Interview de M. Michel Barnier, ministre délégué aux affaires européennes, dans "Arabies" de juin 1996, sur la libéralisation de l'économie marocaine, les privatisations récentes et les perspectives d'investissements étrangers dans un cadre juridique rénové et sur l'accord de partenariat euro-marocain.

Prononcé le 1er juin 1996

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Média : Arabies

Texte intégral

Q. : La France est toujours le premier partenaire du Maroc. On remarque cependant une érosion de ses parts de marché. Quelle en est, à votre avis, la raison ?

R. : La France reste le premier fournisseur du Maroc, dont elle assure 22 % des importations. L'érosion que vous évoquez est donc très relative, et s'explique par une baisse très limitée des grands contrats, qui s'est essentiellement effectuée au bénéfice de nos partenaires espagnols et britanniques. En effet, le Maroc a la volonté, à la fois compréhensible et saine, de libéraliser son économie et de diversifier ses partenaires commerciaux : la concurrence s'accroît, c'est bien ainsi. Je crois, par ailleurs, que cette baisse relative des grands contrats, qui s'est produite en 1994, ne devrait pas se poursuivre, car nos entreprises sont très bien placées en matière de gestion déléguée de services publics – eau, électricité, assainissement, transports urbains –, de privatisations hôtelières, d'aéronautique ou de coopération électronucléaire.

Q. : Le processus de privatisation au Maroc n'a pas attiré les investisseurs français. Quelle est, selon vous, l'explication de cette réticence ?

R. : C'est vrai que le programme de privatisation marocain n'a pas encore attiré suffisamment les investisseurs étrangers. Un quart environ du total des actions privatisées a été acquis par des investisseurs étrangers, parmi lesquels les investisseurs français n'arrivent qu'en troisième position, avec ceux des États-Unis. Pour autant, je ne crois pas que l'on puisse parler de réticence. Ayant ouvert, le 9 avril dernier, le colloque sur le partenariat euro-marocain auquel ont participé, à Paris, le prince héritier du Maroc, Sidi Mohamed, et le Premier ministre Alain Juppé, je puis témoigner de l'intérêt des entreprises françaises pour la libéralisation de l'économie marocaine. Elles comptent, d'ailleurs, 450 filiales au Maroc, et la France y est de très loin le premier investisseur en stock. La participation pour l'instant moins forte que prévue des investisseurs français au programme marocain de privatisation tient à des raisons pratiques : d'une part, une présence française déjà très forte dans les secteurs privatisés ; d'autre part, le fait que leur candidature n'a pas toujours été retenue par les autorités marocaines lors des transferts, qui s'effectuaient pour l'essentiel par attribution directe. Et puis n'oublions pas que certaines règles visaient légitimement à éviter que les participations étrangères ne soient trop fortes. Mais l'élargissement du champ des privatisations à de nouveaux secteurs – je pense au tourisme, aux télécommunications –, la mise en œuvre de l'accord bilatéral de protection et d'encouragement réciproque des investissements qu'a signé en janvier Jean Arthuis, ministre de l'Économie et des Finances, ainsi que la possibilité de recourir au mécanisme de conversion de la dette publique, devraient permettre d'offrir aux investisseurs français de bonnes occasions.

Q. : Dans la perspective de la zone de libre-échange, quel rôle possible voyez-vous pour le Maroc dans la région ?

R. : L'émergence de cette zone de libre-échange ne constitue pas un objectif immédiat. Elle sera progressivement mise en place, sur douze années environ : il faut laisser le temps de se préparer aux industries et aux entrepreneurs marocains. L'accord d'association devrait être appliqué dès le 1er janvier 1997, avec un délai supplémentaire de trois ans s'agissant du démantèlement tarifaire. Je suis convaincu que le Maroc jouera un rôle important dans cette construction, car il bénéficie de très grands atouts, à commencer par son choix, dès l'indépendance, de l'économie de marché, et depuis 1990, d'une libéralisation accrue. Le Maroc offre aujourd'hui toutes les garanties du succès économique : la Bourse de Casablanca est la deuxième d'Afrique, un nouveau code des investissements offre un cadre juridique rénové, de grands groupes africains et mondiaux se sont installés au Maroc. Je crois de plus qu'il dispose d'un véritable avantage comparatif dans le domaine agricole et agro-alimentaire.

Q. : Après la signature de l'accord de partenariat avec l'Union européenne, quels sont les créneaux dans lequel les produits peuvent gagner des parts de marché en France ?

R. : L'accord d'association prévoit un maintien, voire une certaine amélioration des régimes d'accès préférentiels au marché communautaire de produits importants pour le Maroc : fruits, légumes, fleurs coupées, par exemple. Bien sûr, la contrepartie de ce partenariat sera une compétition plus rude, notamment dans le secteur industriel, qui n'est pas pour l'instant l'un des points forts de l'économie marocaine. Je pense néanmoins que des activités comme le textile, le transport maritime ou l'exploitation des phosphates, qui sont déjà très compétitives, devraient accroître leurs parts de marché en Europe, et en France en particulier.