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Q : Monsieur le Premier ministre, l’année prochaine devrait voir la naissance de la société européenne, Airbus. C’est une bonne chose parce que Airbus a besoin de passer du stade de GIE au stade de véritable société pour pouvoir lutter à armes égales avec le concurrent américain Boeing. Néanmoins, vous le savez, cette année 1999 pourrait aussi être l’année de tous les dangers pour l’industrie aéronautique française et pour Aerospatiale. Dans le processus de création de la société Airbus, nous assistons en effet à un rapprochement accéléré qui pourrait conduire à une fusion entre l’avionneur allemand DASA et l’avionneur britannique British Aerospace. Si cette fusion se faisait sans Aerospatiale, l’industrie aéronautique française pourrait se retrouver dans une situation d’isolement et presque de marginalisation. Ce serait particulièrement préjudiciable au moment où va se décider le partage des charges de travail entre les différents sites pour la construction du très gros porteur l’AXX, qui sera le concurrent du Jumbo, le 747 de Boeing. Face à ce péril, étant donné que l’État est l’actionnaire majoritaire d’Aerospatiale, je voudrais savoir comment le gouvernement compte conjurer ce péril. Avez-vous une stratégie ? Selon quel calendrier entendez-vous agir ?
R : Comme nous le savons tous ici, la France est forte dans le secteur aéronautique, qu’il s’agisse de l’aéronautique civile ou militaire, à la fois grâce à la commande publique et à la façon dont l’Etat a su, dans le passé, organiser avec d’autres partenaires le financement de la création d’un GIE comme Airbus. C’est un secteur où l’effet de taille devient dominant. C’est très clair aux États-Unis, où de gigantesques fusions ont eu lieu. La même réalité s’impose aussi à l’Europe et le fait de regrouper toutes nos forces en matière aéronautique dans un seul ensemble est souhaitable. Le gouvernement y est favorable.
Toutefois, il nous a semblé utile de commencer par regrouper les forces françaises, et cela dans deux directions : d’abord dans le domaine militaire, en apportant à Aerospatiale les parts que l’État détient dans Dassault Aviation, vieux projet caressé par d’autres gouvernements mais jamais conduit à son terme, et qui sera achevé à la fin de ce mois puisque le pacte d’actionnaires entre Dassault et l’État est maintenant terminé.
Ensuite, un second rapprochement entre Aerospatiale et Matra a déjà été annoncé. Il est en cours de discussion et prendra encore un certain temps avant d’être finalisé car l’affaire est complexe, vous le savez. Il avance malgré tout et ce matin même – peut-être est-ce la raison de votre question ? – Un accord a été signé entre le premier ensemble, constitué par le gouvernement, Thomson-Alcatel, d’une part, et l’ensemble Aerospatiale-Matra, d’autre part, dans le domaine des missiles et des satellites. Le paysage est donc dégagé. Alors, dans ce contexte, les deux partenaires principaux, allemand et anglais, que nous avons dans Airbus ont annoncé et travaillent depuis plusieurs mois à un rapprochement, mais car cela ne va pas aussi vite que vous le dites.
Par ailleurs, ce n’est pas dans l’esprit de la déclaration faite entre les trois chefs de gouvernement il y a juste un an, le 9 décembre 1997 – peut-être est-ce la seconde raison de votre question ? Le président de la République française et le Premier ministre de notre côté, le Premier ministre britannique et le Chancelier allemand avaient alors souhaité que le regroupement se fasse simultanément entre les trois entreprises. Il s’agit, dans le cas de BAe et de DASA, d’entreprises privées. Si elles ont souhaité de leur côté accélérer le processus, ce n’est ni un avantage ni un inconvénient. Je ne partage pas votre point de vue, monsieur Baudis. Vous qui êtes toulousain ne pouvez d’ailleurs trop répandre que l’aéronautique française pourrait, d’une quelconque manière, être marginalisée. Nous sommes, dans l’ensemble européen, des partenaires incontournables. Cet accord entre les Anglais et Allemands n’est pas encore signé. Mais, s’il se réalise au lieu de discuter à trois, nous discuterons à deux et les deux ensembles ainsi constitués – anglo-allemand d’un côté et français de l’autre, avec Aerospatiale et Matra – seront de poids égaux et présentent donc un rapport de forces égal.
Vous avez évoqué l’A3XX : c’est un grand projet et nous devons en effet peser pour que la plus grande partie de cet avion – en tout cas ce qui est vital – soit fabriquée en France, et si possible à Toulouse. Telle est la position du gouvernement, qu’il fait valoir en tant qu’actionnaire de l’Aerospatiale, dans les discussions avec nos partenaires. Soyons sûrs d’une chose : le GIE Airbus a été constitué selon un principe d’égalité entre les trois principaux partenaires. Si cette société doit évoluer d’une quelconque manière, s’il n’y a plus que deux partenaires, le partenaire français et le partenaire anglo-allemand travailleront selon un principe d’égalité.