Texte intégral
« Acharnement terroriste contre Israël. Un nouvel attentat du Hamas a fait au moins 13 morts et 125 blessés hier à Tel-Aviv alors qu'Israël enterrait les victimes de l'attentat de dimanche à Jérusalem. Les attaques du Mouvement de la résistance islamique palestinien ont fait 60 morts et 219 blessés en 9 jours ».
Ce titre paru début mars dans la presse parisienne résume l'engrenage terrible dans lequel se trouvent plongés Juifs et Palestiniens. La souffrance et le sang sont depuis des millénaires intimement liés au devenir de cette terre et de ses habitants. Innombrables ont été les épreuves traversées par ces peuples, fuite en Égypte et exil à Babylone, occupation romaine puis conquête arabe, condamnant les uns à des fuites éperdues à travers le monde pendant que d'autres s'accrochaient désespérément à leur sol. Cette histoire pleine de bruits et de fureurs se poursuit encore au crépuscule du second millénaire, faisant s'entre-déchirer les frères ennemis. Qui a tort, qui a raison, nul à part l'Eternel ne saurait le dire sans doute... Surtout que la région est une poudrière où s'activent dans l'ombre de peu scrupuleux apprentis sorciers, services secrets du voisinage et des grandes puissances, groupuscules terroristes de tout bord, sectes millénaristes et prophètes en mal de succès... C'est pourquoi les troubles événements survenus dans ce chaudron doivent, en même temps que la pitié, susciter la circonspection.
En tant qu'homme, je suis bien sûr profondément affligé de voir mes contemporains s'entre-tuer sans parvenir à vivre en concorde sur la terre de leurs pères. La guerre, et surtout la guerre civile, avec son cortège de meurtres, de règlements de comptes, de sang et de larmes, ne peut en aucun cas être exploitée par quelques agitateurs de « bons sentiments ». Il n'y a rien de plus exécrable que de surfer sur les peurs et les haines. D'aucuns ont cru opportun de s'agiter de manière indécente sur la scène politico-médiatique, alors que les secours n'avaient pas encore fini d'évacuer les blessés. Pour ma part, je crois au droit au silence pour les victimes. Je refuse le tintamarre et la récupération. Le drame de la mort exige le respect, et le respect se manifeste, chez les Européens, d'abord par le recueillement. Les incantations ne servent à rien contre le terrorisme. Ce sont d'actes dont on a besoin. La compassion que l'on peut éprouver en tant qu'homme politique pour les victimes de tous les attentats exige d'abord un peu de pudeur. Sans compter que la situation au Proche-Orient est suffisamment complexe pour ne pas jeter de l'huile sur le feu.
En tant qu'homme politique français, je m'étonne aussi de ce que derrière la souffrance et l'émotion que suscitent légitimement des actes aussi barbares, les commentateurs n'aient pas su ou voulu se poser les vraies questions. On le sait, gouverner, c'est prévoir. Un homme politique n'a pas à se laisser guider par ses sentiments, fussent-ils le fruit d'une juste colère. Il doit avant tout voir loin, et deviner les périls à venir afin de protéger le peuple dont il a la charge. En toutes choses, je me méfie des grandes manifestations et des diabolisations. Il ne suffit pas de condamner la grêle, le choléra, le cancer ou le terrorisme pour que les calamités s'arrêtent d'un coup de baguette magique. Un homme politique n'est pas un prestidigitateur. Sa première vertu est d'être réaliste. À cet égard, il est quelque peu piquant de voir aujourd'hui s'insurger ceux qui hier soutenaient le FLN en Algérie, la Bande à Baader en Allemagne ou les Brigades Rouges en Italie. Non, l'indignation contre le terrorisme n'est pas à géométrie variable. Pour notre part, nous condamnons tous les terrorismes, quelles qu'en soient les victimes, leur race, leur nationalité, leur religion ou leurs options philosophiques, quels qu'en soient aussi les auteurs.
La technique du bouc émissaire ne relève pas de notre tradition morale ou juridique. Il faut d'abord essayer de comprendre comment et pourquoi on en est arrivé là. Les attentats de Tel-Aviv et de Jérusalem doivent nous servir de leçon. Avant-hier c'était Beyrouth, hier la Bosnie, aujourd'hui Israël. L'enseignement essentiel à tirer de cette litanie de drames est que les sociétés pluriculturelles ne marchent pas. Les utopies débouchent immanquablement sur des massacres. L'enfer, on le sait, est pavé de bonnes intentions. Le brassage inconsidéré des peuples et des cultures génère toujours d'inévitables tensions qui peuvent exploser à tout moment. En ce sens, il appartient aux Israéliens et aux Palestiniens de trouver la paix chez eux, comme il appartient aux Français de faire régner l'ordre chez eux, et d'abord dans leurs banlieues. Si l'on veut éviter qu'il y ait demain des voitures piégées à Bron, Vaulx-en-Velin ou Mantes-la-Jolie, c'est dès aujourd'hui qu'il faut s'en donner les moyens, et d'abord en inversant, tant qu'il en est encore temps, les flux migratoires. La clé de notre paix civile est à ce prix. Plus tard, ce sera trop tard.
Le reste est littérature.