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Q - Renault s'est marié avec le constructeur japonais Nissan ce week-end, quel est aujourd'hui le sentiment de l'Etat ?
Christian Pierret. Dans un monde industriel où des problèmes d'échelle de production se posent avec acuité, le gouvernement ne peut que se féliciter de voir des groupes français accéder au niveau mondial. C'est également vrai dans la pharmacie, l'agroalimentaire ou la chimie, par exemple. Car dans tous les domaines le marché hexagonal et même le marché européen sont aujourd'hui trop petits.
Q - Vous représentez l'actionnaire principal de Renault avec plus de 40 %. Cependant, vous n'avez pas exprimé d'avis ni donné de directives avant la signature. Pourquoi ?
- Les expériences antérieures nous ont montré qu'une opération industrielle ne peut réussir que dans la discrétion. L'échec du rapprochement entre Renault et Volvo a fait la démonstration que trop de précipitation, d'agitation médiatique, pouvaient aboutir à une contre-performance. En 1993, Edouard Balladur, alors Premier ministre, s'était officiellement félicité de la conclusion de cette affaire. Volvo avait alors considéré que Renault n'avait pas assez d'indépendance vis-à-vis de l'Etat. Cela avait fait peur aux Suédois. J'étais au courant très tôt – dès juillet dernier – de la démarche de Renault. Mais les alliances en capital, c'est aux entreprises d'en décider. C'est, il est vrai, une vision nouvelle pour un gouvernement socialiste que de rester ainsi en retrait.
Q - Les marchés financiers et les syndicats, eux, n'ont pas hésité à donner leur avis avant la signature. Et ils semblent dans les deux cas, plutôt réservés en raison notamment du très gros endettement de Nissan.
- « Il y a avant tout une grande complémentarité entre les deux entreprises. Tant sur le plan de la répartition géographique que sur celui des gammes de véhicules. Nissan possède un véritable savoir-faire et personne ne conteste les perspectives dynamiques des plates-formes communes aux deux marques. Tout cela peut enrichir la force de frappe industrielle des deux groupes, comme les fantastiques réductions des coûts que ce mariage peut entraîner, notamment dans la recherche et le développement. Les deux problèmes sont tout d'abord l'éloignement culturel et ensuite, il est vrai, un endettement de Nissan assez fort. Mais Renault a démontré ces dernières années sa capacité de redressement grâce à Louis Schweitzer et ses équipes. C'est un pari qui peut être relevé raisonnablement.
Q - Les syndicats soulignent néanmoins leur inquiétude sur l'emploi ?
- Louis Schweitzer a pris un engagement. Cela doit se faire sans installation commune en Europe, donc sans conséquences sur l'emploi dans cette zone. A l'extérieur de l'Europe, c'est autre chose. En France, ce plan ne doit donc pas signifier de changements négatifs pour les salariés. Le gouvernement est d'ailleurs très vigilant sur la poursuite du dialogue social dans cette grande entreprise, notamment sur la diminution du temps de travail. On attend d'un gouvernement de gauche qu'il soit exigeant sur cette manière de voir. L'accord Renault-Nissan ne menace en rien la santé économique de Renault et ne doit pas empêcher le bon dialogue social dans l'entreprise, notamment le passage aux 35 heures.