Texte intégral
France Inter : jeudi 4 juillet 1996
France Inter : Vous avez naturellement suivi la prestation du Premier ministre sur TF1 hier soir. Comment l'avez-vous trouvé ?
Hervé Gaymard : Je l'ai trouvé excellent, puisqu'il a un langage clair.
France Inter : Le contraire nous aurait surpris.
Hervé Gaymard : Non, vous savez, moi, je n'ai pas l'habitude de parler la langue de bois, mais c'est vrai qu'une émission de télévision, comme une émission de radio – d'ailleurs, en ce moment, ce n'est pas toujours facile, parce qu'il faut concentrer sa pensée en peu de temps, faire passer des messages que chacun comprenne ce n'est pas évident. Je trouve qu'il a été très bon.
France Inter : Parlons-en, des messages. Vous qui avez le nez sur les comptes sociaux qui, c'est le moins qu'on puisse dire, continuent de s'enfoncer dans le rouge, vous partagez son avis que tout ne va pas si mal en France ?
Hervé Gaymard : Écoutez, pour les comptes sociaux, j'aurais été là il y a un mois, je vous aurais dit qu'il y avait de bonnes nouvelles, puisque les chiffres du mois précédent étaient bon.
France Inter : Ce n'est plus le cas.
Hervé Gaymard : Les chiffres de ce mois-ci sont beaucoup moins bons pour la médecine de ville et sont meilleurs pour l'hôpital. Et peut-être que le mois prochain, je viendrai vous dire que les choses vont mieux. Donc, c'est vrai que chaque mois, on a des statistiques des comptes de l'assurance maladie et que chaque mois, il faut se livrer à des commentaires. Et souvent ces commentaires sont un peu artificiels, j'allais dire, parce que, selon le nombre de jours ouvrables dans le mois, les statistiques ne sont pas forcément les mêmes. Moi, ce que je voudrais simplement dire, c'est que nous avons le devoir, tous ensemble, tous les Français, de sauver notre système de protection sociale. Nous avons la chance d'avoir un système qui concilie la liberté et la solidarité par le remboursement par la Sécu et nous sommes le seul pays au monde à avoir à gagner sur les deux tableaux, si j'ose dire. Et donc il faut que nous, chacun, nous fassions des efforts pour modérer nos dépenses.
France Inter : Pour revenir à la prestation du Premier ministre, est-ce qu'au fond ce n'était pas un petit peu inopportun de venir convaincre les Français qu'il faut voir le verre à moitié plein au moment où les indicateurs – on parlait des comptes sociaux, mais aussi le chômage, la croissance – dégringolent, au moment où il y a des annonces massives de plans sociaux ?
Hervé Gaymard : Je crois que le problème de l'exercice du pouvoir, c'est qu'on arrive au pouvoir après un certain nombre d'années où beaucoup d'erreurs économiques ont été faites. Je vous signale qu'entre 1981 et 1993, le chômage a été multiplié par trois ; je vous signale que, pendant la même période, le déficit budgétaire a été multiplié par douze. Et nous devons nous coller, si j'ose dire, avec tous ces sujets. Et c'est vrai que l'actualité est souvent éphémère. Il y a un chiffre, un événement qui sort et qui peut masquer l'ensemble. Et je crois qu'il est important que le Premier ministre fasse comme il l'a fait hier soir : remettre les choses en perspective pour indiquer la direction du redressement du pays.
France Inter : Un événement : la Corse. Est-ce qu'il faut se contenter d'un discours de fermeté avec les « bandes armées », comme le Gouvernement l'a déjà dit, d'ailleurs, au moment même où des militants continuent à tirer des salves dans les cimetières en Corse, au moment de l'enterrement de l'un des leurs ?
Hervé Gaymard : Depuis Aléria, en 75, tous les gouvernements, quels qu'ils soient, se sont heurtés au problème corse et n'ont pas su le régler, sinon ça se saurait. C'est un sujet qui est difficile et je crois qu'il faut maintenir la loi républicaine et la sécurité des populations corses, mais ne pas non plus fermer la porte au dialogue car les sujets, il faut les régler de manière consensuelle.
France Inter : Un dernier mot sur cette prestation du Premier ministre. Protéger le secret de l'instruction en ce qui concerne l'affaire Tiberi c'est ce qu'il a dit –, est-ce que ça ne donnera pas l'impression aux Français qu'on veut encore davantage étouffer ce genre d'affaire ?
Hervé Gaymard : Non, mais je crois qu'on peut vraiment parler, de lynchage « médiatique ». Je ne sais pas si vous vous souvenez, il y a quelques années, on a modifié le vocabulaire, ça s'appelait une inculpation, et on a appelé ça la mise en examen, parce qu'on s'est dit que « inculpation », c'est présumer que quelqu'un est coupable alors qu'il est innocent. Donc, on a changé le vocabulaire. Mais le fait de changer le vocabulaire n'a pas changé grand chose et on voit se multiplier les mises en examen et, quand quelqu'un a un non-lieu, on n'en parle plus. Regardez l'exemple de M. Roussin : on a beaucoup parlé quand il était mis en examen et le jour où il a été blanchi par la justice, on en a à peine parlé.
France Inter : Là, il ne sera pas question de blanchiment puisque le dossier a été classé.
Hervé Gaymard : Non mais, sur l'ensemble de ces affaires, ce que je veux dire, c'est qu'il faut que la justice passe et qu'elle puisse s'exercer mais il faut aussi cesser de considérer que toute mise en examen est présomption de culpabilité.
France Inter : On va parler un petit peu de santé.
Hervé Gaymard : C'est plus important.
France Inter : L'amiante sera interdite à partir du 1er janvier 1997. Il était temps, non ?
Hervé Gaymard : Oui.
France Inter : Ça fait 30 ans qu'on sait que c'est dangereux.
Hervé Gaymard : Ce n'est pas si simple que ça. Il y a vingt ans, en effet, qu'un certain nombre de comités et d'associations, qui ont fait bouger les choses, se sont mobilisées sur ce sujet. Mais la nouveauté du rapport qui nous a été remis par l'INSERM, qui est l'institut de recherche médicale, il y a quelques jours, c'est de nous dire qu'il y avait certaines fibres qui pouvaient être plus dangereuses qu'on ne le pensait jusqu'alors. Et c'est la raison pour laquelle, sans tarder, le Gouvernement a décidé d'interdire au 1er janvier de l'année prochaine la fabrication, la distribution et l'importation d'amiante sur notre territoire. Je voudrais dire quand même que, dès l'arrivée au pouvoir de ce Gouvernement en 1995, A. Juppé, E. Hubert – qui était ministre de la Santé –, J. Barrot – qui était seulement ministre du Travail à l'époque –, et nous deux, depuis que nous sommes au Travail et aux Affaires sociales, avons pris le taureau par les cornes. Nous avons eu une première série de décrets au mois de février 1996, il y a quelques mois, et maintenant nous avons un deuxième train de mesures pour améliorer la sécurité sanitaire.
France Inter : Vous avez aussi annoncé quelque chose d'important pour les malades du Sida, à savoir que les médicaments anti-viraux vont pouvoir se trouver, bientôt, en pharmacie, ce qui évitera aux malades de se rendre trop fréquemment à l'hôpital. C'est important ?
Hervé Gaymard : C'est très important parce qu'actuellement, un malade atteint du Sida, même s'il n'est pas à l'hôpital, doit aller à la pharmacie de l'hôpital chercher son médicament. Ce que nous voulons, à partir du 1er janvier 1997, c'est que ces médicaments très particuliers puissent être distribués normalement dans les officines et prescrits par les médecins de ville, sachant que pour la première prescription, c'est à l'hôpital que les choses devront se passer.
France Inter : La confidentialité sera quand même respectée ? AIDES s'inquiète à ce sujet et s'inquiète aussi de la formation des généralistes sur le Sida et constate que les crédits pour cette formation sont gelés, alors ?
Hervé Gaymard : Je voudrais dire plusieurs choses. Il est faux de dire que les crédits pour la formation sur le Sida sont gelés. Deuxièmement, le traitement du Sida est un secteur pionnier en France, en termes d'organisation des soins puisque nous avons autour des hôpitaux ce que l'on appelle des réseaux ville-hôpital. Donc les médecins de ville sont déjà habitués à travailler avec l'hôpital. Donc cela ne fait pas de soucis. Mais ce qui est vrai, et on a six mois pour cela, c'est qu'il faut que cette affaire soit bien organisée et notamment en liaison avec les médecins de ville et les pharmaciens pour une meilleure formation. C'est évident.
France Inter : L'épidémie se stabilise, les médicaments vont être en pharmacie comme n'importe quelle maladie, cela va devenir une maladie chronique comme une autre ?
Hervé Gaymard : Je crois que 1996 est la première année de l'espoir pour le traitement du Sida. Il faut toujours être prudent mais c'est vrai que l'on constate une stabilisation de l'épidémie, que nous avons l'arrivée de la trithérapie qui permet aux personnes atteintes du Sida de vivre plus longuement. Il faut évidemment ne pas relâcher notre vigilance mais je crois qu'après plus de dix ans d'inquiétude et de désespoir, nous avons en cette année 1996 quelques lueurs d'espoir et c'est à nous, pouvoirs publics de tout faire pour que cet espoir se concrétise.
France Inter : C'est ce que vous allez dire à Vancouver, lors de la conférence mondiale sur le Sida ?
Hervé Gaymard : Je vais à Vancouver dimanche et lundi prochain pour la conférence qui se tient tous les deux ans sur le Sida, qui est un événement très important, notamment avec ces trithérapies. Et sur le retour, je vais m'arrêter quarante-huit heures à Washington pour voir comment fonctionnent les Américains dans leurs institutions de sécurité sanitaire et alimentaire parce qu'après la crise de la « vache folle », nous avons des enseignements à en tirer.
Le Figaro : 8 juillet 1996
Le Figaro. – Les trithérapies font appel à des combinaisons d'antiviraux dont certaines incluent les anti-protéases. Ces molécules sont-elles actuellement largement disponibles en France ?
Hervé Gaymard : Dès l'annonce des résultats prometteurs des essais thérapeutiques les incluant à la conférence de Washington en janvier dernier, nous avons mis en place un dispositif de recueil d'information et de prise de décision exceptionnel, associant les cliniciens, les chercheurs et les hôpitaux. Le refus clairement exprimé par le gouvernement de tout recours à un tirage au sort nous permet d'être le seul pays européen à mettre à la disposition des médecins et de leurs patients les antiprotéases – nous en disposons de trois – sans aucune restriction de quantité et sans délai. Actuellement, près de 10 000 de nos concitoyens bénéficient de cette avancée thérapeutique. Pour sa part, l'Agence du médicament a élargi les critères de prescriptions des antiprotéases en portant à 200 le nombre de lymphocytes T4 requis pour la prescription de deux d'entre elles et à 300 pour la troisième. Les bénéfices cliniques prouvés, en terme de réduction de la mortalité et de survenue d'infections opportunistes, y incitaient.
Le Figaro : Quel est l'effort financier de la France en matière de lutte contre le sida ?
Hervé Gaymard : La France consacre à la lutte contre l'épidémie des budgets importants. L'effort de la nation dépassera nettement les cinq milliards de francs en 1996. La prise en charge médicale en ville et à l'hôpital, ainsi que les médicaments spécifiques représentent la plus grosse part avec près de quatre milliards de francs. La prise en charge et l'accompagnement social, ainsi que la prévention et la communication représentent près de 500 millions de francs. Enfin, la recherche contre le sida mobilise plus de 800 millions de francs dont 232 millions pour l'Agence nationale de recherche sur le sida. Vous pouvez le constater, cet effort est important. Et il devrait approcher les six milliards de francs en 1997.
Le Figaro : Le professeur Jean Dormont recommande la dispensation des médicaments antiviraux dans les officines ? Comptez-vous suivre cet avis ?
Hervé Gaymard : Cette mesure, dont j'avais demandé l'étude au groupe d'experts que préside le professeur Jean Dormont, va dans le bon sens. Elle sera prise dans le souci de faciliter au malade l'accès aux médicaments, et ce dans une plus grande confidentialité, d'associer plus encore le pharmacien à l'accueil et au conseil des malades, d'impliquer progressivement davantage les médecins de ville dans le traitement des personnes atteintes. La première prescription serait faite à l'hôpital et pourrait être renouvelée par le médecin de ville. En France, la collaboration entre fa ville et l'hôpital est très étroite en matière de prise en charge des malades du sida. Tous les antiviraux qui ont une autorisation de mise sur le marché devraient en bénéficier de la mesure que je souhaiterais effective au 1er janvier 1997. Nous consulterons, pour sa mise en œuvre, les médecins et les pharmaciens qui doivent, au préalable, concevoir une formation adéquate. À n'en pas douter cette mesure améliorera les droits des malades en favorisant l'égalité d'accès aux soins. Elle sera une application de l'évolution dans l'histoire de la maladie.
Le Figaro : Le sida a réactualisé la lutte contre la toxicomanie. L'extension des traitements de substitution aux opiacés a permis une réduction sensible des comportements à risque. Assiste-t-on enfin à l'émergence d'une politique de lutte contre les toxicomanies ?
Hervé Gaymard : Nous avons résolument choisi la voie de la réduction des risques afin de lutter contre la propagation du sida et des hépatites tout en favorisant l'intégration sociale du toxicomane, premier élément de son accès aux soins et aux traitements de sa dépendance. Cette politique est claire et a été réaffirmée par le premier ministre à l'occasion de l'installation de la nouvelle mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Aujourd'hui, 3 500 toxicomanes sont sous méthadone et 13 000 sous subutex. La poursuite de ces programmes ira de pair avec l'amélioration de l'accueil des toxicomanes. Nous souhaitons, en étroite coopération avec les élus locaux : développer les lieux d'accueil fixes ou mobiles, augmenter le parc d'échangeurs de seringues, de distributeurs de seringues et de trousses de prévention, de récupérateurs de seringues usagées. Nous souhaitons de même former les personnels intervenants et susciter le partenariat local pour accroître la cohérence et l'efficacité des actions.
Le Figaro : Y a-t-il en France une réelle volonté de promouvoir la prévention des maladies sexuellement transmissibles, dont le sida, notamment au niveau de l'Éducation nationale ?
Hervé Gaymard : Il convient de poser le problème de façon plus générale. Quels sont les rôles respectifs de la famille et de l'école en matière d'éducation à la santé ? La santé des jeunes est-elle correctement prise en compte dans notre pays ? Je crois que l'école ne peut se substituer au rôle des parents, mais elle doit cependant donner, et cela au long des études secondaires, les informations nécessaires à l'acquisition d'une plus grande responsabilité dans ce domaine. C'est ce que fait la récente circulaire instituant quatre heures de prévention du sida dans les classes de collèges. C'est ce que font aussi les campagnes de prévention et de communication que nous menons. Par ailleurs, nous travaillons à la création dans chaque département d'une équipe mobile d'information pour la prévention du sida qui puisse coordonner son action avec les autres acteurs de la lutte contre le sida sur le terrain.
Le Figaro : Quelle est l'action de l'État en matière d'aide au logement des malades démunis ?
Hervé Gaymard : Nous avons mis en place un programme expérimental d'appartements de coordination thérapeutique. Destinés à accueillir des personnes malades du sida, ces appartements reçoivent des personnes isolées, ayant des difficultés financières et sociales et nécessitant un accompagnement continu et permanent, du fait de la maladie. Ils peuvent accueillir trois à quatre personnes. La coordination médicale est exercée par un médecin, tandis que la coordination sociale est assurée par le personnel socio-éducatif. À ce jour, 135 appartements de coordination thérapeutique sont agréés et 143 en cours d'agrément. Les associations d'aide aux malades participent à ce programme et les collectivités locales, qui en financent une part, sont sollicitées, notamment dans le cadre de la charte des villes contre le sida.
Le Figaro : Quelle est la solidarité de la France vis-à-vis des pays en voie de développement ?
Hervé Gaymard : Notre pays a été à l'initiative du sommet des chefs de gouvernement contre le sida à Paris en décembre 1994. Celui-ci a permis de relancer la mobilisation internationale et de mettre en place le programme Onusida commun aux sept agences de l'ONU.
Le Figaro : La France y apporte un concours important en accompagnant le développement de ce programme et se place parmi les premiers contributeurs. En 1995, notre pays a versé à Onusida 17 millions de francs. Au-delà de cette action multilatérale, le ministère de la Coopération mène une action bilatérale soutenue, en particulier en Afrique. Le président de la République aura l'occasion de visiter cette semaine un centre de traitement ambulatoire d'Opals à Brazzaville.
Le Figaro : La France a découvert le virus du sida. Tient-elle toujours un rôle Important demi le domaine de la recherche ?
Hervé Gaymard : Avec un effort de près de 800 millions de francs, notre pays dispose du second budget global de recherche sur le sida, après les États-Unis. Je vous rappelle que c'est en France que sont menés de nombreux essais thérapeutiques de première importance. Cela est dû à la qualité unanimement reg connue de notre recherche clinique.
Nous poursuivons par ailleurs un important effort de recherche du vaccin, alors qu'ici et là on peut relever certains abandons. Je vais à Vancouver pour constater les progrès réalisés dans ces domaines, pour comparer aussi la réaction de notre pays avec les politiques mises en place par d'autres. Enfin, je, souhaite manifester ma solidarité à tous ceux qui luttent chaque jour contre l'épidémie : les professionnels, les acteurs associatifs, les personnes atteintes des pays développés et des pays en voie de développement.