Ensemble de déclarations et de contributions au colloque du cinquantenaire du Commissariat général du plan des dirigeants de syndicats, sur l'avenir de la planification et le rôle du plan face à la mondialisation, Paris le 24 mai 1996.

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Circonstance : Commémoration du cinquantenaire du Plan : colloque à Paris les 23 et 24 mai 1996 sur le thème "Globalisation, mondialisation, concurrence : la planification française a-t-elle encore un avenir ?"

Texte intégral

CFDT- Alain Deleu

Globalisation, mondialisation, concurrence : la planification française a-t-elle encore un avenir ?

Il y a cinquante ans, la création du Commissariat général au Plan correspondait à la nécessité d'organiser, sous l'égide des Pouvoirs publics et conformément à la pensée dominante du moment, la reconstruction et la modernisation de l'économie française profondément mise à mal par le deuxième conflit mondial.

Pour répondre à la mission qui lui était confiée, le Commissariat général a constitué une équipe réduite en nombre, a mené une action transversale par rapport aux différents ministères et a associé à ses travaux les partenaires sociaux concernés : patronat et syndicats ainsi que des experts reconnus.

Au fur et à mesure des progrès réalisés par l'économie française, le besoin d'un plan directif s'est peu à peu moins fait sentir et les derniers exercices de planification ont pu paraître relativement théoriques du fait du faible intérêt réel porté par les Pouvoir publics à ces travaux et à leur sort. Il est vrai que l'achèvement des tâches de reconstruction, puis l'adoption d'une idéologie libérale et enfin l'ouverture des frontières et des marchés, ont été des facteurs déterminants pour relativiser le rôle et l'importance du Plan.

Depuis plusieurs années, une interrogation se pose sur l'avenir de cette procédure et de l'organisme qui le fonde.

Si on se place dans la droite ligne des méthodes qui ont présidé, il y a cinquante ans, à son lancement, la réponse à cette interrogation est très vraisemblablement négative. Mais, au contraire, si l'on tient compte de l'évolution des réalités et de l'expérience acquise, une vue positive des choses se justifie.

Il faut, en premier lieu, constater que l'économie de marché n'a pas supprimé le besoin de précision et d'évaluation préalables à toute décision. À la limite, on doit admettre qu'elle l'a rendu encore plus nécessaire dans un monde où l'incertitude tient une place prépondérante.

D'ailleurs, on ne voit pas pourquoi le Gouvernement se priverait d'un instrument qui a fait ses preuves alors que toutes les entreprises performantes, confrontées à la concurrence, ont développé et renforcent cette fonction de réflexion et d'analyse indispensable à leur stratégie et à leur service.

Certes, on peut considérer que de multiples organismes publics ou privés se livrent à des exercices de prévisions voire de prospective. Sans minimiser la valeur de leurs recherches, il faut cependant se rendre à l'évidence que ces travaux sont souvent limités à quelques secteurs, sont exagérément trop globalisés pour avoir un impact réel et surtout n'apportent pas la vue d'ensemble indispensable aux prises de décision au niveau gouvernemental.

Le Commissariat général du Plan a montré par le passé sa capacité à mener ce genre de réflexion transversale et synthétique. Nul ne peut douter qu'au niveau du Premier ministre une telle structure permette une amélioration nécessaire de la visibilité, de la clarté et de la crédibilité de l'action publique. Cette approche est d'autant plus souhaitable que précisément l'économie de marché exige une grande transparence des raisons, des choix et des orientations.

Bien entendu, une telle évolution requiert de nouvelles méthodes et des produits rénovés. En particulier elle ne justifie plus l'exercice formel de la rédaction d'un plan. En revanche, elle demande que la réflexion sur les faits porteurs d'avenir soit accompagnés d'un point, annuel par exemple, sur l'état des réalisations et d'une évaluation des écarts entre les projets et la réalité.

Enfin, il ne convient pas de négliger le rôle considérable joué par le Commissariat dans l'association des partenaires, notamment syndicaux, à ses travaux et notamment dans deux domaines :

– celui de l'association aux travaux préparatoires et à l'élaboration des propositions qui a permis, malgré des dérives parfois technocratiques d'instances, un dialogue riche et tolérant dont le bilan doit être considéré objectivement comme positif ;
– celui de la formation incomparable qui a pu être acquise par de nombreux militants à travers la participation aux nombreuses commissions du plan ; ces connaissances ont permis de franchement améliorer la qualité des négociations collectives auxquelles ces militants ont pu participer ultérieurement.

Ces deux domaines doivent être non seulement conservés mais enrichis par une amélioration des échanges et de la continuité des travaux.

Dès lors, l'avenir du Plan se situe à la fois dans le développement, auprès du Premier ministre, des actions permettant d'éclairer les choix stratégiques en matière économique et sociale, dans l'appréciation régulière a posteriori de l'efficacité de ces choix et des dérives constatées par rapport aux objectifs adoptés. Cet avenir doit également comprendre la réaffirmation et l'élargissement du rôle de carrefour des débats et d'association aux réflexions menées des différents acteurs de la vie nationale.

De la capacité du Commissariat général du Plan à s'adapter à la nouvelle donne ainsi définie, de sa détermination à ne pas s'enfermer dans le piège technocratique et de sa créativité pour dégager de nouvelles voies de concertation et de communication dépend son avenir.

Le Gouvernement en s'engageant dans cette voie, qui n'est pas nouvelle, puisque de nombreux grands pays industrialisés possèdent d'une façon ou d'une autre de tels outils d'action, montrerait qu'il sait s'adapter aux évolutions et veut se donner les moyens de mener une politique efficace.


CGT - Jean-Christophe Le Duigou

Centre confédéral d'études économiques et sociales

Acteurs pour un nouveau projet de développement

Salariés, jeunes, chômeurs expriment des attentes fortes auxquelles il est urgent d'apporter des réponses : réponses concrètes à des situations sociales intolérables, réponses à plus long terme sous forme de projets mobilisateurs pour une société qui doit être ouverte, en Europe et sur le monde. C'est une question de choix politiques au sens le plus large du terme, qui suppose volonté, effort de construction et mise en place d'outils adaptés.

La période d'après-guerre peut servir de référence. Elle ne peut pas servir de modèle. D'où à l'opposé du dépérissement de la démarche planificatrice que nous avons déploré et dénoncé, le besoin d'intervention et de création pour construire un projet de développement dans un contexte de mondialisation. Un Plan rénové et transformé devrait être au coeur de cette démarche.

L'urgence est partout. Elle éclate dans les revendications mais aussi dans les angoisses de la société. Le monde est entraîné par une nouvelle révolution technologique aux effets contradictoires qui rapproche comme jamais les espaces et les activités, mais divise les sociétés et génère l'exclusion et la précarité. La mondialisation qui s'amplifie demeure avant tout soumise aux règles de la concurrence capitaliste. La globalisation financière fait peser ses diktats. Elle crée de nouveaux fossés, nourrissant de profonds antagonismes entre les peuples. Les gouvernements enfermés dans des choix contestables, paraissent impuissants. Les États sont sommés d'appuyer les stratégies de leurs plus grandes firmes nationales, ce qui se fait au détriment des solidarités et des besoins sociaux.

Les conséquences s'accumulent : crises économiques et financières, inégalités croissantes entre le Nord et le Sud au sein de chacune de ces zones, désintégrations sociales et nationales, étouffement progressif des activités publiques, mise en cause de l'environnement ...

Parallèlement de graves menaces pèsent sur le développement futur : redistribution des forces économiques et démographiques, multiplication des conflits et dissémination des armes nucléaires, montée des nationalismes et des intégrismes.

Le débat et la réflexion ne peuvent se limiter à tirer les conséquences d'une mondialisation sur laquelle on se refuserait à peser. La France a besoin de redéfinir son intervention sur l'organisation du monde et de l'Europe. D'où l'urgence d'un diagnostic sérieux. L'approche traditionnelle française de l'internationalisation reposait sur des bases solides : le rôle de l'État comme levier de la croissance, la recherche d'un équilibre franco-allemand dans une Europe qui s'affirme, une diplomatie extérieure tous azimuts. La France n'a plus tous ces moyens, l'internationalisation est devenue mondialisation, les ressorts de la croissance paraissent brisés au moins en Europe.

Même s'il semble que s'ouvre devant nous une longue période de difficultés et de transition avant que puisse se dégager aussi bien dans chaque pays que sur le plan mondial de nouvelles perspectives de développement, nous ne sommes pas condamnés à l'impuissance.

Une majorité de pays en Europe et dans le monde voudraient construire leurs échanges sur une autre base que la « guerre économique ». Ils attendent des initiatives en faveur d'un « co­développement ». Ils veulent de profondes réformes des institutions nationales. L'exigence en Europe d'une « bataille pour l'emploi » est de plus en plus forte.

C'est par rapport à ce défi que la France a besoin de donner l'exemple en traitant à la fois le problème de l'emploi, de la réforme de l'État et des services publics et de l'évolution du système de négociation sociale.

La France est confrontée à des problèmes structurels qu'elle doit affronter et résoudre en lien avec les initiatives qu'elle a besoin de prendre au plan européen et mondial. Les perspectives d'emploi sont particulièrement sombres avec une déstabilisation de secteurs entiers (armement, banques et assurances, textile-habillement...). Non seulement les finances publiques ne sont pas maîtrisées mais la dette pèse de plus en plus lourd sur les ressources publiques. Enfin, de nouvelles relations sociales seraient indispensables.

Nous ne nous résignons pas à accompagner un taux de croissance durablement bas. Le Plan devrait donner corps à la bataille pour le plein-emploi. Nous retenons trois logiques de mise en projet de développement et d'emploi, sur les territoires, dans les localités :

– la réponse aux besoins de la population. Ceux-ci s'accroissent et évoluent dépassant l'approche restrictive de ces dernières années, d'emplois de proximité à statut dévalorisé et efficacité dégradée ; 
– la réponse aux enjeux de développement au niveau des entreprises. Des centaines de milliers d'emplois seraient indispensables pour favoriser la recherche, l'innovation et les coopérations qui sont aujourd'hui insuffisantes ;
– l'abaissement du temps de travail de manière à libérer les salariés pour de nouvelles responsabilités et à faciliter l'insertion des jeunes dans des emplois stables.

La maîtrise de l'endettement public ne peut se faire sur la seule base d'économies budgétaires. Pas plus que les taux d'intérêt ne baisseront sous le seul effet de la réduction des déficits publics. Trois registres sont à combiner pour donner du ressort à la croissance :

– des réformes de l'outil administratif et public engageant un pari sur les structures d'avenir, source d'une efficacité renouvelée. Cc qui impose à l'inverse d'un repli programmé de l'intervention publique, un effort sans précédent de prospective ;
– une mutation de la fiscalité avec un rééquilibrage entre la taxation des revenus du travail et ceux du capital, une modification du mode de calcul des cotisations patronales et de nouvelles péréquations territoriales ;
– une profonde évolution de la politique macro-économique impliquant une modification du partage de la valeur ajoutée en faveur des salaires et du développement des hommes et une nouvelle approche de la notion de « stabilité monétaire ». Une réforme du système bancaire et financier est indispensable pour financer l'emploi et l'innovation.

Le rôle des acteurs est essentiel et doit s'enrichir. On ne mobilisera pas la société sans la construction d'une nouvelle sécurité de l'emploi. Le dualisme dans les statuts et les garanties est source de déstabilisation. L'adoption de compromis ne suppose pas le consensus et n'exclut pas le conflit.

Il y a la nécessité de travailler à l'évolution du système de relations sociales à la française en analysant le blocage de ces vingt dernières années et en assurant les conditions d'un dialogue équilibré à tous les niveaux de la société. Un élargissement des droits et des pouvoirs des salariés est indispensable. L'information sociale et économique devrait être passée au crible et largement complétée.

L'objectif global est donc de définir une position de la France pour elle-même bien sûr, mais aussi ouverte sur les autres peuples, pour plus de croissance et d'emplois. Le Plan devrait être le cadre de réflexion pour essayer de définir cette problématique d'ensemble, un outil d'information et d'échange incitant à une discipline de connaissance. Il pourrait être enfin le lieu où s'amorceraient des initiatives concrètes en faveur d'un nouveau développement. La CGT pour ce qui la concerne est prête à assumer ses responsabilités.


CFE-CGC

Contribution de la CFE-CGC sur le thème « mondialisation-globalisation-concurrence, la planification a-t-elle un avenir ? »

Il peut paraître paradoxal de traiter de l'avenir de la planification en France à l'heure où la mondialisation des échanges et de la production et la globalisation des mouvements de capitaux raccourcissent l'horizon de nos prévisions et les rendent plus incertaines tout en nous soumettant à des contraintes qui obligent à s'interroger sur notre propre maîtrise de l'avenir.

En réalité, il s'agit moins d'une remise en cause du concept même de planification que d'une mise en question de ce qu'il recouvre. Certes, la planification incitative, tentative d'organisation des choix collectifs en fonction d'un objectif à long terme clairement précisé, élaboré, chiffré, n'a plus guère de réalité. Le caractère aléatoire et incertain de notre environnement économique, l'interdépendance croissante des économies nationales, le déplacement du centre de gravité de la prise de décision des Nations vers les firmes internationales, l'accélération du progrès technique notamment par les nouvelles technologies de l'information et de la communication, l'apparition de nouveaux producteurs, la circulation rapide des marchandises des capitaux et instantanée des informations, mais également nos propres choix de lier notre destin à celui d'autres pays dans le cadre de l'intégration européenne en ont réduit les aspects stratégiques majeurs.

En outre, le rôle économique de l'État s'est atténué, la déréglementation et la décentralisation ont multiplié le nombre des acteurs-décideurs, la société elle-même et ses attentes culturelles et sociales ont évolué tendant à rendre obsolète toute démarche centralisée et rigide d'organisation des choix collectifs.

Mais cette évolution n'implique nullement que soit abandonnées les tâches essentielles qui incombent également à la démarche planificatrice. Ce sont les tâches d'évaluation, d'expertise, de suivi de la décision publique, d'espace de rencontres, d'échanges, de compréhension mutuelle, de concertation des acteurs économiques et sociaux. À l'heure où les choix deviennent de plus en plus ouverts et multiples et les moyens, surtout financiers, de plus en plus rares et précieux, la concertation et l'évaluation sont les deux impératifs d'une prise de décision appropriée et acceptée, donc efficace.

Cette évolution conceptuelle n'est d'ailleurs nullement nouvelle. Ainsi sommes-nous passés depuis quelques années de la notion de Plan à celle, sans doute plus féconde, de contrat de Plan. Si l'éclairage du court et du moyen terme et la prise en compte de l'incertitude, à défaut de sa réduction, demeurent des notions importantes de la démarche planificatrice, il n'est pas interdit de penser que l'activité humaine, y compris dans ses aspects de relations avec les autres, donc d'échanges entre pays d'idées, de services et de biens, peut gagner en pertinence. Il lui faudra alors être pensée, organisée, régulée en fonction du principe que tout progrès économique doit aussi être un progrès social et que l'homme est au centre de toute activité et doit donc gagner à l'entreprendre ou à y prendre part. C'est là le coeur de la notion de dimension sociale de la mondialisation économique que la CFE-CGC entend défendre et promouvoir.

En ce sens, planifier n'est plus choisir, mais accompagner la décision et contrôler son efficacité, l'inscrire dans un contexte économique, social et culturel analysé avec exactitude, la faire partager et, par-dessus tout, s'assurer que cette décision apporte un élément de progrès. C'est donc s'inscrire dans une démarche de régulation prospective. La planification garde alors tout son sens.


FEN-UNSA – Fédération de l'éducation nationale

Devenir de la planification

Lors de sa séance plénière des 26 et 27 septembre 1995, le Conseil économique et social a adopté un avis sur le devenir de la planification française. La délégation de la FEN au CES a voté en faveur de ce texte.

Bien qu'objet de controverses multiples sur son utilité, sa nécessité, la planification demeure un élément fondamental du débat démocratique dans les domaines économiques et sociaux.

La période actuelle est marquée par la mondialisation de l'économie, l'internationalisation croissante des échanges, le déplacement des centres de décision, l'interdépendance grandissante entre les états. Elle accroît les incertitudes et génère des inquiétudes. Elle nécessite une réflexion prospective pour fixer des orientations stratégiques.

La FEN considère donc que la planification conserve toute sa place faces aux nouvelles contraintes qu'imposent la globalisation, la mondialisation et la concurrence. En effet, l'obligation de souplesse liée à ces contraintes, si elle interdit désormais des évaluations modélisées et chiffrées rigides – et forcément irréalistes –, impose aussi des adaptations structurelles de moyen-long terme que le Plan peut contribuer à définir.

La planification peut alors servir de cadre d'information et de dialogue sur des orientations engageant l'avenir, dans la mesure où le pluralisme des approches continue d'être respecté.

Certains développements de la théorie économique de la croissance à long terme font ressortir l'importance d'engagements d'investissements à long terme tels que les infrastructures matérielles et immatérielles, l'éducation et la formation, la recherche développement. Ces investissements que la FEN souhaite voir clairement distingués dans les dépenses publiques, nécessitent que soient assurées des liaisons, les mises en cohérence avec les grandes politiques menées dans le cadre de l'aménagement du territoire, les différentes lois de programmation voire l'action des fonds structurels européens.

La mise en cohérence des différentes politiques d'investissements et de développement, ainsi que l'étude des possibilités de partenariat en vue de leur financement serait l'une des premières missions du Plan. Celui-ci devrait permettre également d'éclairer les choix en matière de politique de développement industriel.

La connaissance d'un environnement international en mutation continue constituerait également en soi un atout, la connaissance du présent étant souvent largement incomplète. La planification pourrait alors assurer des fonctions d'études proches de la veille technologique, aussi bien que de l'étude de marché. Cette fonction rendrait au Plan sa mission opérationnelle.

La planification devrait également consister en évaluation des différentes politiques d'intervention publique conduites lors de la période récente. Cette fonction permettrait de faire évoluer la connaissance de l'efficacité des différents et nombreux dispositifs mis en vigueur, que ce soit sur leur efficacité propre que sur les effets de leur entrecroisement.

Pour la FEN, la planification demeure le lieu privilégié de l'expertise et de la concertation. Elle souhaite pour cela que le fonctionnement en commissions demeure tel qu'il se déroulait jusqu'à une période récente. La FEN estime qu'ainsi, le Plan retrouverait sa fonction d'expression de l'intérêt général. Il doit en effet, s'émanciper de la « dictature du court terme » pour se consacrer à des objectifs stratégiques, éclairant la politique de moyen terme, susceptibles de mobiliser l'ensemble des partenaires sociaux.


FNSEA – Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles - Luc Guyau

Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, à Monsieur Henri Guaino, Commissariat général du Plan

Monsieur le Commissaire,

Je vous remercie de votre lettre du 30 avril 1996

Alors que le Commissariat général du Plan s'apprête à célébrer son Cinquantenaire, je tiens à vous exprimer tout l'intérêt que FNSEA porte aux travaux de votre administration.

Au cours de ces cinquante dernières années, elle s'est imposée comme un foyer d'analyse, de prévisions et de prospective incontournable dans notre pays.

Le thème que vous avez retenu pour votre colloque du cinquantenaire, « Globalisation, mondialisation et concurrence », illustre fort bien la nécessité de maintenir vivante cette tradition prospective.

Pour relever ces défis, la France a aujourd'hui, plus que jamais, besoin d'hommes et de femmes capables d'éclairer par leurs analyses les choix politiques, économiques et de société auxquels notre pays se trouve confronté.

Le Commissariat Général du Plan constitue à l'évidence, par la qualité de ses travaux, par l'excellence des hommes et des femmes qui y travaillent et y réfléchissent pour notre pays, un outil précieux d'aide à la décision dont les Pouvoirs Publics, les élus et les partenaires socio-professionnels, ne sauraient se priver.

Concernant plus particulièrement notre secteur professionnel, nous suivons ainsi avec beaucoup d'intérêt votre réflexion sur l'avenir de la Politique Agricole Commune à l'horizon 2010.

Comme lors de précédents travaux, notre contribution à cette étude nous a fait apprécier la capacité du Plan à être un lieu de rassemblement et d'échanges pour des acteurs venus d'horizons différents, leur permettant de dégager une vision aussi globale que possible de la question traitée.

C'est en s'appuyant sur cette volonté de rassembler et sur ses compétences prospectives qu'il continuera â éclairer l'avenir de notre pays.

La célébration de son cinquantenaire sera, à n'en pas douter, l'occasion de confirmer cette vocation essentielle du Commissariat Général du Plan.

Veuillez agréer, Monsieur le Commissaire, l'expression de mes sentiments distingués.


Force ouvrière - Marc Blondel

Globalisation, mondialisation, concurrence la planification française a-t-elle encore un à venir ?

Outil de cohérence, de mise en perspective, de prise en compte du moyen et long terme, lieu de débat, de consultation et d'information : telle est la nature profonde du Plan en France, un Plan qui, s'intégrant dans les valeurs républicaines et démocratiques, n'a jamais eu le caractère autoritaire ou totalitaire d'un gosplan mais celui d'un rôle d'éclairage essentiel pour l'avenir.

D'aucuns, y compris du côté des politiques, s'interrogent aujourd'hui sur la nécessité de maintenir la planification française.

Leurs motivations sonnent comme une adoration ou une soumission au libéralisme économique et à l'illusion idéologique de la libre concurrence, pure et parfaite.

Prenant appui sur les phénomènes de mondialisation et de globalisation qui prédétermineraient les orientations nationales essentielles, ils considèrent que le Plan n'a plus sa raison d'être.

Tel n'est pas l'avis de la CGT-Force Ouvrière.

1. Le marché n'est pas la République

Confier au marché, ou plus exactement aux forces dominantes sur les marchés, l'avenir des sociétés, c'est placer le politique en sous-traitance ou en agents commerciaux des intérêts privés s'exprimant sur les marchés. C'est également situer les valeurs républicaines et démocratiques comme des éléments secondaires vis à vis de dogmes économiques décrétés incontournables.

Dans une telle démarche, ce n'est pas tant l'utilité du Plan qui est visée que son aspect révélateur des incohérences.

En effet, si le Plan a une contrainte, c'est celle de la cohérence, quelle que soit la logique retenue, une cohérence entre les questions économiques et sociales.

En quelque sorte, plutôt que de se livrer à un exercice qui pourrait être périlleux, on préférait renoncer à l'exercice lui-même.

Le maintien du Plan est donc nécessaire, y compris au regard de la démocratie.

2. Le Plan prend en compte le temps

Alors que le marché vit essentiellement à court terme, le Plan a par définition une obligation pluriannuelle de moyen terme.

Sans être pour autant un « maître des horloges », le Plan joue un rôle d'étalon bénéfique.

En vertu de quoi les programmations à moyen terme seraient-elles possibles quand il s'agit de se conformer de manière drastique au respect des critères européens de convergences économiques (cf. la loi de redressement des finances publiques), impossibles quand il s'agit de réfléchir à l'avenir de la société dans son ensemble.

Corrélativement, doit-on multiplier les lois de programmation et d'orientation en renonçant à leur mise en cohérence dans le cadre d'un Plan ?

Pour la CGT-Force Ouvrière, le Plan demeure l'instrument privilégié de la logique d'ensemble souhaité par les pouvoirs publics pour la société française. C'est pour cette raison que non seulement nous tenons à son maintien mais aussi à la loi de Plan engageant la responsabilité du Parlement.

3. La régulation contre la libéralisation

Bien souvent utilisée comme alibi, la mondialisation est abusivement assimilée à la libéralisation, à la déréglementation, à la privatisation. L'abandon du Plan s'apparenterait dès lors à la volonté d'absence de régulation au niveau international, les organismes tels que le FMI ou la Banque Mondiale devenant eux-mêmes l'expression des marchés.

C'est pourquoi de la même manière que nous revendiquons au plan international le respect de clauses sociales, c'est à dire la prise en compte du social au même titre que l'économique, nous considérons, au niveau national, que le Plan est le moyen pour les pouvoirs publics de coordonner leurs responsabilités de manière démocratique. La démocratie n'est pas uniquement le droit de vote, c'est aussi le droit de savoir.

Revivifier le rôle du Plan conduit à s'interroger sur les finalités de la politique économique, sur le rôle des pouvoirs publics, sur les modalités et conditions de la construction européenne.

Un Plan engageant la responsabilité du gouvernement et du Parlement, après consultation de ce qu'on appelle aujourd'hui « les forces vives » répond à l'obligation démocratique, au respect de la démocratie par délégation, au constat de la divergence des intérêts au sein de la société.

Il s'oppose, de ce point de vue, aux tentatives récurrentes, ici ou là, de mettre en place, y compris au niveau européen, des « pactes pour l'emploi », démarches de type consensuelle visant à anesthésier les différences pour reconnaître l'inéluctabilité des politiques économiques.

La définition des modalités et du calendrier de la mise en oeuvre de l'Union Économiques et Monétaire, constitue, par exemple, un plan économique et financier où le social est orphelin et relayé, après coup, dans des tentatives consensuelles de pacte.

Poser aujourd'hui l'exigence du Plan, c'est poser le problème des espaces démocratiques correspondant aux différents lieux de prise de décision économique.

4. Pour un Plan revivifié

Un Plan revivifié implique, aujourd'hui, de revoir sa place structurelle et ses interrelations avec d'autres mécanismes tels que la préparation des exercices budgétaires.

Le Commissariat au Plan, pour être efficace, ne peut qu'être directement rattaché au Premier Ministre, voire au Président de la République. Il doit également être en relation étroite avec le Parlement et le Conseil économique et social.

Ce sont là des conditions nécessaires pour assurer l'interministérialité et la validité des engagements d'une loi de Plan.

Il doit également apprendre à réinsérer dans ses travaux, de manière consultative, les interlocuteurs sociaux.

Enfin, il faut réexaminer les relations et coordinations entre un Plan par définition pluriannuel et une loi de finances, de caractère annuel.

Chaque année, au minimum, un éclairage du projet de loi de finances au regard du Plan devrait être indispensable.

Enfin, les lois de Plan, acte d'engagement et de volonté politique des pouvoirs publics, devraient être plus étroitement liées au calendrier électoral afin de faire coïncider les engagements avec l'exercice du pouvoir politique.

Pour toutes ces raisons, le Plan demeure un instrument nécessaire. Le vouloir c'est aussi militer pour qu'au niveau européen et international, des processus de régulation soient définis et mis en oeuvre, ce qui implique un retour du politique au sens noble du terme.


CGPME – Confédération générale des petites et moyennes entreprises

Globalisation, mondialisation, concurrence la planification française a-t-elle encore un avenir ?

Le moment nous semble venu d'abandonner les lourds processus qui ont prévalu jusqu'ici. Non pas qu'ils doivent être aujourd'hui considérés comme ayant été inadaptés pendant ces dernières décennies. Mais parce qu'ils ne correspondent plus aux nouvelles caractéristiques de l'économie européenne ou mondiale, à l'accélération exponentielle de son évolution, à la dérégulation générale, à la régression des moyens d'action et de l'influence des pouvoirs publics sur l'économie (privatisation et recentrage des actions de l'État), et à l'effacement des entraves douanières ou technologiques aux échanges de biens ou de services, sans compter la libre circulation des personnes.

Sa principale ambition devrait, à notre avis, en plus d'assurer des relations entre l'administration et les sociaux-professionnels, se limiter à éclairer les organes décisionnaires nationaux pour leur permettre de faire les quelques grands choix stratégiques que le pays aura à déterminer, par périodes pluriannuelles, el à assurer une coordination des décisions à tous les niveaux dont elles sont issues.

Il est, en effet, devenu bien plus difficile que par le passé de prévoir les évaluations futures de notre société car il ne suffit plus de prolonger les tendances passées.

La sélection, l'analyse et l'évaluation des variables économiques et sociales doivent être opérées de façon concrète pour permettre d'atteindre les objectifs choisis.

Cette sélection, étant faite avec l'accord de l'Administration et des sociaux professionnels, devra se maintenir dans la durée tant que l'environnement n'est pas changé en profondeur.

Nous préconisons la redynamisation des Groupe de stratégie industrielle (GSI) qui, dans le passé, ont montré leur efficience grâce, notamment, à la présence de « gens de terrain », en prise directe avec les questions quotidiennes dans tous les domaines.

La réflexion à entreprendre sur le devenir du Commissariat au Plan nous apparaît donc comme particulièrement opportune Nous y souscrivons pleinement et sommes prêts à y participer.


CFDT – Confédération française démocratique du travail

La planification française a-t-elle encore un avenir ?

Au chapitre des idées reçues, le déclin inéluctable de la planification tient une place de choix. L'expérience des quinze dernières années ne serait en quelque sorte qu'une illustration de la perte d'efficacité des instruments traditionnels d'intervention de l'État dans la vie économique, des politiques keynésiennes aux nationalisations.

Ce serait néanmoins une erreur de considérer que l'intégration européenne, les effets de la mondialisation, ruinent par avance tout effort de planification. Le développement de la planification régionale, la référence constante de la construction européenne à une démarche planificatrice (c'est-à-dire des objectifs stratégiques articulés à une programmation et un suivi des décisions) montrent le contraire. Surtout, la mondialisation (...) pas, sur la société française, les conséquences univoques parfois mises en avant :

– l'imprévisibilité de l'avenir ne fait pas disparaître la pluralité des choix fondamentaux sur la répartition des richesses et des emplois, ou l'inscription de notre économie dans la division internationale du travail ;
– les grandes réformes de fond de la société française à l'horizon de la fin du siècle renvoient à des ressorts Internes et en définitive à une reformulation du contrat social : emploi, éducation, fiscalité, protection sociale, fiscalité, services publics ...

Nul ne contestera que les méthodes de planification doivent profondément évoluer par rapport à l'après-guerre. La CFDT reste cependant convaincue de ta fécondité d'une réflexion stratégique à moyen terme, menée de façon ouverte et concertée afin d'éclairer les grandes décisions publiques au moyen d'un processus d'expertise de qualité, soumise à la critique et au débat démocratique.

La CFDT s'inscrit dans la perspective d'une réhabilitation du Plan. Trois types de questions sont à aborder dans cette perspective : la rénovation des méthodes et des outils dans la perspective d'une planification stratégique, le repositionnement du Commissariat au Plan dans les structures administratives, la recherche d'une articulation souple avec l'action gouvernementale.

I. – Quelle planification aujourd'hui ?

Pour nous, la démarche de préparation, le processus d'élaboration ont autant d'importance que le Plan proprement dit. La planification française, dans le meilleur de sa tradition, est indissociable du débat démocratique auquel elle donne lieu, associant des experts, des représentants des administrations et des forces vives de la société civile.

Un tel débat peut être fructueux dès lors que l'État affiche clairement ses priorités, propose des règles du jeu. Il suppose aussi que les différents acteurs trouvent Intérêt à échanger leurs analyses sur les évolutions économiques et sociales et à s'informer réciproquement sur leur propre stratégie.

Bien sûr, le Plan tire une part de son autorité et de sa légitimité à la volonté de le faire vivre pour inspirer la stratégie gouvernementale à moyen terme. La « demande politique » de planification est naturellement fluctuante. Il ne peut guère en être autrement dans un système constitutionnel où le calendrier politique voit se chevaucher les échéances de façon distincte pour l'exécutif et le législatif.

Mais par ailleurs, l'expérience du XIème Plan montre que, même sans débouché politique, les travaux préparatoires peuvent présenter en eux-mêmes suffisamment de richesse et d'intérêt pour inspirer l'action et les discours politiques, au-delà des clivages traditionnels. C'est pour nous le signe que le rôle du Plan est surtout essentiel en amont de l'action politique proprement dite.

Une planification rénovée est une pièce Importante de la modernisation de l'État. La décision publique doit être élaborée après un effort de connaissance partagé qui permette de redéfinir l'intérêt général. Pour cela, il est Indispensable de renforcer les moyens d'expertise en amont des décisions, et en aval de la mise en oeuvre des politiques publiques. C'est en particulier le rôle de l'évaluation des politiques publiques, l'un des outils d'aide à la décision, partie prenante d'une planification « stratégique ».

L'apport du processus de planification est d'abord de créer un lieu de réflexion, de propositions et de débats ouverts faisant le pont entre les milieux administratifs, les partenaires économiques et sociaux, les experts extérieurs à l'administration, les acteurs de la société civile. Sans doute faut-il renouveler les méthodes de concertation. Le CGP doit conserver une certaine souplesse pour l'organiser de telle sorte qu'elle soit productive, dans le respect de l'identité de chacun. Même si les analyses divergent, l'important est de permettre le dialogue et une confrontation à partir de constats qui ne prêtent pas à contestation. La concertation doit donc porter sur les outils et sur les analyses. Le CGP dispose d'une expérience précieuse dans l'animation de ce dialogue, tant dans le domaine économique que social. Le déposséder de son rôle de concertation ne pourrait qu'appauvrir le processus de planification dans sa dimension de pédagogie réciproque.

Notre réflexion nous conduit aujourd'hui à revendiquer une réhabilitation de l'espace propre du Plan, comme lieu de confrontation et d'alimentation de la réflexion politique, compatible en démocratie avec la pluralité des choix publics et la diversité des forces sociales qui les portent. La confrontation qu'il peut nourrir, fournit de la matière au débat public. Le Plan est un des instruments de la maturation du débat public et du débat démocratique. Personne n'attend de lui qu'il dicte aux pouvoirs publics une vérité révélée sur les grands problèmes de l'heure. Le Plan peut être utile en revanche pour éclairer la diversité des scénarios possibles et les contraintes qui y sont associées, mettre en cohérence des problèmes et des choix dont le traitement s'imposera de toute façon aux pouvoirs publics et aux acteurs sociaux. Le Plan participe donc d'une pédagogie collective dont la concertation est étroitement partie prenante que cette concertation concerne les opinions des acteurs sociaux ou celles des composantes de l'appareil d'État.

L'analyse récente à notre avis la plus lucide et la plus pertinente de la démarche planificatrice était contenue dans le rapport du député Jean De Gaulle : « Planifier, c'est donc à la fois partager un diagnostic sur les tendances lourdes et les risques de rupture de la société, identifier les stratégies de chacun des acteurs et élaborer de manière concertée les chemins possibles et souhaitables. [...]. Acte politique par nature, la planification n'a de sens que si elle opère des choix globaux avec une hiérarchie des urgences. Pour cela est indispensable la volonté politique d'inscrire l'action collective dans le moyen terme »· L'essentiel est dit là en peu de mots. C'est cette analyse qui nous conduit à faire de la planification rénovée une pièce importante de la modernisation de l'État.

La planification elle-même se situe au croisement des dimensions interdépendantes, dont aucune n'est une exclusivité du Plan, mais dont l'articulation fait précisément la valeur ajoutée du Plan :

1. La fonction prospective qui permet d'améliorer la capacité d'anticipation collective.

2. La fonction d'évaluation des politiques publiques pour vérifier l'atteinte des objectifs fixés par la loi et à corriger le cas échéant les moyens mis en oeuvre ou à ajuster les objectifs initiaux.

3. La fonction d'expertise qui consiste à décortiquer la complexité du réel et à faire apparaître les différentes solutions cohérentes permettant de résoudre les problèmes.

4. Enfin – et surtout – pour entendre le maximum d'arguments, la fonction de concertation pour soumettre au débat les solutions possibles, déterminer ensuite les zones de compromis et de conflits. Le Plan doit pour nous, compte tenu des difficultés bien françaises, faire progresser notre capacité collective à faire mûrir les dossiers par le débat et la concertation. Nous aurions évité bien des problèmes si le Plan avait été davantage utilisé à cet effet dans les vingt dernières années afin d'approfondir des alternatives à caractère stratégique dans des cercles plus représentatifs des acteurs collectifs que d'experts, aussi brillants et compétents soient-ils.

Dans ce cadre, il est possible de concevoir de façon articulée, différentes missions d'élaboration stratégique pour le Commissariat au Plan.

1. Élaborer pour le gouvernement (en concertation avec les partenaires sociaux, les grandes associations, les collectivités territoriales et le Parlement) les questions stratégiques à traiter sur la période d'une législature ou sur une période plus courte (deux à trois ans). Définir, les modes de traitement de ces questions et les moments de rendez-vous avec des acteurs concernés. Se contraindre à présenter au Parlement et au pays des rapports réguliers.

2. Organiser la concertation préalable à la décision publique en allant au fond des problèmes en particulier avec leurs aspects opérationnels. Opérer une réforme dans nos sociétés complexes demande une réflexion spécifique sur les obstacles et les effets pervers des hypothèses examinées où se confronte l'expérience de la diversité des composantes de l'État (administrations, établissements publics) et celle des acteurs sociaux confrontant leurs informations. Ce processus, à la fois permanent et scandé par des temps forts, est à notre sens ce qui manque le plus aujourd'hui pour qu'éclosent des projets forts parce qu'opérationnels et partagés.

3. Organiser la mise en cohérence des actions de moyen terme à mener tant au niveau central que régional (à travers les contrats de Plan), et qui exigeraient soit une loi d'orientation, soit des lois de programmation. De même le Plan a sans doute un rôle à Jouer dans la programmation à moyen terme des finances publiques ou dans l'analyse des dépenses publiques à cet égard, il est malsain que l'essentiel des débats à leur propos demeurent confidentiels, restreint aux cabinets ministériels et au processus d'arbitrage du Premier ministre.

II. – Le positionnement du Commissariat général du Plan

Dans cet esprit, le CGP doit rester un lieu privilégié, d'analyse et d'expertise à moyen terme, sur un plan interministériel. Il n'a pas seulement une fonction de gardien de la cohérence, mais aussi d'invention, d'innovation vis-à-vis des politiques publiques en étant plus serein que les réunions interministérielles classiques.

L'autonomie relative du CGP par rapport aux organigrammes administratifs peut, de notre point de vue, contribuer à lui conférer une certaine autorité morale, correspondant à une « magistrature d'influence ».

En tant que tel, le CGP doit rester une administration de mission placée auprès du Premier ministre auprès duquel il joue un rôle de conseil, sans être nécessairement partie prenante de la décision politique, mais cependant suffisamment proche de son quotidien pour être en position opérationnelle, à même de jouer pleinement son rôle dans la réflexion et la concertation.

Sa fonction primordiale est une fonction de propositions pour des politiques transversales qui n'entrent pas, par définition, dans le champ d'action d'un Ministère précis, même si le CGP doit pouvoir recourir en tant que de besoin aux ressources existantes dans les différents ministères. Le pouvoir de décision et donc d'arbitrage appartenant par définition au chef du gouvernement.

Mieux qu'une administration centrale ou un établissement public autonome, une administration de mission, grâce au «flou » institutionnel qui l'entoure est mieux à même de concilier des exigences nécessairement en tension :

– la proximité avec l'activité gouvernementale, qui lui donne un regard sur la cohérence et les contraintes de l'action publique ;
– une distance suffisante avec les arbitrages interministériels au jour le jour afin de mener un travail utile de concertation et de confrontation de points de vue différents sur l'action gouvernementale ;
– la capacité d'écoute de la société civile et de tous les fieux de recherche publics et privés.

Ceci étant, il semble illusoire d'envisager pour le Commissariat une double tutelle, du Gouvernement d'un côté et du Parlement de l'autre. Peu conforme à notre vision de la séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif, une telle formule exposerait à notre avis le Commissariat au Plan à un double écueil, double dérive :

1) le confiner dans le rôle d'un bureau d'étude parmi d'autres dont l'ouverture sur la société civile et même les administrations deviendraient vite problématiques ;
2) faire évoluer le Plan vers une tonne d'organe de contrôle plus éloigné des centres de décision publique et dont on peut douter qu'il soit à même alors d'organiser le dialogue nécessaire entre les administrations et la société civile.

III. – L'articulation du Plan avec l'action gouvernementale

La double dimension de « Plan de la nation », expression d'un projet collectif et d'un « Plan de l'État » a toujours été présente avec des dosages divers aux différentes époques de la planification française. Le temps est sans doute venu aujourd'hui de dissocier deux phases distinctes de la planification.

Celle d'une préparation confiée au CGP sur la base d'instructions et de problématiques proposées par le gouvernement sous des formes à définir. Les différents travaux de groupes et commissions font l'objet d'un document de synthèse rédigé, sous la responsabilité du Commissariat au Plan qui en reprend l'essentiel de l'analyse et des conclusions, quitte à renvoyer aux rapports de base eux-mêmes pour avoir une vision plus complète. Transmis au gouvernement, ces divers documents ne l'engagent pas en tant que tels. Il lui appartient précisément de définir lui-même les conclusions qu'il retire du rapport de synthèse et des rapports de commission, tant en ce qui concerne l'analyse à moyen terme que les propositions ou les moyens qu'il retient pour son action.

Présentées devant le Parlement, après avis du CES, ces conclusions pourraient faire l'objet d'une déclaration politique générale sanctionnée par un vote. L'expérience des lois de Plan, destinées à donner une certaine force au Plan è partir de 1962, n'est pas réellement concluante. La Loi de Plan n'a pas de contenu contraignant, elle n'est opposable en tant que telle à personne. Sa principale justification tenait à la volonté d'associer le Parlement au grand dessein de la planification. Si la planification porte davantage sur des objectifs généraux que des objectifs quantifiés, la sanction parlementaire conserve son fondement, mais une loi ne lui confère aucune légitimité particulière.

L'important est l'existence d'un véritable débat public sur les orientations stratégiques à moyen terme, les engagements que le gouvernement prend sur cette base, devant la représentation nationale. Au Parlement de juger de sa mise en oeuvre, et de s'assurer, notamment lors des changements de gouvernement et des discussions budgétaires, des conditions d'un véritable suivi d'exécution. Sa tâche sera d'autant plus aisée que le gouvernement présenterait, en appui du projet de loi de Finances, des perspectives pluriannuelles des finances publiques à l'instar de nombreux gouvernements étrangers.

Une réflexion particulière doit être consacrée à l'articulation entre la planification nationale, la planification régionale et l'aménagement du territoire. Les contrats de Plan État/région sont arrivés à maturité. Il manque néanmoins un cadre national qui leur donne une cohérence et exprime les grandes options de l'État dans le domaine de l'aménagement du territoire. La suggestion contenue dans le rapport De Gaulle d'une loi quinquennale spécifique sur l'aménagement du territoire, reprise dans le cadre de la « loi d'orientation d'aménagement et de développement du territoire » constitua une avancée dans ce sens. Cette dimension territoriale du Plan peut de notre point de vue être développée dans ce cadre pour assurer plus de cohérence aux contrats de Plan État/région. L'expérience passée des différentes générations de contrats de Plan montre que leur articulation à un plan national revêt un caractère largement artificiel.

Pour conclure, ce qui fait la spécificité du Plan est d'être à la fois un lieu d'expertise, d'évaluation, de prospective et de concertation. Pour les besoins de l'action immédiate, le gouvernement peut recourir à toutes sortes de missions ponctuelles, visant un objet précis. Le rôle du plan est d'une autre nature, même si ces dernières années, la fonction d'expertise auprès du gouvernement a été privilégiée par rapport à la fonction de concertation.

Notre propos est donc de réévaluer la concertation et la confrontation dans le cadre du Plan, quitte à en rénover les méthodes pour échapper à la lourdeur. L'autorité morale du Plan en dépend, mais elle suppose aussi une autonomie relative, pour le Commissariat au Plan, au sein de l'organigramme administratif. Pour nous, le Commissariat au Plan doit rester un carrefour dont la responsabilité dans les réflexions interministérielles reste éminente, dès lors qu'il s'agit de mettre en mouvement différents ministères, différents acteurs hors de l'administration, plusieurs niveaux de décision.


UI – Union des industries métallurgiques et minières

Le Plan et la société Française

Chacun se souvient de l'objectif que le Commissaire des années 1960, Pierre Masse, donnait au Commissariat général au Plan : être un « réducteur d'incertitude ».

Cette mission, difficile à remplir en tout temps, l'est particulièrement aujourd'hui, avec l'ouverture quasi totale de l'économie française aux vents de la concurrence internationale, et les choses en retour que cette mondialisation apporte à la société française.

Elle demeure cependant d'actualité, si on intègre bien la formidable pédagogie qui peut résulter des travaux du Plan.

Menés dans un lieu où les conflits de société peuvent se traduire en dialogues constructif entre les parties intéressées (État, Entreprises, Organisations syndicales...), à partir de réflexions objectives issues des personnalités les plus qualifiées par leur expérience, ces travaux peuvent en effet, jouer un grand rôle dans l'évolution des esprits.

Il s'agit au fond de favoriser la prise de conscience des réalités nouvelles, en se dégageant le plus possible des dogmatismes.

Pour moi, le débat d'aujourd'hui sur la dépense publique, son efficacité, ou plus simplement encore, son bien-fondé, est l'exemple d'un débat essentiel pour l'avenir de notre société. Dans ce domaine comme ailleurs, le Plan est à la fois outil et lieu de réflexion.

Réducteur d'incertitude par l'explication que les participants à ses commissions peuvent apporter aux phénomènes de notre temps, le Plan a toujours un rôle majeur à jouer pour aider notre pays et nos concitoyens à comprendre d'abord, à s'adapter ensuite à la nouvelle donne de cette fin de siècle : la fin des frontières.