Déclaration de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, sur l'importance du développement du secteur privé en Afrique, la difficulté de l'intégration de l'Afrique à l'économie mondiale et les échanges interafricains, Johannesburg le 2 mai 1996.

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Circonstance : Conférence "L'Afrique se connecte", en parallèle à la 9ème CNUCED à Johannesburg (Afrique du Sud) le 2 mai 1996

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprises,
Mesdames, Messieurs,

C'est un grand plaisir pour moi d'être en ce jour devant les représentants les plus éminents de la « communauté des affaires » en Afrique, dans le cadre de la conférence « L'Afrique se connecte », conférence organisée en parallèle avec la tenue de la 9e CNUCED, dans un lieu qui m'est maintenant familier et qui est le témoin privilégié de l'avènement de la nouvelle Afrique du Sud.

Que cette manifestation se tienne dans une Afrique du Sud rénovée, au coeur d'un ensemble économique puissant et parmi les plus dynamiques du continent, est un autre sujet de satisfaction.

Mesdames, Messieurs les chefs d'entreprises, contrairement à l'image de l'Afrique que véhiculent certains médias, j'estime que, jamais dans l'histoire des cinquante dernières années, des opportunités économiques aussi grandes que celles qui vous sont actuellement offertes n'ont existé sur ce continent.

Jamais l'importance du développement du secteur privé n'a été aussi unanimement soulignée.

Mais qui dit opportunités dit également responsabilités.

Vous avez en effet un rendez-vous historique avec les peuples de l'Afrique, avec le développement de l'Afrique qui passera par vous et par votre génération.

Ce rendez-vous est aussi celui de la communauté internationale et des pays industrialisés du Nord, dont je suis un des représentants.

Ma conviction profonde est en effet que l'un des principaux moteurs de la croissance et du développement durable en Afrique sera, dans les années qui viennent, le secteur privé.

Je reste en effet convaincu, comme je crois la plupart d'entre vous, que la décroissance relative des flux financiers publics Nord-Sud au profit d'un accroissement des transferts financiers privés risque de s'accentuer dans les prochaines années.

Nous avons d'ailleurs déjà atteint dans ce domaine un seuil significatif, puisque, comme le souligne le dernier rapport du Comité d'aide au développement de l'OCDE, près des deux tiers des flux financiers des pays développés à destination des pays en voie de développement sont aujourd'hui privés.

Les thèmes qu'il m'a été demandé d'introduire sont plus spécifiquement celui des relations économiques de l'Afrique avec le reste du monde, d'une part, et celui des relations internes au continent, d'autre part.

1. La diversité des économies des États africains se reflète à leur degré d'intégration à l'économie mondiale.

Si l'on prend pour mesure de cette intégration la part du PIB national allant aux exportations, on trouve une grande diversité de situations avec des ratios allant de moins de 10 % pour certains pays sub-sahariens enclavés, à des ratios de plus de 45 % pour les pays exportateurs de pétrole ou grands producteurs de produits agricoles de base.

Ces derniers ratios se comparent favorablement à ceux de pays industrialisés.

Toutefois, le commerce de l'Afrique, mesuré par sa part du commerce mondial, a eu tendance à décliner durant la dernière décennie, et cette tendance est préoccupante.

Citons quelques chiffres : 2,4 % des exportations mondiales en 1970 et 1 % en 1992.

Le premier défi est là pour l'Afrique : prendre une part croissante au commerce mondial, car le commerce et l'échange sont créateurs de richesses, de revenus et donc d'emplois.

Certes, mais comment ?

En amont de l'échange et des marchés, une nécessité impérieuse est l'investissement, qu'il soit d'origine interne et nationale, ou d'origine extérieure.

On ne saurait assez insister sur l'importance, pour tous les pays, mais peut-être encore plus pour les pays en développement, de mieux mobiliser leur épargne intérieure, souvent plus abondante qu'on ne le croit, et de consacrer cette épargne à l'investissement sous toutes ses formes.

Un niveau accru d'investissement sur financement national devrait permettre le maintien d'un taux de croissance élevé.

Investissement d'origine extérieure ? L'on retrouve là l'aide publique au développement, plutôt tournée vers le financement des infrastructures et de la formation.

L'on retrouve aussi, et j'y reviendrai, l'investissement étranger et les investissements de portefeuille.

Si l'on s'intéresse aux flux financiers totaux dirigés vers l'Afrique, observons qu'ils ont augmenté de 10 % en 1995, atteignant le montant de 22 milliards de dollars, ce qui classait l'Afrique au troisième rang mondial, après l'Europe et l'Asie centrale.

Toutefois, contrairement à l'Asie et à l'Amérique latine, il s'agit pour l'essentiel (78 % du total) d'aide publique au développement.

L'Afrique sub-saharienne a bien connu une augmentation des flux de capitaux privés ces deux dernières années, mais ceux-ci se sont fortement concentrés sur quelques pays seulement.

Les investissements étrangers directs étaient de l'ordre de 2,2 milliards de dollars en 1995.

Il s'agit là du deuxième grand défi auquel nous sommes confrontés : l'insuffisance des investissements étrangers directs en Afrique, et l'extrême faiblesse des investissements de portefeuille.

En effet, le continent n'a reçu, selon les estimations faites par la CNUCED pour 1994, que 1,4 % de l'investissement étranger direct au niveau mondial.

Or, l'investissement étranger direct représente bien plus que des capitaux, il est aussi une source de transfert de compétences et un moyen d'accès aux marchés extérieurs que le partenaire étranger connaît.

Enfin, l'investissement étranger direct est la possibilité d'une diversification économique accélérée pour les économies africaines.

Cette faiblesse de l'IED en Afrique est totalement injustifiée. Permettez-moi, à titre d'exemple, de citer une zone économique historiquement liée à la France, je veux parler de la zone franc.

Celle-ci renoue clairement avec la croissance, et la plupart de ses membres ont mis en oeuvre un accord avec les institutions de Bretton Woods et démontré de ce fait leur volonté d'adopter une gestion rigoureuse de leurs finances publiques.

De plus, son potentiel économique est évident : des systèmes agricoles en pleine évolution qui présagent un développement des productions agricoles vivrières et d'exportation, une demande de biens de consommation se développant à la mesure de la croissance démographique de la zone, des échanges commerciaux à l'extérieur de la région en très forte expansion.

Il faut donc que ces résultats, qui sont d'ailleurs proches de ceux d'autres pays africains, en particulier de la SADC, soient connus et que l'image de l'Afrique évolue afin de drainer, enfin, une parte des investissements privés internationaux.

2. Pour ce qui concerne les échanges intérieurs au continent, il faut noter l'existence de complémentarités traditionnelles, comme celles existant par exemple entre les pays sahéliens et les zones côtières du Golfe de Guinée.

Mais au-delà de ce commerce anciennement établi, et je fais ici référence à une étude intitulée « West Africa Long Term Prospective Study », étude réalisée par le Club du Sahel, deux phénomènes de grande amplitude vont changer l'idée que nous avons du marché intérieur africain :

– il s'agit tout d'abord de la croissance démographique ; en Afrique de l'Ouest, la population totale va passer de 194 millions d'habitants en 1990 à 430 en 2020 ; 
– et de son corollaire, l'urbanisation croissante : en 2020, si les tendances actuelles se poursuivent, pour ne citer que les prévisions concernant encore l'Afrique de l'Ouest, sur 430 millions de personnes, 270 devraient être des urbains, et l'on comptera 61 villes de plus de 500 000 habitants, contre 16 en 1990.

L'on pourrait certainement avancer des évolutions comparables pour les autres régions de l'Afrique.

Le marché intérieur africain est donc devant nous, immense, et en pleine mutation dans ses comportements et ses attentes.

Le reste du monde, et je parle ici du monde, immense, et en pleine mutation dans ses comportements et ses attentes.

Le reste du monde, et je parle ici du monde des affaires, ne peut pas rester insensible aux perspectives qu'offre ce marché particulièrement prometteur.

3. Et ce d'autant plus que l'Afrique se structure et s'organise. Je voudrais évoquer ici les communautés économiques régionales en voie d'émergence à des degrés divers, se recoupant parfois, éventuellement se concentrant : la CEDEAO, l'UEMOA, la CEMAC, la SADC, la COI, dépassant quelquefois les frontières continentales comme « l'lndian Ocean Rim Association »...

Cette évolution ne va pas à l'encontre des tendances lourdes que sont aujourd'hui la mondialisation et la libéralisation : bien au contraire, l'émergence d'entités régionales partageant des règles communes, l'organisation d'espaces économiques viables, constituent une chance supplémentaire donnée à un accroissement des échanges.

En conclusion, l'« afro pessimisme » n'a pas lieu d'être, les conditions objectives à un véritable décollage sont réunies dans de nombreux pays du continent, et l'Afrique est en train de donner l'image d'un environnement rénové, libéralisé, offrant un niveau de risque comparable à celui de nombreux pays émergents.

En effet, les perspectives économiques qui se dessinent pour beaucoup de vos pays en 1996, démontrent qu'un niveau de croissance comparable à celui qu'ont connu certains pays d'Amérique latine ou du Sud-asiatique vous est maintenant accessible.

L'histoire reste certes à écrire, mais je suis convaincu que se sera celle de l'envol, au 21e siècle, de nouveaux dragons, africains ceux-là.

Et ce sont vos investissements d'aujourd'hui qui vous permettront d'être présents sur ces nouveaux marchés demain.

Je vous remercie de votre attention.