Interview de M. Jacques Toubon, ministre de la justice, maire du 13e arrondissement de Paris et président de la Semapa, dans "Le Figaro" du 11 juin 1996, sur le projet d'aménagement de la ZAC Seine Rive gauche à Paris.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Figaro

Texte intégral

Le Figaro : Que répondez-vous aux critiques des détracteurs du projet ?

Jacques Toubon : Cette campagne qui, ne nous y trompons pas, est complètement politique, est fondée sur un état de l'opinion publique qui, aujourd'hui, est indiscutablement peu favorable aux grands projets. Celle-ci préfère le court terme aux grands desseins. Notre responsabilité à nous, les décideurs, c'est de penser à long terme et d'œuvrer pour les générations futures. Le dénigrement systématique, la campagne de destruction du projet dans l'opinion publique me paraissent très largement irresponsables.

Le Figaro : Mais, les propositions socialistes semblent crédibles.

Jacques Toubon : Si je voulais résumer ce qu'on peut penser de la position du PS et de sa campagne, j'utiliserais cette phrase de Tocqueville, vieille de 150 ans, mais toujours d'actualité : « Une idée simple mais fausse aura toujours plus de poids dans le monde qu'une idée vraie mais complexe. » Cela dit, Paris-Rive gauche est un projet qui a choisi l'ambition plutôt que l'évidence.

Le Figaro : Le PS, qui juge trop élevé le coût de la dalle recouvrant les voies du chemin de fer, estime qu'il faudrait une couverture plus légère, ce qui ne la destinerait pas à supporter des équipements lourds.

Jacques Toubon : Cette dalle légère, c'est de la fumisterie. Entre une dalle-jardins, comme celle qui couvre les voies de la gare Montparnasse, et l'opération du XIIIe, il n'y a qu'une infime différence de coût (moins de 10 % au m2). Présenter le projet du XIIIe comme un urbanisme sur dalle tel qu'on le pratiquait dans les années 70 est erroné. Paris-Rive gauche n'est pas un urbanisme sur dalle s'étalant verticalement sur des niveaux différents, chacun ayant des fonctions séparées (circulation automobile, circulation piétons), comme on peut le voir au Front-de-Seine (XVe), c'est la construction d'un nouveau sol qui permettra la liaison entre le XIIIe et la Seine, avec des constructions, des trottoirs, des chaussées, bref, une voirie normale. Il faut compter que nombre d'immeubles seront commercialisés, ce qui viendra en défalcation du coût de l'investissement.

Le Figaro : Et la critique sur la densité trop élevée des constructions ?

Jacques Toubon : C'est le type même de l'argument démagogique : par définition, les villes sont denses et c'est une ville que nous voulons faire, Ivry, par exemple, est beaucoup moins dense que Paris mais, à choisir entre les deux, les gens préfèrent résider à Paris. Nous refusons de nous accommoder des déséquilibres entre l'ouest et l'est de la région parisienne. Il faut mettre des emplois là où il y a les habitants. Et les deux tiers des habitants d'Île-de-France sont à l'est.

Le Figaro : Étant donné la conjoncture économique actuelle, ne pensez-vous pas que le prix du terrain est trop élevé et que 900 000 m2 de bureaux, c'est trop ?

Jacques Toubon : Le prix d'équilibre prévu n'est plus réaliste et nous proposerons un nouveau prix rectifié en juillet. Mais il faut savoir que nous avons signé une convention avec les collectivités publiques, notamment la SNCF, qui stipule que les terrains sont payés à un prix fixé en fonction du prix auquel sont vendues les charges foncières de bureaux aux investisseurs. Donc, on peut d'ores et déjà diminuer fortement les postes « terrains ». D'autre part, nous avons diminué les prévisions de dépenses d'infrastructures, notamment en décidant la suppression des voies de circulation souterraines.

Le Figaro : Vous pensez que le terme « gouffre financier » utilisé par les détracteurs du projet est donc erroné ?

Jacques Toubon : Le bilan d'une opération de cette envergure doit être fait dans la durée. Il n'y a aucune réalité dans tout ce qu'on dit sur la dette de la SEMAPA (société d'économie mixte d'aménagement du quartier) et son déficit. Dans quinze ans, nous ferons les comptes et je suis persuadé qu'ils seront équilibrés. On présente à l'opinion publique un « arrêt sur l'image » qui correspond à une étape où les dépenses sont les plus lourdes (frais d'études, dépenses d'infrastructures), et où il n'y a pas encore de recettes correspondantes. Dès 1991, un emprunt a été fait. Il était destiné à couvrir les besoins de trésorerie. En juillet, il y aura un nouvel emprunt pour continuer à couvrir les dépenses qui courent et qui culmineront en 1998, en attendant les recettes de commercialisation qui commenceront à rentrer dès 1997. Une opération d'aménagement est, par définition, une opération dont la trésorerie se dénoue à terme et, ça, l'opposition le sait parfaitement.

Le Figaro : Êtes-vous optimiste pour les perspectives de commercialisation ?

Jacques Toubon : Nous avons des perspectives de commercialisation très intéressantes, auprès d'investisseurs nouveaux – à condition toutefois que la campagne de l'opposition n'ait pas, à la longue, un effet dissuasif, dont elle porterait la responsabilité. À titre d'exemple, nous sommes actuellement en pourparlers avec l'OCDE, qui doit quitter son siège du château de la Muette.

Autre projet important : les installations universitaires. En juillet, nous proposerons d'augmenter la superficie prévue pour les réserves foncières destinées aux installations universitaires et de recherche. Oui, je suis optimiste car, depuis quelques temps, on voit qu'il y a une nouvelle approche des choses. On a compris enfin que le développement de l'Île-de-France et la compétitivité de la France tout entière ne peut se faire sans Paris.