Texte intégral
Anne Sinclair : Bonsoir.
Nous sommes à une semaine du premier tour qui s’annonce serré. J’ai reçu, à 7 sur 7, les leaders des principales formations politiques. Demain, lundi, je vous proposerai un 7 sur 7 inhabituel le lundi, à 19 heures, avec François Léotard, Président de l’UDF, pour boucler le tour d’horizon avec les chefs de partis.
Ce soir, la parole est à Robert Hue, Secrétaire national du Parti Communiste.
Y a-t-il une politique alternative à celle de la majorité ? Qu’attend-il des accords passés au sein de la Gauche ? Où en est le Parti Communiste aujourd’hui ?
Anne Sinclair : Bonsoir Robert Hue.
Robert Hue : Bonsoir.
Anne Sinclair : Nous sommes dans la dernière ligne droite puisqu’on va voter dans 8 jours au premier tour. On va faire avec vous un tour d’horizon complet : qu’est-ce que la Gauche apporterait de neuf ? Qu’avez-vous à dire sur les sujets de société dont on parle peu ? Comment convaincre les indécis ?
On va commencer toute de suite par notre revue de campagne.
Politique
Début de la semaine, tristounet, la campagne est à l’image de la météo. Seule, la presse étrangère dénonce le ronron, des débats avortés, les vrais enjeux escamotés. Le Front National tente de revenir dans la course, mais les propos haineux de Jean-Marie Le Pen envers la Droite et sa soi-disant préférence affichée pour une victoire de la Gauche, ne suscite pas vraiment la réaction escomptée.
La majorité, elle, fait mine de se chercher un nouveau Premier ministre. Cela l’occupe jusqu’à jeudi soir où la Gauche et la Droite tiennent leurs deux plus gros meetings depuis le début de la campagne.
A sept jours du premier tour, seule, la Bourse est euphorique et bat chaque jour un nouveau record. Elle a parié sur une victoire de la Droite.
Anne Sinclair : On va tenir sur victoire de la Droite ou victoire de Gauche tout à l’heure.
Dans cette campagne, on répète à l’envie que l’on ne parlerait pas des sujets de fond. Trouvez-vous que c’est injuste ou que c’est vrai ?
Robert Hue : Les enjeux de cette campagne sont de grandes questions sur l’avenir du pays. Mais beaucoup de Français, et je les comprends, ont le sentiment que cette dissolution a été une grande tricherie. Une grande tricherie parce que, en fait, la façon dont cela s’est fait, le Président de la République a décidé qu’il n’y aurait pas de débat national. Et il veut dissimuler – je crois que depuis le début de la campagne, on l’a encore vu là, à l’instant, avec le discours d’Alain Juppé – au fond ce qu’il prépare – et je ne veux pas en rajouter parce que c’est trop grave pour les Françaises et les Français. – une austérité terrible.
Donc, on annonce en gros 80 milliard de cure d’austérité qui serait nécessaire pour la Droite si elle revenait aux affaires. Il y a des dizaines de milliers de licenciements qui sont préparés ou des postes qui vont être supprimés. Comment les gens ne s’interrogerait-ils, alors que ce a nécessiterait un grand débat ?
Les Français veulent le changement. Moi, je le ressens. Vous demandez mon opinion sur la campagne, je vous la donne. Il y a une volonté de dire pour beaucoup d’entre eux : « Ça suffit ! ». Comment ne douteraient-ils ? Ils veulent que l’on soit gouvernés autrement. Ils voient tous les soirs à la télévision les têtes de ceux qui dirigent depuis des années et qui viennent leur dire à nouveau qu’ils vont avoir d’excellents résultats, qu’ils vont, d’un coup de baguette magique…
Anne Sinclair : Ils voient les têtes des autres aussi. En campagne électorale, on voit les têtes de tout le monde.
Robert Hue : Oui, mais le problème, c’est que ce ne sont pas les autres qui ont décidé de la dissolution, c’est la Droite qui a décidé de faire cette campagne. Et, là, on voit bien que, dans ce qu’ils proposent, en fait, il n’y a rien de nouveau. Il n’y a rien de nouveau si ce n’est une aggravation interne.
Et j’ajoute, si vous le permettez, qu’il y a tout de même ce sentiment profond que ces gens-là n’écoutent pas, le Droite n’écoute pas.
Anne Sinclair : Si, aujourd’hui, il y a tant d’indécis, c’est qu’ils n’écoutent pas la Gauche non plus. Comment peut-on intéresser les électeurs ? Leur dire que c’est un enjeu important ?
Robert Hue : Je crois qu’il faut poser les problèmes qui sont ceux auxquels est confronté notre pays. Il n’y a pas 36 solutions, il y a deux logiques : soit on va continuer avec cette logique où les marchés financiers sont les maîtres, avec des conséquences terribles sur notre peuple, en matière de chômage, de précarité qui explose, une politique de Droite forte, une certaine férocité de ce capitalisme, ou alors engage-t-on une autre logique, une logique différente, une logique de relance par la consommation, une logique de progrès social ?
Je crois que le Parti Communiste il souhaite naturellement que la Gauche réussisse – pense que sa contribution dans cette Gauche est de bien l’ancrer à Gauche. Mais je pense qu’il y a deux choses, pour moi, qui sont essentielles, qui sont décisives dans la logique sur laquelle il faut discuter avec les Françaises et les Français :
1. C’est réduire les inégalités sociales. Comment on réduit les inégalités sociales ? J’ai des propositions, la Gauche en a …
Anne Sinclair : …on va y venir.
Robert Hue : Nous y reviendrons.
2. Il y a cette idée, qu’est-ce que le Parti Communiste veut apporter dans ce débat ? Il veut apporter ses propositions qui sont celles du progrès social. Nous avons des propositions de progrès social, nous voulons les faire avancer.
Voilà le vrai débat qu’il faut avoir. Et si vous m’interrogez, je répondrai à ces questions.
Anne Sinclair : Je vais vous interroger là-dessus. Juste un mot sur les sondages : pendant une semaine à partir de maintenant, on n’a plus le droit de les publier, on peut en revanche faire état de sondages qui ont déjà été publiés
Celui, pour 7 sur 7, a été donné, hier soir, dans le journal de 20 heures de Claire Chazal. On va revoir les estimations telles qu’elles sont données par la SOFRES.
Les intentons de vote : la Droite est autour de 40 %, la Gauche autour de 40 %, le Front National, 13 % et les Ecologistes, 6 %.
Je voudrais, avant que vous ne commentiez, que l’on montre un deuxième tableau qui concerne la question suivante :
Au moment de voter, quels sont les deux ou trois problèmes qui compteront le plus pour vous ? Et bien, c’est le chômage qui et cité par 81 % des gens – les inégalité sociales : 39 % - l’insécurité : 31 % - l’immigration : 16 % et la monnaie unique qui n’intéresse pas tant que cela, alors que cela a été une des raisons invoquées pour la dissolution, 13 %.
On reviendra peut-être sur le fond, mais c’est intéressant le rapport : 81 % - chômage, chômage, chômage.
Dans tous les sondages, on voit que la Gauche et la Droite sont à égalité, Robert Hue, et pourtant en donne la Droite nettement gagnante en sièges ?
Robert Hue : Il y a un mode de scrutin qui est complètement inique, on le sait bien. Il y a eu un découpage fait, en son temps, par Monsieur Pasqua qui fait qu’avec le même nombre de voix ou même un peu plus parfois pour la Gauche, elle se retrouve avec un déficit de 80 à 100 sièges. C’est absolument inacceptable ! Vous connaissez mon point de vue de principe, je pense que l’idéal serait…
Anne Sinclair : La proportionnelle.
Robert Hue : …la proportionnelle. Mais, malgré cela, avec le scrutin majoritaire qu’il y ait un tel décalage, c’est absolument insupportable. Je pense que les Françaises et les Français vont rectifier cela…
Anne Sinclair : …On le verra dimanche prochain.
Robert Hue : Oui, parce qu’il faut rectifier l’injustice. Il faut donner plus de poids à la Gauche, naturellement, vous comprenez que je dise cela, et permettre que les sièges de la Gauche soient à la hauteur de son influence électorale réelle.
Anne Sinclair : Parlons de la Gauche, justement. Le Parti Communiste et le Parti Socialiste ont signé un accord électoral et dont chacun prend bien soin de dire – vous, le premier d’ailleurs - : « ce n’est pas un programme commun ». Alors, si ce n’est pas cela, qu’est-ce que c’est ?
Robert Hue : Ce n’est pas un programme commun. On ne va pas refaire les erreurs du passé qui ont conduit, c’est notre point de vue, à l’échec. Nous avons fait beaucoup d’efforts pour arriver là où nous en sommes. Et je dois dire que, depuis plus d’un an, le Parti Communiste, pas seul, mais avec d’autres forces de gauche, a pris le soin d’organiser des forums, de grandes réunions dans le pays, pour que les grands problèmes posés au pays, qui sont ceux de l’alternative, aujourd’hui, nécessaire à la Droite, puissent faire l’objet d’un débat citoyen où les gens interviennent. Et je crois qu’on n’a peut-être pas vu suffisamment ce que représentait ce travail. Il a permis des évolutions importantes. Il a permis d’arriver à une déclaration commune du Parti Socialiste et du Parti Communiste. Une déclaration commune qui ne se veut pas, effectivement, un programme de gouvernement, mais qui fixe les grandes orientations d’une politique possible avec la Gauche, en ne dissimulant pas – je crois que les Français veulent l’authenticité en la matière – qu’il y a des différences et que ces différences et que ces différences peuvent être surmontées.
Sur cette déclaration commune, j’ai évoqué l’utilité du Parti Communiste, les efforts du Parti Communiste pour qu’on arrive à ce qu’il y ait des évolutions et qu’elles se traduisent dans cette déclaration. Sur une question comme l’Europe, nous avions et nous avons encore des différences, mais, ensemble, nous disons : « il faut une Europe qui ne soit pas l’Europe ultra-libérale, pas l’Europe de l’argent-roi, pas l’Europe des marchés financiers », autant de choses qui sont dans la déclaration. Je dis : « il y a des évolutions et je ne veux pas les bouder ».
Je pense que le Parti Communiste a joué son rôle dans cette affaire. Il y a apporté beaucoup. C’est ce qui explique d’ailleurs son utilité aux yeux des Français aujourd’hui, peut-être comme jamais dans d’autres périodes ! On voit l’utilité du vote communiste. D’ailleurs, pour avoir une majorité de Gauche, il faudra le Parti Communiste.
Anne Sinclair : La semaine dernière, quand même, on a assisté à quelques échanges aigres-doux entre Jospin et vous par médias interposés. Cela a tangué un peu ?
Robert Hue : Je crois qu’un certain nombre de propos nécessitaient que l’on se mette d‘accord sur ce que dit être la Gauche au gouvernement, au pouvoir. Lionel Jospin a parlé de cohérence nécessaire pour un gouvernement et donc il faut une ligne. En gros, moi, je suis d’accord, je pense qu’il faut que le gouvernement ait une cohérence. Nous n’en sommes pas là, on ne va pas griller les étapes, il faut d’abord que la Gauche soit majoritaire, mais puisqu’on me pose cette question, je réponds. Je pense qu’en même temps ce gouvernement, cette majorité doit être le reflet de l’ensemble des forces qui composent cette Gauche.
Au soir du 1er juin, il n’y aura pas de députés de Gauche ou Ecologistes qui auront été élus avec les seules voix de leur formation. Les députés socialistes auront été avec des millions de voix communistes et socialistes. Des communistes auront été élus avec des voix socialistes. Il y a donc, du fait de ce mode de scrutin, une Gauche qui représente une diversité. Il faut que cette diversité s’exprime. Voilà ce que j’ai dit. Maintenant, je crois qu’il y a beaucoup de choses qui font converger la Gauche.
Ce que je veux dire, c’est que moi et le Parti Communiste, nous voulons que la gauche réussisse. Nous voulons que la Gauche réussisse pour faire une vraie politique de Gauche, bien ancrée à Gauche. Je ne le cache pas. Nous pensons qu’il est tout à fait nécessaire qu’il y ait cet ancrage à Gauche. Eh bien, c’est cela notre rapport.
Lorsque j’entends les propos de Monsieur Séguin à propos de Balladur et d’autres, je vois bien que la Droite se déchire alors que la Gauche a le courage de dire : « voilà ce sur quoi nous sommes d’accord, voilà ce sur quoi nous ne sommes pas d’accord. Et quand il y a une explication à avoir, nous avons cette explication ».
Anne Sinclair : C’est-à-dire que votre volonté d’unité est plus forte que ce qui peut vous séparer ?
Robert Hue : Totalement ! Vous savez la France souffre trop pour que, s’il y a une chance pour que la Gauche réussisse, nous ne laissions passer cette chance. Moi, je dis que « la chance pour qu’elle réussisse, c’est qu’elle soit vraiment à Gauche, bien ancrée à Gauche ». Et c’est ce que peut apporter le Parti Communiste, le vote communiste, vous le voyez bien ! Mais il est évident que la volonté unitaire, la volonté constructive de notre démarche est absolument essentielle. En même temps, nous ne referons jamais ce qui a été fait dans d’autres périodes et qui a conduit à l’échec. Là-dessus, nous ne sommes pas d’accord. Voilà où nous en sommes.
Anne Sinclair : Je voudrais vous poser une question de fond quand même : le Général de Gaulle, à la Libération, a pris des ministres communistes, ce qui était tout de même tout à fait inédit ! François Mitterrand, en 1981, a fait de même, ce qui a semblé d’une audace absolument incroyable. Comment expliquez-vous que, encore aujourd’hui, cela fasse peur ? Que vous fassiez peur ? Vous savez aux Guignols, ils s’adressent à vous en disant : « Tu fais peur, Robert ! Tu fais peur ! ».
Robert Hue : La Droite –permettez-moi une minute là-dessus – agite à nouveau l’épouvantail rapiécé des communistes qui font peur. Elle n’y croit pas elle-même. Vous vouez les chars sur le périphérique ? Ce n’est pas très sérieux ! Vous me voyez, moi, avec un couteau entre les dents ? Je fais peur aux Français ? Ce n’est pas très sérieux ! J’ai l’air d’un terroriste, moi ? Non.
La Droite a un double comportement. La Droite, elle a les apparences, elle agite l’épouvantail du Parti Communiste, mais elle n’y croit pas trop. Ce sont les apparences. Mais il y a une réalité où la droite a vraiment peur du Parti Communiste, et elle a raison d’avoir peur du Parti Communiste, parce que le Parti Communiste est bien décidé, s’il participe aux affaires de la France, comme dans toute majorité où il participera, à faire entendre une voix qui n’est pas celle du tout de la complaisance avec une politique de Droite, avec une politique d’un capitalisme féroce. La Droite peut être sûre qu’avec la présence du Parti Communiste sa politique n’aura pas la moindre chance d’être vue d’un bon œil.
Par contre, la Droite sait qu’à chaque fois que le Parti Communiste a constitué une majorité ou a été au gouvernement, cela s’est traduit par de grandes réformes sociales, des actes sociaux très importants, et les Français le savent. Alors, l’histoire de la peur du Parti Communiste, c’est vrai que personne n’y croit à cette peur, sous forme d’apparence pour la Droite. Par contre, sur la réalité de cette peur pour la Droite vis-à-vis du programme social que les communistes, je ne dis pas, exigeraient mais contribueraient à mettre en œuvre s’ils étaient aux affaires ou s’ils sont dans la majorité, là, il n’y a pas d’ambiguïté, la Droite peut avoir peur.
Anne Sinclair : J’entendais l’autre jour à France Inter, le député-maire communiste de Saint-Denis qui disait que « la rénovation du Parti Communiste est, certes, en marche, mais qu’il y avait encore du chemin à faire ». Peut-être que c’est cela qu’on attend de vous, c’est qu’à chaque fois vous disiez qu’il y a encore du chemin devant vous ? Je me souviens, c’est ici, à 7 sur 7, que vous vous étiez vraiment, pour la première fois, démarqué du parti Communiste d’hier et de l’attache avec l’Union soviétique et avec Staline. Mais peut-être qu’on attend de vous encore et encore des déclarations. Cela va être long à vous débarrasser de cette vieille image.
Robert Hue : Le Parti Communiste a engagé une mutation profonde. Cette mutation est irréversible. Personnellement, je suis assez heureux de ce qui se passe et du regard qui est porté sur le Parti Communiste dans la société Française. On voit la place qu’il peut occuper, y compris dans le gouvernement de la France. Je crois que nous allons continuer cette mutation, c’est un processus qui est engagé et qui ne reviendra pas en arrière.
Nous avons condamné avec la plus grande fermenté ce qu’a été le stalinisme, ce qu’ont été les caricatures du communisme de l’Est, cela s’est effondré. Là-dessus, il n’y a pas d’ambiguïté ! Et je le redis ce soir avec la force nécessaire. Mais en même temps nous sommes tellement attachés à être mieux en phase avec la société française que nous voulons être toujours mieux communistes pour mieux servir les habitants de notre pays. C’est cela l’esprit qui nous anime
Anne Sinclair : Alors, suite de la semaine, Robert Hue : la Justice et le social. Viviane Junkfer, Alain Badia.
Social : les contrôleurs SNCF seraient-ils devenus incontrôlables ? Malgré l’avis de leurs syndicats, ils rejettent les concessions de la Direction en votant la poursuite de la grève lors d’assemblées générales parfois houleuses.
C’est la pagaille dans les gares en ce week-end de Pentecôte, les usagers n’ont décidément pas de chance. Quand ce ne sont pas les avions, ce sont les trains qui ne marchent pas, et vice versa.
Une fois de plus, les pilotes d’Air France lancent un appel à une grève de quatre jours à partir de mardi prochain.
Affaires : Perquisition sans précédent, jeudi au siège du Groupe ELF à la Défense. C’est le dernier épisode en date de cette affaire de détournement de fonds présumé, à dimension internationale.
Justice : Et revoilà Bernard Tapie à la barre des accusés. Dans ce quatrième procès portant, cette fois, sur les comptes et mécomptes de l’OM, l’ancien Président du club de football est entouré de 19 prévenus, parmi lesquels ses anciens bras-droits dont son principal accusateur, aujourd’hui, Jean-Pierre Bernès.
Justice (suite) : Procès de la Josacine empoisonnée, procès empoisonné.
Anne Sinclair : Terrible procès et terrible drame ! Je ne vais pas, bien sûr, vous faire intervenir sur une affaire en cours, mais j’aimerais quand même bien vous faire parler de sujets de la vie quotidienne qui intéressent aussi les Français : la Justice, l’immigration.
Sur la Justice, les Français la veulent plus rapide, plus humaine et plus indépendante. Il y a 103 magistrats qui ont signé, d’ailleurs, un texte en ce sens. Comment se fait-il qu’on en parle si peu dans la campagne ? Et j’allais dire : vous aussi ?
Robert Hue : Cette campagne est très courte et une série de grands sujets, y compris, sociétaux, ne sont pas examinés, c’est vraiment dommage ! Je crois que, sur la Justice, les Français ont raison. Il faut une Justice qui soit égale pour tous et accessible pour tous. C’est une des grandes questions. La rapidité également de la Justice. Mais il y a d’autres grandes préoccupations concernant la Justice – je vais vite - je crois qu’il faut engager une lutte sans merci contre la corruption, pour la transparence et on a besoin d’une Justice vraiment indépendante, une Justice, en fait, sereine.
Moi, je souhaite une Justice sereine, une Justice qui ne soit pas seulement à la Une des médias, de l’actualité, qui puisse faire sont travail en toute indépendance.
Anne Sinclair : Mais tout le monde le dit, le Président de la République aussi.
Robert Hue : Il peut le faire, lui. Si on est aux affaires, on pourra peut-être le faire !
Anne Sinclair : L’immigration, vous réclamez l’abolition des lois Pasqua-Debré, mais il y a un certain nombre de gens qui se disent : « Mais alors on est sans défense contre l’immigration clandestine. Par quoi on va remplacer ? Qu’est-ce qui va se passer ? ».
Robert Hue : Il faut absolument qu’il y ait des lois qui, de ce point de vue, s’attaquent aux questions de fonds. Je crois qu’il y a des grands principes fondamentaux qui sont des principes de civilisation pour nous : droit du sol, droit d’asile. Cela participe de l’héritage de la France et de son identité. En même temps, s’il n’y a plus de dispositif, et c’est vrai qu’il faut l’abrogation des lois Pasqua-Debré, il faut être sans merci contre ceux qui sont à la source du travail clandestin et de l’immigration clandestine. Il y a des réseaux du patronat, on le sait, qui font venir les immigrés. On n’y touche pas et, ensuite, on essaie de montrer du doigt les immigrés.
Il reste que, sur la régularisation d’un certain nombre de gens en situation irrégulière, il y a des critères qui ont été prévus et imaginés par des médiateurs tout à fait sérieux. On peut, je crois, construire un bon texte législatif qui permettrait effectivement, sans discrimination aucune, d’avoir une loi.
Evidemment, on n’a pas le temps, mais ces questions demanderaient beaucoup de développement. Il faudrait voir ce que l’on fait aussi pour les pays d’origine de cette immigration, comment imaginer des coopérations avec le Sud ? avec l’Afrique ? un continent complètement à la dérive. Il y a des choses à imaginer de ce point de vue. Mais je crois qu’il faut être sans pitié avec ceux qui sont à la source de la venue de travailleurs clandestins et qui sont à la fois, là, pour les exploiter et, en même temps, pour les monter du doigt comme boucs-émissaires.
Anne Sinclair : Le Front National autour de 15 % dans les sondages, un commentaire ?
Robert Hue : Le commentaire, c’est qu’il faut tout faire pour endiguer le Front National. Je crois que, dans ces élections législatives, on a un nom en tête, c’est Gardanne. Je crois qu’il est possible de faire reculer le Front National.
Anne Sinclair : Gardanne où Roger Maï a été élu…
Robert Hue : …maire de Gardanne, député communiste. C’est possible, on peut résister. Mais je crois qu’il faut s’attaquer au fond des choses. Il faut s’attaquer aussi à ce qui est la racine de ce qui fait le développement des idées du Front National.
Moi, je pense que, dans les quartiers difficiles, dans toute une série d’endroits où les gens souffrent terriblement de la crise, il faut des mesures de générosité, de solidarité. Il faut recoudre les liens qui se sont distendus. Les communistes veulent y contribuer. D’ailleurs, si le vote communiste est un vote résolument anti-Le Pen, bien naturellement, il est aussi un vote qui relève le défi du Front National là où ils prétendent parler au nom du monde ouvrier. Alors que, quand on regarde le programme de Le Pen, c’est un programme anti-social, c’est vraiment le capitalisme le plus féroce, et ce milliardaire essaie de tromper les ouvriers. Il faut le dire. Moi, je le dis avec force et j’espère ben qu’on va faire le reculer.
Anne Sinclair : Que répondez-vous à Alain Madelin quand il dit : « aujourd’hui, Jean-Marie Le Pen ne cache pas la destination des passagers qu’il embarque au premier tour », il leur dit : « Le deuxième tour, c’est destination Jospin-Hue », en faisant référence aux propos de Jean-Marie Le Pen qui, apparemment, provocation ultime, souhaite la victoire de la Gauche ?
Robert Hue : D’une part, je vois bien que Le Pen se met à faire ses provocations au moment où, précisément, une partie de son électorat dit qu’il va voter au deuxième tour pour, justement, les mais de Madelin. Ce n’est pas étonnant, d’ailleurs, que Madelin commence à regarder cela de près.
Une bonne partie de ces gens de la Majorité n’ont pas boudé les voix du Front National, ils ont même passé des accords avec le Front National. On se souvient que, dans le Midi d e la France, des majorités régionales ont été réalisées avec le Front National. Et puis, quand même, quand on entend Monsieur Mégret, Monsieur Le Gallou, des dirigeants du Front National, mais, Anne Sinclair, où ont-ils été formés ? Il faut le dire, ce sont d’anciens cadres RPR. Donc, sur les passerelles entre la Droite et le Front national, il y aurait beaucoup à dire et, d’ailleurs, cela me semble très inquiétant.
Anne Sinclair : Alors, je voudrais que l’on parle d la politique économique que vous souhaitez. Vous dies – je résume rapidement - : « Plus de salaire et plus de pouvoir d’achat ». Vous savez bien ce que dit la Majorité : « Quand on fait une politique de relance, on va dans le mur ».
Robert Hue : Je crois que la Gauche ne doit pas perdre de temps en la matière. Si elle est majoritaire, elle doit s’engager dans une politique immédiate de relance par les salaires. D’ailleurs, nous l’avons dit dans la déclaration commune, ensemble, communistes et socialistes.
Nous sommes pour une relance de salaires, des pensions, des retraites. Moi, je dis – et c’est le Parti Communiste - : « 1 000 francs d’augmentation du SMIC et puis répercussions sur la grille des salaires ».
Alors quand je dis cela…
Anne Sinclair : Vous n’avez pas l’impression, quand même, que c’est irréalisable ? Que ce sont des promesses pas réalisables ?
Robert Hue : Justement, je crois que c’est important de poser la question comme cela, parce que les Français ont tellement entendu de promesses, s’ils entendent encore des choses que l’on énonce comme cela et qui ne leur apparaissent pas sérieuses, réalistes, ils disent : « On ne pourra pas… demain, on va raser gratis »…
Anne Sinclair : 1 000 francs tout de suite pour le SMIC, pour les 35 heures tout de suite ?
Robert Hue : 1 000 francs tout de suite, simplement une courte démonstration : 1 000 francs de SMIC tout de suite, c’est combien ? C’est 39 milliards dont 11 milliards dans tout le secteur public. Qu’est-ce que c’est 39 milliards ? C’est beaucoup. Mais 39 milliards, c’est 10 % des dividendes qui ont été versés aux actionnaires des Société l’an dernier et il reste 90 %. On n’est pas sur la paille.
39 milliards – je ne parle pas des P.M.E., je vous en dirai un petit mot si vous le permettez – mais les grandes entreprises, et ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les comptes de la Nation, les grandes entreprises, les 25 premières grandes entreprises française. Anne Sinclair, l’an dernier ont multiplié par cinq leurs bénéfices, par cinq. Ils ont fait 43 milliards non pas de profits, mais de bénéfices. Je dis qu’il y a, donc, de la marge. Par ailleurs, il faut cesser de laisser entendre que d’augmenter les salaires, cela se traduirait par des dépenses supplémentaires.
Anne Sinclair : Non, mais quelquefois des entreprises y laissent leur peau.
Robert Hue : Les petites entreprises qui ne peuvent pas, effectivement, donner ces augmentations, il faut les aider. Parce que celle-là, on ne les aide passez. Les P.M.E., P.M.I., les petits commerçants, les petits artisans, on ne les aide pas actuellement, on aide les gros.
Il y a 160 milliards qui sont allés à la création d’emplois, qui sont sortis du budget de l’Etat, soi-disant pour créer des emplois. Cela a été à la Finance. Cela a été pour l’essentiel, tenez-vous bien, même à financer des plans sociaux.
Donc, je dis : cet argent-là, on peut le redistribuer autrement. Et cela relancerait la machine.
Si l’on donne 1 000 francs d’augmentation aux gens qui ont du mal actuellement, vous croyez qu’ils vont aller le placer en Suisse, qu’ils vont faire flamber la Bourse ? Ils vont acheter des vêtements pour leurs enfants. Ils vont acheter de quoi manger mieux. Parce que, vous le savez bien, je suis un élu de la région parisienne, les gens vivent mal, vivent très mal. Il faut savoir que ces petits salaires, quelquefois, cela les conduit à ne même pas pouvoir payer la cantine scolaire aux enfants.
Moi, dans ma commune, je sais que, le midi, il y a des gamins qui se cachent pour manger, avec un petit bout de pain et du beurre, parce qu’ils ne peuvent pas aller à la cantine. Donc, je dis : cela ne peut pas continuer.
Donc augmentation des salaires : cela relance la machine, cela relance l’économie, cela crée des emplois.
J’ajoute une autre mesure, si vous le permettez, la T.V.A. : je pense qu’il faut tout de suite baisser la T.V.A. de 2 points et la supprimer sur les produits de première nécessité. Là aussi, ce sont 40 ou 50 milliards qu’a prélevés Juppé en arrivant aux affaires et qui retourneraient à l’économie.
Les 35 heures, naturellement, seraient aussi facteur de développement à 100 %.
Anne Sinclair : On reviendra, si vous voulez, sur ce point, parce que c’est l’heure de la publicité et elle va passer tout de suite. On se retrouve dans deux minutes.
Robert Hue : Volontiers.
(Publicité)
Anne Sinclair : Robert Hue, avant de parler du Zaïre, de Jacques Chirac et de son voyage en Chine, je voudrais juste revenir d’un mot, parce que je vous ai interrompu un peu brutalement pour la publicité, quand vous dite : 35 heures tout de suite, SMIC et d’augmentation de 1 000 francs, T.V.A., la réduire de deux points, etc… Cela ne parait pas réaliste aux gens ?
Robert Hue : Cela ne parait pas réaliste parce que, depuis des années et des années, des gens leur ont fait des promesses, et je pense notamment à la Droite qui, en fait, a fait toutes les promesses du monde, annonce des miracles, etc… Elle s’est trompée, elle a échoué complètement et elle continue, elle persiste, elle signe, et il faudrait encore les croire sur paroles. C’est absolument inacceptable.
Moi, je pense qu’il faut faire des démonstrations et j’ai essayé d’un faire : j’ai montré où je prenais l’argent.
Il est évident que je ne fais pas plaisir aux spéculateurs, à la France. Je choisis d’orienter l’argent autrement pour le progrès social, pour la réduction des inégalités. Cela peut créer des milliers d’emplois.
Cette société blessée a besoin d’emplois dans les grands services publics, dans les quartiers difficiles. On a besoin d’infirmières, d’enseignants, d’agents des postes. On a besoin de jeunes, Anne Sinclair, dans les quartiers populaires, difficiles, dans des emplois de proximité, mais des emplois stables, et qui vont lutter contre la drogue, qui vont redonner à la société l’élan nécessaire.
Je suis pour une société qui, effectivement, donne un véritable élan, pas celui promis par Chirac. Il faut encourager l’esprit d’entreprendre. Il faut encourager l’esprit d’initiative. Il y a tout cela dans notre société. Il faut la dynamiser, et c’est ce que je propose. Que l’on ne me dise pas que ce n’est pas réaliste, d’abord on n’a jamais mis à l’épreuve ces propositions que je fais. On peut les mettre à l’épreuve !
La Gauche gère dans les communes 14 millions de Français du point de vue de l’administration territoriale. Donc, elle sait faire les choses.
Je crois qu’il y a la possibilité, effectivement, d’apporter des réponses positives et de changer vraiment à Gauche dans ce pays.
Anne Sinclair : Un mot de politique internationale, Viviane Junger, Alain Badia.
Chine : Rien ne sied mieux à l’Empire du milieu que la politique des petits pas. En fin connaisseur de la psychologie asiatique, le Président Chirac a réussi, au cours de son voyage d’Etat en Chine, qui ont pourtant toujours fâché Pékin, tels les droits de l’homme, la situation des chrétiens et même le cas du Tibet.
Les deux chefs d’Etat ont signé un accord de partenariat global, qui contient l’amorce d’un dialogue sur tous ces sujets mais aussi sur la réforme de l’ONU, sur l’instauration d’un nouvel Ordre international, ainsi que d’importants échanges économiques et commerciaux.
Le Président français revient avec, notamment, une commande ferme de 30 Airbus pour environ 9 milliards de francs. C’est un début. La France n’est que le 13eme fournisseur de la Chine, a martelé Jacques Chirac, notre ambition est d’en revenir l’un de ses premiers partenaires.
De Yalta à Paris : Après des mois d’âpres négociations, la Russie et l’OTAN mettent à Moscou la dernière main à un accord de bon voisinage régissant leurs relations futures. Cet accord doit permettre d’ouvrir les portes de l’alliance militaire occidentale aux anciens pays du Pacte de Varsovie.
Zaïre : Mobutu, c’est fini. Après 32 ans de régime absolu et corrompu, riche à milliards, le Maréchal, Président à vie, Mobutu est parti, rejeté par son peuple, lâché par ses troupes, chassé en, à peine, 7 mois par un autre chef de guerre, le rebelle Désiré Kabila.
Le nouvel homme fort, Kabila, promet des élections d’ici 2 ans. Il s’est proclamé samedi chef de la République Démocratique du Congo. Le nom du Zaïre disparait. La capitale s’est rendu sans résistance.
La page Mobutu est définitivement tournée, celle de Kabila ne fait que commencer.
Anne Sinclair : On a l’impression que le Zaïre, Robert Hue, c’est le cadet des soucis des hommes politiques en campagne électorale, et pourtant, chaque soir, on voit des massacres insoutenables à la télévision ?
Robert Hue : C’est un drame. Et là, aujourd’hui, à l’issue de ce qui vient de se passer, je crois que la première chose, c’est de tout faire pour éviter les affrontements, parce que ce n’est pas complètement terminé.
Je crois que l’ONU, l’OUA doivent prendre des mesures, non pas d’ingérence du tout… et la France doit jouer son rôle dans cette affaire…
Anne Sinclair : Elle n’a plus l’air tellement bien placé la France. Cela fait 20 ans qu’elle joue Mobutu ?
Robert Hue : Complètement. 30 ans de dictature et d’arbitraire de Mobutu, cela a plongé le pays dans le chaos que l’on sait. La France doit tirer les enseignements de cette stratégie, et ces centaines de milliers de réfugiés, disions-nous, là, il faut penser à tout cela… La France a une lourde responsabilité, ainsi que les Etats-Unis, mais une très lourde responsabilité. La France a soutenu jusqu’au bout Mobutu. C’est un choix inacceptable et c’est un échec pour la France. Je le regrette, parce que je souhaiterais que la France se conduise en Afrique avec un autre comportement…
Anne Sinclair : Mais les Américains qui ont soutenu Kabila, c’est mieux ?
Robert Hue : J’ai donné mon sentiment aussi sur les Américains. Ils sont autant responsables de la situation.
D’ailleurs, j’ajoute que les Américains ne vont pas nous prendre pour des naïfs. Ce qu’ils regardent, c’est l’intérêts, ce qu’il y a dans ce pays riche, l’un des pays les plus riches d’Afrique. Et Laurent Désiré Kabila sera confronté à une double exigence – nous verrons la suite - : le développement et la démocratie. Il devra, de ce point de vue, être jugé sur les actes.
Mais nous avons, immédiatement, des mesures à prendre. Il faudrait, si nous avions le temps, beaucoup parler de ce qui serait nécessaire de faire dans une politique forte, dynamique, vis-à-vis de l’Afrique.
La France a un devoir vis-à-vis de ce continent, qui est au sud de chez nous, de la Méditerranée. Quand on voit les conditions dans lesquelles la Banque Mondiale, le F.M.I. entraînent des difficultés supplémentaires… la dette qui écrase ces pays !
On dit : il faut les aider. Mais, en fait, le remboursement de la dette est supérieur à l’aide qui est apportée. Enfin, c’est fou ! Il faut vraiment une autre politique, fondamentalement différente.
Anne Sinclair : Je voudrais profiter puisque les journalistes sont nombreux à couvrir ce qui se passe au Zaïre et ailleurs, de montrer ce livre de photographies de Raymond Depardon, qui s’appelle : « 100 photos pour défendre la liberté de la presse ». Il y a, là, une photo prise sur le mur de Berlin. Ce livre est vendu au profit des journalistes emprisonnés. Donc, je voulais signaler ce livre.
Jacques Chirac, en Chine : il est en train de revenir, il a fait escale à Moscou aujourd’hui, il est en train de revenir de Paris et tout indique qu’il va à nouveau intervenir jeudi ou vendredi prochain. C’est quand même un atout pour la Majorité qu’il intervienne dans la campagne électorale. Vous redoutez son intervention ?
Robert Hue : Ecoutez ! Je pense d’abord que, depuis le début, le Président de la République est complètement engagé, partisan dans cette campagne. Il a choisi. Il a fait la dissolution. Ensuite il a produit l’article que l’on sait dans les journaux, qui a fait un « flop » parce qu’il dit aux Français : « J’ai réglé, on a épongé les choses, maintenant tout va bien ». Les Français se disent : « Mais comment, tout va bien ? Chômage, la précarité qui explore et il nous annonce qu’ils vont continuer encore pendant 5 ans, s’ils avaient la Majorité ! C’est une catastrophe ! On ne va pas leur redonner, pendant 5 ans, tous les pouvoirs : le pouvoir du Président de la République, le pouvoir à l’Assemblée, le pouvoir dans les collectivités territoriales. Non, c’est absolument insupportable ! ».
Anne Sinclair : Mais cela, c’est la démocratie !
Robert Hue : Oui, c’est la démocratie. Mais la démocratie peut permettre au peuple, aux citoyennes et citoyens de s’exprimer et de dire : « On ne veut plus de cela ». Ils peuvent le faire.
D’ailleurs, je le dis volontiers, j’ai dit tout à l’heure combien je souhaitais que la Gauche réussisse. Mais pour qu’elle réussisse, je pense qu’il fut qu’il y ait ce vote utile du Parti Communiste, qui ancre bien à Gauche.
Je pense que le vote du Parti Communiste dans cette campagne – je reviendrai sur l’intervention de Jacques Chirac – peut apparaître vraiment comme le moyen pour les gens modestes, pour les classes moyennes, qui en ont vraiment assez, qui disent « cela suffit », cela peut être un moyen pour eux de dire tout haut, avec leur bulletin de vote, ce qu’ils pensent tout bas. Cela me semble très important.
Quant à l’intervention de Jacques Chirac, je crois qu’il faudra que les Forces de Gauche puissent répondre.
Anne Sinclair : Il est bon en campagne électorale, souvenez-vous de 1995 ?
Robert Hue : Ah ! Oui, il est très bon pour faire des promesses qu’il ne tient pas. Tout le monde s’en souvient ou ceux qui ne s’en souviennent pas, il faut leur rappeler. Souvenez-vous précisément, mais vous le savez bien, Anne Sinclair, les promesses, les promesses, les promesses… : on allait réduire la fracture sociale.
Dans le discours d’investiture de Juppé : « Vous pourrez me juger sur les emplois que l’on va créer », on peut le juger aujourd’hui ! Je n’en rajoute pas, c’est une catastrophe leur politique. Et ils veulent que l’on recommence encore ? Certainement pas. Il faut vraiment que l’on se saisisse de l’occasion qui nous est donnée là, et je crois que le vote communiste pourra y contribuer et, en tous les cas, il est disponible.
Il est disponible aussi pour ceux qui ont lutté ces derniers temps. Parce qu’on oublie un peu vite que, ces derniers mois, depuis novembre, décembre 1995, il y a eu d’importants mouvements sociaux et citoyens dans ce pays. Des gens qui ont dit : « Il faut que l’on fasse autrement. On ne veut pas la déréglementation. On ne veut pas que l’on casse notre protection sociale ». Il y a eu les internes. Il y a eu les routiers. Il y a eu ces luttes des jeunes, des cinéastes contre la Loi Debré. Aujourd’hui, là, à la veille d’un scrutin qui est décisif pour les 5 ans à venir, ils ne pourraient pas trouver une dimension dans le vote ? Je crois qu’i faut qu’ils se saisissent du bulletin de vote. Le bulletin de vote communiste est disponible pour cela, pour qu’il y ait ce prolongement des luttes sociales.
Et je pense même, Anne Sinclair, que, quelle que soit l’issue du scrutin, quelle que soit son issue, et je souhaite que ce soit une Majorité de Gauche, mais il faudra que le mouvement social continue d’intervenir, parce qu’il faudra qu’il soit là – quelle que soit la situation – pour résister au terrible programme de la Droite si, par malheur, elle était élue et, s’il y a la Gauche, pour bien être là, engagé dans le débat citoyen, pour que les engagements soient bien tenus. Cela me semble tout fait essentiel, voyez-vous.
Donc, voilà l’esprit qui m’anime et je crois que les Français doivent aujourd’hui se souvenir, à chaque fois qu’ils voient apparaître Jacques Chirac que c’est quelqu’un qui a triché, qui n’a pas tenu ses engagements.
Anne Sinclair : C’est le Président de la République, quand même ! Il est utile qu’il intervienne.
Robert Hue : Je dis cela avec le respect nécessaire. Cela dit, je pense que c’est lui qui n’est pas très respectueux des Françaises et des Français. Il avait pris des engagements, dès le mois d’octobre 1995, 26 octobre 1995. Il a tourné le dos à ses engagements. Il a suivi la politique désastreuse pour notre pays.
Je ne m’attaque pas là, à une construction européenne quand je dis cela, parce que je suis pour l’Europe. Je veux qu’on sache une bonne fois pour toutes : Le Parti Communiste est pour une construction européenne, mais pour une Europe sociale, une Europe de progrès, une Europe démocratique. Pas cette Europe-là qui entraîne des millions de chômeurs. Pas l’Europe de Vilvorde. Pas l’Europe du fric qui coule à flots partout, alors qu’il y a des gens qui crèvent dans les pays en difficulté.
Pas une Europe… on me parle de liberté, j’entends les Juppé, Balladur : le libéralisme, c’est la liberté. Mais la liberté pour qui ? La liberté pour les S.D.F. d’être à tous les coins de rue ? La liberté pour les spéculateurs ? Tout à fait, tout à fait, c’est-à-dire c’est la liberté pour les gros qui bouffent les petits. Eh bien, cela ne marche pas ! Cette liberté-là, ce n’est pas la liberté.
Anne Sinclair : Puisque vous parliez de l’Europe, restons-y un instant. Vous dites : « On est pour l’Europe ». On sait quand même que vous n’êtes pas un fanatique de l’Union Européenne, n’est-ce pas aller à contre-courant de l’histoire de ne pas épouser ce mouvement où, vous voyez bien, les jeunes sont pour, cela paraît l’avenir, n’êtes-vous pas à contre-courant d’un mouvement, là ?
Robert Hue : Pas du tout, parce que ma critique de l‘Europe de Maastricht reste complétement fondée. Les critères de Maastricht et leur application, on voit où cela a conduit !
Anne Sinclair : Alors, si ce n’est pas l’Europe de Maastricht, c’est quelle Europe ?
Robert Hue : C’est une Europe complètement différente.
Anne Sinclair : Cela veut dire : on oublie le Traité ?
Robert Hue : Je pense qu’il faut dépasser le Traité. D’ailleurs, avec le Parti Socialiste, cette idée est avancée dans le texte en commun. On dépasse le Traité de Maastricht. Il faut renégocier. On a un an, si la Gauche l’emporte, pour rediscuter avec les partenaires européens pour voir dans quelles conditions, effectivement, on peut imaginer un autre type de construction européenne, et c’est possible ! C’est possible. On aura des alliés parmi les peuples qui ne veulent plus d’austérité. On aura des alliés en Europe du Sud, avec l’Italie qui veut pouvoir s’inscrire …
Anne Sinclair : Oui, mais tous ces pays-là, y compris d’ailleurs le Parti Socialiste, sont pour l’euro, même s’il y met les conditions, même si les autres pays y mettent des conditions. En signant avec le Parti Socialiste une déclaration commune, n’est-ce pas une façon d’admettre que, de toute façon, l’euro se fera, peut-être de façon modifiée, mais cela se fera ?
Robert Hue : Quand dans la déclaration du Parti Socialiste et quand j’entends un certain nombre de déclarations faites par Lionel Jospin sur l’Europe – nous l’avons dit il y a longtemps – je trouve cela bien quand il dit qu’il ne veut pas appliquer les critères qu’ils sont significatifs d’une cure d’austérité. Il l’a dit ici, je crois d’ailleurs ?
Anne Sinclair : Oui.
Robert Hue : Eh bien, je dis- je ne veux pas faire la fine bouche - : à partir du moment où l’on engage un processus sur le plan européen qui n’implique plus l’austérité pour le peuple, qui implique une autre Europe sociale, quels que soient les mots, je pense qu’il y a quelque chose de positif, que l’on peut avancer puisque, je le répète, je suis pour la construction européenne. Je suis même pour une monnaie commune, je l’ai expliqué : nous pensions qu’il faut un instrument monétaire commun. Mais, en même temps, je pense qu’il faut le maintien des monnaies nationales, je pense qu’il ne faut pas laisser à une Banque centrale européenne le soin de dicter ses choix aux Nations, je pense qu’il faut construire l’Europe dans le respect de notre souveraineté.
J’ai dit qu’il fallait consulter le peuple de France, par voie de référendum, sur l’entrée à la monnaie unique. Je maintiens cette idée. Je ne dis pas que c’est dans un processus d’accord… cela doit être explicitement annoncé comme cela. Mais je répète : le Parti Communiste est pour que le peuple soit consulté sur cette question importante pour l’avenir.
Anne Sinclair : Alors, Robert Hue, on va terminer cette émission par la politique, bien sûr, on est en campagne électorale.
Toute la semaine, vous avez entendu les ténors de la majorité se succéder pour réclamer soit un changement de Premier ministre, soit, au contraire, pour jurer fidélité à Alain Juppé. Est-ce que, vous, c’est un débat intéressant ou est-ce que la Premier ministre est devenu une sorte de bouc-émissaire à cause de son impopularité ?
Robert Hue : Ce n’est pas un débat intéressant du tout. Les Français ont envie de parles des choses dont on a parlé ce soir : les grandes questions sociales, quelle politique ?
Les Français se contre-fichent un peu de savoir si ce sera un « maigre rigide » qui sera Premier ministre ou si c’est un « gros bien enveloppé »…
Anne Sinclair : Un « gros jovial » comme avait dit le Premier ministre.
Robert Hue : Donc, ce n’est pas cela le problème ! Le problème est : pour quelle politique ? Et la politique qu’ils nous préparent, c’est cela qu’ils dissimulent.
Pendant que le théâtre Chirac produit cette situation où l’on voit les premier-ministre possibles, etc., pendant ce temps-là on ne parle pas des vrais problèmes. On ne parle pas des milliards qu’ils veulent exiger des Français en comprimant les dépenses sociales. On ne parle pas de la protection sociale qui va être encore mise à mal. On ne parle pas des infirmières, des enseignants, de tout ce que l’on va supprimer comme emplois dans les grands services publics. Cela, on n’en parle pas. Mais, bien sûr, on dissimule la réalité aux Français.
Il faut que les Français utilisent plus que jamais leur bulletin de vote pour se faire entendre.
Je pense que nous sommes dans une situation assez inédite. La Gauche peut gagner. J’entends bien ce que les sondages disent, mais je vois bien aussi sur le terrain, ras-le-bol, les gens nous disent « ça suffit ! On veut changer ». Donc, il y a la possibilité de rassembler tous ces gens-là pour changer. Et pour que cela change vraiment – et c’est la question essentielle pour moi -, je pense qu’il faut que ça change bien à Gauche, et le vote communiste est là pour que ça change bien à Gauche.
Alors, on a des qualités, on a des défauts, mais, avec le vote communiste et la présence des communistes dans une Majorité, voir dans un gouvernement de la France, on sait que le social, tout ce qui est le monde du travail se fera entendre, à notre façon, mais il se fera entendre. On sera des relais-citoyens de tout cela. C’est ce que nous voulons.
Anne Sinclair : Il reste 8 jours, pendant ces 8 jours vous allez essayer de convaincre encre. C’est ce message-là que vous voudriez que les gens retiennent de cette heure que nous venons de passer ensemble ?
Robert Hue : Oui, je pense qu’il faut qu’ils ressentent bien que le Parti Communiste veut tout mettre en œuvre pour la réduction des inégalités, et, donc, une grande politique nationale de l’emploi, et c’est possible. Qu’on n’écoute pas ceux qui disent que ce n’est pas possible, ceux-là, ils se sont trompés pendant des années et on n’a pas à leur faire plus confiance aujourd’hui parce que l’on a vu ce qu’ils faisaient.
Et puis la deuxième chose : le vote communiste, c’est, à Gauche, le progrès social, le progrès humain. Cet humanisme m’anime profondément.
Anne Sinclair : Merci beaucoup, Robert Hue. Bonne fin de campagne.
Robert Hue : Merci.
Anne Sinclair : Je rappelle, parce que c’est très inhabituel, que, demain, lundi, à 19 heures, aura lieu de nouveau un autre7 sur 7 et je recevrai pour invité, François Léotard, Président de l’U.D.F.
Dans un instant, ce sera le journal de 20 heures de Claire Chazal qui reçoit un poids lourd de la politique, sans jeu de mots, Philippe Seguin.
Merci à tous. Bonsoir.