Texte intégral
Conférence de presse du ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette (Paris, 3 mai 1996)
Je voulais vous dire quelques mots pour vous présenter la visite du Roi du Maroc à Paris, à partir de lundi prochain. C'est une visite d'État, c'est un événement de très grande importance. Le Roi du Maroc sera donc à partir de lundi et mardi prochain l'hôte d'État de la France, à l'invitation du Président de la République.
Comme vous le savez, il s'agit d'une visite de retour à la suite du voyage que le Président de la République a effectué en juillet dernier à Rabat, et c'est aussi un événement important parce que c'est la première visite du Roi du Maroc depuis 1985. C'est donc un événement considérable.
Vous connaissez certainement le programme du Roi du Maroc qui rencontrera le Président de la République en tête-à-tête à plusieurs reprises. Il sera reçu à l'Assemblée nationale, à l'initiative du président Philippe Seguin qui, à cette occasion, prononcera une allocution devant l'Assemblée. Je rappelle que c'est la troisième fois seulement qu'un chef d'État s'exprimera devant l'Assemblée nationale. Ce sera mardi à 15 h 30.
Il aura également des entretiens avec le Premier ministre et avec le maire de Paris qui le recevra, suivant la tradition. Sa majesté le Roi du Maroc sera accompagné par le Premier ministre marocain qui, comme vous le savez est aussi ministre des affaires étrangères, M. Filali, ainsi que par plusieurs membres de son gouvernement qui auront des entretiens séparés avec leurs homologues français. Je recevrai moi-même M. Filali lundi soir pour un dîner officiel au Quai d'Orsay. C'est donc une visite d'une très grande importance à la fois par le signe qu'elle constitue et par l'intensité des travaux et des entretiens qui seront conduits à tous les niveaux, les ministres, les Premiers ministres, les chefs d'État. La France attache une très grande importance à la visite du Roi du Maroc à Paris. Nous avons entre les deux pays une relation forte, très amicale, chaleureuse, comme on a pu le voir pendant la visite du Président Chirac à Rabat. De part et d'autre nous avons l'intention de donner à nos relations la densité, la diversité, le dynamisme que justifient les liens très anciens et très étroits qu'il y a entre nos deux pays.
Sur le plan économique, les exportations françaises s'élèvent à douze milliards de francs. De même d'ailleurs que les importations puisqu'elles sont à peu près équilibrées. Cela constitue près d'un tiers des flux du commerce extérieur marocain. De même, en termes d'investissements, le tiers des investissements étrangers au Maroc sont français et cela marque l'importance des liens qu'il y a aujourd'hui même entre nos deux pays.
Sur le plan humain, comme vous le savez, les Marocains en France sont nombreux, près de 700 000. C'est une communauté stable, bien insérée, qui ne connaît pas de problèmes particuliers, qui est bien accueillie par la population française. Vous savez que, d'un autre côté, 30 000 Français vivent au Maroc ; ils constituent ainsi l'une des communautés françaises à l'étranger les plus importantes.
Sur le plan politique enfin, le Maroc tient une place importante au Maghreb bien sûr, mais aussi dans le monde arabe, dans le monde méditerranéen et en Afrique. Dans toutes ces régions, le Maroc et la France sont des partenaires, partagent généralement les mêmes points de vue et travaillent très souvent la main dans la main. Enfin, le Maroc est un de nos grands partenaires dans le projet euro-méditerranéen que nous avons lancé à Barcelone. Ce projet consiste à instaurer un partenariat très étroit entre les deux rives de la Méditerranée, dans les trois volets que vous connaissez : volet de sécurité, autour du Pacte de stabilité euro-méditerranéen proposé par la France ; le volet du développement économique destiné à faire en sorte que la Méditerranée soit un monde de progrès et de développement ; le volet culturel dans le projet que nous avons, que les Européens ont adopté, que désormais les deux rives de la Méditerranée ont adopté, de faire en sorte que la Méditerranée, où se sont croisées, souvent combattues mais parfois retrouvées, les trois grandes religions du Livre, mais aussi des civilisations contrastées, soit un lieu de rencontre des cultures, de dialogue des religions, bref un lieu où les hommes et les femmes venant de leur propre culture et de leurs propres horizons trouvent bonheur à se rencontrer et à dialoguer. Le Maroc est pour la France un partenaire très précieux et je suis persuadé que cette visite du roi du Maroc à Paris contribuera d'une façon très forte à marquer ce lien particulier qu'il y a entre nos deux pays, à marquer aussi la convergence de vues que nous avons, s'agissant de nos diplomaties, de nos projets économiques, de notre projet méditerranéen commun. Voilà pourquoi cette visite a, du point de vue français et je l'espère du point de vue marocain, une importance toute particulière, et je saisis l'occasion qui fait que vous êtes là aujourd'hui, et moi aussi, ce n'est pas si fréquent que cela, de pouvoir vous en parler et le souligner auprès de vous.
Q. : Monsieur le ministre, le Président Chirac a montré plusieurs fois son irritation envers les Pays-Bas à propos du trafic de drogue. Je voudrais savoir ce qu'il en est vis-à-vis du Maroc et de ce que fait la France pour aider le Roi Hassan II sur le problème de la drogue...
R. : Vous savez que, dans ce domaine, nous travaillons de façon très ordonnée et que la France a marqué sa disponibilité à aider la détermination tout à fait remarquable des autorités du Maroc et notamment du Roi lui-même pour mettre un terme à tout cela. Dans cet esprit, la France a évoqué la possibilité de faire en sorte que dans le traitement de la dette du Marne, les conversions puissent être faites sous forme d'aide et de concours au gouvernement marocain dans les initiatives courageuses qu'il prend.
Q. : Que répondre au Roi Hassan II lorsqu'il dit que l'Europe est entrée par effraction dans le monde arabe ?
R. : La France ne répond pas. Le Roi du Maroc a donné des interviews pour préparer sa visite en France, ce qui confirme d'ailleurs l'importance qu'il attache à la relation franco-marocaine, non seulement, semble-t-il, aux relations d'État à État, mais aussi aux relations des peuples entre eux. Je crois que nous devons être les uns et les autres très attentifs à l'Histoire. Elle a créé des tensions dans le passé, elle a créé aussi des liens. Et ces liens, il faut que nous les regardions comme un élément qui nous permet de construire la Méditerranée de demain.
Q. : La France a-t-elle l'intention de prendre des décisions à l'égard du problème du Sahara occidental ? Va-t-elle encourager un dialogue direct Maroc-Polisario ?
R. : La France, dans ce domaine, est attachée à la mise en oeuvre des décisions prises par les Nations unies et, par conséquent, la mise en oeuvre du plan de règlement pris par les Nations unies. La résolution 1042, qui a été adoptée récemment à l'unanimité, a prorogé le mandat de la MINURSO jusqu'au 31 mai prochain et a demandé au Secrétaire général des Nations unies de faire rapport avant le 15 mai. Nous souhaitons qu'en tout état de cause soient préservés les acquis de la MINURSO et nous plaiderons dans les travaux des Nations unies dans ce sens.
Q. : La France ne perd-elle pas patience ?
R. : Non, Monsieur.
Q. : Le processus de paix au Moyen-Orient sera-t-il évoqué lors des entretiens ?
R. : Bien entendu, l'on évoquera certainement ces questions parmi les tours d'horizon politiques que nous aurons à faire. Nous évoquerons certainement les événements récents et dans lesquels le Maroc a apporté sa contribution.
Q. : Une aide française nouvelle au Maroc va-t-elle être annoncée lors de la visite ?
R. : La France a bien l'intention de poursuivre le soutien qu'elle apporte au développement économique marocain. Il n'y aura pas dans cette visite de signature de documents particuliers.
Q. : Monsieur le ministre, lorsque le Prince est venu en France il y a quelque temps, il a déclaré qu'il ne voulait pas pour le Maroc un partenariat au rabais avec l'Europe...
R. : Il a raison, nous non plus !
Q. : Quelle garantie l'Europe donnera-t-elle au Maroc pour que ce partenariat ne soit pas au rabais ?
R. : Pour l'instant, la situation est la suivante. Après les accords et les difficultés que vous aviez constatées au début de l'année 1995, nous sommes parvenus, Européens et Marocains, au règlement des deux questions qui étaient en suspens. La France y a apporté une forte contribution. Deux accords ont été passés entre l'Union européenne et le Maroc. Naturellement, ces accords fondent la perspective concrète d'un réel développement économique entre l'Union européenne d'un côté et le Maroc de l'autre. Je crois que, dans ce domaine, le Maroc était satisfait de ces discussions, de ces négociations, satisfait de leur aboutissement qui constituait un bon compromis de part et d'autre dans lequel le Maroc a bien tiré son épingle du jeu, au terme d'une habile négociation de son point de vue. Ainsi s'est instauré désormais un vrai partenariat, une vraie coopération euro-marocaine. Naturellement, la France qui a déjà servi d'avocat du Maroc, continuera de le faire dans la phase suivante.
Q. : La question de l'interdiction au Maroc de l'hebdomadaire « Jeune Afrique » sera-t-elle évoquée ?
R. : Non, je ne pense pas.
Q. : Y a-t-il une raison particulière à la date de cette visite ?
R. : La dernière visite d'État date de 1985, comme je l'ai rappelé tout à l'heure. La visite d'aujourd'hui fait suite à la visite d'État que le Président de la République a faite au Maroc l'année dernière. Ces deux visites venant l'une après l'autre, dans un intervalle assez court, sont toutes les deux destinées à parachever ce que nous voulions faire, c'est-à-dire marquer de façon officielle, peut-être un peu solennelle, l'importance que nos deux pays attachent à leurs relations diplomatiques.
Q. : Quelle place entendez-vous réserver au Maroc dans la nouvelle politique arabe de la France ?
R. : Vous avez tout à fait raison. Le Maroc doit, sans nul doute, occuper un grand rôle dans la politique arabe et méditerranéenne de la France. De ce point de vue, j'ai observé, comme vous l'avez certainement fait, qu'entre nos deux pays les analyses sont convergentes. Nous nous sommes retrouvés en plein accord sur notre projet euro-méditerranéen. Le Maroc, je n'en doute pas, regarde d'un oeil positif la détermination française exprimée au Caire pour une forte présence de la France dans le bassin méditerranéen. Donc, soyez certains que le Maroc sera, du point de vue de la France, sans aucun doute un des points forts de la relation française en Méditerranée et dans le monde arabe.
Q. : Quel rôle peut-il jouer au Maghreb ?
R. : Posez ces questions aux dirigeants marocains...
Q. : La question algérienne sera-t-elle évoquée lors des entretiens ?
R. : Certainement. Lorsque le Président français et le Roi du Maroc se rencontreront, ils évoqueront l'ensemble des questions intéressant les têtes de chapitre que j'ai évoquées avec vous, les perspectives en Méditerranée.
Entretien accordé par le ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette, au quotidien marocain « Le Matin du Sahara » (Paris, 6 mai 1996)
Q. : Monsieur le ministre, j'ai eu le plaisir de m'entretenir avec vous quand vous étiez ministre de la fonction publique et du plan il y a près de sept ans et j'ai été frappé par votre optimisme quant à l'avenir des relations entre la France et le Maroc. Cet optimisme est aujourd'hui parfaitement justifié. S.M. le Roi a donné dans une interview au Figaro son point de vue à ce sujet, fondant nos bonnes relations sur l'amitié de 20 ans qui le lie au Président Chirac et sur la fidélité aux deux compagnons de la libération que furent S.M. Mohammed V et le Général de Gaulle. Mais au-delà de cette amitié sentimentale, quelle place accorde la politique extérieure française au Maroc ? Lorsque vous évoquez pour l'Europe la nécessité d'avoir une politique méditerranéenne, ne pensez-vous pas que le Maroc doit en constituer le pilier essentiel ?
R. : La place du Maroc dans la politique extérieure de la France est très importante, pour des raisons historiques que vous avez rappelé s, mais aussi parce que l'intérêt de nos deux pays le commande. Le Président Chirac tient en haute estime S.M. le Roi Hassan II, dont la politique clairvoyante et courageuse fait de son royaume un partenaire recherché de la France. Le Maroc est aux tout premiers rangs de nos relations politiques, économiques, culturelles et humaines, particulièrement dans le monde arabe et dans l'ensemble méditerranéen.
Il va de soi, pour répondre à la deuxième partie de votre question, que le Maroc est un pilier essentiel pour l'Europe dans sa relation avec les pays du sud de la Méditerranée.
Q. : Lors de sa visite de juillet, le Président Chirac a dit la constante disponibilité de la France à tout faire pour rester le premier partenaire économique et le premier investisseur étranger. Quel bilan dresser de l'action commune un an après l'élection du Président Chirac à la magistrature suprême ?
R. : Il est particulièrement dense : de nombreuses initiatives ont été prises et sont en cours de concrétisation. Elles portent toutes la marque de notre volonté de conforter nos liens économiques avec le Maroc. Je citerai parmi les plus significatives l'allégement de la dette marocaine à hauteur de 1 milliard de francs, partie sous forme d'une annulation en contrepartie de la réalisation d'infrastructures publiques dans les provinces du nord, partie sous forme de conversion en investissements, selon un mécanisme attractif pour les opérateurs intéressés. Je soulignerai aussi la signature d'un accord sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements qui garantit aux hommes d'affaires français ayant investi au Maroc une liberté totale de transfert de leurs avoirs. Je mentionnerai enfin le financement de projets intéressant les entreprises françaises dans le domaine de l'eau et des infrastructures ferroviaires, pour un montant de 500 millions de francs, à des conditions concessionnelles.
Q. : Depuis un certain temps, on remarque un retour en force des opérateurs économiques français sur le marché marocain. Marque de confiance dans l'économie marocaine, nécessité de délocaliser... Quelles sont les motivations qui ont poussé à ce redéploiement et quelles sont les mesures que vous pourriez mettre en oeuvre pour encourager ce redéploiement ?
R. : Les opérateurs économiques français ne se sont en fait jamais désintéressés du marché marocain. Ils arrivent chaque année au premier rang des investisseurs étrangers au Maroc, où ils sont à l'origine d'un quart à un tiers des flux d'investissements extérieurs globaux. Si des entreprises françaises ont perdu ces dernières années quelques grands contrats, elles regagnent du terrain depuis quelques mois. En témoignent par exemple la récente décision de principe d'attribuer la concession de la distribution d'eau et d'électricité et de l'assainissement de Casablanca à la Lyonnaise des Eaux.
La volonté affichée du Maroc d'arrimer son économie à l'espace européen, les efforts réalisés pour améliorer l'environnement des entreprises et attirer les investisseurs, tout autant que la proximité géographique et culturelle, sont des éléments déterminants dans le choix des investisseurs français de s'implanter au Maroc.
Notre implication dans des chantiers tels que la modernisation du secteur financier, ou l'élaboration d'un texte de loi sur la concurrence, témoigne de notre engagement auprès des autorités marocaines pour poursuivre l'oeuvre engagée. Mieux faire connaître les progrès réalisés et les projets en cours est également indispensable. C'est l'objet du colloque qui sera organisé à Paris le 9 mai prochain à l'occasion de la visite royale pour présenter le nouvel environnement économique et le rôle du secteur privé au Maroc.
Q. : À plusieurs reprises les Marocains ont fait des demandes d'amélioration de la qualité et de l'importance de la coopération culturelle qu'ils jugent en deçà de leur attente. Quels sont les objectifs réels de la France dans ce domaine ?
R. : Le dispositif français de coopération culturelle, scientifique et technique au Maroc est le plus important que la France ait dans le monde – près de 10 % des crédits correspondants du ministère des affaires étrangères –. Beaucoup de pays envient ce dispositif.
Pour ce qui est de sa qualité, ce sont les Marocains eux-mêmes qui en sont juges, mais je crois savoir que l'appréciation portée sur les établissements français d'enseignement au Maroc, sur les programmes de coopération éducative, scientifique et technique, est plutôt élogieuse. J'ajouterai que près de 25 000 étudiants marocains poursuivent leur cursus dans des établissements universitaires français.
Il y a là un ensemble unique, tant par les moyens financiers et humains engagés, que par la qualité, que nous devons maintenir et améliorer pour développer une politique qui serve nos intérêts communs.
Q. : Les Marocains qui désirent se rendre en France sont soumis à la formalité du visa qui est délivré avec parcimonie. Or, parmi les demandeurs il y a des hommes d'affaires qui ont besoin de se rendre en France, des touristes qui offrent toutes les garanties de retour, etc. Ne pourrait-on pas assouplir ces formalités pour réserver aux Marocains un traitement conforme aux liens particuliers qui unissent les deux pays et les deux peuples ?
R. : L'instauration du visa pour les citoyens des États étrangers, hormis ceux de l'Union européenne, effective depuis dix ans, répond à un souci de sécurité pour la France et de lutte contre l'immigration clandestine. Cette immigration clandestine est de nature à jeter une ombre sur notre politique d'accueil et à porter préjudice aux nombreux étrangers légalement installés ou de passage sur notre sol. C'est donc aussi l'intérêt bien compris de tous les Marocains qui se rendent chez nous pour affaires ou pour tourisme d'être bien accueillis. Mais nous sommes particulièrement attachés à favoriser et faciliter la circulation des personnes qui concourent au dynamisme et à l'intensité de nos relations, et nous nous efforçons de les aider et non de compliquer leur tâche. Et bien entendu, nous faisons aussi un gros effort pour que l'accueil du public dans nos consulats soit toujours plus conforme aux liens d'amitié étroits qui unissent nos deux pays.
Q. : Votre récente démarche au Proche-Orient a été parfaitement comprise dans le monde arabe en général et au Maroc en particulier, sans doute parce qu'elle s'inscrit dans la même philosophie que celle qui anime depuis toujours SM. Hassan II dans la recherche de la paix. Quels sont les résultats et les assurances pour l'avenir que vous avez obtenu ?
R. : J'apprécie que vous établissiez un rapprochement entre la volonté de paix de la France et celle du Maroc. Chacun sait effectivement le rôle que joue S.M. Hassan II dans la recherche de la paix et, notamment, dans l'apaisement du conflit israélo-arabe. Pour ce qui concerne la France, vous savez de quelle manière elle vient de s'investir au Proche-Orient pour faire taire les armes et pour aider à trouver un arrangement en attendant qu'une paix juste et durable soit conclue. Que nos deux pays se retrouvent pour mettre en oeuvre leurs convictions communes, voilà qui est de bon augure pour la paix !
Le premier des résultats obtenus a été l'arrêt de la crise israélo-libanaise. Il y avait urgence. Au-delà de toutes considérations d'intérêts, il était indispensable de trouver une solution pour que les populations civiles cessent d'être prises pour cibles. Sur ce point, nous avons lieu d'être satisfaits. Les bombardements ont cessé. Les populations civiles reviennent très rapidement sur leur lieu d'habitation. Souhaitons-leur bonne chance pour qu'elles se réinstallent au plus vite et pour qu'elles reprennent une vie normale. Faisons montre de compassion pour toutes les familles des victimes.
Confirmons l'appui de la communauté internationale. C'est en particulier, je le rappelle, le rôle du Groupe consultatif, créé par l'arrangement du 26 avril ayant mis fin au conflit, que de contribuer à la reconstruction du Liban au sens large du terme. Il ne s'agira pas simplement de reconstruire ce qui a été détruit pendant les deux semaines qu'a duré ce conflit. Il s'agira de participer à la reconstruction du Liban tout entier pour que ce pays reprenne sa juste place au Proche-Orient.
Le Groupe consultatif bénéficiera des actions conjuguées des États-Unis, de l'Union Européenne, de la Russie, de la France et « des autres parties intéressées ». Il est donc ouvert à toutes les bonnes volontés.
L'arrangement du 26 avril a également prévu la création d'un Groupe de surveillance dont font partie le Liban, la Syrie, Israël, les États-Unis et la France. Son rôle est de recevoir et traiter les éventuelles plaintes de l'une ou l'autre, des deux parties (Israël et Liban) et, de façon plus générale, de veiller à la bonne application de l'arrangement. Les modalités de fonctionnement du groupe de surveillance sont en préparation. La France souhaite que ces modalités soient déterminées le plus rapidement possible, de manière à ce que l'arrangement devienne opérationnel.
Il faut se souvenir que l'arrangement du 26 avril est provisoire. Sa vocation n'est pas de régler une bonne fois pour toutes les problèmes qui peuvent exister entre le Liban et Israël. Ce sera l'objet de l'accord de paix qui doit être passé entre Israël et le Liban, d'une part, et entre Israël et la Syrie, d'autre part.
Ma conviction intime est que la paix est à portée de main. Les bonnes volontés ne manquent pas. Tous les gouvernants de la région la souhaitent avec sincérité. Ils en ont donné maintes preuves. Je l'ai encore constaté pendant ma toute récente tournée au Proche-Orient. Mais les négociations de paix relèvent d'une alchimie toujours délicate. Il faut en respecter le rythme et le calendrier. C'est pourquoi la France se réserve le droit de rappeler à ses partenaires la nécessité de respecter les engagements pris. Tout manquement à l'une ou l'autre des dispositions agréées est un mauvais signal lancé aux opposants à la paix.
La paix est l'un des plus grands enjeux de l'humanité. Il faut savoir s'y consacrer avec passion et obstination.
Q. : La France a semblé faire cavalier seul au sein de l'Europe dans la recherche d'une solution équilibrée. Quelle a été à ce sujet l'attitude de vos partenaires, de l'Allemagne notamment ? Dans le même ordre d'idée, l'Allemagne, ne serait-ce que par compensation avec sa poussée vers l'Est, vous soutient-elle dans votre orientation vers le Sud ?
R. : L'image du cavalier seul que vous mentionnez s'est vite estompée. Il est exact que notre rapidité de réaction, qui était nécessaire, a pu contribuer, dans un premier temps, à donner cette impression. Il faut toutefois se souvenir que j'ai veillé à tenir Mme Agnelli informée de manière constante de mon action sur place et de l'évolution de la situation.
L'urgence commandait de partir, de s'informer auprès de tous les dirigeants de la région et d'offrir ses bons offices. C'est ce que nous avons fait. Nous avons gardé le contact avec nos partenaires sur place et depuis Paris. J'ai retrouvé Mme Agnelli au Proche-Orient. Rapidement donc, cette image de cavalier seul a disparu et nous avons reçu le soutien de nos partenaires au fur et à mesure que la tournée se développait.
Chacun a bien compris que la réaction française était motivée, outre l'intérêt que nous portons à la situation au Proche-Orient et l'amitié qui nous lie à tous les pays de la région, par les liens particuliers qui nous unissent au Liban. Depuis très longtemps, nous ne cessons d'attirer l'attention de la communauté internationale sur la nécessité de préserver l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de ce pays. Pouvions-nous, surtout une semaine après que le Président de la République y eût effectué une visite qui était la première d'un chef de l'État français, rester insensibles aux épreuves que subissaient, une fois de plus, le Liban et les libanais ? Plus largement, pouvions-nous nous désintéresser de l'avenir de la paix clans une région aussi proche de nous et où nous avons des intérêts importants ? La réponse est non, naturellement.
Nous aurions souhaité que l'Union Européenne en tant que telle fût membre du Groupe de surveillance. Ce n'est pas le cas, mais l'Union Européenne est membre du Groupe consultatif qui est chargé de la reconstruction du Liban. La Présidence italienne a déjà dit qu'elle entendait y jouer un rôle actif.
Enfin, le fait que la France soit membre du Groupe de surveillance est un atout pour l'Union Européenne. Chacun l'admet aujourd'hui. À l'Union de tirer avantage de la position au sein de ce groupe de l'un des siens.
Pour ce qui concerne l'Allemagne, je dois dire que nous avons reçu son plein soutien. Je ne dirai pas, comme vous l'indiquez à tort, que ce soutien compense celui que nous lui accorderions chaque fois qu'elle se tourne vers l'Est de l'Europe. Ce type de partage des responsabilités n'existe pas. Ce qui est vrai, en revanche, c'est que l'Allemagne souhaite, tout autant que nous, que la paix s'installe au Proche-Orient. Nous-mêmes attachons le plus grand prix à ce que certains pays d'Europe centrale et orientale connaissent stabilité et prospérité. Il n'y a pas d'intérêts plus ou moins importants pour l'un ou l'autre des partenaires européens. Il y a volonté de travailler ensemble, même si les difficultés sont encore présentes.
Je dirais même qu'un des acquis les plus importants du nouveau partenariat euro-méditerranéen, et l'un des gages de son succès futur, c'est d'avoir fait prendre conscience à tous les pays qui composent l'UE que les enjeux pour leur stabilité et pour leur développement se situaient tout autant au sud qu'à l'est.
Q. : L'achèvement des essais nucléaires français n'a pas suscité au Maroc d'émotion particulière. Je dirais même que nous avons compris vos motivations. Pourriez-vous nous exposer les conséquences évidemment indirectes que la maîtrise française sur cette arme absolue peut avoir pour des pays comme le Maroc, qui se trouve dans l'aire stratégique de la France ?
R. : La dernière campagne d'essais française visait à garantir, pour l'avenir, la sûreté et la fiabilité de notre force de dissuasion.
Dans le nouveau contexte international, la dissuasion nucléaire demeure en effet un élément central de notre défense nationale. Pour notre pays, qui ne connaît pas d'ennemi déclaré, la dissuasion nucléaire revêt un caractère exclusivement défensif : elle vise à prévenir toute agression, quelles qu'en soient l'origine ou la nature, contre les intérêts vitaux de notre pays.
L'arme nucléaire est pour la France une arme au service de la paix, car destinée à empêcher la guerre. En aucun cas, elle n'est susceptible d'être utilisée à des fins agressives.
Toast prononcé par le ministre des affaires étrangères, M. Hervé de Charette en l'honneur du Premier ministre et ministre marocain des affaires étrangères, M. Abdellatif Filali (Paris, 6 mai 1996)
Monsieur le Premier ministre, Madame Filali, ma chère Anne si vous m'y autorisez, dans cette occasion solennelle, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs, chers amis, c'est toujours un immense plaisir d'avoir pour ôtes les représentants du Maroc ; et ce soir, c'est une joie toute particulière de vous recevoir parce que c'est à l'occasion de la visite d'État en France de sa Majesté le Roi Hassan II, la première depuis plus de dix ans. Aussi, c'est un temps fort de notre long compagnonnage que je voudrais célébrer avec vous.
Au-delà de l'amitié entre les peuples et leurs dirigeants, les rapports entre la France et le Maroc ont la force, la beauté et aussi cette intimité des rapports fraternels et anciens qui existent entre nos deux pays. C'est cette fraternité franco-marocaine, l'ancienneté de notre histoire commune, que je voudrais célébrer avec vous ce soir.
Fraternité d'esprit d'abord ; rappelons-nous que, ni l'Europe, ni le Maroc ne seraient devenus ce qu'ils sont l'un sans l'autre. N'oublions pas que l'Europe moderne a des racines arabes et marocaines, n'oublions pas ce que sa raison et sa technique doivent à la brillante civilisation qui s'est épanouie sur vos terres natales à l'époque arabo-andalouse des dynasties almoravides, almohades et marînides.
La renaissance toute entière en Europe a puisé aux sources de vos philosophes, de vos savants, de vos grands voyageurs parmi lesquels Averroès ou Ibn Battûta, le tangérois qui s'en fut jusqu'en Chine, et qui se sont acquis une renommée universelle. De même, votre renaissance a jailli au siècle dernier de la confrontation avec l'Europe, la Méditerranée toute entière, bruit du ressac de ces aller et retour qui ont marqué notre Histoire commune.
Mais notre fraternité est aussi un enfant de ce siècle. C'est une fraternité d'armes et de sang. Combien de Marocains sont nés en France ? Combien de Français sont nés au Maroc ? Combien, je voudrais le rappeler ici, M. le Premier ministre, combien de Marocains sont morts pour la France ? Ils se comptent par milliers, par dizaines de milliers.
Nos Histoires, nos mémoires sont mêlées, nous avons une même langue en partage, nous avons beaucoup de souvenirs. Je visitais il y a quelques années un très bel endroit à Rabat. Le gardien qui était là et qui était un très vieil homme, me montrant des cigognes qui faisaient halte dans les jardins de Rabat, me disait : « elles s'en vont en Alsace-Lorraine ». Je trouvais cette formule formidable. Naturellement, aucune cigogne n'est jamais allée en Lorraine qui est un pays charmant mais un peu froid, elles vont en Alsace, mais pour lui, l'Alsace-Lorraine était quelque chose qu'il connaissait parce que, dans son Histoire personnelle qui est l'Histoire de France, le Maroc a défendu en effet l'Alsace et la Lorraine.
Certains traits de caractère nous sont communs, en particulier, une volonté hardie d'indépendance et l'amour de la liberté qu'ont si fortement incarnée, chacun à sa façon, d'un côté comme de l'autre de la Méditerranée, le Général de Gaulle et sa Majesté Mohamed V qui est resté cher à notre coeur.
Nous sommes proches, trop l'ignorent encore, bien que la télévision et les paraboles abolissent, Dieu merci, aujourd'hui, la faible distance qui nous sépare.
Mesdames et Messieurs, puissions-nous transmettre à nos enfants le respect mutuel qu'ils se doivent, au nom de notre héritage commun. C'est une tâche difficile, c'est un enjeu exaltant, vous savez comme moi que la fraternité peut être aussi jalouse et d'autant plus que la proximité est grande. Il nous faut donc faire un effort permanent, mener un combat intérieur de tous les instants, pour continuer à faire en sorte que la France et le Maroc restent proches et intimes. Il nous faut lutter contre les peurs et les frustrations, combattre pour que chacun, ici comme chez vous, trouve sa dignité. Dans le monde d'aujourd'hui, cela signifie d'abord avoir un emploi et le respect d'autrui. Ce genre de combat se mène et se gagne d'abord à l'école M. le Premier ministre. C'est pourquoi, je veux saluer tout particulièrement ce soir la volonté de réforme qui est la vôtre en matière d'éducation. Je veux aussi réaffirmer que nous sommes disponibles pour vous y aider dans la mesure où vous le souhaiterez. C'est pourquoi aussi je crois qu'il est temps de mettre en oeuvre des programmes et des échanges éducatifs et audiovisuels dont nous avons parlé tout à l'heure, M. le Premier ministre, et qui permettront une meilleure connaissance et un plus grand respect mutuel de nos cultures et de nos patrimoines respectifs.
Le regard de l'autre est notre vrai miroir. Le projet d'année du Maroc en France que nous avons décidé de mettre en oeuvre pour 1999 participe du même esprit, mieux vous connaître, mieux vous faire connaître. Nous avons désigné nos représentants qui sont d'ailleurs ici, puisque le comité d'organisation sera présidé par Jean-Bernard Raymond, ancien ministre, ami du Maroc où il a représenté la France de longues et belles années, et sera animé par Frédéric Mitterrand, qui est aussi ici, qui aime votre pays de passion. Je suis sûr que l'un et l'autre sauront animer le comité d'organisation de cette manifestation pour la partie française.
Il nous faut être réalistes et lucides pour construire à travers les États l'avenir des peuples et des individus, pour résister, pour nous adapter aux évolutions et aux épreuves du monde. Guidés dans nos choix par les plus hautes exigences de nos nations, il faut beaucoup de cette vertu méditerranéenne que nous admirons tant chez votre Roi. L'Histoire nous a appris qu'une ouverture internationale, une liberté économique et politique croissante, vont de pair avec l'accroissement des richesses et du bien-être de tous.
Vous et nous sommes associés dans ce pari sur le futur et la modernité.
C'est le sens de l'accord d'association qui vient d'être signé entre le Maroc et l'Union européenne, qui sera prochainement je l'espère adopté par le Parlement européen. Il nous faut, avec esprit d'entreprise, investir sans crainte le millénaire qui s'approche. Seul le langage de solidarité, d'esprit d'initiative et d'effort peut répondre au défi du changement.
La France et le Maroc, chacun à l'extrême ouest de leur continent, ont une même vocation à oeuvrer, à la fois à la plus grande intégration de leur région respective, et au rapprochement de nos deux rives. Forts d'une identité et d'une personnalité trempée aux épreuves de l'Histoire, leurs coeurs se ressemblent et nourrissent l'ambition commune d'être au nord et au sud des bâtisseurs de la paix. Les rivages de la Méditerranée ne sont-ils pas partout « à l'ombre verte du rameau d'olivier » ?
Voilà pourquoi, Mesdames, Messieurs, Monsieur le Premier ministre, je vous invite à lever vos verres à la fraternité franco-marocaine, au succès de nos efforts communs dans la voie originale et spécifique qui est la nôtre, dans la tolérance et l'esprit de justice.
Vive le Maroc et son Roi,
Vive la France.