est l'élargissement de l'Union aux pays d'Europe centrale et orientale.

Q. : Quel modèle de discussion avec les pays aspirant à l'adhésion à l'Union européenne celle-ci a-t-elle choisi ? Commencera-t-elle les négociations avec tous les pays en même temps ou bien procédera-t-elle par groupes ? Dans ce contexte, quelle est la position de départ de la Slovaquie ?

M. Hoyer : À Madrid, le Conseil européen réunissant les chefs d'État et de gouvernement des Quinze a chargé la Commission européenne de préparer un rapport sur la situation de chaque pays candidat à l'adhésion. Ce bilan doit permettre d'évaluer la capacité de chaque candidat à rejoindre l'Union européenne, de mesurer les efforts que chacun devra accomplir pour se rapprocher de l'Union jusqu'à l'adhésion pleine et entière. La Commission devra remettre ces rapports dès la fin de la conférence intergouvernementale qui est précisément chargée de revoir le fonctionnement des institutions de l'Union européenne avant les futurs élargissements de l'Union.

M. Barnier : Le Conseil européen a souhaité que les avis de la commission portent sur l'ensemble des candidatures, soit douze pays aujourd'hui. Cette égalité de traitement est importante : il ne s'agit pas de mettre l'ensemble des candidats en position de concurrence mais bien de garantir à tous leur vocation à l'adhésion. Il n'appartient pas aujourd'hui aux États membres de l'Union de dire s'ils estiment tel ou tel candidat apte à s'engager dans les négociations d'un traité d'adhésion. La commission doit d'abord rendre ses rapports. Elle y travaille avec le plus grand sérieux sur la base d'un questionnaire extrêmement détaillé qui a été transmis au gouvernement de chaque pays candidat, sur cette base, le Conseil européen prendra les décisions nécessaires à l'ouverture des négociations.

Q. : Attendez-vous des résultats concrets de votre visite en Slovaquie sous forme d'engagements et de dates ?

M. Barnier : L'élargissement de l'Union est une certitude et les échéances approchent à grand pas. C'est pourquoi chacun, l'Union et les pays candidats, devra redoubler d'efforts pour préparer ces échéances et faire en sorte que l'Union européenne sorte renforcée de son élargissement. L'enjeu est de taille : l'Europe est née il y a plus de 40 ans. Les États qui la composent aujourd'hui travaillent sans relâche à l'approfondissement de l'Union. C'est dire le travail qui attend les pays candidats : ils devront adopter le plus rapidement possible les règles que les États fondateurs de l'Union, tels la France et l'Allemagne, mettent au point depuis près d'un demi-siècle. Les règles du marché intérieur ou de respect de l'environnement par exemple constituent un ensemble de disciplines qu'il ne suffit pas de transposer dans les législations nationales. Elles impliquent la mise en œuvre de pratiques industrielles, sociale et organisationnelles réellement exigeantes. L'adhésion à l'Union aura certes des contreparties importantes, politiques, économiques et financières mais elle suppose aussi le respect de disciplines. Cet effort de convergence sera long et difficile pour les pays candidats mais soyez assurés que nous sommes déterminés à vous aider, non à brûler les étapes, mais à les franchir les unes après les autres avec succès.

M. Hoyer : C'est encore trop tôt pour dire exactement quand les premiers accords d'adhésion entreront en vigueur. Mais une chose est tout à fait sûre : l'élargissement de l'Union ne sera remis en cause par personne. Nous nous dirigeons à grand pas vers celui-ci. L'Union doit sortir, politiquement et économiquement, renforcée de l'élargissement. Pour la première fois dans leur histoire, ce n'est pas seulement les candidats à l'adhésion qui doivent s'adapter à l'acquis communautaire. L'Union doit elle-même se reformer, se préparer à aborder sainement le processus d'élargissement qui représente un grand défi. En même temps, les candidats à l'adhésion ne doivent pas faiblir dans leurs efforts de réforme, pour que l'élargissement conduise à un succès pour les deux parties.