Texte intégral
Avant toute chose, je souhaite remercier l'ensemble des membres de ce groupe de travail pour la qualité et l'assiduité de leur participation aux travaux de ce groupe qui ont duré plus d'un an.
Ces dernières années ont été marquées par une évolution juridique sans précédent qui a porté la France à l'avant-scène des pays occidentaux pour le droit des victimes.
Conscience a été prise que les victimes devaient être placées au centre du procès pénal alors qu'elles en étaient en réalité les grandes absentes. Cette prise de conscience est d'abord le fait des victimes elles-mêmes, de leurs familles et des associations spécialisées mais aussi des experts et des magistrats.
Il en est résulté une évolution significative de la notion d'aide aux victimes. Aujourd'hui, celle-ci comporte plusieurs types d'intervention qui vont de l'accueil à l'indemnisation en passant par un soutien et une prise en charge psychologique.
Cette évolution a rendu encore plus sensible la nécessité d'adapter les dispositifs d'aide aux victimes à certaines situations particulières : victimes d'attentats terroristes, victimes gravement traumatisées et victimes d'accidents collectifs.
Sur ce dernier point, il est certain que la survenance, au cours de ces dernières années, d'accidents graves ayant entraîné de nombreuses victimes et nécessité des interventions particulières de grande ampleur, a démontré qu'il restait beaucoup à faire pour rationaliser et améliorer la prise en charge des victimes.
La décision de créer un groupe de travail chargé de réfléchir sur ce point procède d'un double constat :
– la justice n'est pas officiellement intégrée dans les dispositifs spécifiques mis en œuvre lors de la survenance d'accidents qui entraînent de nombreuses victimes. Cette carence n'est pas sans conséquence sur la nature de l'aide apportée aux victimes. Or, quel que soit le niveau d'intervention, une constatation s'impose : la justice doit être l'un des vecteurs de l'action développée en direction des victimes. Là où elle est représentée, elle doit favoriser la prise en charge de celles-ci et servir de relais entre les associations d'aide aux victimes et les autres intervenants ;
– les interventions de l'INAVEM, en liaison avec le ministère de la justice, au moment de l'accident du Mont-Sainte-Odile ou encore de l'effondrement du stade de Furiani, ont démontré tout à la fois l'urgence de répondre à l'attente des victimes et l'importance d'une telle présence auprès de l'institution judiciaire. Dans ces deux catastrophes, et parallèlement à l'enquête judiciaire, les services d'aide aux victimes, saisis et financés par plusieurs départements ministériels (justice, jeunesse et sports, ville…) ont immédiatement créé une structure d'accueil, d'écoute, d'information et d'aide d'urgence aux victimes et à leur famille ; organisé, avec les barreaux et en liaison avec les partenaires privés concernés (compagnies d'assurance notamment), un comité de pilotage pour veiller à une indemnisation rapide et complète des victimes ; mis en œuvre, en tant que de besoin, des relais locaux afin d'assurer l'aide psychologique nécessaire. Parallèlement, au niveau national, une cellule regroupant les départements ministériels concernés et les représentants des services d'aide aux victimes a assuré la coordination.
Ces structures ont démontré leur efficacité. Ainsi, pour les victimes de Furiani, il apparaît que la quasi-totalité des dossiers est en voie de règlement définitif.
En dehors du soutien et de l'impulsion que je pense donner à toutes les initiatives visant à favoriser une meilleure prise en charge matérielle et psychologique des victimes, j'entends, parallèlement, faire un plein usage des compétences qui me sont propres en tant que garde des sceaux, pour tout ce qui peut concourir à cet objectif.
Je pense en particulier à la protection des victimes contre ce qu'il faut bien appeler parfois le « harcèlement » des médias !
À cet égard, sans remettre en cause en quoi que ce soit les droits de l'information, il faut veiller au plus strict respect des limites imposées par le texte à ces droits, dès lors qu'ils franchissent « la ligne jaune » de la vie privée et du droit à l'image.
D'inadmissibles débordements se sont déjà produits et j'ai donné au parquet les instructions en vue de les réprimer.
Je souhaite pour prévenir leur renouvellement que chacun prenne conscience de ses responsabilités dans ce domaine : on ne peut pas accepter qu'au traumatisme de l'attentat, pour les victimes et leur famille, s'ajoute celui du viol de leur intimité, de leur pudeur et de leurs sentiments : les victimes ne sont pas « chair à canon médiatique » !
Quant au droit à l'information, j'estime qu'il doit déjà s'exercer à l'égard des victimes et de leur famille, non seulement sur leurs droits mais également sur l'état des procédures judiciaires ouvertes à la suite de ces faits. De même, et cela rejoint ce qui est ressorti du bilan de prise en charge des victimes d'attentats, une aide psychologique immédiate est nécessaire.
En ce qui concerne l'indemnisation des victimes, je suis très attaché à ce qu'elle intervienne le plus rapidement possible, et dans des conditions équitables.
Je suis frappé par la situation financière dans laquelle se débattent certaines familles. Dans l'état d'extrême douleur où elles se trouvent, elles doivent encore se procurer, sans délai, les sommes nécessaires aux frais d'obsèques, de rapatriement éventuel, ou simplement leurs propres frais de déplacement ou de séjour auprès des victimes blessées.
Je suis heureux, à cet égard, de la décision prise par les compagnies aériennes qui ont spontanément versé aux victimes, une aide financière d'urgence, indépendamment de toute détermination des causes de l'accident ou des responsabilités encourues.
Je tiens également à rendre hommage aux assureurs pour les initiatives qu'ils ont su prendre lors de la catastrophe de Furiani, et leur collaboration en vue d'une indemnisation rapide et complète des victimes.
Il y a eu là une réponse exceptionnelle à un événement lui aussi exceptionnel ; mais je crois qu'il convient d'en tirer un enseignement pour l'avenir.
Le législateur s'est déjà engagé dans la reconnaissance des droits des victimes d'accidents collectifs en autorisant, le 17 août 1995, les associations au sein desquelles elles se sont regroupées, à se constituer partie civile dans les procédures judiciaires ouvertes à la suite d'accidents survenus dans les transports collectifs ou dans des lieux ouverts au public. Je puis, d'ailleurs, vous indiquer à ce propos que l'association ECHO, qui regroupe les victimes de l'accident du Mont-Sainte-Odile, a été la première à obtenir l'agrément de la chancellerie, le 10 avril 1996. Plusieurs autres demandes sont en cours d'instruction.
Le ministère de la justice est bien décidé à poursuivre dans cette voie.
Je sais que je tirerai du rapport qui m'est remis ce soir, le bénéfice de l'expérience personnelle des membres du groupe de travail ; chacun d'eux, et c'était tout l'intérêt de leur collaboration, aura donné à cette réflexion son éclairage personnel : celui de la justice, vu du côté du parquet, celui des associations de victimes, celui des assureurs à travers leur ministère de tutelle, celui des avocats, qui ont bien voulu prêter leur concours à ce travail, sans oublier les nombreuses personnes qualifiées qui ont été entendues.
Soyez assuré que votre travail, inspiré par un sentiment légitime de solidarité, fera l'objet d'une attention toute particulière de mes services, qui ont, d'ailleurs, participé à votre réflexion. Je suivrai de près la mise en œuvre des orientations que j'aurais définies.
Pour votre information sur le rapport sur l'amélioration de la prise en charge des victimes de catastrophes et d'accidents collectifs
La survenance, au cours de ces dernières années, de catastrophes ayant entraîné de nombreuses victimes, a conduit les pouvoirs publics à s'interroger sur la mise en œuvre de mesures destinées à améliorer la prise en charge de victimes de catastrophes et d'accidents collectifs.
Le 1er décembre 1994, Pierre Méhaignerie, garde des sceaux, a donné mission conjointement au directeur des affaires criminelles et des grâces et au directeur des affaires civiles et du sceau, de réunir un groupe de travail chargé de réfléchir à des solutions appropriées en la matière.
Ce groupe de travail, composé de magistrats de la DACG et de la DACS, de représentants du ministère de l'économie et des finances et du barreau, ainsi que de membres de l'INAVEM et de la FENVAC, vient de terminer le rapport dont vous trouverez copie jointe.
Deux pistes de réflexion ont été explorées.
Tout d'abord, le groupe s'est intéressé à la gestion pure et simple de l'événement et conclut en la matière, au développement du rôle du parquet dans le cadre de la communication et de la prise en charge psychologique immédiate des victimes et des familles de victimes décédées.
Dans un second temps, le groupe s'est interrogé sur la manière dont la situation des victimes pourrait être améliorée, tant dans le cadre de la procédure judiciaire elle-même qu'en ce qui concerne leur indemnisation. Il préconise notamment :
– l'organisation régulière par le magistrat, de réunions des victimes afin de faire le point sur l'état de la procédure ;
– la prise en charge des frais d'assistance dans le cadre des expertises médicales ;
– la création d'un premier secours pécuniaire d'urgence ;
– un renforcement des droits des victimes et de leur protection lorsqu'un système d'indemnisation amiable est mis en place ;
– l'amélioration du système d'indemnisation judiciaire.
Liste des participants au groupe de travail
Madame Nicole Baranger, magistrat, direction des affaires criminelles et des grâces, chef du bureau de la protection des victimes et de la prévention.
Monsieur Luc Barret, président de l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation (INAVEM), médecin-légiste.
Monsieur Jacques Bresson, président de la Fédération nationale des victimes d'accidents collectifs.
Madame Sylvie Ceccaldi, magistrat, direction des affaires civiles et du sceau, chef du bureau du droit civil général.
Monsieur Jean-Luc Domenech, directeur de l'INAVEM.
Maître Claude Lienhard, avocat, maître de conférence des facultés de droit, directeur du Centre européen de recherche sur le droit des catastrophes et des accidents collectifs (université de Haute-Alsace, département carrières juridiques, IUT Colmar).
Madame Claudette Nicoletis, magistrat, direction des affaires civiles et du sceau, bureau du droit civil général.
Monsieur Hervé Oudin, ministère de l'économie et des finances, direction du trésor, chef du bureau C1-Assurances de dommages.
Monsieur René Pech, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Colmar.
Maître Jean-Luc Rivoire, représentant du Conseil national du barreau.
Madame Agnès Thaunat, magistrat, juge au tribunal de Créteil, tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne, auparavant magistrat au bureau de la protection des victimes et de la prévention.
Madame Isabelle Toulemonde, premier substitut près le tribunal de grande instance de Créteil, ancien chef du bureau de la protection des victimes et de la prévention.