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Nouvelle République du Centre-Ouest : En quoi la monnaie unique peut-elle rétablir l’Europe à une place dominante dans la mondialisation de l’économie ?
Lionel Jospin : À l’heure actuelle, il n’existe que deux monnaies importantes sur la scène internationale : le yen et, surtout, le dollar.
L’Europe, première puissance économique du monde pôle de civilisation, ensemble de 350 millions de citoyens, se présente sur cette scène internationale en ordre dispersé. Sans monnaie commune, nous sommes donc à la merci de la spéculation financière, avec les conséquences économique et sociales que ces mouvements de parité entre devises européennes provoquent.
C’est pour mettre un terme à cette spéculation et asseoir les rapports entre les trois grandes monnaies – dollar, yen et euro – des trois grands pôles de l’économie mondiale – États-Unis, Japon et Europe – sur des bases saines et stables, qu’il faut construire une monnaie européenne : l’euro.
Encore faut-il que l’euro soit représentatif de l’Europe tout entière : c’est pour cela que nous voulons que l’Italie et l’Espagne adhèrent à l’euro dès 1999. Encore faut-il que cet euro soit au service de la croissance et de l’emploi : c’est pour cela que nous demandons qu’un gouvernement économique européen fasse contrepoids à la banque centrale et qu’un pacte de croissance soit mis en place entre les États membres. Encore faut-il que cet euro soit compétitif : voilà pourquoi nous souhaitons que l’euro ne soit pas surévalué par rapport au yen ou au dollar.
Vous l’avez compris : l’euro, pour être profitable à l’Europe et lui permettre de recouvrer, non une position « dominante », comme vous le suggérez, mais une position forte, doit être construit en respectant certains principes. Voilà pourquoi nous posons quatre conditions au passage à l’euro. »
Nouvelle République du Centre-Ouest : Comment garantir la protection sociale face à la maîtrise difficile des dépenses de santé et à la réduction constante de la proportion des actifs ?
Lionel Jospin : Préserver notre Sécurité sociale est, à nos yeux, un impératif absolu. C’est un de nos principaux engagements pris devant les Français. L’effort doit porter à la fois sur les dépenses et les recettes. Difficile, l’indispensable maîtrise des dépenses de santé l’est, indiscutablement.
Mais cette maîtrise est possible. Nous l’avons déjà montré, les premiers, entre 1990 et 1992, en passant des accords de maîtrise avec certaines professions médicales et paramédicales : biologistes, infirmières libérales, transporteurs sanitaires. À l’époque, la droite, irresponsable, nous avait attaqués, et Alain Juppé défilait au premier rang des manifestations de médecins pour, après 1995, changer brutalement de position.
Il faut préserver dans cette voie d’une maîtrise médicale négociée, concertée. En ce qui concerne les recettes, il faut mieux répartir l’effort de contribution entre tous les Français. Plus de justice et plus d’efficacité : tel est notre objectif. C’est pourquoi nous proposons d’augmenter la part de financement reposant sur le capital et de soulager d’autant le travail, c’est-à-dire les salariés.
Nouvelle République du Centre-Ouest : Toutes les politiques de l’emploi conduites par les gouvernements de gauche ou de droite ont échoué à lutter efficacement contre le chômage. Existe-t-il encore des solutions novatrices ?
Lionel Jospin : Il faut reprendre l’effort contre le chômage. Des pistes existent. Il convient de distinguer deux composantes dans le chômage actuel. D’une part, un chômage conjoncturel, lié à la mauvaise santé de l’économie française. Ce chômage-là est essentiellement dû à la politique totalement à contrecourant menée par le gouvernement d’Alain Juppé : matraquage fiscal sans précédent – 140 milliards de francs d’impôts supplémentaires en 1995 –, austérité salariale, coupes claires et brutales dans des secteurs créateurs d’emplois.
Nous proposons, à l’inverse, de rendre progressivement aux Français le pouvoir d’achat qui leur a été confisqué, en réunissant une conférence sur les salaires qui envisagera, de façon concertée avec les partenaires sociaux, une progression maîtrisée des salaires.
Reste le plus important : le chômage structurel, celui lié à la mutation du capitalisme que nous traversons. Seules des réformes profondes prenant en compte la révolution industrielle que nous vivons, sont à même d’apporter une réponse appropriée à cette question.
Une des pistes les plus importantes est la réduction du temps de travail. Aujourd’hui, la machine permet en effet des gains de productivité considérables : on produit toujours plus avec de moins en moins d’hommes. Nous voulons donc mieux répartir le travail, non pour moins travailler globalement, comme le prétend la droite, mais pour travailler plus.
Travailler plus, mais tous ensemble. Passer de 39 à 35 heures hebdomadaires de travail progressivement, de façon négociée, branche par branche, afin de tenir compte des particularités de chaque secteur d’activité : voilà la perspective que nous offrons aux Français.
La même vision volontariste nous anime pour ce qui concerne les jeunes. Nous refusons de les abandonner sur le bord de la route. Créer 700 000 emplois en deux ans pour eux c’est possible. En simplifiant les aides à l’emploi existant actuellement – qui sont peu efficaces, mais coûtent 75 milliards de francs au budget de l’État –, nous pourrons financer la moitié d’entre eux, soit 350 000 emplois dans le secteur associatif et dans les collectivités locales.
Il s’agira des vrais emplois avec un vrai salaire, mais en aucun cas de créations de postes de fonctionnaires, comme la droite l’assène. Les entreprises, quant à elles, seront incitées financièrement à embaucher les 350 000 emplois restant. L’effort sera donc partagé. Vous le voyez, la résignation n’est pas de mise de notre côté.
Nouvelle République du Centre-Ouest : La sécurité pose problème en ce qui concerne la petite et moyenne délinquance. Que proposez-vous, alors que l’encadrement prévu des dépenses publiques ne saurait autoriser d’accroître significativement les effectifs de la police ?
Lionel Jospin : La sécurité est un des droits fondamentaux de la personne. Or, jamais l’insécurité n’a été aussi grande dans notre pays. Comble de l’injustice : ce sont les plus démunis de nos concitoyens qui en souffrent le plus. Le droit signe là un de ses échecs les plus flagrants, elle qui a toujours fait de la surenchère électoraliste à ce sujet.
De cette question essentielle pour la vie des Français, nous avons fait l’un de nos engagements prioritaires. Nous voulons une police de proximité, renforcée en moyens humains.
Par redéploiement, nous affecterons 10 000 fonctionnaires de police aujourd’hui absorbés par d’autre tâches (renseignement généraux, tâches administratives…) à cette mission prioritaire. À ceci s’ajoutera le recrutement de 35 000 agents, dans le cadre des emplois de proximité, notamment pour les jeunes.
Au total, 50 000 agents supplémentaires viendront assurer la sécurité des Français, au plus près de chez eux, où qu’ils vivent en France.