Texte intégral
Conseil affaires générales - point de presse (Luxembourg, 26 juin 1997)
J’ai assisté au tour de table sur la Turquie, Hong Kong et l’Iran.
Q. : Qu’a-t-il été décidé s’agissant de Hong Kong ?
R. : La plupart des pays ont déjà pris des positions assez variées mais la discussion a fait apparaître que le problème central n’était pas la participation de ceux-ci ou de ceux-là mais la position générale de l‘Europe. Il y a une déclaration qui sera donnée par la présidence qui rappellera les options assez claires de l’importance de l’événement concernant Hong Kong et les souhaits et les appels de l’Union européenne par rapport aux promesses de la Chine. La discussion a plutôt mis l’accent sur le fond que sur les détails protocolaires de la cérémonie où les pays ont des approches variables. Ils ont reconnu que ce n’était pas le point essentiel qui est que la Chine doit respecter ses promesses.
Q. : Avez-vous examiné le rapport de la Commission sur la Turquie ?
R. : Concernant la Turquie, les choses ne sont pas mûres, le rapport n’est pas prêt, on en discutera une prochaine fois.
Q. : Êtes-vous inquiet sur le blocage du processus de paix au Proche-Orient ?
R. : Tout est inquiétant. Globalement, nous sommes dans une situation où le processus est quasiment arrêté. Les échanges, aussi bien qu’à Denver ou ailleurs, confirment cette analyse. Le problème est de savoir comment le faire reprendre.
Le Conseil Affaires générales va entendre M. Moratinos et nous allons nous concentrer sur ce qui dépende de nous. Nous allons lui apporter notre soutien et un mandat politique.
Q. : Que pensez-vous du travail de M. Moratinos ?
R. : Ce qui est évident c’est que c’est un excellent travail, que l’Union européenne doit être présente pour ajouter ses efforts à ceux des autres puissances et réveiller le processus. D’autre part, l’Union européenne a de nombreuses raison d’être là, ne serait-ce que par rapport à l’aide qu’elle apporte à l’économie de la région. Jusqu’à présent, le travail de M. Moratinos est excellent et ceci doit être poursuivi et amplifié. Voilà le point de vue général.
Q. : Que pensez-vous des propositions de M. Moritanos ?
R. : Tout ce que j’ai lu est parfaitement justifié. Tout ce que j’ai vu dans ces propositions me paraît aller dans le bon sens.
Q. : Qu’avez-vous dit sur l’Iran ?
R. : Il y a eu un tour d’horizon. Tout dépend des Iraniens puisque le problème est la position des Iraniens par rapport à l’ambassadeur d’Allemagne.
Q. : Les ambassadeurs vont-ils regagner Téhéran ?
R. : Non parce que pour moi, les conditions ne sont pas remplies.
Q. : Qu’attendez-vous de la nouvelle équipe iranienne ?
R. : Il y a une attente et une espérance.
Entretien avec « le Club de la Presse » (Paris, 29 juin 1997)
Merci d’avoir accepté cette invitation du Club de la Presse qui est, par principe, votre premier Club de la Presse, puisque vous venez de faire vos débuts au sein du gouvernement, après avoir été longtemps le secrétaire général, le porte-parole, le conseiller diplomatique du président François Mitterrand. On va vous interroger aujourd’hui autour de trois thèmes.
Le premier va naturellement porter sur les questions européennes. L’actualité en ce qui concerne l’Europe, c’est Villevorde. Non pas que l’Europe soit directement responsable, mais parce que cela se passe en Europe et que cela soulève des questions européennes et des inquiétudes européennes. Cela sera aussi l’occasion de vous interroger sur le bilan d’Amsterdam, sur ce que pourrait être ce fameux sommet social que la France a souhaité, sur quoi il pourrait déboucher de concret. Ce sera notre premier thème.
Le deuxième thème portera sur les relations internationales, notamment sur les responsabilités françaises dans ce domaine. Se pose, en ce moment, la question de l’OTAN et de la nouvelle place de la France. Se pose la question sur l’Afrique et l’utilité de la présence de la France en Afrique. Se pose aussi la question de la façon dont on essaie de compter ou non en ce qui concerne le Proche Orient. Cela fait déjà beaucoup d’autres sujets. J’imagine que d’ailleurs certaines questions s’y ajouteront.
Enfin, cela fera un mois que Lionel Jospin a été nommé Premier ministre. C’est une expérience pour laquelle vous avez une qualification un peu particulière puisque vous avez vécu aux côtés de François Mitterrand, de l’autre côté de la scène, les deux premières cohabitations. Cette fois-ci, vous la vivez en étant un membre important de ce gouvernement. Donc, votre regard sera peut-être plus précis ou plus original que d’autres. On vous demandera comment vous voyez Jacques Chirac et Lionel Jospin coopérer de façon belliqueuse ou de façon courtoise, de façon efficace ou de façon stérile. On vous demandera comment vous jugez la marge dont dispose réellement le gouvernement et sa capacité, puisque c’est le thème qu’il a choisi lui-même, à tenir parole et à respecter ses promesses.
Pour vous interroger autour de la table, Bernard Guetta du Nouvel Observateur, Elisabeth Chemla de l’Express, Daniel Vernet du Monde et Catherine Ney d’Europe 1.
Q. : Monsieur le ministre, cela n’est évidemment pas tout à fait dans vos attributions le dossier de Villevorde. Mais néanmoins, je vais vous poser une question à propos de ce dossier parce que la Belgique est en Europe et que vous traitez les questions européennes. Le 16 mars dernier, le Premier ministre avant même la dissolution était allée manifester à Bruxelles pour s’opposer à la fermeture de Villevorde. Pendant la campagne électorale, il avait dit que s’il arrivait à Matignon, le dossier serait réouvert. Un expert dit indépendant a été nommé, il est arrivé aux mêmes conclusions que M. Schweitzer, c’est-à-dire, que Villevorde sera fermé. Alors, est-ce que vous ne comprenez pas le Premier ministre belge, Jean-Luc Dehaene, qui vient de dire que M. Jospin a donné de faux espoirs aux gens et que cela n’était pas bien, d’autant qu’il s’était engagé à un moment où il ne croyait pas devenir Premier ministre ?
R. : Je crois que vous venez de donner la réponse. Le Premier ministre, Lionel Jospin, a bien indiqué que le dossier serait réouvert. Il a tenu cette promesse. Le dossier a été réouvert et l’expert a conclu que sur le plan de la capacité future de Renault à survivre dans la compétition mondiale. Il fallait en passer par là. Cela n’a évidemment aucun rapport avec l’Europe en particulier, puisque dans le monde entier, les industries automobiles se restructurent pour être plus capables d’affronter l’avenir, et de préserver les emplois de demain et d’en créer. Mais, il a également conclu que Renault avait, pour reprendre l’expression de ce rapport, un devoir de réindustrialisation du site et d’autre part, le devoir de mettre en œuvre un plan social exceptionnel. Je crois que des engagements sont déjà pris, organisés autour de 400 emplois. Donc, on n’est pas dans la même situation.
Q. : Et vous croyez que ces emplois n’auraient pas été créés s’il n’y avait pas eu réouverture du dossier ?
R. : Il me semble pas puisqu’on n’en parlait pas avant, vous le savez d’ailleurs. Donc, je crois que c’est déjà un résultat de la réouverture de ce dossier.
Q. : Le sommet social européen que la France a demandé, sur quoi pourrait-il déboucher de plus concret que des paroles vertueuses ?
R. : Il faut comprendre qu’un effort tenace a été mené, sous la conduite de Lionel Jospin, à partir de la constitution de ce nouveau gouvernement jusqu’au sommet d’Amsterdam. Ce sommet avait à son ordre du jour, d’une part, le Pacte de stabilité et de croissance orienté jusqu’ici uniquement sur des questions monétaires et d’autre part, un certain nombre de réformes de l’Europe pour qu’elle soit efficace dans la perspective de son élargissement. Cette préoccupation sociale, de croissance et d’emploi, avait, il faut bien le dire, été un peu laissée sur le bord de la route depuis des années et n’animait pas l’esprit des participants des conseils européens. C’est vraiment grâce à l’effort de ce gouvernement que cette question a été introduite en bousculant un peu les choses et les gens, dans l’ordre du jour du Conseil européen d’Amsterdam. Du coup, cela nous a permis de confirmer l’acceptation du Pacte de stabilité, qui rassemble un certain nombre de règles pour gérer valablement la monnaie européenne de demain. Mais, nous avons pu l’accepter parce qu’il y a à côté de cela quelque chose qui n’existait pas avant, qui s’appelle la Résolution pour la croissance et l’emploi. Ce sont des dispositions qui permettent à partir de maintenant – il ne faut pas raconter n’importe quoi, il ne faut pas dire qu’à partir de là les problèmes de croissance et d’emploi sont réglés -, pour les gouvernements qui le veulent en Europe, pour les gouvernements qui sont volontaristes et qui considèrent que cette préoccupation économique d’emploi est aussi importante que la préoccupation de monnaie, qu’à partir de là, on peut agir et on peut travailler. C’est bien notre intention. Tant que ce gouvernement sera là, et je peux vous dire que c’est pour un certain temps, il y aura une action tenace et méthodique.
Q. : Comment lui donne-t-on un contenu concret et quelle ambition raisonnable peut-on avoir en ce qui concerne ce contenu.
R. : Je vais citer une chose. C’est le seul article que je citerai. Je n’y reviendrai pas après. Il y a dans le traité un article 103 qui permet la coordination des politiques économiques des différents pays membres de l’Union européenne. Rappelez-vous que la politique agricole commune, qui a été tellement importante à la fois pour l’Europe et pour la France, a doté nos pays d’une capacité agricole moderne et exportatrice de tout premier plan. Elle a été bâtie par l’effort des gouvernements français successifs, après la mise en œuvre du traité de Rome, en quelques années, à partir d’articles du Traité qu’on a su utiliser. Notre volonté, la volonté du Premier ministre et la volonté de son gouvernement, c’est d’utiliser les dispositions que nous avons conquises à Amsterdam, tout en réunissant à ne pas remettre en cause l’ensemble des engagements pris par la France. Notre volonté c’est d’y travailler. La première échéance, vous la citez. Ce sera ce Conseil européen spécial qu’organisera la présidence luxembourgeoise – dont il faut respecter les prérogatives. Nous avons commencé à travailler avec elle. Il y a quelques jours, avec le ministre des Affaires européennes, M. Moscovici, on a commencé à travailler avec le ministre luxembourgeois qui sera président en exercice. Une réflexion commence avec M. Strauss-Kahn, Mme Aubry, et naturellement, le Premier ministre. On voudrait que ce Conseil européen soit original ou qu’il couronne un processus original, qui débouche sur des propositions concrètes. Certaines sont déjà citées à Amsterdam. Par exemple, on prévoit de permettre à la Banque européenne d’investissements d’utiliser plus ses ressources. Ce n’est pas le cas pour le moment pour les petites et moyennes entreprises dans les domaines innovants. Vous savez que ces entreprises créent beaucoup plus d’emplois que les grandes et beaucoup plus que les secteurs publics. Les petites entreprises sont le fer de lance dans ce domaine.
Q. : Mais ce sommet aura lieu…
R. : Vers novembre, peut-être. Ce n’est pas nous qui fixons la date exacte. En fin d’années en tout cas. Nous sommes donc à quelques mois de cette échéance. Tout l’été va être passé à organiser les données de son contenu.
Q. : Cette coordination des politiques économiques des différents pays membres de l’Union européenne, des Quinze, peut-elle déboucher, à votre avis, sur une politique concertée de relance comme souhaiterait le faire le gouvernement français à l’intérieur de la France mais avec beaucoup de difficultés ? Est-il possible de le réaliser à Quinze alors qu’on voit bien les réticences existant chez nos partenaires ? Vendredi, le chancelier Kohl a déclaré que l’Europe n’était pas faite pour créer des emplois, que l’Europe encore en tant qu’institution ne pouvait pas créer d’emplois. C’est une chose différente, mais est-ce que vous pensez pouvoir convaincre vos partenaires et les principaux d’entre eux, de mener cette politique de relance ?
R. : Vous employez des termes qui ne sont pas exactement ceux que nous employons. Ce que nous voulons, c’est que dans cette phase très importante de la construction européenne, on ne mette pas uniquement en place l’instrument monétaire. Il est bien sûr déterminant si on veut exister demain, compter dans le monde, reconquérir notre souveraineté et disposer d’un vrai levier de politique économique. On voit bien ce qu’est le dollar aux Etats-Unis. On ne peut pas mettre en place cet élément déterminant sans avoir l’autre instrument avec lequel nous allons travailler. Maintenant, savoir immédiatement si nous avons la même conception que chacun de nos partenaires en Europe de ce que doit être une politique économique concertée ?
Naturellement, non. Nous apportons, dans ce paysage européen, un élément très neuf, très fort comme M. Blair l’a apporté de son côté il y quelques semaines. Il n’y a aucun autre domaine dans lequel on ait bâti de très grandes choses en Europe avec lequel tout le monde ait été d’accord au point de départ, qu’il s’agisse de la politique agricole commune, des fonds structurels des régions ou de l’euro. Donc, c’est un cadre qui est une volonté politique. Le gouvernement va s’y employer au mieux.
Q. : Mais la volonté économique est-elle plus en France que chez nos partenaires ?
R. : Non, je crois que la volonté politique est partout. Je ne connais pas – j’ai rencontré beaucoup de monde en trois semaines – de gouvernements européens qui aient envie de laisser les choses aller en Europe sur le plan social et de l’emploi. Quand on voit ce qui se passe en Amérique, quand on voit ce qui se passe en Asie et sur beaucoup de continents, il est évident qu’il faut projeter le continent européen dans l’avenir sur ce plan. Simplement, il y a des discussions légitimes sur les moyens, les méthodes, les leviers, les types de financement. Ces discussions sont normales. Comme elles débutent, grâce à un cadre dont nous avons obtenu qu’il nous soit donné en plus de ce qui existait, nous allons travailler. Nous vous tiendrons au courant de ces travaux.
Q. : Essayons de faire quand même un état des lieux. Aujourd’hui, à votre avis, combien de gouvernements européens sont prêts à tenter une coordination des politiques économiques et sociales dans le cadre de l’Union européenne ? Première question et deuxième question dans la mesure où certains gouvernements sont très libéraux, d’autres un peu plus étatistes, voire beaucoup plus étatistes, dans quelle mesure pourrait-on arriver à des mesures concrètes et communes ?
R. : Je pense que le contraste est moins fort qu’on le dit. Même des gouvernements très libéraux souhaitent une coordination sur certains points. Quand ils souhaitent une coordination dans la façon de gérer la monnaie, c’est déjà une forme de coordination économique. Il ne faut pas opposer le monétaire, l’économique, le social. Cela forme un tout. Ce sont des politiques économiques qui doivent répondre à l’ensemble de ces besoins. Donc, il n’y a pas de gouvernement qui veuille une coordination sur tous les plans sans laisser d’autonomie à une décision nationale. Il n’y a pas de gouvernement qui soit à l’extrême inverse de cela. Il y a, en fait, une configuration très ouverte.
Q. : Et vous croyez qu’on peut faire des pas réels avant un an ? Avant en tout cas que la monnaie unique ait été lancée ?
R. : Amsterdam, c’est déjà un pas réel.
Q. : C’est un pas discret alors ? C’est un pas théorique ?
R. : Non, ce n’est ni un pas discret, ni un pas théorique. Ce n’est pas abstrait du tout. Quand on crée des moyens à partir desquels des gouvernements peuvent travailler à la coordination économique et politique, sur la Banque européenne d’investissement, ce n’est pas du tout théorique. Simplement, il s’agit de savoir ce qu’on veut.
Q. : N’avez-vous pas l’impression que trois sommets comme Amsterdam et tout est bloqué ?
R. : Pourquoi ? J’ai eu l’impression qu’à Amsterdam, il y avait eu une avancée.
Q. : Oui, mais à côté de cela, il y en beaucoup où il y a eu des blocages et des déceptions.
R. : Non, je rappelle qu’Amsterdam est un Conseil européen. Il y en a deux par an. Les chefs d’Etats et de gouvernements dans ces Conseils européens essaient de trouver des solutions aux problèmes qui avancent. A Amsterdam, il y avait deux sujets essentiels : le Pacte de stabilité et la réforme des institutions décidée parce qu’il paraît très clair que l’on ne peut pas laisser l’Europe s’élargir encore plus si l’on ne réforme pas les mécanismes de décision. Ce n’est l’intérêt de personne, ni des gens qui sont dehors ni de ceux qui sont dedans, d’avoir une Europe ingérable.
Q. : C’était le principe que l’on voulait appliquer lorsque l’on voulait passer de douze à quinze mais, on a repoussé un peu l’échéance.
R. : Je réponds à Daniel Vernet qu’il y a quand même eu le traité d’union politique, le traité de Maastricht qui a apporté toute une série de potentiels supplémentaires à l’Union européenne. Encore faut-il que l’on veuille en user. Dans le cas d’Amsterdam, nous avons abouti à des avancées sur certains points. Pas sur tout, mais il y a des avancées. Prenons un exemple précis, on a obtenu la possibilité pour quelques Etats d’Europe qui veulent dans un domaine précis coopérer entre eux, qu’ils puissent avancer. C’est ce que l’on appelle les coopérations…
Q. : … renforcées.
R. : Merci de faire l’expert.
Q. : Oui, vous faites un gros effort pour être compréhensible, j’en fait un pour être technique.
R. : Il y a des sujets sur lesquels nous n’avons pas encore conclu mais nous conclurons. Nous l’avons fait inscrire dans les conclusions de ce sommet, c’est très important pour nous. Nous conclurons avant que le prochain élargissement ne soit concrétisé. Nous n’allons pas bloquer les négociations d’élargissement, ce serait injuste pour les pays qui sont pressés d’adhérer. Nous allons commencer les négociations. Mais nous ne passerons pas à plus de quinze sans que nous ayons trouvé une bonne solution au problème de taille de la Commission pour que, là aussi, elle soit efficace tout simplement.
Q. : Donc, nous allons repousser l’élargissement ?
R. : Non, je crois que ce n’est pas une façon de repousser l’élargissement.
Q. : même pas inconsciemment ?
R. : On ne peut pas faire de pronostic. L’inconscient, si nous avons plusieurs heures devant nous, je ne sais pas où nous irons. Ce n’est pas le cas, je ne crois pas que cela soit un bon pronostic. Je pense que les négociations d’élargissement vont s’ouvrir. Elles seront de toute façon compliquées, tout le monde le sait. Regardez les déclarations des responsables polonais, hongrois, tchèques, tout à fait indépendamment de ce qui s’est décidé ou pas à Amsterdam par les Européens, ils savent très bien que cela va être très compliqué. Il n’y a aucune ruse, il n’y a pas de tactique, ce n’est pas dilatoire.
Q. : Vous voyez l’élargissement pour l’an 2000 ?
R. : Je n’en sais rien. Je ne sais pas combien de temps il faudra pour régler les problèmes budgétaires, encore une fois, ces pays ne veulent pas entrer dans une Europe désarticulée. Pourquoi veulent-ils y entrer ?
Q. : Je crois qu’ils le veulent à tout prix.
R. : Il faut des négociations sérieuses et en même temps, les réformes des institutions avant que nous passions concrètement à l’élargissement.
Q. : Vous parliez tout à l’heure Monsieur Védrine du contenu économique et social de cette Europe et vous parlez par comparaison des Etats-Unis. Or, aux Etats-Unis, la croissance, la multiplication des entreprises et des emplois aujourd’hui sont à 30 % dues à l’essor des nouvelles technologies. Un million d’emplois en moins en Europe parce que nous n’avons pas, ni en France ni en Europe mis en route tout ceci. Je crois que l’on attendait peut-être le gouvernement socialiste de M. Jospin sur de grandes orientations reprenant l’idée de la filière électronique d’il y a quinze ans qui n’avait pas été acceptée. Pourquoi ne faites-vous rien en ce sens au lieu de tourner en rond sur des choses forts convenues à propos de l’emploi qui est totalement bloqué ?
R. : Vous parlez à l’imparfait, je trouve que vous parlez un peu vite car « l’on attendait… » attendez encore un peu car vous dressez un bilan comme s’il était passé plusieurs mois d’action gouvernementale.
Q. : Oui, mais il n’y a pas un mot dans la déclaration de politique générale du Premier ministre.
R. : Oui, mais vous avez vu que, pour ne pas tomber dans le travers du discours d’une autre époque, il n’a pas fait un discours énumératif parlant de tout à la « queue leuleu ». Au contraire, il a voulu la centrer, avec beaucoup de force, sur les quelques éléments les plus fondamentaux de sa campagne. Votre question est très juste, très intéressante. Le chiffre d’un millions d’emplois que l’on n’a pas en Europe parce que l’on n’a pas fait ceci ou cela, c’est un peu difficile à prouver. Enfin, on admet l’idée générale que ces gisements de croissance sont liés aux nouvelles technologies. Je crois qu’il faut que vous invitiez mes collègues MM. Strauss-Kahn et Allègre qui ont beaucoup d’idées sur ce point et je crois que vous ne serez pas déçus.
Q. : Ils seront invités à leur tour, mais si vous avez une idée sur la question ?
R. : Vous ne pouvez pas me faire parler à la place de l’ensemble des ministres sur l’ensemble des sujets. Je crois que c’est une orientation qui n’est pas du tout étrangère à la façon dont ce gouvernement prend les choses. Je crois que c’est trop tôt pour dire que l’on attendait, - sous-entendu on est déçu il ne s’est rien passé -. Je crois que M. Allègre en particulier a beaucoup d’idées sur ce point.
Q. : Avez-vous noté ce qu’ont noté certains observateurs sur l’attitude de M. Kohl qui a manifesté, d’abord une certaine mauvaise humeur lorsque la France lui a proposé de faire un plan de relance à l’échelle européenne. Alors s’il est d’accord sur les mots pour employer les mots « croissance », il n’est pas du tout d’accord sur l’argent. Il ne veut pas que cela coûte plus à l’Allemagne qui est le premier contributeur de l’Europe. On a noté aussi un certain fléchissement dans ses paroles à propos de l’élargissement, il avait toujours prôné le vote à majorité qualifié qui dans le fond donnait aux grands pays le moyen de remporter certains votes et d’éviter le blocage. Là, le fait de se prononcer plutôt pour le vote à l’unanimité, donc le blocage, lors de l’élargissement, a laissé penser aux experts qu’il voulait aux experts qu’il voulait peut-être bloquer l’élargissement ?
R. : Si à Amsterdam, les différents dirigeants européens n’ont pas encore conclu – je dis bien pas encore – c’est parce que, que d’une part, ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur la façon dont il fallait réformer la Commission – et notamment sa taille – et d’autre part, sur les mécanismes de vote. Ils ont décidé que cet établissement n’aurait pas lieu tant que l’on n’aura pas répondu aux questions de réformes des institutions de décisions, de coopération renforcée. C’est l’élément important pour nous, puisque nous voulons une Europe qui s’élargisse à ceux qui ont légitimement envie d’y entrer mais tout en restant efficace et capable de prendre des décisions et d’être utile pour tout le monde.
Q. : Avez- vous noté un fléchissement de la volonté européenne du chancelier Kohl ?
R. : Non, je ne vois pas ce qui permet de dire cela. Ce qui est vrai, c’est que dans cette Europe à quinze, chacun défend ses intérêts. Chacun discute et c’est plus compliqué à quinze de trouver des solutions qu’à douze. C’est une raison de plus pour prendre de bonnes décisions avant de passer à plus de quinze.
Je ne pense pas que l’on puisse dire cela : regardez la façon dont le chancelier Kohl, ce n’est pas à moi de parler pour lui, mais regardez comme il reste extrêmement engagé sur l’euro. Donc je ne pense pas que l’on puisse parler de fléchissement. Mais, il faut reconnaître cette vérité objective, c’est plus compliqué de prendre des décisions à quinze. Il n’empêche qu’il faut savoir ce que l’on veut.
Q. : Pour reprendre la question : il était le plus allant traditionnellement sur toutes les questions institutionnelles et il s’est brusquement montré plus prudent. N’est-ce pas notamment parce qu’il voulait tellement se concentrer sur l’euro qui n’est pas si facile à faire passer en Allemagne, pour se mettre d’accord avec les Länder par exemple qui sont réticents sur cette question-là et dont il dépend largement ?
R. : On ne peut pas entrer dans le détail car je crois que ce serait vraiment fastidieux ici, mais…
Q. : Non, mais j’aimerais une réponse de principe.
R. : J’ai répondu tout à l’heure de façon globale. Je ne crois pas qu’il y ait fléchissement d’autan qu’il y a des décisions qui se prenne à l’unanimité et d’autres à la majorité qualifiée, d’autres à d’autres sortes de majorité. Il y a des coopérations renforcées qui vont permettre d’avancer, le paysage est plus varié. Si la question est celle de l’inquiétude quant à un fléchissement, je ne crois pas, quand je vois le chancelier se concentrer sur ce qui est l’essentiel pour lui, que l’Europe soit capable de se doter de cette monnaie sans laquelle elle perd le contrôle de son destin, je ne pense pas que ce soit un fléchissement.
Q. : Ce qui peut être aussi le plus difficile à faire passer chez lui, étant donné le scepticisme général des Allemands vis-à-vis de l’euro. Je voudrais vous poser une question sur l’OTAN même si on n’a pas épuisé le sujet européen. Devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, vous avez déclaré que, en ce qui concerne la poursuite du rapprochement de la France avec l’OTAN, un rapprochement qui a été amorcé il y a de nombreuses années sans doute mais qui avait reçu une sorte de coup d’accélérateur depuis le mois de décembre 1995 par la décision du président de la République, vous avez déclaré qu’il semblait que les conditions d’une poursuite de ce rapprochement n’étaient pas remplies. En disant cela, n’avez-vous pas un peu devancé la décision que pouvait prendre le président de la République et qu’il n’avait pas encore annoncé, qu’il allait peut-être annoncer avant le Sommet de Madrid qui se tient dans une dizaine de jours ? Deuxièmement, est-ce que, si les conditions avaient été remplies, le gouvernement de Lionel Jospin serait d’accord pour une réintégration pleine et entière de la France dans la structure militaire de l’OTAN et quelles devaient être ces conditions ?
R. : Sur le premier point, je m’étonne que l’on interprète de façon les propos que j’ai tenus il y a peu de jours à ce sujet. En réalité, le secrétaire d’Etat américain a déclaré le 12 juin « de mon point de vue, c’est une affaire réglée », à propos des conversations entre la France et les Etats-Unis, l’initiative du président de la République Jacques Chirac depuis la fin 1995.
Q. : Sur le commandement sud de l’OTAN.
R. : Sur l’ensemble, le 12 juin, sans aucun contact avec le gouvernement qui s’installait, le gouvernement américain a considéré que les sujets était clos. D’ailleurs, vous le savez très bien, vous l’avez écrit il a plusieurs semaines. Le président de la République avait entamé des négociations pour voir s’il était possible pour la France de revenir dans l’OTAN transformée. Tout le monde savait très bien, les journalistes l’avaient écrit, les Américains l’ont proclamé, que ces conversations n’avaient pas abouti à quelque chose de satisfaisant du point de vue du président de République et du précédent gouvernement. Cela a été dit par le ministre américain, par son collègue de la Défense, M. Richard, également le 12 juin je crois. Devant le Commission des Affaires étrangères, j’ai procédé au même constat.
Q. : Que le président n’avait pas encore fait ?
R. : Que le président n’avait pas encore fait, mais la Commission des Affaires étrangères est semi-publique. De toute façon, ce n’est pas le problème.
Q. : Vous n’avez pas froissé le président de la République en exprimant votre point de vue alors que lui-même n’avait pas encore exprimé le sien ?
R. : Je ne vois pas en quoi. Je ne crois pas. Ce n’était de toute façon pas mon intention, sur ce sujet, je n’imagine pas qu’il y ait de problème. Le président de la République, dont les prérogatives ont été clairement rappelées par chacun de ceux qui se sont exprimés à ce sujet, et le gouvernement constatent que de toute façon, les conditions ne permettent pas d’aller au-delà de la situation actuelle, notamment par rapport à ce prochain sommet de l’OTAN.
Q. : Vous trouvez normal de parler avant lui et sans l’en avoir informé…
R. : Je ne vois pas où est le problème, je ne vois pas où il y a eu un problème. Un gouvernement est constitué, il s’exprime sur tous les sujets, de plus en l’occurrence, je vous rappelle qu’il s’agit d’un domaine partagé.
Q. : Oui, mais en politique étrangère, du temps de M. Mitterrand, un Premier ministre qui s’exprimait en matière de politique étrangère téléphonait à l’Elysée avant de s’exprimer non ? Est-on discourtois aujourd’hui ou change-t-on les règles de la cohabitation, ou est-ce que le président de la République n’est plus tout à fait dans la même position institutionnelle dans cette troisième cohabitation ?
R. : Excusez-moi mais je ne partage aucun de ces sentiments. Je pense que les choses se passent de façon tout à fait constitutionnelles, dans des conditions parfaitement correctes, dans lesquelles les prérogatives du président de la République d’une part, du gouvernement d’autre part sont parfaitement respectées. Les uns peuvent s’exprimer, on est dans un des domaines que l’on sait être un domaine partagé. Partagé voulant dire que le président de la République et le gouvernement peuvent s’exprimer, parler, communiquer, en travaillant ensemble, en arrivant eux-mêmes à des positions de synthèse parce que c’est important pour la France à l’extérieur. Je ne vois pas où est le sujet. D’autant que nous sommes sur un sujet où, s’agissant de l’échéance prochaine, nous nous trouvons dans une situation où le président de la République et le gouvernement font le même constat de la situation.
Q. : Vous avez été l’interprète de ce que le président aurait dit…
R. : J’ai procédé à un constat que n’importe qui pouvait faire à partir de ce qu’avait déclaré le secrétaire américain à la Défense.
Q. : Oui mais nous n’avons pas entendu M. Chirac le faire… Vous dites : nous sommes d’accord. Imaginez que dans trois jours, il dise qu’il n’est pas d’accord avec vous…
R. : Je n’ai pas à entrer dans le détail des relations entre le président et le Premier ministre, entre le président et le ministre des Affaires étrangères. Elles sont exactement ce qu’elles doivent être dans une période de cohabitation.
Q. : Il n’y a eu aucun nuage entre le président de la République, le Premier ministre et vous ?
R. : Je ne crois pas.
Q. : On ne vous poserait pas ces questions s’il n’y avait pas déjà eu…
R. : De nombreux articles ?
Q. : Non mais quand même le signe que le Premier ministre se comportait peut-être différemment dans cette cohabitation-là que dans les précédentes. J’en veux pour preuve…
R. : Qu’est-ce qui vous fait dire cela ! D’abord les deux cohabitations ne se ressemblent pas.
Q. : C’est vrai. Mais la déclaration de M. Jospin devant les députés où il a dit qu’il était très mécontent du sommet d’Amsterdam hormis ce qu’il avait lui-même apporté et qu’il était très mécontent de Denver où il a eu cette phrase quand même très ambiguë : il a dit qu’il n’avait pas voulu laisser seul le président. M. Strauss-Kahn et M. Védrine l’ont accompagné. Le dire de cette manière signifiait qu’il n’était pas très tranquille quant à l’attitude du président. Cette sollicitude paraît bizarre…
R. : Je trouve qu’il y a excès d’interprétation là-dessus. Comme s’il y avait une sorte d’impatience à trouver dans le déroulement de ces premiers jours de ce gouvernement de cohabitation, des signes de dysfonctionnement, quelque chose à commenter. Je trouve qu’il y a une exagération dans l’interprétation. Tout simplement parce que ce qu’a dit le Premier ministre à propos des sommets d’Amsterdam et de Denver est très important. C’est pour cela que je reprenais ses termes. Il a dit qu’il n’était pas pleinement satisfait tout simplement parce que personne n’est pleinement satisfait de ces sommets. Même le président Clinton n’est pas tout à fait satisfait de Denver où en réalité, il n’a pas réussi à faire passer dans le communiqué final tout ce qu’il voulait y mettre du point de vue américain. A Amsterdam, personne n’était tout à fait content, ni la présidence ni les gens qui ont réussi sur un point et qui sont déçus sur d’autres. Je crois qu’il ne faut pas y voir ce que vous y voyez.
La question de Daniel Vernet est un vaste sujet : à quelle condition la France et le gouvernement accepteraient une réintégration dans l’OTAN ? C’est une question qui se pose au président de la République et au gouvernement. Elle concerne l’avenir parce que, jusqu’au sommet de Madrid, c’est difficile de savoir dans quelle situation nous sommes. La réforme de l’OTAN n’est pas clairement tranchée. Si on reprenait la problématique : s’agirait-il de se rapprocher d’une OTAN transformée ? En quoi ? Comment ? Tout cela n’est pas clair. C’est trop tôt.
Q. : Cela se fera quand ?
R. : Cela ne dépend pas de vous.
Q. : Votre pronostic ?
R. : Je n’en sais rien. C’est un processus évolutif assez compliqué. Là aussi, il y a aura des négociations qui vont s’ouvrir par rapport à un certain nombre de pays. Il y a une discussion là-dessus : élargissement à trois, quatre, cinq… Je ne peux pas dire dans quelles conditions. Je ne les connais pas. Je ne peux pas dire que ce soit un problème à l’ordre du jour.
Q. : Vous êtes beaucoup plus réservé que le gouvernement précédent sur cette affaire-là ?
R. : Ce n’est pas à moi de parler pour le gouvernement précédent. Je vous rappelle que le gouvernement précédent, d’après ce que j’ai compris et ce que j’ai lu, y compris dans vos colonnes avait conclu lui-même, il y a plusieurs semaines, avant qu’il n’y ait un changement de gouvernement, que les conditions qu’il avait posées lui-même n’étaient pas remplies. Nous y verrons plus clair après Madrid. Même le gouvernement d’avant jugeait que les conditions n’étaient pas remplies. Et ce qu’il avait demandé, les Américains n’en voulaient pas.
Q. : Sur l’OTAN, sur l’Afrique, sur le Proche-Orient, sur l’ONU, les Etats-Unis adoptent chaque semaine une attitude un peu plus impérieuse, unilatérale, et cette attitude fait reculer pour ne pas dire voler en éclat la solidarité européenne. Est-ce que la France ne risque pas de se retrouver totalement isolée sur ces différents dossiers face aux Etats-Unis et sans solidarité européenne ?
R. : Le fait est que les Etats-Unis exercent aujourd’hui un poids, une responsabilité prédominante dans le monde. C’est un fait dont il faut tenir compte dans nos analyses en Europe, comme le font l’ensemble des pays du monde. Est-ce que cela veut dire qu’il faille renoncer à être ce que nous sommes, naturellement pas. Faut-il renoncer à nos objectifs, évidemment non. Il y a une façon d’agir dans la réalité de ce monde-là c’est-à-dire qu’il faut regrouper les pays, travailler avec les pays qui souhaitent être dans un monde plus équilibré, multipolaire pour reprendre la formule. L’Europe est le premier champ. Après, pour les autres sujets, les situations sont différentes, l’OTAN, l’Afrique…
Q. : Elles sont différentes mais une caractéristique commune à chaque fois, l’unilatéralisme des Etats-Unis ?
R. : Oui, en plus, lorsque l’on dit Etats-Unis et c’est important us le plan concret, pour mener notre politique, il faut savoir qu’aux Etats-Unis, il y a des systèmes compliqués de pouvoir. La cohabitation « baigne dans l’huile » en France par rapport à cela si vous comparer les relations entre le président des Etats-Unis et le Congrès…
Il y a une situation de prédominance que tout le monde connaît, il n’empêche que nous gardons nos objectifs qui sont de défendre, par tous les moyens dont nous disposons les intérêts de la France dans le monde. Nos valeurs font partie de nos intérêts. Cela forme un tout. Il faut les défendre notamment en Europe avec l’ensemble des pays qui sont d’accord non pas pour faire du don Quichotisme, cela n’a pas d’intérêt, mais qui sont d’accord pour organiser une Europe plus forte qui est elle-même un élément de stabilité et de croissance de paix dans le monde. Cela, on peut toujours le faire aussi bien qu’avant mais peut-être il faut avoir une méthode plus efficace qui relève plus de l’action persévérante que de la proclamation.
Q. : En un mot, élargir les fronts ?
R. : Que voulez-vous dire par là ?
Q. : En constituer un face à face aux États-Unis ?
R. : Non, ce n’est pas face aux États-Unis. Il nous faut avoir nos propres objectifs, le problème n’est pas d’aller combattre les États-Unis. Il s’agit de savoir ce que l’on veut apporter. Il y a des sujets dans lesquels ils ont une politique. Si on a une politique européenne et qu’elle est organisée autour de quelques pays d’Europe qui ont une idée claire, si nous sommes persévérants et tenaces, on arrivera à exister, à peser. Il faut aussi être capables de nous stimuler nous-mêmes.
Q. : Sur le Proche-Orient, l’an dernier, Jacques Chirac au sommet du Caire d’abord dans un très long et très problématique voyage au Proche-Orient a initié une politique arabe que certains ont d’ailleurs qualifiée de « pro-arabe », sensiblement différente de celle qui avait lieu auparavant et notamment avec les deux septennats de François Mitterrand. Pour l’instant bien que ce soit encore un peu tôt là aussi, est-ce que vous pensez continuer, vis-à-vis de la Syrie, du Liban, d’Israël, de l’Egypte cette même politique que le président de la République a entamée ?
R. : Comme vous le dites, c’est un peu tôt puisque le gouvernement s’est occupé en priorité des échéances dont nous avons parlés, Europe, Sommet des Sept et OTAN. Cela dit, je vous dirais très simplement que d’abord, cela ne me paraît pas si différent, et que la France doit proposer des solutions, des procédés pour essayer d’avancer pour réveiller ce processus de paix et qu’elle doit naturellement avoir une vision globale du sujet et de la région, c’est-à-dire, Egypte, Syrie, Liban, Israël, Jordanie et d’autre part, Palestiniens.
Q. : Vis-à-vis de la Syrie, il y a eu un changement très net d’attitude avec l’épongement de la dette d’un côté et des relations qui n’étaient pas forcément celles qui avaient précédé ?
R. : Oui, mais si on est au cœur du sujet c’est-à-dire le processus de paix et la façon de tenter de le réveiller, aujourd’hui, il s’agit de cela, il a une approche globale, française qui doit tenter de s’insérer dans une action européenne efficace. Ce que l’Europe essaie d’inventer aujourd’hui, c’est bien ce qui est fait par l’’envoyé spécial de l’Europe M. Moratinos, c’est un début d’existence de l’Europe en tant que telle. C’est un peu tôt pour aller plus loin que cette déclaration de principe. Ce qui m’a frappé dans tous les contacts que j’ai eus depuis trois semaines, c’est que tous les responsables européens occidentaux sont très préoccupés par le situation d’enlisement du processus de paix et réfléchissent activement à la façon d’essayer de le réveiller. Là-dessus, il y a une grande convergence de préoccupations pour le moment, je ne parle pas encore d’actions pratiques.
Q. : On ne cesse de dire que la France perd du terrain en Afrique, on l’a vu au Zaïre où votre prédécesseur soutenait encore le président Mobutu alors que Kabila avait pratiquement pris le pouvoir, poussé par les Américains, au Congo, où on nous fait savoir qu’il vaut mieux que nos troupes ne soient plus là et où on ne nous consulte plus beaucoup. Pensez-vous que c’est une situation au profit des américains et qu’elle soit irréversible ou bien est-ce un moment particulier et que la France pourrait retrouver ses positions en Afrique et à quelles conditions ?
R. : Je ne vis pas dans la hantise et dans l’idée que la France est en train de perdre du terrain partout. Dans le monde global dans lequel nous vivons depuis 1991 notamment avec une puissance prédominante forte, la situation est plus compliquée à gérer pour tout le monde. Il faut être plus mobile, plus inventif et pas simplement assis sur nos acquis et simplement couronnés par nos lauriers. Il faut avoir des politiques étrangères qui préparent l’avenir, qui soient inventives et très mobiles. Dans le cas de l’Afrique, je ne crois pas du tout qu’il y ait un complot américain. Il ne s’agit pas d’un affrontement franco-américain. Il y a un problème de relais, de relève d’une politique étrangère française en Afrique que je ne discute pas aujourd’hui. Cette politique a eu des inconvénients et des qualités, des mérites et des faiblesses mais peu importe, ce n’est pas le problème aujourd’hui. Maintenant, nous avons à réinventer notre politique : l’Afrique toute entière bouge, une politique africaine française ne doit pas être une politique qui, sous prétexte de faire la morale, en fait prépare un abandon. Elle doit être une politique de présence, tournée vers l’avenir, vers l’ensemble de l’Afrique, vers les pays qui ont des liens historiques avec nous mais aussi vers l’Afrique anglophone. La France doit accompagner ce mouvement de l’Afrique vers l’émergence des économies et des démocraties. C’est une longue route, c’est compliqué. Nous avons à définir tout cela. Et je pars du principe que cette définition doit pouvoir se faire par le président de la République et par le gouvernement dans les circonstances où nous sommes aujourd’hui.
Q. : Au-delà des différences de personnes par rapport aux deux précédents cohabitations, est-ce que le fait que la majorité présidentielle ait perdu les élections législatives à la suite d’une dissolution donne plus de poids au gouvernement, au Premier ministre, notamment dans le domaine qui est le vôtre, dans les affaires internationales, au-delà des problèmes européens qui sont extrêmement imbriqué avec la politique économique nationale. Au-delà de l’Europe, est-ce que le Premier ministre, le gouvernement vont être plus actifs dans le domaine de la politique étrangère que lors des deux précédentes cohabitations ?
R. : Si vous voulez, je voudrais m’interdire tout commentaire de ce type. Il n’y a pas de balance pour comparer, les trois cohabitations sont à la fois semblables car elles se sont inscrites dans le jeu normal de notre constitution, et d’autre part, différentes car le contexte politique et les hommes ne sont pas les mêmes. Je n’ai pas l’intention de faire de commentaire sur ce sujet. Il me semble que nous avons déjà constaté à plusieurs reprises que cette constitution permet aux uns et aux autres de jouer leur rôle, dans le respect des prérogatives de l’autre. Il me semble que c’est comme cela que tout a commencé, je ne vois pas pourquoi cela ne pourrait pas aller bien de cette façon-là. Ce qui me paraît important, plutôt que d’avoir une attitude de spéculation en quelque sorte sur ce que sera ou ne sera pas cette cohabitation, est de savoir quels sont les problèmes auxquels nous avons à faire face ensemble, puisque les électeurs ont créé cette situation. Il faut y faire face, nous sommes en 1997, la France défendra ses intérêts et fera prévaloir ses idées, ses valeurs et ses projets. Il faut que les différentes forces qui se trouvent avoir à gouverner ce pays dans le cadre de la cohabitation que les français ont créé par leurs votes, travaillent en synergie de façon à aboutir au meilleur résultat possible. C’est la question qui me préoccupe moi, en tant que ministre des Affaires étrangères. Je ferai tout en ce qui me concerne pour que cela se passe de cette manière-là. Je ne vois d’ailleurs pas qui aurait l’intention de se comporter autrement.
Q. : Vous qui êtes le ministre, puisque c’est le ministre des Affaires étrangères qui est le plus en contact avec le président de la République dans ces circonstances-là, cela ne vous paraît pas a priori plus difficile cette fois-ci que les deux autres fois précédentes, où vous étiez bien placé du côté de l’Elysée à ce moment-là pour voir comment cela se passait dans ce même domaine ?
R. : Je m’interdis tout à fait ce type de commentaire. Optimiste je le suis à travers ce que j’ai dit puisque j’essaie de répondre à toutes les questions. Vous me ramène sur ce terrain, ce n’est pas que je veuille esquiver vos questions, sur l’OTAN, ou d’autres sujets. J’essaie de répondre que je ne vois pas les problèmes dont on voudrait me faire parler. Par ailleurs, je ne suis pas un envoyé spécial de la question, ce n’est pas du tout mon rôle.
Q. : Vous avez une expérience que les autres n’avaient pas.
R. : J’espère qu’elle va m’aider si j’en ai besoin. Je ne sais pas s’il y aura des problèmes, j’espère qu’elle m’aidera à exercer ma fonction dans l’esprit que je vous ai indiqué.
Q. : Est-ce qu’en vertu de cette compétence, le Premier ministre, M. Jospin, vous demande des conseils, vous êtes quand même un maître en la matière ?
R. : Je ne suis certainement pas un maître.
Q. : Un connaisseur disons, si vous voulez vraiment être modeste ou feindre de l’être ?
R. : Le Premier ministre travaille avec moi comme il travaille avec ses ministres. Nous sommes dans le domaine partagé, le gouvernement a des prérogatives fortes de même que le président de la République, cela ne se discute même pas. Le Premier ministre travaille avec le ministre de la Défense, avec moi, avec le ministre des Affaires européennes, il nous voit, nous demande des avis, nous discutions, nous travaillons avec qui, il élabore sa position en tant que Premier ministre, en procédant à des arbitrages à partir de discussions et d’informations que nous lui transmettons. C’est un mode de fonctionnement totalement normal, j’ai peur de vous répondre par des banalités parce que cela fonctionne comme cela doit fonctionner.
Q. : On connaît des grands points de convergences entre Jacques Chirac et Lionel Jospin : défense du modèle social européen, OTAN, Europe, y-a-t-il des grands points de divergence présents ou potentiels ?
R. : Même chose, je n’aime pas faire des spéculations ou des plans sur la comète. Je peux vous dire qu’au cours des quatre semaines écoulées, sur tous les sujets abstraits ou généraux ou de spéculation pour l’avenir, sur tous les sujets qui se sont présentés à nous à propos des problèmes que nous avions à gérer, le président de la République et le Premier ministre sont arrivés à des positions et des décisions conjointes. Que cela soit au sujet du Sommet franco-allemand, d’Amsterdam, de Denver et bientôt de Madrid, ou des questions africaines.
Q. : Est-ce à dire que la victoire de la gauche aux élections législatives n’aura aucune influence, aucun infléchissement sur la politique étrangère ?
R. : Ce n’est pas ce que j’ai dit, peut-être qu’elle en a déjà eu sur plusieurs de ces points…
Q. : Lesquels ?
R. : Amsterdam.