Articles de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, dans "Lutte ouvrière" des 1er, 8, 22 et 29 août 1997, sur le plan emploi des jeunes du gouvernement, le chômage et notamment la fermeture des usines Renault de Vilvorde, et la création d'emplois dans le service public.

Prononcé le 1er août 1997

Intervenant(s) : 

Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

LUTTE OUVRIÈRE : 1 août 1997

Leur bourse ou notre vie.

Le chômage n’est pas prêt de baisser : c’est le ministère de l’Économie lui-même qui l’a affirmé, précisant même qu’il faudra attendre au moins jusqu’à la fin 1998 une quelconque amélioration ; et Jospin a dû admettre que l’effet des mesures qu’il a promises ne se ferait sentir que « très progressivement ». Une façon de reconnaître que son plan de lutte contre le chômage sera à peu près aussi efficace que les fameux contrats initiative-emploi de Chirac ! Les chômeurs sont donc priés de prendre leur mal en patience.

Quoi d’étonnant alors que la consommation des ménages baisse. Comment en serait-il autrement quand le poids du chômage pèse sur des centaines de milliers de familles, quand les salaires sont bloqués et quand de nombreux jeunes ou moins jeunes n’ont droit qu’à de petits boulots !

Et pendant que les gouvernements pourfendent le chômage… dans leur discours, sans s’y attaquer réellement, le patronat continue de plus belle à licencier, à fermer des entreprises, à jeter des milliers de travailleurs à la rue. Et le gouvernement laisse faire.

Il a laissé faire Renault à Vilvorde. Et on a pu voir à la télévision le désespoir de ces ouvriers qui se sont battus pour leur emploi pendant cinq mois et qui ont dû finalement se résigner à la fermeture de l’usine, sans savoir pour la plupart d’entre eux ce qu’ils allaient devenir dans les mois qui viennent. L’angoisse des familles ouvrières, le malheur du chômage, c’est le prix à payer pour que Renault fasse encore et toujours des profits alors qu’il a déjà engrangé ces dernières années des dizaines de milliards !

En Lorraine, à Longwy, Unimétal met la clé sous la porte et d’autres entreprises, qui s’étaient installés en profitant des subventions accordées dans cette région déjà durement frappée, s’en vont chercher d’autres subventions ailleurs !

Pourquoi se gêner puisque tous les coups sont permis contre les travailleurs et que la seule règle c’est de faire de l’argent. Toutes les grandes entreprises en sont à leur énième plan social et ça continue à leur rapporter gros. La Bourse, anticipant les dividendes futurs, n’a jamais été aussi optimiste et a gagné 30 % rien que depuis le début de l’année. Elle bat tous les jours de nouveaux records.

Alors tant qu’on laissera faire, il n’y a pas de raison pour que le sort des travailleurs s’améliore.

Les patrons, eux, veulent tout, tout de suite, et se servent au détriment des travailleurs, en licenciant massivement, en surexploitant ceux qui restent, en exigeant allègements de charges et subventions de l’État. Mais les travailleurs à qui les gouvernants ont prêché depuis 20 ans les sacrifices et la patience, devraient une fois de plus attendre ! Attendre que les mesures aléatoires promises par Jospin fassent leur effet un de ces jours lointains ; attendre que le gouvernement, sous prétexte d’économies budgétaires, rogne encore sur les services publics, sur la Sécurité sociale, sur les retraites ou les droits des chômeurs.

Les travailleurs de Renault-Vilvorde se sont battus pendant cinq mois mais ils sont restés isolés. Et Renault, soutenu par les patrons et par les gouvernements successifs a été le plus fort. La valeur du trésor de guerre des grévistes, constitué par un stock de voitures neuves estimé à 600 millions de francs, n’a même pas pesé sur les négociations tant il est vrai que Renault est bien assez riche pour risquer de perdre une telle somme, d’autant que les banques ne l’auraient pas abandonné.

Mais les luttes fassent tache d’huile, que des attaques contre un secteur de la population laborieuse suscitent une colère qui se répande d’une entreprise à l’autre et la Bourse aura vite fait de refléter les angoisses des patrons pour leurs profits ! Face à un patronat sans cœur et sans entrailles qui fait bloc et à des gouvernements qui sacrifient les intérêts ouvriers aux intérêts patronaux, des travailleurs isolés peuvent difficilement obtenir des garanties pour leur avenir et celui de leurs familles. Mais les travailleurs se défendant ensemble peuvent les arracher. Ils peuvent imposer au patronat de sacrifier une partie de ses profits à la survie de la population laborieuse.

En se faisant craindre, les travailleurs peuvent changer la situation en leur faveur, rapidement. Plus rapidement en tout cas qu’en attendant d’un gouvernement faible devant les patrons qu’il agisse contre le chômage !


LUTTE OUVRIÈRE : 8 août 1997

Pour combattre le chômage, il faut s’attaquer aux profits des capitalistes.

Depuis le mois de mai le nombre de chômeurs officiellement recensés, loin de diminuer, s’est accru de 50 000. On pourrait se dire que cette augmentation se situe sur la lancée de la période précédente, celle de Juppé, sauf que l’avenir ne s’annonce guère plus radieux. Chaque semaine, on annonce de nouvelles charrettes de suppression d’emplois. Le changement de gouvernement n’a manifestement pas fait dévier d’un pouce les intentions des patrons. Ils continuent imperturbablement dans la même voie. Et pourquoi se sentiraient-ils obligés de changer d’attitude ?

Le gouvernement s’est mis en vacances pour trois semaines, laissant le problème en chantier. C’est bien le mot. Autant avant les élections les dirigeants socialistes et leurs actuels partenaires cultivaient l’espoir qu’avec eux cela changerait, au moins en matière d’emploi, autant aujourd’hui ils tiennent des propos pessimistes. On les entend dire qu’il ne faut plus espérer voir le chômage diminuer d’ici 1998. Martine Aubry, ministre du Travail, présentant son projet d’embauche des jeunes par l’État et les collectivités locales, laisse entendre qui lui faudra encore discuter du financement de ce plan, ce qui veut dire en clair qu’en ce domaine rien n’est assuré.

De tels propos visent manifestement à préparer le monde du travail à une cure d’austérité, à préparer les esprits à la patience, au nom du réalisme.

Mais cela fait des années que les gouvernements successifs réclament aux travailleurs, aux chômeurs, jeunes ou moins jeunes, de prendre patience. Sauf que durant ces années, rien, absolument rien, n’a été fait par contre pour mettre un frein à la soif de profit du patronat. Au contraire on lui laisse toute la liberté pour accroître ses profits, en réduisant les effectifs, et de ce fait en augmentant le rythme de travail de ceux qui ont la chance de garder leur poste tout en contribuant à gonfler les rangs des chômeurs. Le nouveau gouvernement socialiste se propose de poursuivre sur la même lancée, expliquant déjà, comme il l’avait fait autrefois, lorsqu’il était aux affaires, qu’il n’y aurait pas d’autres politiques possibles, et que la situation ne lui laisse pas d’autre choix.

Il y aurait pourtant moyen de faire autrement. À la condition de manifester une réelle volonté de s’en prendre aux énormes profits que les entreprises ont accumulés depuis des années. Des profits qui atteignent des records, sanctionnés par les résultats spectaculaires en hausse de la Bourse.

On pourrait, au lieu de baisser les bras par avance devant les suppressions d’emplois programmées par les grandes entreprises, commencer par interdire les licenciements et réquisitionner les entreprises qui licencient alors même qu’elles font des bénéfices.

L’État pourrait créer des emplois, non pas seulement dans des secteurs marginaux, non pas au compte-gouttes comme il promet de le faire, mais par centaines de milliers, au niveau des besoins de la collectivité, pour qu’il y ait des hôpitaux en nombre suffisant avec du personnel pour procurer des soins à tous ceux qui en ont besoin, au lieu de fermer sous prétexte qu’ils coûtent trop cher ceux qui existent et de réduire les remboursements de la Sécurité sociale ; pour qu’il y ait des établissements scolaires et des enseignants pour que tous les jeunes puissent accéder à l’éducation, dans les meilleurs conditions. Pour financer tout cela, on pourrait utiliser l’argent distribué à fonds perdus aux capitalistes par les gouvernements successifs, sous prétexte de valoriser des embauches qui ne voient pas le jour.

Oui, il est nécessaire – et il serait possible – de mettre au plus vite un coup d’arrêt à la dégradation catastrophique des conditions d’existence de la classe ouvrière. Mais pour cela, il faudra la volonté de s’attaquer aux profits des capitalistes et de contester le pouvoir qu’ils exercent sans entraves sur les choix économiques et sociaux. Oui, il faut avoir la détermination de s’attaquer à ce « mur d’argent » qui fait obstacle aux intérêts du monde du travail. Ce n’est pas la direction que prend le gouvernement actuel.

Aux travailleurs d’imposer une telle orientation.


LUTTE OUVRIÈRE : 22 août 1997

Le plan-emploi du gouvernement : Les chômeurs resteront en plan !

Le Conseil des ministres du 20 août a approuvé le projet de loi visant à créer – en cinq ans – 350 000 emplois destinés aux jeunes. Il y aurait vingt-deux « métiers nouveaux » pour ces jeunes mais ces « métiers » font irrésistiblement penser aux « petits boulots » que, depuis maintenant quinze ans, voire plus, les gouvernements successifs ont inventé comme alibi pour faire croire qu’ils agissaient contre le chômage.

Cette fois, nous dit-on, à la différence de ce qui se faisait jusqu’alors, les bénéficiaires auraient – parfois – des contrats à durée indéterminée (dont la durée maximale serait cependant limitée à cinq ans) et ils seraient rémunérés au moins sur la base du SMIC et financés à concurrence de 80 % par l’État, les 20 % restants étant payés par les collectivités locales, les institutions, voire ajoute t-on les entreprises privées qui les emploieraient.

Durant sa campagne, Jospin promettait que cela se ferait en deux ans (350 000 dans le secteur associatif et para-public, et 350 000 dans le secteur privé). Puis, une fois à la tête du gouvernement, lui et ses ministres ont déclaré qu’il fallait compter sur la durée, sur la législature, c’est-à-dire cinq ans.

Pour le moment, la dernière échéance chiffrée par le ministère du Travail prévoit que 150 000 emplois de ce type devraient être créés d’ici fin 1998, en supposant que le projet tienne jusque-là. Quant aux 350 000 autres emplois, que le gouvernement sollicite de la bonne volonté du secteur privé pour arriver aux 700 000 promis, et qui doivent faire l’objet de discussions fin septembre, début octobre, entre représentants de l’État, des syndicats ouvriers et patronaux, point besoin d’être devin pour prévoir qu’ils auront encore plus de mal à voir le jour.

150 000 emplois rémunérés au SMIC, c’est peu, certes, mais c’est toujours ça, pourrait-on se dire. Oui, c’est bien peu, une toute petite goutte d’eau. Tout juste deux et demi pour-cent des cinq millions de chômeurs, soit de titulaires de petits boulots, ou d’hommes et de femmes qui, parce qu’ils ont perdu tout espoir de trouver du travail, n’en cherchent même plus. C’est prétendre vider l’océan du chômage, qui croît sans répit d’année en année, avec une petite cuillère, en faisant semblant d’ignorer que, dans le même temps, c’est à grands seaux que les patrons l’alimentent en multipliant sans égards pour tous les projets et tous les discours du gouvernement.

Le plan Aubry n’est en fin de compte, même s’il se met en place – et il faudra attendre encore un bon moment pour le savoir –, qu’un trompe-l’œil. Tout simplement parce qu’il se refuse à s’attaquer au problème par le bon bout, c’est-à-dire en s’en prenant à ceux fabriquent et alimentent le chômage : le grand patronat.

Car il n’y a pas trente-six moyens de faire face à ce fléau social, qui réduit une part de plus en plus grande du monde du travail à la précarité, à la gêne et, pour certains, à la misère. Le seul moyen qui serait efficace, parce que rapide, c’est d’imposer l’interdiction des licenciements et la réquisition des entreprises qui en font alors qu’elles font des profits. Et il y en a, et pas des moins grandes !

C’est de cesser de subventionner les patrons, pour prétendument les inciter à créer des emplois nouveaux, ce qu’ils ne font pas, tout en empochant l’argent de l’État. Ce n’est pas dans cette voie que s’engage Martine Aubry, qui promet le maintien des dispositifs existants.

Il serait pourtant nécessaire de créer des emplois utiles qui répondent à tous les besoins du service public, non pas au compte-gouttes, de façon insignifiante, comme on le propose à la SNCF ou dans l’Éducation nationale, non pas comme le prévoit le plan Juppé, qui continue à s’appliquer ; en supprimant du personnel et des services dans les hôpitaux, mais en rétablissant et en améliorant les services publics.

Ce choix-là le gouvernement ne le fait pas. Il prend délibérément la voie de déconsidérer, une fois encore, la gauche parlementaire et, ce faisant, en laissant continuer, voire s’accroître le chômage et la misère, il ouvre la porte à Le Pen et lui fait son lit à l’Élysée.

Un tel choix, il faudra donc que les travailleurs l’imposent. Il en va de l’avenir de la classe ouvrière, et du même coup de l’avenir de la collectivité.


LUTTE OUVRIÈRE : 29 août 1997

Jospin, peau de chagrin.

Le gouvernement de gauche n’a pas tardé pour renier, une à une, mais sans en omettre, les quelques promesses que le candidat Jospin avait faites. Sa politique diffère bien peu de celle des précédents gouvernements socialistes qui avaient tellement déçu les travailleurs, voire de celle de son prédécesseur immédiat, Alain Juppé.

Jospin avait critiqué à juste titre le gouvernement Juppé de laisser Renault agir à sa guise à Vilvorde, sans aucun égard pour les milliers de travailleurs mis à la rue. Mais lui-même n’a pas cherché à obliger la direction de Renault à renoncer à la fermeture de cette usine.

Il avait annoncé le financement de son plan emplois-jeunes avec les fonds récupérés par la suppression d’une série inutile d’aides à l’emploi, distribuées depuis des années au patronat. Mais le gouvernement a renoncé platement à cesser ces subventions à fonds perdus qui sont tellement appréciées des patrons.

Ne voulant pas déplaire au patronat, le gouvernement manque donc de moyens financiers pour respecter intégralement sa malheureuse promesse de créer 350 000 emplois pour les jeunes en deux ans, pourtant bien en deçà de ce qui serait nécessaire pour inverser la courbe du chômage, même pour les seuls jeunes.

Incapable qu’il est de se donner les moyens de créer dans les délais promis les emplois qui dépendent directement de l’État et des pouvoirs publics, il est bien difficile de croire que Jospin va trouver les moyens de contraindre le patronat à créer les 350 000 autres emplois qu’il s’était engagés à susciter dans le secteur privé. La « conférence nationale sur l’emploi et les salaires » risque fort d’accoucher d’une souris en matière de création d’emplois. Même si le gouvernement y mettait le prix. Car on sait depuis 20 ans qu’il est aussi coûteux qu’inefficace de tenter « d’inciter » les patrons à embaucher ; il faudrait les y contraindre en prenant sur leurs profits qui n’ont cessé de croître.

Par contre si l’on ne peut que faire semblant de se préoccuper du chômage, il suffit de faire ce qu’on fait tous les gouvernements de ces 20 dernières années. C’est-à-dire rien à part des discours.

En arguant des déficits publics qu’il faut combler, et en refusant de s’en prendre à la part grandissante des richesses que le patronat s’accapare, le gouvernement Jospin utilise la même politique que ses prédécesseurs, respectueuse des intérêts des possédants et prêchant la patience aux travailleurs et aux chômeurs.

Même lorsque les intérêts du patronat ne sont pas directement en jeu, sur la question de l’immigration par exemple, Jospin revient sur ses engagements. Le refus d’abroger les lois Pasqua-Debré, une des promesses de la campagne électorale, est bien symbolique de la volonté du gouvernement Jospin de faire des concessions à l’opinion de droite et aux préjugés réactionnaires. C’est ainsi que les lois que la gauche avait dénoncées comme scélérates deviennent tout à fait présentables pour peu qu’on les maquille un peu. Certes cette politique n’est pas nouvelle de la part du Parti socialiste qui a contribué pour une part au moins égale à celle de la droite à l’arsenal de tracasseries administratives et des règlements répressifs contre les travailleurs immigrés. Mais Jospin est en train de décevoir ceux qui espéraient ne pas connaître avec lui les déceptions qu’ils avaient connues avec Mitterrand.

Mais les travailleurs ne peuvent accepter sans réagir qu’un gouvernement de gauche déçoive une nouvelle fois le monde du travail, avalise l’idée que décidément il n’y a pas d’autre politique possible que celle de la droite et prépare ainsi la voie non seulement au retour de la droite mais au Front National qui se nourrit du désespoir et des désillusions.

Viannet, le secrétaire général de la CGT, lors de sa conférence de presse de rentrée, a reconnu que la politique du gouvernement « tend à devenir une stratégie à risques en regard de l’urgence de certaines dispositions à prendre ». Il recommande donc la tenue, dès début septembre, d’assemblées dans les entreprises, des réunions de syndiqués et le dépôt de cahiers de revendications mais il laisse à tout un chacun l’initiative de « favoriser toutes les actions possibles sous toutes les formes possibles dans un souci unitaire ».

Mais Louis Viannet n’a pas pour l’instant proposé aucun plan d’action pour rassembler le monde du travail et lui permettre de peser sur les décisions gouvernementales et sur la politique du patronat. C’est pourtant cela l’enjeu de la rentrée. Si les travailleurs ne se donnent pas les moyens de se faire entendre et craindre, le gouvernement Jospin se fera la douce violence de céder de plus en plus ouvertement aux pressions patronales.