Interview de M. Pierre Zarka, directeur de l'Humanité, à Europe 1 le 7 mai et interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à France 2 le 21 mai 1996, dans "Le Journal du dimanche" du 26 mai et "Le Parisien" du 28, sur les relations du PCF avec le PS, la préparation du 29ème congrès et l'image du PCF auprès des Français.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1 - France 2 - Le Journal du Dimanche - Le Parisien - Télévision

Texte intégral

Date : mardi 21 mai 1996
Source : Europe 1/Édition du matin

Europe 1 : Selon votre enquête, 30 % des Français ont une bonne opinion du Parti communiste alors que le vote s’établit autour de 10 %. Pourquoi, selon vous ?

P. Zarka : C’est la question que nous avons voulue nous poser, essayer de mieux comprendre cet écart. Je crois qu’il en ressort deux choses. Un grand nombre de ces hommes et de ces femmes qui ont de la sympathie pour nous ne perçoivent pas encore à quel point nous avons changé. Ils nous voient encore beaucoup avec les yeux d’avant. Nous avons un effort de connaissance à faire. D’autre part, ces hommes et ces femmes ne perçoivent pas suffisamment – et peut-être là, devons-nous faire encore plus et mieux – que nous sommes porteurs de propositions constructives pour faire autrement.

Europe 1 : Cette image n’est-elle pas due au fait que le PC n’est plus perçu comme un parti de gouvernement mais de contestation, au même titre que le Front national ?

P. Zarka : Je ne crois pas. Le problème est posé mais il me semble que ce qui ressort de l’étude, c’est que les attentes en ce sens ne s’opposent pas. Les gens souhaitent à la fois entendre plus de contestation. Quand on voit tout ce qu’ils subissent, on les comprend. En même temps, ils veulent plus de propositions. Les deux se nourrissent. La question qui nous est posée, c’est bien évidemment d’avoir une opposition toujours plus radicale aux mauvais coups et à tout ce que subit l’ensemble de la nation et, en même temps, de dégager de cette contestation des propositions pour une autre politique.

Europe 1 : Cela passe par de nouvelles autocritiques, de nouveaux cadres, peut-être ?

P. Zarka : Je ne crois pas que le problème se pose ainsi. Nous avons fait fortement notre autocritique du passé. Peut-être faut-il que les gens la perçoivent ; peut-être faut-il que nous la fassions mieux toucher du doigt. Mais je crois que c’est, surtout, en montrant quelle conception nous avons de la société aujourd’hui, de la politique, que les gens percevront dans le même temps que nous sommes porteurs d’avenir et que nous avons rompu avec un certain passé qui pouvait leur déplaire.

 

Date : Mardi 21 mai 1996
Source : France 2/Édition du soir

France 2 : Êtes-vous pour un accord politique avec le PS ?

R. Hue : Nous sommes pour changer profondément les choses dans ce pays. La politique conduite par le gouvernement actuel est insupportable, donc le plus vite possible, il faut que les forces progressistes puissent s’entendre pour une construction politique qui permette de changer vraiment les choses.

France 2 : Est-ce que ça va aller jusqu’à un accord formel ?

R. Hue : Le problème de l’accord est une question qui vient après. Nous ne sommes pas à la recherche d’un accord politique en vue des législatives de 98, nous sommes à la recherche d’une construction politique qui permette réellement des changements en 1998. Il ne s’agit pas pour nous, aujourd’hui, de poser la question de ministres ou pas. Les communistes ont toujours dit qu’ils étaient pour la participation de ministres communistes au pouvoir, naturellement, c’est la vocation d’un parti mais pour faire quelle politique. C’est ça la question. Est-ce qu’on va s’attaquer profondément au dogme de l’argent ? Est-ce qu’on va s’attaquer au chômage ? Est-ce qu’on va contrôler les fonds publics ? Voilà des questions essentielles, c’est sur celles-ci qu’il faut construire la perspective politique. Aller cohabiter pour quoi faire ? Si c’est simplement pour être dans les rouages de l’État, ça n’a pas d’intérêt. La participation au pouvoir, c’est pour changer les choses.

France 2 : Vous avez fait un appel au renouvellement des générations à la direction du PCF. Souhaitez-vous le départ de G. Marchais ?

R. Hue : G. Marchais est totalement d’accord avec les propositions que j’ai faites. Et il est d’accord aussi, naturellement, avec la nécessité d’aller à un renouvellement, à des générations nouvelles. Mais tout cela va dans le sens de la mutation qui est engagée. Cette mutation ne connaîtra pas de pause, nous voulons aller plus loin pour être utile à la société. Le PCF n’a pas vocation à être replié sur lui-même, à vivre pour lui-même, il vit pour le peuple, pour la société française. Eh bien, c’est cela que nous voulons conduire aujourd’hui, et c’est en cela que le congrès va être tout à fait inédit, complètement inédit. Les communistes vont plus que jamais élaborer la question. Ensuite, nous voulons un parti qui soit en phase avec la société française, et donc ce congrès se préparera en liaison, en symbiose avec la société.

France 2 : Vous faisiez allusion à la situation sociale, que pensez-vous des déclarations du Premier ministre qui parle de mauvaise graisse dans la fonction publique ?

R. Hue : Je m’insurge contre de telles déclarations. Qui Monsieur Juppé montre-t-il du doigt ? Les infirmières qui n’en peuvent plus dans les services d’urgence ? Les postiers qui sont écrasés de boulot ? Les enseignants dans les villes où il y a des difficultés ? S’il y a de la mauvaise graisse quelque part, je le dis à Monsieur Juppé, vous savez où elle est ? Allez dans les conseils d’administration feutrés où on décide de tordre le cou à des entreprises. Allez chez les spéculateurs, chez les affairistes. C’est de ce côté qu’il y a la mauvaise graisse et la mauvaise graine pour notre pays. Voilà ce qu’il faut changer dans la société, et voilà pourquoi je veux qu’il y ait un congrès du PC qui soit dynamique.


Date : 26 mai 1996
Source : Le Journal du dimanche

Le Journal du dimanche : Georges Marchais vient d’annoncer son départ de la direction du PCF lors du prochain congrès, ne vous sentez-vous pas un peu plus libre qu’avant ?

Robert Hue : Georges Marchais a dit qu’il souhaitait quitter la direction du PCF lors du 29e congrès, avec le souci de favoriser la venue aux responsabilités de nouvelles générations. J’avais moi-même proposé que l’on se fixe cet objectif. En ce moment, évidemment important pour lui, je veux rendre hommage à ses qualités d’homme et de responsable politique. Pour ce qui concerne notre parti, il a engagé, depuis des années, sa rénovation. Cette véritable réputation ne connaîtra pas de pause. Je souhaite d’ailleurs que notre congrès soit l’occasion d’un bond en avant. La méthode que nous préconisons est inédite : les adhérents seront les maîtres du jeu de la préparation de ce congrès. Ils discuteront en toute liberté. Et pas en vase clos. Deux idées fortes nous guident pour ce congrès : plus que jamais, la parole aux communistes et une discussion vraiment à l’écoute de la société.

Le Journal du dimanche : Vous avez, depuis vingt ans, engagé des actions – le PUP (pacte unitaire pour le progrès), les forums –, où voulez-vous en venir ?

Robert Hue : Prenons d’abord un peu de distance avec l’actualité… Pendant des années, être communiste, c’était se référer à un modèle, le modèle soviétique, et au mode de pensée qui lui était lié. Nous en avons fini aujourd’hui avec cette façon d’être. Dans ce pays, la France, où est né le mot « communisme », nous voulons renouer le fil des espérances mobilisatrices et des combats émancipateurs qui l’ont inspiré. Dans les conditions d’aujourd’hui, bien sûr. Nous voulons agir pour une société plus juste, pour une civilisation qui accorde toute sa place à la personne humaine. Nous nous dégageons de cette conception doctrinaire mutilante qui, au nom du « collectif », de l’intérêt général, plaçait la personne humaine au second plan.

Le Journal du dimanche : Mais les partis politiques ont quitté le terrain, alors comment comptez-vous agir ?

Robert Hue : Les états-majors politiques décidant de tout entre eux, et appelant les citoyens à se rallier à leurs vues, à leurs programmes, c’est dépassé. Nous voulons qu’au premier plan, il y ait l’intervention citoyenne, les exigences citoyennes et que les forces politiques de progrès soient conduites à se mettre à l’unisson de ces exigences. C’est cela l’esprit du UP. Cela a pu apparaître un moment un peu flou, mais les forums que nous venons de réaliser permettent de mieux comprendre. Ce n’est pas seulement dans un accord entre Hue et Jospin qu’une perspective à gauche peut s’ouvrir. Les forums ont été l’occasion de débats entre les forces progressistes – et nous n’avons pas voulu gommer nos divergences – et avec les citoyens présents qui ont dit ce qu’ils voulaient. Le mouvement social de décembre a montré une grande volonté de participation. Il faut écouter notre peuple. Et entendre ses exigences. C’est une culture nouvelle, une culture citoyenne qu’il faut à la gauche. Voilà la différence avec 1981 !

Le Journal du dimanche : Votre stratégie n’est-elle pas mise à mal par la bataille des orthodoxes contre les refondateurs ?

Robert Hue : On ne peut pas aller de l’avant dans notre mutation, sans discussion. Je propose, d’ailleurs, pour le congrès, de l’amplifier encore et je me refuse à étiqueter, à diaboliser tel ou tel point de vue. Ce temps-là est fini et bien fini ! Pour moi, l’unité du parti se construit dans la diversité, dans la pluralité et la confrontation des opinions. Une telle diversité n’est pas un obstacle mais une richesse.

Le Journal du dimanche : Vous allez finir par ressembler au PS avec ses courants !

Robert Hue : Non ! Les courants où les opinions se cristallisent, se figent et se personnalisent autour de « leaders » rivaux me semblent être un terrible frein à la démocratie. Pour notre congrès, nous ne voulons pas soumettre à la discussion un texte ficelé, une sorte de « ligne officielle » vis-à-vis de laquelle chacun aurait à se situer. Nous voulons consulter vraiment les adhérents du parti sur toutes les questions. C’est totalement inédit. Et je le répète, le congrès ne sera pas un temps de repli sur nous-mêmes, mais un congrès ouvert sur la société.

Le Journal du dimanche : Quelle est aujourd’hui, la différence entre communistes et socialistes ?

Robert Hue : Je préfère ne parler que du PCF… On sait que l’on peut compter sur lui pour être proche des gens. On sait aussi que nous voulons apporter notre contribution, avec nos propositions, notre sensibilité, pour changer la société. Trop souvent perçu comme seulement force de protestation, le PCF veut être, en effet, en même temps, force de construction. Nous voulons profondément l’union, une union nouvelle, indispensable pour battre la droite. Qui peut un instant penser que, seule, telle ou telle formation, fût-ce le PS, peut battre la droite ? Il faut l’union, une union qui devra, cette fois, déboucher sur le changement. Le PS, dans les années 80, a changé de politique par rapport aux engagements pris. Imagine-t-on les conséquences d’une nouvelle déception après la victoire de la gauche en 1998 ? Ce serait terrible ! Et qui en profiterait ? Le sinistre Le Pen, que j’appelle le milliardaire de Saint-Cloud, car chacun doit savoir ce qu’il est.

Le Journal du dimanche : En cas de victoire de la gauche en 1998, faut-il que les communistes participent au gouvernement ? Là aussi, votre parti est divisé sur cette question.

Robert Hue : Je n’en suis pas si sûr ! En fait, nous avons une position de principe : nous sommes disponibles pour participer à tous les niveaux de pouvoir, et donc au gouvernement de la France, pour faire vraiment une politique différente. Pour moi, le problème n’est pas de créer les conditions d’une cohabitation – d’ailleurs prévue par la Constitution – mais les conditions d’un vrai changement. La construction politique nouvelle permettant ce changement existe-elle aujourd’hui ? Non ! Il faut donc s’y atteler, puis, il faudra tenir nos promesses. Il ne s’agira pas de les réviser au rabais en fonction d’une cohabitation ou au nom du réalisme, car le réalisme, c’est précisément de voir ce que le peuple attend et de prendre les mesures nécessaires, notamment s’attaquer à la loi de l’argent pour l’argent, afin de répondre à cette attente.

Le Journal du dimanche : Donc des ministres communistes, pourquoi pas ?

Robert Hue : En effet, il y a déjà eu des ministres communistes en France… Mais, plutôt que « pourquoi pas ? », c’est « pourquoi ? » qui m’intéresse. Des ministres communistes pour quoi faire ? C’est cela la question essentielle.


Date : 28 mai 1996
Source : Le Parisien

Le Parisien : La Sofres résume ainsi un premier sentiment : « Le Parti communiste est inégalement adapté à la réalité française. » Il est un peu ringard en somme.

Robert Hue : Le mot est excessif mais il faut savoir accepter la réalité. Pour beaucoup de gens, la distance demeure trop grande entre les propositions que nous faisons et les grandes mutations que subit la société. C’est un véritable obstacle pour nous.

Le Parisien : Un interviewé vous fait ce reproche : « Le PCF (…) dit toujours que les patrons sont des salauds. »

Robert Hue : C’est typique d’une réalité sociale que nous ne prenons pas suffisamment en compte. Il y a des patrons qui travaillent honnêtement dans la société. Ils connaissent eux aussi des problèmes. En revanche, je ne me sens pas archaïque vis-à-vis de ces grands patrons qui dilapident une partie des fonds publics en ne créant pas des emplois qu’ils se sont pourtant engagés à créer.

Le Parisien : Que connaissez-vous des patrons ? En rencontrez-vous parfois ?

Robert Hue : Oui, dans ma commune d’abord. J’ai rencontré aussi un certain nombre de grands patrons dans la dernière période, souvent à leur demande ? Je n’ai jamais mis mon drapeau dans ma poche. Et je leur ai dit que, s’il existe des choses inconciliables entre nous, je les considérais toutefois comme des acteurs essentiels de la vie de notre pays.

Le Parisien : Un autre sondé dit : « Le PC est trop égalitaire (…), le mérite, ça se paie. »

Robert Hue : C’est une critique embêtante pour nous. Les gens pensent qu’on veut tout niveler par le bas. Nous devons faire un gros effort pour convaincre nos concitoyens de l’inverse. Oui, le mérite doit être récompensé. J’ajouterai que, selon notre vision de la société aujourd’hui, le développement de chacun participe à l’épanouissement de tous. Trop souvent, nous avons employé la formule à l’envers.

Le Parisien : Pourquoi continuez-vous à dénoncer sans cesse « la dictature du fric roi » ?

Robert Hue : Nous laissons peut-être un peu trop passer l’idée que nous n’aimons pas l’argent. Mais là encore, nous ne disons pas non à l’argent. Il en faut, évidemment, dans une société. La vraie question est celle de son utilisation. Je veux être très radical contre l’insolence qu’il y a à utiliser des sommes fantastiques au détriment de l’intérêt général.

Le Parisien : Un autre sondé vous reproche de parler toujours des « travailleurs ». « Ils n’ont qu’à dire Français, Françaises », suggère-t-il.

Robert Hue : En général, ce n’est pas dans ma bouche mais dans celle de ma marionnette, aux Guignols que ces mots font rire (il sourit). Sans doute, ce mot de travailleur rend-il mal compte de la société d’aujourd’hui. Il laisse de côté le chômeur, celui qui a un statut précaire, l’exclu. Parler de la classe ouvrière de la même façon qu’hier n’a plus grand sens. C’est un de nos problèmes : on ne peut pas avoir une volonté d’ouverture vers la société et employer des mots qui nous coupent d’une partie de ceux qui nous écoutent. Personnellement, je préfère employer les mots de salarié ou de citoyen.

Le Parisien : En vous écoutant, je me demande si vous êtes encore communiste.

Robert Hue : Oui. Je ne veux pas aménager le système capitaliste. Je veux transformer la société en procédant à des réformes profondes qui permettront à l’argent de répondre aux besoins des hommes, plutôt que d’alimenter des spéculations financières honteuses.