Interviews de M. Bruno Mégret, délégué général du Front national à RTL le 19, "Sud Ouest" le 23 et à France-Inter le 26 mai 1997, sur l'attitude du FN vis à vis de la droite notamment dans la perspective du deuxième tour des élections législatives.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Elections législatives anticipées des 25 mai et 1er juin 1997

Média : Emission L'Invité de RTL - France Inter - RTL - Sud Ouest

Texte intégral

Date : Lundi 19 mai 1997
Source : RTL/Édition du soir

RTL : Alors, « et la France, bordel », nouveau slogan du Front national ?

B. Mégret : Non, comme cela vient d’être dit, c’est un petit gadget, [Illisible]a effet pour les comptoirs de cafés.

RTL : Pas question pour nous de faire voter à gauche, disiez-vous ce matin. Comment ces propos sont-ils compatibles avec ceux tenus par J.-M. Le Pen qui affirmait qu’il serait préférable pour la France que celle-ci ait une cohabitation avec une majorité de gauche ?

B. Mégret : Oui, je crois qu’il faut bien revenir sur l’origine de tout cela. Le Front national est un mouvement qui a de tout temps combattu le socialisme. Nous l’avons fait dès 1981, en 1986, à tout moment. Et ce que nous reprochons au RPR et à l’UDF, précisément, c’est de ne pas avoir rompu avec le socialisme. Alors pour ces élections, notre objectif est clair, c’est tout l’intérêt du Front national, c’est de faire en sorte qu’il n’y ait pas de majorité de droite mais qu’il n’y ait pas non plus de majorité de gauche, c’est-à-dire, qu’il n’y ait pas de majorité possible sans les députés du Front national, de façon à ce que nos positions puissent être réellement prises en compte enfin.

RTL : Et si vous n’avez pas cette minorité de blocage, alors qu’est-ce qu’il faut faire selon le Front national ?

B. Mégret : Nous sommes au premier tour. Notre objectif au premier tour, c’est d’avoir un maximum d’élus, d’avoir un groupe parlementaire et de faire en sorte qu’il pèse à l’Assemblée nationale de façon déterminante. C’est en ce sens que le vote du Front national est un vote utile. C’est le vote le plus utile qui soit pour tous ceux qui voudraient que ça change.

RTL : Entre les deux tours, là où vos candidats pourront se maintenir, donnerez-vous une consigne générale de maintien, et dans le cas contraire, est-ce que vous feriez ou est-ce qu’il y aurait des consignes ?

B. Mégret : S’agissant du deuxième tour, là où nous pouvons nous maintenir, nous nous maintiendrons bien évidemment. C’est la seule possibilité d’abord pour avoir des élus, pour en avoir un maximum. C’est d’autre part un devoir que nous avons à l’égard de nos électeurs pour qu’ils puissent être présents au deuxième tour et s’exprimer jusqu’au bout. Pour le reste, dans les autres cas de figure, eh bien, nous verrons le moment venu.

RTL : Vous verrez le moment venu, ça veut dire que tout est possible ?

B. Mégret : Eh bien, ça veut dire que nous agirons au mieux de l’intérêt notre pays. J’ai dit tout à l’heure qu’il n’est pas question de faire voter à gauche, comme il n’est pas question de faire voter à droite de façon primaire.

RTL : Donc vous dites qu’il n’est pas question de voter à gauche. On a quand même l’impression qu’il y a des nuances d’appréciation pour ne pas dire, plus entre J.-M. Le Pen et vous. Est-ce qu’il n’y a pas des divergences à la tête du Front national ?

B. Mégret : Non, pas du tout. Les propos que je viens de tenir, je les ai tenus ce matin devant J.-M. Le Pen. Nous sommes en accord là-dessus. Lorsqu’il a tenu les propos que vous évoquez, c’était en quelque sorte une analyse qu’il faisait mais qui n’est pas du tout incompatible avec l’objectif que je viens de rappeler.

RTL : Vous avez le même objectif mais peut-être pas la même analyse.

B. Mégret : Mais l’analyse qu’il fait est tout à fait exacte sur le plan de l’Europe de Maastricht. C’est vrai que les socialistes sont un peu en retrait maintenant. Mais il ne faut pas oublier que les socialistes sont partisans du droit de vote des immigrés, sont partisans de la régularisation des clandestins, et que de ce point de vue-là pour la France...

RTL : Est-ce que si je vous dis que J.-M. Le Pen en veut peut-être plus à Chirac que vous ?

B. Mégret : Je ne sais pas. Moi, j’en veux à Chirac de n’avoir pas organisé la rupture avec le socialisme. Et d’ailleurs, je crois que ceux qui lui en veulent peut-être le plus, ce sont les électeurs RPR-UDF extrêmement nombreux, qui sont très déçus de voir que les choses n’ont pas vraiment changé.

RTL : Est-ce que vous dites comme, J.-M. Le Pen que Chirac, c’est Jospin en pire ?

B. Mégret : Sur certains points, c’est vrai que non seulement la situation ne s’est pas améliorée mais s’est détériorée. Si je prends l’exemple du chômage, l’exemple de l’endettement, la situation s’est détériorée, indéniablement.

RTL : Donc là, il y a peut-être une nuance parce que visiblement, pour J.-M. Le Pen, pour lui, c’est l’ensemble de politique de J. Chirac qui fait que c’est encore pire que les socialistes. Il y a des nuances quand même.

B. Mégret : Oui mais si vous voulez, pour nous, il n’est pas question d’entrer dans ce débat qui devient de plus en plus ésotérique et subtile entre la droite et la gauche telles qu’on essaye de mettre en scène dans les médias, de façon totalement artificielle et totalement virtuelle parce que les Français voient bien que ce débat n’a aucune réalité. Ils se chipotent sur des points de détail concernant les modalités de passage à la monnaie unique et sur l’Europe de Maastricht, ou la lutte contre le chômage. Tout cela, c’est secondaire car ils sont d’accord sur l’essentiel. Et le vrai débat, il est en réalité entre cette classe politique  droite-gauche confondues  et le Front national et ce n’est peut-être pas un hasard si nous ne sommes pas autant que nous le méritons dans le débat médiatique. C’est parce qu’on essaye artificiellement de nous exclure par la réémergence d’un vieux débat artificiel de type 1981.

RTL : Dans l’hypothèse d’une démission du Président de la République en cas de victoire de la gauche, J.-M. Le Pen disait en effet que J. Chirac pourrait en tirer les conséquences ?

B. Mégret : Cela serait en effet logique avec les institutions de la Ve République. M. Chirac les a trahies en faisant une dissolution de circonstance, mais s’il était désavoué aussi clairement à cette occasion, il devrait en tirer les conséquences comme l’avait fait en son temps le général de Gaulle.


Date : Vendredi 23 mai 1997
Source : Sud-Ouest

Sud-Ouest : Quelle sera l’attitude du FN pour le second tour, en cas de duel gauche-droite ?

Brunet Mégret : L’objectif est de faire élire le maximum de députés du FN afin qu’aucun des deux camps n’ait de majorité sans nous. Nous ne voulons pas que l’un et l’autre aient en quelque sorte un chèque en blanc au lendemain des élections.

De la sorte, le vote FN sera le vote le plus utile puisque, en augmentant notre poids politique dans l’hémicycle, nous serons en mesure de faire prendre en compte nos propositions et notre programme. Pour le deuxième tour, cette attitude sera annoncée après le premier.

Sud-Ouest : La cohabitation est-elle une bonne chose pour la France ?

Brunet Mégret : En soi, non, car, dans ces circonstances, les deux composantes de l’exécutif, le Président de la République et le Premier ministre se neutralisent mutuellement. C’est la raison pour laquelle nous demandons que le président démissionne s’il perd la majorité au Parlement.

Sud-Ouest : Il n’empêche, depuis votre mise au point du début de la semaine, on a l’impression que c’est vous le patron ?

Brunet Mégret : Méfiez-vous des impressions, Jean-Marie Le Pen est le président du FN, j’en suis le délégué général. Les choses sont claires et je suis un homme fidèle et loyal :

Sud-Ouest : Pourquoi cette hostilité croissante à l’égard de la construction européenne ? La monnaie unique  que vous récusez  n’est-elle pas le couronnement du muché unique  que vous aviez voté ?

Brunet Mégret : À ses débuts, la construction européenne pouvait apparaître comme un moyen de renforcer les nations de notre Vieux Continent.

Depuis quelque temps, elle s’affirme au contraire comme un moyen de leur désagrégation et de leur destruction. La question monétaire en est un bon exemple : la monnaie commune aurait pu être une bonne arme pour combattre le dollar et le yen.

Par contre, la monnaie unique, elle, ne remplit pas ce rôle. À travers elle, désormais, on nous demande de dissoudre le franc pour mieux l’asservir au dollar et nous faire perdre un élément supplémentaire de notre souveraineté.

Jean-Marie Le Pen a déclaré hier qu’il envisageait un boycott de la soirée électorale sur les plateaux de télévision pour protester contre la couverture de la campagne du Front national par les chaînes françaises.


Date : Lundi 26 mai 1997
Source : France Inter/Édition du matin

J.-L. Hees : Avec 15 % des voix, votre parti n’a jamais été autant en position de faire ou de défaire une majorité. Est-ce que c’est bien raisonnable, dans ces conditions, de déclarer immédiatement, comme J.-M. Le Pen, hier soir, avec une certaine virulence, que le Président de la République devait partir ?

B. Mégret : Oui, si J.-M. Le Pen a dit cela, c’est parce que c’est bien J. Chirac qui, en dehors de tout impératif institutionnel ou politique, a dissous de son propre chef l’Assemblée nationale, s’est engagé lui-même dans la campagne électorale et a donc associé en quelque sorte sa légitimité au résultat de ces élections. Il y a un avertissement, c’est le moins que l’on puisse dire. Il y a un camouflet cinglant à l’égard du RPR et de l’UDF. Il est donc directement mis en cause. Et dans l’esprit de la Constitution de la Ve République, il est logique qu’il envisage de démissionner et qu’il démissionne comme l’avait fait en son temps le fondateur de la Ve République, dont il se réclame.

J.-L. Hees : Mais est-ce que ce genre d’attitude ne met pas a priori à part le Front national dans le débat pour le second tour ?

B. Mégret : Je crois que, d’abord, nous avons l’habitude d’être à part. J’ai noté avec beaucoup de satisfaction que vous nous présentiez comme l’une des quatre grandes formations politiques, ce qui est tout à fait exact. Je note que nous n’avons pas été traités du tout comme cela pendant le premier tour puisque, de par un certain nombre de dispositions réglementaires éminemment contestables quant aux passages du Front national dans les médias mais aussi de la part d’une stratégie délibérément adoptée par la classe politique, un débat artificiel a été organisé entre les uns et les autres, laissant entendre que le seul clivage qui existait, le seul affrontement qui existait était un débat droite-gauche traditionnel alors qu’il n’a plus lieu d’être. Ceci mettait totalement hors du débat et de la campagne le Front national, alors qu’il est précisément porteur des grandes questions que se posent les Français. Il n’est donc pas étonnant qu’en ayant mis totalement le Front national en dehors du coup dans la campagne du premier tour, il y ait eu un désaveu cinglant du RPR et de l’UDF et, c’est vrai, une progression, mais qui est loin d’être enthousiaste, en faveur de la gauche. En clair, les Français ont dit qu’ils ne voulaient plus du HPR et de l’UDF mais qu’ils ne voulaient pas vraiment du Parti socialiste. La solution est ailleurs, la vérité est ailleurs, c’est le Front national.

J.-L. Hees : C’est une de vos conclusions. On n’est plus dans un débat droite-gauche pour ce second tour des législatives ?

B. Mégret : Je crois que cela paraît à l’évidence. Il y a trois grands pôles politiques en France dorénavant et il va falloir en tenir compte. Pour ce qui nous concerne d’ailleurs, c’est tellement vrai que nous considérons ne pas avoir à nous positionner par rapport à l’un ou par rapport à l’autre. Nous existons par nous-mêmes avec nos propositions.

P. Le Marc : Quelle a été l’influence de J.-M. Le Pen dans cette campagne ? Est-ce que votre succès ne change pas fondamentalement la donne au sein du Front national ? Il n’aurait plus besoin, finalement, de son leader.

B. Mégret : Un mouvement politique a toujours besoin d’un leader, surtout dans le système institutionnel qui est le nôtre où un parti politique, pour exister, a besoin d’un présidentiable. Il est clair que le présidentiable, chez nous, c’est J.-M. Le Pen.

Oui, je pense que J.-M. Le Pen a souhaité mon succès, a souhaité le succès de chacun d’entre nous et qu’il était extrêmement satisfait des résultats, hier soir.

A. Ardisson : Le débat n’est plus entre la droite et la gauche, à vos yeux, mais néanmoins, est-ce que vous pouvez vous engager à ce qu’il n’y ait pas de négociations, d’accords, d’échanges souterrains ?

B. Mégret : Cela, on va le voir. Nous, à vrai dire, nous sommes en position assez simple puisque partout où nous avons des candidats, nous allons les maintenir puisque nous voulons des élus et la seule façon d’avoir des élus, c’est de maintenir les candidats que nous avons au deuxième tour. Et nous allons appeler à un grand rassemblement de tous ceux qui veulent un vrai changement, de tous ceux qui sont contre Maastricht, de tous ceux qui veulent une vraie politique sociale en rupture avec le mondialisme, de tous ceux qui veulent que l’on prenne en compte l’impératif de sécurité, de tous ceux qui veulent en finir avec la corruption. Cela fait beaucoup de monde à se réunir autour des candidats du Front national, qui sont les seuls à incarner cette voie de changement, de renouveau. Et pour le reste, pour ne pas éluder votre question, dans les cas où nous n’avons pas de candidat au deuxième tour, on peut attendre de voir un petit peu. D’abord, qu’est-ce que va dire A. Juppé, qu’est-ce que vont dire les leaders du RPR et de l’UDF, par exemple dans les circonscriptions où nous sommes en duel contre la gauche ? Ce serait intéressant de le savoir. Est-ce que M. Gaudin va continuer, comme il l’avait déjà dit avant le premier tour, à dire qu’il fait appel à voter pour les socialistes et les communistes face au candidat Front national.

J.-L. Hees : Une question n’a pas été encore tranchée jusqu’à présent de la part du Front national et cela a été un des moments flous de la campagne d’ailleurs. Que souhaitez-vous ? La victoire de la majorité ? La victoire de l’opposition ? Parce qu’il y a là une certaine divergence entre vous et J.-M. Le Pen.

B. Mégret : Cela a été affirmé de façon extrêmement claire, ce que nous voulons, c’est avoir des élus à l’Assemblée nationale en nombre suffisant et dans une position telle que rien ne puisse se faire sans nous. En clair, ce que nous disons c’est qu’il faut que ni la droite, ni la gauche, n’ait la majorité sans le Front national, que le Front national soit en position stratégique. Et compte tenu, en effet, de la situation extrêmement tendue entre les deux forces traditionnelles, c’est possible. Il est possible qu’on ait à l’Assemblée nationale une situation où les quelques députés que nous aurons parce que malheureusement la loi est ainsi faite que nous ne pouvons pas avoir les quelques quatre-vingt députés auxquels nous aurions droit compte tenu de notre score , que les quelques députés que nous pouvons avoir et que nous devons avoir puissent faire la balance.

J.-L. Hees : Qu‘est-ce qui va déterminer, pour le Front national, son soutien éventuel à tel ou tel candidat de telle ou telle formation, c’est-à-dire, de droite ou de gauche, pour le second tour, quand vous n’êtes pas en position de rester ?

B. Mégret : On va l’examiner tranquillement. Ce n’est pas France Inter qui détermine notre calendrier. J’essaye de vous en dire le plus possible mais nous avons une réunion du bureau politique tout à l’heure. Il reste à traduire en termes de consignes plus précises ce qui permet d’atteindre à l’objectif, à savoir l’élection de députés en situation charnière à l’assemblée. Il n’est pas dit que nous donnions des consignes ponctuelles circonscription par circonscription. Cela peut se faire pour certains, cela peut ne pas se faire globalement. Tout cela est encore très ouvert.

P. Le Marc : Il y a les souhaits des dirigeants du Front national et puis il y a l’état d’esprit des électeurs du Front national. Quel est cet état d’esprit ? Est-ce que cet électorat ne préfère pas plutôt la droite que la gauche ? Et est-ce qu’il n’est pas plutôt contre la cohabitation ?

B. Mégret : Je pense que cette analyse correspond, en effet, à la réalité. Le Front national n’est pas à mi-chemin entre la droite et la gauche. Nous avons été, à une certaine époque, en situation de conquérir des voix sur la gauche, que ce soit le PS voire le PC, nous sommes actuellement en train de conquérir beaucoup de voix sur la droite classique RPR-UDF. Nous sommes tout à fait opposés à la gauche. Nous savons bien que la gauche a causé beaucoup de dégâts dans notre pays. C’est elle qui est à l’origine d’une situation extrêmement laxiste sur le plan de l’immigration avec la régularisation des clandestins, le droit de vote des immigrés, projet qu’elle veut faire aboutir. Nous savons très bien que la gauche est partisan du laxisme en matière de lutte contre l’insécurité, qu’elle a joué le jeu de la mondialisation. Tout cela, nous le savons. Ce que nous reprochons à la droite RPR-UDF, c’est précisément de ne pas avoir rompu avec le socialisme. Et les électeurs du Front national, pour une large part, sont tout à fait dans cette ligne-là. Ceci dit, il faut bien comprendre que les électeurs du Front national sont maintenant des électeurs qui ont une existence autonome, ce ne sont plus des gens qui votent Front national par réaction, par déception. C’est le cas des nouveaux venus mais ce n’est pas le cas du noyau dur qui est maintenant un électorat autonome et qui vote Front national traditionnellement, si je puis dire, de père en fils, comme on votait autrefois communiste ou gaulliste de père en fils.

A. Ardisson : Je suppose que les calculettes ont dû marcher très fort, hier soir. Vous vous voyez à combien à l’assemblée ? Quelle fourchette ?

B. Mégret : Je pense que nous pouvons avoir une douzaine d’élus.

A. Ardisson : Et si cela se passe mal pour vous ?

B. Mégret : Si cela se passe mal, il peut y en avoir de zéro à douze. Le mode de scrutin est tel que tout est possible avec ce mode de scrutin extrêmement injuste. Mais je pense que nous sommes bien partis pour en avoir entre six et douze.

J.-L. Hees : L. Jospin s’est intéressé lui aussi, dès hier soir, aux électeurs du Front national en notant qu’il faudrait peut-être s’occuper de leurs inquiétudes, alors peut-être que vos électeurs vont devoir se déterminer ?

B. Mégret : Moi, cela me fait quand même bien sourire de voir ces gens, qui ont été d’échec en échec, expliquer que leurs électeurs à eux sont des gens qui adhèrent pleinement, sans aucune réserve, à leurs thèses, à leur programme, à leurs propositions et que les électeurs du Front national seraient des malheureux, des inquiets, des déboussolés qui voteraient Front national en désespoir de cause ! Tout cela est totalement absurde ! Cela ne correspond en rien à la réalité. Je pense que c’est même exactement le contraire. Compte tenu des anathèmes et de la désinformation que subit le Front national, pour voter Front national, croyez-moi, il faut avoir des convictions et le vouloir ! Alors que ceux qui votent RPR, UDF ou même PS et PC le font, soit par habitude, soit faute de mieux. Je pense que le vote de conviction est de plus en plus un vote Front national.

J.-L. Hees : Avez-vous été surpris, sincèrement, par les résultats d’hier soir ?

B. Mégret : Non, je n’ai pas été surpris. Je pensais que le Front national allait faire la surprise. Quand on veut manipuler l’opinion, elle se retourne contre vous. Donc, cela ne m’étonne pas du tout que le Front national entre en force dans le débat du deuxième tour puisqu’on a voulu l’écarter du premier tour et écarter, à travers lui, ses électeurs. Cela ne m’étonne pas qu’il y ait une réaction de rejet à l’égard du RPR et de l’UDF, tout le monde savait que beaucoup d’électeurs de la majorité présidentielle étaient très déçus de ne pas avoir constaté de rupture avec l’ère mitterrandienne. Et chacun sait que le PS et le PC n’ont plus rien à dire de nouveau, qu’ils arrivent en fin de course historique et que, par conséquent, ils ne sont pas capables de mobiliser une force alternative dynamique. Tout cela, c’était inscrit dans les données objectives de la situation.

P. Le Marc : Est-ce que, malgré votre score, vous n’êtes pas finalement dans une impasse à cause de votre stratégie ? Vous avez un pouvoir de nuire certain mais vous n’avez pas de pouvoir de gouverner et d’appartenir à une majorité. Est-ce que, finalement, l’évolution ne serait pas un changement de stratégie du Front national ?

B. Mégret : Ce n’est pas une impasse du tout. C’est une étape dans notre progression. Le Front national est un mouvement jeune, je constate qu’il y a une crise politique majeure avec le désaveu cinglant à l’égard du Président de la République et l’incapacité des forces politiques traditionnelles à mobiliser autour d’un projet et d’un espoir. Le Front national apparaît comme l’alternative en constitution. C’est vrai que nous ne sommes pas encore mûrs pour gouverner aujourd’hui mais ces élections montrent que nous le serons demain et c’est à cela que nous nous préparons.