Texte intégral
Q - Les instits se mettent en grève ce lundi et les syndicats annoncent pour samedi une grande manifestation dirigée contre vous. Ca barde ?
De grâce, ne mélangez pas tout !... La grève de ce lundi est lancée par deux syndicats qui ne sont pas hostiles aux réformes de l'école. Mais ils réclament davantage de moyens pour les mettre en place. Or, je veux rappeler que nous ne supprimons aucun poste alors que le nombre d'élèves a décru de 35 000. Je souhaite que l'on comprenne bien le sens de ma démarche, pour le primaire, pour le secondaire comme pour le supérieur : c'est l'idéal républicain de l'égalité des chances.
Q - Apparemment, ce message a du mal à passer…
Peut-être, mais c'est parce que nous vivons une période de mutations très profondes. Il est aujourd'hui beaucoup plus difficile d'apprendre et d'enseigner qu'il y a trente ou quarante ans. Ces douze à quinze dernières années, nous avons réussi l'extraordinaire pari de la quantité pour le lycée et l'enseignement supérieur. Lionel Jospin souligne qu'il y a, aujourd'hui, autant d'enseignants dans les lycées qu'il y avait d'élèves lorsqu'il était lui-même lycéen. Globalement, ce pari de la quantité a été réussi grâce aux efforts faits pour l'Education nationale par le pays, mais surtout par les enseignants, qui ont réussi à accueillir et à former de plus en plus d'élèves. Maintenant que la démographie décroît, notre nouveau pari, ce doit être celui de la qualité pour tous.
Q - Les enseignants se plaignent d'un manque de moyens !…
Le nombre d'élèves par classe : 24 élèves par classe dans le primaire, au collège, dans les lycées techniques et professionnels. Mais on ne peut pas faire tout, tout de suite.
Q - Qu'avez-vous envie de dire aux instituteurs en colère ?
Le plus important, c'est le projet. Après, on se battra pour les moyens, si c'est nécessaire : Paris ne s'est pas fait en un jour ! La nouveauté fondamentale, c'est l'instauration, dès l'école primaire, de l'aide aux élèves en difficulté. Une fonction exercée jusqu'ici à l'extérieur des établissements, et qui est instaurée à l'école pour tous ceux qui en ont besoin, dans les quartiers difficiles comme dans les établissements plus « aisés ». Concrètement, un instituteur ne fera plus désormais 27 heures mais 24 heures devant une classe entière. Et il consacrera deux heures par semaine à ceux des élèves qui en ont le plus besoin.
Q - Comment comprendre que le SNEC, avec qui vous aviez renoué, réclame votre démission ?
Je ne comprends pas bien. Car la nouvelle « charte du lycée » est issue, en partie, des propositions du SNEC. J'ai donc du mal à suivre… Je crois que certains syndicats se trompent de cible. Pour les enseignants, la meilleure façon de reconquérir une place dans la société, c'est de redevenir des moteurs du changement. Je reste toujours disponible pour la discussion dès lors qu'elle est constructive et inspirée par l'intérêt général. J'espère que les enseignants vont être de nouveau les porteurs de la réforme. Ils l'ont été entre 1945 et 1968 : pourquoi ne le seraient-ils pas demain ? Car, derrière des affrontements dont on ne comprend toujours pas bien le pourquoi, il y a l'avenir des jeunes. Dans une société plus dure et soumise à la mode du libéralisme sauvage, je veux que l'école de la République les aide à réussir.
Q - Ces élèves en difficulté, on les voit dans le dernier film de Bertrand Tavernier (« Ça commence aujourd'hui »)…
C'est un bon film, émouvant, attachant, qui décrit bien le rôle fondamental que jouent l'école et les enseignants dans notre société déstructurée. Il dresse un portrait assez réaliste de certains quartiers terribles. Heureusement, l'ensemble des écoles de la République n'est pas dans cet état-là.