Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, dans "Le Monde" le 5 février 1999, sur sa candidature à la direction de la liste socialiste aux élections européennes et sur la stratégie électorale du PS.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Le Monde : Quelle décision avez-vous prise pour les élections européennes ? »

François Hollande : J’ai décidé d’être candidat à la candidature pour la conduite de la liste socialiste aux élections européennes. Les adhérents du PS auront à en délibérer, ainsi que de l’ensemble de cette liste, le 31 mars.

Le Monde : Vous avez donné le sentiment que vous n’aviez pas envie d’y aller…

François Hollande : J’ai longtemps considéré qu’il n’y avait pas d’automaticité à ce que le premier secrétaire soit nécessairement candidat aux élections européennes. D’autant que le Parti socialiste avait vivement souhaité que le mode de scrutin européen fût changé, afin d’en finir avec la proportionnelle intégrale à l’échelle nationale et d’asseoir davantage les députés européens sur le territoire. La droite, comme nos partenaires, ne l’ont pas voulu, et nous en revenons à un système qui conduit aujourd’hui les principaux chefs de parti à s’engager personnellement dans la campagne.
Mais ce qui a été déterminant dans ma décision, que j’ai pris ces derniers jours, c’est la nécessité, dans un contexte où les socialistes ont une influence grandissante en Europe et où ils gouvernent en France avec la gauche plurielle, de mobiliser tous nos militants et tous nos électeurs afin de bien marquer l’importance de l’enjeu : donner un nouveau cours à la construction européenne, qui exige, parallèlement à la mise en place de l’euro, de donner priorité à la croissance, à l’emploi et au renforcement de l’Europe politique.
Je sais aussi que la droite veut faire de ce rendez-vous électoral une confrontation de politique intérieure et, même si elle s’y prend mal pour le moment, il faut relever ce défi. Enfin, il y a un objectif essentiel pour les socialistes européens, c’est de former le groupe le plus important au Parlement européen, afin d’appuyer les efforts des gouvernements progressistes pour un nouveau cours de la construction européenne et pour favoriser le choix d’un président de gauche ou de centre-gauche pour la Commission européenne.

Le Monde : Vous avez été fortement encouragé par Lionel Jospin…

François Hollande : Il avait exprimé dans vos colonnes, début janvier, le principe d’une cohérence politique qui l’avait amené lui-même, en 1984, à être tête de liste. Mais il m’a toujours laissé libre de ma décision et il aurait respecté mon choix quel qu’il fût.

Le Monde : N’y avait-il pas un autre candidat en la personne de Jack Lang ?

François Hollande : Jack Lang avait toutes les qualités pour être notre tête de liste, même s’il n’avait jamais rien sollicité. J’avais moi-même évoqué cette hypothèse avec lui. J’ai finalement considéré que, dans l’état actuel des choses, ma candidature obéissait à une logique politique.

Le Monde : Irez-vous siéger à Strasbourg ?

François Hollande : Oui. Je suis candidat pour siéger et travailler pour que nos idées et nos propositions, contenues dans le manifeste du Parti des socialistes européens, qui sera adopté au congrès de Milan, les 1er et 2 mars, puissent être traduites dans les faits, et pour que les socialistes français fassent bien entendre leur voix au sein du groupe du PSE.

Le Monde : Allez-vous abandonner votre mandat de député ?

François Hollande : La législation actuelle ne me contraint pas à abandonner mon siège de député de Corrèze, mais celui de vice-président du conseil régional du Limousin. Il va de soi que je me mettrai en conformité avec la prochaine loi sur la limitation du cumul dès qu’elle sera applicable.

Le Monde : Le score de votre liste, n’est-il pas menacé par l’émiettement propre à ce scrutin ?

François Hollande : Ce risque est dans le mode de scrutin lui-même, qui aboutira à ce qu’il y ait, sans doute, une vingtaine de listes. Ce n’est bon ni pour l’Europe, ni pour la démocratie. Il faudra donc faire campagne sur la participation et sur la nécessité d’un vote utile en faveur de notre liste. Nous serons les seuls à proposer des engagements européens que nous serons capables de traduire dans les faits, parce que onze gouvernements sur quinze sont dirigés par des socialistes et des sociaux-démocrates et que le groupe socialiste européen sera la principale force à Strasbourg. Beaucoup parleront de l’Europe, mais nous serons quasiment les seuls à pouvoir la faire et, surtout, à en réorienter la marche.

Le Monde : Votre campagne sera-t-elle plus « européenne » que franco-française ?

François Hollande : Pour la première fois depuis 1979, nous allons faire une campagne commune avec les socialistes européens, à travers le manifeste et un grand nombre de réunions publiques que nous tiendrons ensemble. Nous allons insister sur les aspects concrets de l’Europe en termes d’aménagement du territoire, de grands travaux, de soutien à la croissance, bref, tout ce qui permet aux Européens d’être plus puissants et mieux protéger ensemble qu’ils ne le seraient séparément. Nous n’oublierons pas la réalité française, car nos concitoyens doivent comprendre que l’Europe n’est pas simplement une ambition pour notre continent, mais un atout pour notre propre nation.

« Le scrutin européen ne doit pas altérer l’esprit de la majorité plurielle »

Le Monde : La posture de Daniel Cohn-Bendit fait-elle courir un risque à la cohésion de majorité ?

François Hollande : Au sein de la gauche plurielle, au moins deux de nos partenaires ont fait leur propre liste. Cette démarche est légitime. Nos conceptions de l’Europe sont différentes, mais la campagne permettra d’en débattre, pour demain, je l’espère, les faire converger. Il n’y a donc pas de place pour la polémique, les surenchères ou les leçons de morale. N’oublions jamais que nous gouvernons ensemble et que nous avons vocation à le faire dans la durée ! Le scrutin européen divise assez l’opposition pour ne pas altérer l’esprit de la majorité plurielle.

Le Monde : Votre attachement à une « fédération d’États-nations », n’est-il pas incompatible avec la présence du MDC sur votre liste ?

François Hollande : Nous souhaitons que le PRG comme le MDC puissent faire campagne sur la même liste que nous, mais sur les bases d’un accord politique. La fédération d’États-nations est une perspective. Nous pouvons d’autant moins y renoncer que la reconnaissance du fédéralisme, que contient nécessairement l’Union européenne, ne peut se faire contre les nations.