Déclaration de M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, en réponse à une question sur les mesures d'accompagnement de la restructuration des industries d'armement, notamment pour la région Aquitaine, à l'Assemblée nationale le 19 mars 1996.

Prononcé le

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Texte intégral

Q. : Le 6 décembre dernier, à cette même tribune, à l’occasion du débat budgétaire portant sur les crédits de son ministère, je faisais part à M. le ministre de la défense de ma très vive inquiétude quant aux choix gouvernementaux, au regard des incertitudes qui pèsent sur l’avenir de notre politique de défense. Comme je le soulignais lors de la discussion du projet de loi de finances, il est bien évident que nous ne sommes pas opposés à une réduction de nos dépenses militaires et à la reconfiguration du format de nos armées. Cette action en profondeur a déjà été engagée par vos prédécesseurs, mais elle impose plus que jamais que soient prises de fortes mesures d’accompagnement économique et social. Ma principale crainte réside, à cet égard, dans les conséquences annoncées le 22 février dernier par M. le président de la République. Ses propos se sont voulus rassurants, mais ils n’ont pas levé toutes les ambiguïtés nées d’une politique confuse et qui semble répondre aux impératifs exclusifs du ministère de l’économie et des finances.

Défense nouvelle

Or, il s’agit bien de questions fondamentales qui concernent notre défense nationale, et il est absolument nécessaire de sortir rapidement de l’incertitude. Quelle est la politique de la France ? Quels sont ses choix propres et quelles sont ses perspectives pour elle-même et dans le cadre européen ? Les choix que vous effectuerez en répondant à ces questions pèseront lourd pour l’avenir de nos industries de défense et des sites militaires, pour nos emplois et pour la place de nos unités de recherche et de diffusion technologique. Le plan d’accompagnement annoncé par le gouvernement doit être négocié avec les élus des régions concernées. En effet, nous ne voulons pas d’un plan irréaliste, décidé au bout d’une table par des technocrates qui méconnaissent les réalités locales et qui n’ont pas les mêmes soucis économiques et sociaux que les représentants des forces vives d’une région.

Aquitaine (suppression d’emplois dans l’industrie de défense)

Mes préoccupations sont aussi dictées par la situation propre à l’Aquitaine et plus précisément, à la Gironde, dont vous connaissez l’extrême dépendance et donc, la fragilité du tissu industriel. Depuis 1991, nous avons déjà perdu dans ce département, 3 500 emplois industriels du seul fait de la réduction des programmes militaires et de l’insuffisance de la diversification, pourtant nécessaire, de nos grands groupes industriels du pôle aéronautique, spatial et de défense. Avec les évolutions que nous sentons poindre au fil de telle ou telle déclaration du gouvernement ou des industriels, je vois bien que, à nouveau, ce sont plusieurs milliers d’emplois et une importante richesse industrielle et technologique qui sont menacés.

Rapprochements industriels

Or, l’absence de clarté serait-elle devenue la règle ? Quels sont vos projets en matière balistique ? Quelle politique souhaitez-vous développer dans le domaine de la propulsion tactique et stratégique ? Je m’interroge, par exemple, sur les rapprochements évoqués entre plusieurs grands groupes industriels. Ne va-t-on pas vers une vente par appartements d’Aérospatiale vers Dassault ou Matra, et dans quelles conditions ? Confirmez-vous le choix de privatiser Aérospatiale et Thomson ? Quelles alliances à l’échelon européen entendez-vous privilégier ?

Suppression de programmes balistiques

Je veux aussi vous alerter sur les conséquences dramatiques qu’auraient sur notre département de la Gironde la suppression du programme MS et le report, au-delà de 2005, voire l’abandon, du Rafale. Ce sont très clairement 2 000 emplois directs ou indirects qui disparaîtraient du paysage industriel, avec les conséquences sociales que cela implique, dans un département déjà fortement éprouvé.

Fermeture des bases aériennes de Cenon, Cazaux…

Permettez-moi, enfin, d’évoquer mes inquiétudes sur l’avenir des secteurs qui dépendent directement de votre ministère. J’ai déjà eu l’occasion de vous alerter sur la situation de l’Atelier industriel de l’aéronautique de Bordeaux-Floirac ; jusqu’à ce jour, vos réponses ne m’ont pas encore rassuré sur la nécessité de maintenir le statut des personnels et sur le plan de charge de cet établissement. J’ajoute que mes craintes portent également sur les sites militaires. Vous avez pris la décision de fermer cette année la base aérienne de Cenon. Vous avez également décidé de dissoudre, en mai prochain, l’escadron de la base de Cazaux. Quelles seront les conséquences dans les prochaines années sur le centre de formation d’Hourtin si vous réformez le service national ? Quelles mesures entendez-vous prendre précisément pour maintenir ou pour reconvertir les sites abandonnés ou réduits ?

Réforme des armées (débat national et local)

R. : Monsieur le sénateur, vous avez mis en exergue dans votre question les incertitudes qui pèseraient sur la politique de défense de la France et sur le budget du ministère de la défense. Je ne suis pas de votre avis. Au contraire, nous sommes engagés dans une phase de clarification, dont le chef de l’État a lui-même donné le coup d’envoi, dans son entretien télévisé du 22 février dernier.

Sur des questions essentielles comme les missions des armées et leurs effectifs, sur la question importante de l’organisation des armées et des principaux équipements, des indications précises ont été apportées, des schémas d’évolution ont été présentés. Sur deux sujets importants, la loi de programmation 1997-2002 et la réforme du service national, le gouvernement organisera, comme vous le savez, un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. Vous aurez donc l’occasion de faire part de vos observations. Cependant, le gouvernement a tenu et tient à ce que ces débats se déroulent dans la plus grande clarté, car ils engagent l’avenir de la France.

Signature de conventions régionales économiques et sociales

Les évolutions que la défense est appelée à connaître me paraissent donc, aujourd’hui, mieux cernées. Certaines auront, en effet, des conséquences locales indéniables, notamment en termes d’activité économique. C’est parce qu’il en est conscient que le gouvernement veut anticiper sur l’impact territorial des restructurations militaires et industrielles, en mobilisant dès à présent les moyens humains et financiers nécessaires à l’accompagnement de ces mesures. À l’échelon régional, des conventions de reconversion ayant vocation à être déclinées en protocoles de bassin sont proposées. Une telle convention doit d’ailleurs être prochainement conclue entre l’État et la région Aquitaine. Il est clair que le champ d’action de ces conventions ne se limite pas aux grands établissements qui sont encouragés à diversifier leurs activités ; il intègre la situation spécifique des PME, au profit desquelles de nouveaux instruments d’intervention, notamment financiers, sont en cours d’élaboration.

Je pense, Monsieur le sénateur, que ces explications, en attendant le débat qui aura lieu dans cette enceinte, auront satisfait votre curiosité.