Interview de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, dans "Ouest-France" du 12 juin 1996, sur l'intervention française en Centrafrique et l'aide à l'Afrique.

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Circonstance : Intervention militaire française en Centrafrique le 19 mai 1996, à la suite de la mutinerie d'une partie de l'armée de Centrafrique du 18 au 24 mai

Média : Ouest France

Texte intégral

Ouest-France : En Centrafrique, nos soldats sont intervenus contre les mutins, le règlement a été négocié par un général français ; le nouveau Premier ministre vient de Paris ; la France va payer les fonctionnaires. Cela ne relève-t-il pas d'un néo-colonialisme ?

Jacques Godfrain : Si nous n'étions pas intervenus, tous les étrangers auraient été massacrés. Pas seulement les Français. En plus, nous avons évité un deuxième Rwanda. C'était parti pour cela. Quant à « la main de la France » … Le nouveau Premier ministre est un des rares hommes à pouvoir réaliser une certaine unanimité dans son pays ; il se trouve qu'il était ambassadeur à Paris. Quant aux salaires, oui, on les paie. Il s'agit de permettre au pays de se remettre au travail. Faute de quoi, les réformes seraient impossibles. Cela se fait en accord avec la communauté financière internationale.

Ouest-France : Au nom de quoi agissons-nous ?

Jacques Godfrain : Les autorités démocratiquement investies en Centrafrique nous ont demandé d'intervenir. Aux Comores aussi, où il y avait, en plus, agression extérieure. En Guinée, les mutins ont tiré sur le palais du peuple, mais le président, ne nous ayant rien demandé, nous ne sommes pas intervenus. Au Niger, ni le président, ni le Premier ministre ne nous ont sollicités ; mais eux-mêmes reconnaissaient que leur cohabitation n'était plus viable.

Ouest-France : Quel est notre premier critère d'intervention, stabilité ou progrès démocratique ?

Jacques Godfrain : L'engagement démocratique. Mais nous souhaitons, bien sûr, qu'il aille de pair avec la stabilité. La démocratie ne se limite pas à l'élection au suffrage universel. Nous poussons à la prise de conscience de la vie associative, nous soutenons les collectivités territoriales, la coopération décentralisée. La France donne de l'argent pour cela. Nous encourageons l'État de droit : des tribunaux et des magistrats indépendants des codes fiscaux, douaniers, du commerce, tout cela contribue aussi à la démocratie.

Ouest-France : La France a rappelé ses derniers coopérants au Burundi. Est-ce par crainte d'une explosion interethnique immense ?

Jacques Godfrain : Oui. On ne pouvait pas les laisser plus longtemps à la merci d'une situation aussi dangereuse.

Ouest-France : Est-ce pour ne pas paraître complice d'un génocide, comme il y a deux ans, au Rwanda ?

Jacques Godfrain : On nous avait accusés de tout, y compris de cela. Nous avons été échaudés. Surtout, il faut que les Africains se prennent en main. Sur le Burundi, c'est aux pays riverains de dire ce qu'ils veulent : Ouganda, Tanzanie, Zaïre… et l'Organisation de l'unité africaine pour l'ensemble du continent.

Ouest-France : Faut-il pour autant réhabiliter Mobutu ?

Jacques Godfrain : Il y a une bonne raison pour que l'on parle avec lui, c'est qu'il a deux millions de réfugiés chez lui. Il leur avait ordonné de rentrer au Rwanda avant le 31 décembre dernier. Nous ne sommes pas étrangers au fait que cet ultimatum n'ait pas été appliqué à Mobutu est un de ceux qui ont la clé du problème.

Ouest-France : Si une intervention militaire internationale s'avérait nécessaire pour prévenir un génocide au Burundi, la France en ferait-elle partie ?

Jacques Godfrain : La France a déjà donné. Nous poussons à une solution politique. L'armée française n'est pas le gendarme de l'Afrique. Ce qu'elle vient de faire au Tchad est révélateur de son rôle. Elle a fourni toute la logistique pour que l'élection présidentielle ait lieu.

Ouest-France : Quelles raisons fondamentales la France a-t-elle de rester aussi présente sur un continent dont le reste du monde se détourne ?

Jacques Godfrain : Pas tout le monde. L'aide publique américaine au développement est en chute libre en Afrique, mais toute une série d'intérêts américains strictement commerciaux y sont présents. Nous, Français, on est là les bons et les mauvais jours, quoi qu'il arrive. Les intérêts anglo-saxons sont là pour rafler la mise, sans le moindre partage de civilisation ou d'espérance. Les pays africains eux-mêmes souhaitent que nous restions. Nous défendons leurs cultures, leurs langues, leurs comportements.

Ouest-France : Et notre intérêt ?

Jacques Godfrain : La France a une vocation mondiale. Elle fait partie du conseil de sécurité des Nations unies, elle a vocation à parler sur tous les problèmes du monde et l'Afrique lui est très proche. Les déstabilisations en Afrique sont graves pour l'Europe et pour la France. Nous sommes pour une diplomatie préventive. Quand nous faisons du développement, ce n'est pas pour jeter de l'argent par les fenêtres, c'est aussi parce que c'est le meilleur moyen d'éviter un jour les charters.