Texte intégral
RTL : L. Jospin, dans sa lettre publiée aux Français met l’accent sur la morale, le Président de la République parlait, lui, de l’entreprise. Laquelle de ces deux lettres vous convient le mieux ?
A. Bocquet : Moi, je pense qu’il y a un premier problème. Nous ne sommes pas dans une campagne pour une élection présidentielle. Nous sommes dans une campagne pour une élection législative. Et je crains qu’à force de ces échanges épistolaires, on pense et on transforme cette élection en sorte de présidentialisation qui, à mon avis, n’est pas de mise. Cela étant dit, il est tout à fait naturel que les uns et les autres s’expliquent. J’avais trouvé que la lettre de J. Chirac était une sorte de supplique plébiscitaire, si je puis dire, visant à laisser une justification de cette précipitation des élections législatives. Quant à celle de L. Jospin, il y a des bonnes intentions qui sont exprimées, il y aussi des choses qu’il faut préciser. C’est le cours du débat qui est en cours actuellement.
RTL : Un sondage Ipsos publié par Le Point donne seulement un siège de majorité à la droite. Vous croyez, vous, à la victoire possible de la gauche ?
A. Bocquet : Moi, je pense que les conditions se créent, et un climat se crée dans le pays, pour que la droite soit battue et que la gauche puisse l’emporter. Et, en ce qui me concerne, et en ce qui les concerne, les communistes travaillent dans ce sens, bien entendu.
RTL : Mais à quoi ressemblerait la gauche victorieuse ?
A. Bocquet : Il est souhaitable que la gauche qui gagne les élections législatives soit une gauche équilibrée parce que la première question qui est posée, c’est qu’il y ait suffisamment de suffrages communistes et qu’il y ait de nombreux élus communistes. Parce que le plus grand risque ce n’est pas qu’il y en ait trop mais pas assez, quand on voit les premiers éléments de sondage. C’est la raison pour laquelle, pour que la gauche puisse réussir, il faut qu’elle puisse avoir un Parti communiste plus influent. La gauche est plurielle et pour que cette gauche réussisse, il faut vraiment qu’elle puisse avoir une politique qui soit vraiment ancrée à gauche.
RTL : Comment devrait être utilisée la force que représenteront dans une majorité éventuelle de gauche les élus communistes ?
A. Bocquet : Ils doivent être utilisés et ils joueront leur rôle pour que les choix soient des choix sociaux. Par exemple, qu’il y ait immédiatement des augmentations de salaires, notamment l’augmentation de 1 000 francs du Smic comme nous l’avons proposée, qu’il y ait immédiatement un plan d’action pour réduire le temps de travail à 35 heures. En fait, tout un tas de mesures qu’attendent les salariés de ce pays, qu’attend notre peuple, en même temps, il faudra créer les conditions, dépasser ce Traité de Maastricht, engager un grand débat pour l’entrée de la France dans la monnaie unique, et notamment en appliquant cette volonté qui est la nôtre, un référendum pour que les Françaises et les Français puissent s’exprimer.
RTL : Est-ce que l’entrée des communistes au gouvernement est une question déjà résolue ? R. Hue en parle volontiers en disant qu’il faut évidemment qu’il y ait des communistes au gouvernement.
A. Bocquet : Nous avons toujours dit que nous étions prêts à prendre nos responsabilités à tous les niveaux, y compris au niveau du gouvernement, pour mener en France une autre politique, une politique qui s’attaquerait réellement à la domination des marchés financiers. Une vraie politique de gauche, transformant réellement la vie de notre société pour que les gens vivent mieux.
RTL : Mais vous voulez aller au gouvernement ?
A. Bocquet : C’est une décision qui sera prise en fonction des résultats, en fonction de l’avis des communistes qui seront consultés le moment venu bien entendu. Rien ne se fera sans l’avis des communistes, et ensuite en fonction de quelle politique sera mise en œuvre demain.
RTL : S’il n’y a pas d’engagement d’organiser un référendum sur Maastricht, est-ce que ce non-engagement serait de nature à remettre en cause la présence des communistes au gouvernement ?
A. Bocquet : Écoutez, je crois que dans la récente rencontre que nous avons eue avec le Parti socialiste, et la déclaration commune qui en est sortie, il y a eu des avancées notoires en ce qui concerne les problèmes européens. Certes, il reste des différences d’appréciation, certaines divergences bien évidemment, mais cela étant dit, laissons le temps au temps.
RTL : Le référendum n’est pas une obligation sine qua non ?
A. Bocquet : Nous, nous pensons qu’il doit y avoir un grand débat sur cette question de l’entrée de la France dans la monnaie unique, et le référendum est une proposition que nous formulons. Laissons faire les électeurs.
RTL : L. Jospin a perçu, il l’a dit récemment, une évolution positive des communistes sur l’Europe. Vous pouvez nous dire en quoi vous avez évolué ?
A. Bocquet : Écoutez, en ce qui nous concerne, nous avons réaffirmé que nous étions pour une Europe sociale, une Europe démocratique, une Europe qui en finisse avec la domination des marchés financiers qui dictent leur loi et qui conduit à des scandales comme celui de Vilvorde. Et, de ce point de vue, je pense que c’est une avancée, et une réflexion, qui est notoire, bien entendu.
RTL : Précisément, à propos de Vilvorde, L. Jospin a fait savoir, récemment, qu’il était prêt à revoir la fermeture de l’usine de Vilvorde. C’est un engagement important à vos yeux ?
A. Bocquet : Il l’a exprimé effectivement. Il a aussi dit, comme M. Schweitzer, qu’il y avait des problèmes de coût de production et de surcapacité. Cela étant dit, il a dit qu’il était prêt à discuter avec les syndicats. Moi, en ce qui me concerne, je pense, comme les communistes, d’ailleurs, de chez Renault, que la gauche devrait renationaliser Renault pour reconquérir une véritable maîtrise nationale de cet outil, et pour régler le problème. En l’occurrence, pour maintenir en activité cette usine performante.
RTL : L. Jospin a été ferme : il n’y aura pas d’autres nationalisations, a-t-il dit.
A. Bocquet : Nous, nous sommes pour arrêter déjà les privatisations en cours : France Télécom, Air France, Thomson, celles qui concernent le secteur bancaire. Il reste que la question de la rénovation, de la démocratisation du service public, voire de certaines renationalisations, est posée, bien entendu.
RTL : Dans une majorité éventuelle de gauche, est-ce que le Parti socialiste s’est donné les moyens, par ses projets de financement, d’appliquer une politique de gauche ?
A. Bocquet : Écoutez, il y a des éléments positifs, d’autres qui sont à mon avis insuffisants. Nous ne ferons pas dans ce pays une politique de gauche si on ne s’attaque pas réellement à la cause de la crise qui est la domination des marchés financiers. Cette logique implacable, et qui fait qu’il y a tant de problèmes humains posés dans le pays, qui est la dictature du profit-roi. Cela, il faut en finir. C’est à ce prix-là que l’on pourra faire une politique de gauche, une véritable politique de gauche dans le pays.
RTL : Vous ne redoutez pas que l’argument des communistes qui consiste à dire : il faut aller chercher l’argent là où il est, amène certains électeurs à se détourner d’un éventuel vote à gauche ?
A. Bocquet : Non, je pense que les électrices et les électeurs ont fait leur expérience. Il y a eu dix années d’expérience avec la gauche au pouvoir et le Parti socialiste. Il y a eu des échecs douloureux et des amertumes, et je crois qu’il faut en tirer les enseignements. L. Jospin, lui-même, dans sa lettre, assume les erreurs. Les assumer, c’est bien, créer les conditions pour ne pas les recommencer, à mon avis, c’est mieux. Et s’attaquer à l’argent-roi, prendre des mesures sociales imminentes, relancer l’économie par la relance de la consommation, me paraissent être des éléments importants qui, s’ils ne sont pas mis en œuvre, nous ne pourrons pas faire en sorte qu’il y ait une politique de gauche. La gauche n’a pas le droit à l’erreur, elle n’a pas le droit de décevoir. C’est le sens de l’action des communistes dans cette élection législative.