Texte intégral
Source : France 2
Date : lundi 2 juin 1997
D. Bilalian : Le gouvernement c’est pour quand ?
F. Hollande : Ce n’est pas moi qui le forme, donc ce sera mercredi ou jeudi. On a dit au milieu de la semaine, ce sera respecté ?
D. Bilalian : Pas de majorité absolue, donc obligation d’avoir des partenaires. Est-ce que chacun va pouvoir poser des conditions ? Et dans quelles conditions va pouvoir se former le gouvernement ?
F. Hollande : D’abord, nous avons, nous socialistes et nos alliés proches, la majorité relative. Donc nous pourrions très bien considérer que nous n’aurions pas à ouvrir le gouvernement à d’autres sensibilités. Ce n’est pas du tout notre point de vue. Nous pensons que ceux qui ont obtenus cette victoire de la gauche dans son ensemble doivent figurer dans le prochain gouvernement. Donc la proposition est faite à la fois aux Verts, aux communistes, au Mouvement des citoyens, aux radicaux. Et cette proposition est fondée sur les accords que nous avons signés avec ces formations politiques. Il n’y a pas de conditions nouvelles à poser, c’est contenu dans nos accords.
D. Bilalian : Ça veut dire tout de même qu’il n’y aura pas de condition à poser de la part du PC ou des Verts ?
F. Hollande : Pas de conditions nouvelles en tout cas puisqu’on s’était déjà mis d’accord au premier tour avec les Verts, et même avant le premier tour avec le PC, et bien sûr avec les radicaux socialistes, puisqu’on présentait des candidats communs. Donc, il n’y a pas de raison d’imaginer d’autres conditions qui viendraient s’ajouter.
D. Bilalian : Doit-on s’attendre à des choses surprenantes, on parle d’un certain nombre de femmes, d’un cabinet restreint ?
F. Hollande : Oui, ça je crois qu’il y aura une vraie rupture à la fois dans le nombre, mais c’est souvent proclamé avant toute composition de gouvernement et abandonné en chemin. Vous verrez que là ce sera sans doute davantage tenu. Vous avez eu raison d’insister sur la féminisation et aussi sur l’abandon de tout cumul des mandats c’est-à-dire que les ministres qui seront désignés seront des ministres à plein temps. Ça nous changera peut-être des gouvernements précédents, d’ailleurs toutes sensibilités confondues. On ne pourra pas cumuler par exemple une fonction ministérielle avec une fonction d’exécutif local, départemental ou régional.
D. Bilalian : Par exemple on ne peut pas imaginer que C. Trautmann soit ministre ?
F. Hollande : Elle peut l’être, mais à ce moment-là, elle abandonnerait, le temps de son action ministérielle, sa mairie de Strasbourg.
D. Bilalian : Il y avait la version idyllique de la cohabitation pendant la campagne, mais il y a tout de même des rendez-vous sociaux et européens difficiles et sur lesquels vous n'êtes pas en accord avec le Président.
F. Hollande : Oui mais il y a une Constitution, il faut l’appliquer. Le Président de la République en an tenu compte puisqu’il a nommé L. Jospin Premier ministre très vite. Et donc, c’est au gouvernement de conduire et de déterminer la politique de la nation, au Président de la République de jouer aussi son rôle. Je crois qu’on a tout avantage, je pense notamment aux Français, d’avoir une Constitution bien appliquée. Nous faisons confiance et aux uns et aux autres pour comprendre l’enjeu qui est de respecter la parole de la France, puisqu’en l’occurrence on sera dans les discussions internationales, mais aussi de respecter nos engagements par rapport aux Français. Ils ont voté pour l’application d’une politique. C’est cette politique qu’il faut maintenant mener.
D. Bilalian : Que pensez-vous de ce qu’ont dit L. Viannet et N. Notat (sur France 2, ndlr) ?
F. Hollande : Sur ce qu’a dit M. Viannet notamment sur l’arrêt des plans sociaux, j’ai été très choqué de l’annonce du plan de Peugeot le lendemain des élections, et avant même la constitution d’un nouveau gouvernement, comme si c’était un fait qu’on avait voulu cacher pendant la campagne électorale et qu’on voulait accomplir maintenant. Sur l’arrêt des privatisations, je crois qu’il a raison, et donc, on amis cet objectif en avant, durant la campagne, et il sera tenu. Sur ce que disait Mme Notat, je crois qu’il y a le souci d’avoir un dialogue avec le gouvernement, et je crois qu’il faut que L. Jospin et son gouvernement maintiennent, ou plus exactement, ouvrent les conditions d’un vrai dialogue. Et notamment cette Conférence sur les salaires, la réduction du temps de l’emploi, sera l’occasion de réunir tous les partenaires sociaux autour de ces objectifs.
Date : mardi 3 juin 1997
Source : France 2
G. Leclerc : Le Gouvernement pourrait être composé quand ?
F. Hollande : On dit au milieu de la semaine, peut-être mercredi ou jeudi. Il n’y a pas une urgence absolue mais en même temps, il faut faire vite parce que les problèmes sont là.
G. Leclerc : Avec des surprises ?
F. Hollande : Oui mais ce n’est pas l’objet. Ce qu’il faut, c’est constituer un Gouvernement qui puisse travailler, à la fois en cohérence et en même temps par rapport aux engagements qui ont été pris devant les Français et que les Français ont approuvés.
G. Leclerc : On dit que J. Delors n’en serait pas ?
F. Hollande : je ne sais pas. Ce n’est pas moi qui…
G. Leclerc : Vous êtes proche de Delors, il ne vous a pas fait de confidences ?
F. Hollande : Personne ne fait de confidences et je crois que c’est bien comme ça.
G. Leclerc : Hier, vous avez dit que vous refuseriez que vos partenaires vous posent des conditions or le PC réclame des signes, des réponses concrètes. Vous leur adressez une fin de non-recevoir ?
F. Hollande : Non. Nous avons signé un accord avec le PC avant le premier tour des élections. Il y a un certain nombre d’engagements notamment pour la revalorisation des bas salaires, pour la baisse de la TVA, pour essayer de lancer un grand programme pour les jeunes, pour les 35 heures. Donc, c’est sur ces bases-là qu’il faut, à notre avis, venir au Gouvernement pour construire la société que nous avons proposée à tous les Français. Alors, il n’y a pas à poser de nouvelles conditions ou il n’y a pas à donner un calendrier ou un rythme. C’est quand on est dans un Gouvernement qu’on arrive à peut-être peser davantage sur la réalité que lorsqu’on est à l’extérieur d’un gouvernement. Donc, c’est pour ça que nous avons dit : tous ceux qui ont contribué à ce succès, qui est celui de l’ensemble de la gauche mais qui doit servir au pays, doivent venir absolument dans ce gouvernement. Ils ont leur place, en tout cas.
G. Leclerc : On parle d’une rencontre L. Jospin-R. Hue aujourd’hui ?
F. Hollande : Oui, c’est de l’ordre du possible mais je crois qu’il y a énormément de façons de se parler sans forcément se rencontrer.
G. Leclerc : En ce qui vous concerne, on dit que vous garderiez la maison du PS et que vous n’entreriez pas au Gouvernement.
F. Hollande : Cela fait partie des hypothèses. Ce que je crois, c’est qu’il faut absolument qu’il y ait un PS qui soit fort dans cette période. Nous avons besoin d’un parti qui soutienne bien sûr le Gouvernement mais aussi qui rappelle à chaque fois qu’il y a eu des engagements qui ont été pris pour les Français et puis enfin, un parti qui s’ouvre vers l’extérieur. On a besoin de citoyens mobilisés et engagés.
G. Leclerc : Vous seriez prêt à tenir ce rôle, justement ?
F. Hollande : Pour celui ou celle qui se mettrait dans cette responsabilité, je crois que ce serait effectivement un bel objectif. Mais personne aujourd’hui ne peut savoir qui va où.
G. Leclerc : La présidence de l’Assemblée nationale : S. Royal se verrait bien au perchoir ?
F. Hollande : Qu’une femme soit présidente de l’Assemblée nationale serait sans doute un bon signe. Mais là encore, c’est au groupe parlementaire de fixer sa ligne, c’est-à-dire de choisir celui ou celle qui doit représenter toute l’Assemblée nationale.
G. Leclerc : Quelles sont les mesures prioritaires que devrait prendre le prochain Gouvernement ? L’augmentation du Smic ?
F. Hollande : Cela fait partie en tout cas des rendez-vous puisque vous savez que le 1er juillet, il y a nécessairement un regard sur le Smic et nous avons dit : il y aura un coup de pouce au Smic. Alors, le niveau, l’importance, l’ampleur, on en discutera au Gouvernement et surtout avec les partenaires sociaux. Je crois que c’est ça qui doit, à notre avis, conduire à une bonne prise en compte de l’ensemble des problèmes. Vous savez qu’on a souhaité qu’il y ait une conférence sur les salaires, sur la réduction du temps de travail, sur l’emploi des jeunes de façon à ce qu’on dise qu’elles doivent être les priorités dans les prochains mois. Et donc, il y aura de toute façon des décisions en matière de bas salaires à travers cette augmentation du smic.
G. Leclerc : Et la conférence nationale sur les salaires se tiendrait avant l’été ?
F. Hollande : Ce serait sans doute avant l’été. C’est au Gouvernement d’en fixer le calendrier mais je crois que ça doit intervenir le plus vite possible et en concertation avec l’ensemble des acteurs sociaux. Nous voulons remettre du dialogue social, donc ça doit être fait assez rapidement.
G. Leclerc : Le lancement des 700 000 emplois pour les jeunes ?
F. Hollande : Cela serait dans le cadre de la révision du budget pour 1997. Il faudrait ouvrir tout de suite les premiers crédits budgétaires de façon à ce que cette procédure puisse engager tout de suite des jeunes.
G. Leclerc : N. Notat hier a souhaité que le plan Juppé soit poursuivi.
F. Hollande : Nous avons toujours été favorables à la maîtrise des dépenses de santé, mais pas n’importe comment et pas sous une forme purement comptable, ce qu’était le plan Juppé. Donc, si N. Notat, et je crois que c’est cela qu’elle visait, souhaite qu’il y ait toujours un effort qui soit mené en matière de contrôle de la dépense mais sur une base médicalisée, nous y sommes favorables. Mais elle a ajouté et je crois qu’elle a raison, qu’il faut aussi changer le mode de financement de la sécurité sociale. Il n’est pas normal que ce soit sur les seuls salaires que soient prélevées les cotisations de nature à financer la sécurité sociale. Donc il faut aussi changer cela, aussi bien pour les ménages que pour les entreprises. Il n’est pas normal que les entreprises soient taxées chaque fois qu’elles embauchent ou chaque fois qu’elles augmentent leurs salaires.
G. Leclerc : L’actualité économique ce matin, c’est aussi la chute des ventes de voitures en France, faut-il imaginer des mesures, la « jospinette » ?
F. Hollande : On ne peut pas dire que les mesures de ce type, “jupette”, ont été particulièrement efficaces, en tout cas, elles n’ont pas profité à leurs auteurs, c’est le moins qu’on puisse dire. Donc, il faut mieux se garder de tels mécanismes. Ce que nous disons, c’est qu’il est anormal qu’il y ait eu un plan pour Peugeot qui ait été annoncé lundi alors qu’on pouvait le savoir depuis très longtemps. Et je suppose que la campagne électorale explique ce report. Et il n’est pas normal non plus que nous n’ayons pas été prévenus de ce plan puisque le Gouvernement n’es pas constitué. Donc, nous n’allons pas laisser les entreprises automobiles comme cela, supprimer un certain nombre d’effectifs sans en référer aux pouvoirs publics. Deuxièmement, je crois qu’il y a un vrai problème dans l’industrie automobile, c’est pour ça qu’il faut relancer la consommation et notamment ce que nous avons dit par rapport aux salaires, à la TVA.
G. Leclerc : Et rapidement, tout cela, y compris la TVA ?
F. Hollande : Je crois que cela devra figurer au moins en collectif budgétaire pour une mesure et peut-être dès le prochain budget pour 1998.
G. Leclerc : Si l’on en croit deux sondages qui paraissent ce matin, le vote de dimanche serait plus un vote sanction contre l’ancienne majorité et les électeurs témoigneraient également d’une méfiance à l’égard de la gauche. Qu’est-ce que ça vous inspire ? Est-ce que cette cohabitation de cinq ans ne vous fait pas peur ?
F. Hollande : Je crois que nos concitoyens ont raison d’être méfiants et d’être sceptiques. Il y a eu tellement de promesses ces dernières années, tellement de déceptions que le moins qu’on puisse dire et le moins qu’on puisse faire, c’est juger sur pièce et sur acte et pas sur parole. Donc, nous allons engager sur cinq ans, parce que c’est la législature qui le veut, un certain nombre de réformes importantes et nous demanderons aux Français non seulement d’être passifs et de regarder le spectacle gouvernemental mais d’être aussi acteurs de leur propre changement. En tout cas, nous ferons des choses qui permettront à mon avis aux Français de reprendre confiance dans la politique.
France Inter – 5 juin 1997
J. Dorville : Ça y est, les choses sérieuses commencent ce matin avec le premier conseil des ministres du gouvernement Jospin. Ce Gouvernement, vous n’en faites pas partie, puisque L. Jospin a préféré vous confier les clés de la maison socialiste. Néanmoins, est-ce que ce Gouvernement est celui de vos rêves ?
F. Hollande : En tout cas, c’est celui qui correspond à la parole qu’avait donnée L. Jospin pendant la campagne électorale. Il a dit qu’il voulait un gouvernement resserré : il l’est, d’ailleurs quelquefois au détriment de certains qui auraient voulu y rentrer. Seize personnes, cela fait une équipe cohérente, soudée, et c’est ce qu’il fallait. Il avait dit qu’il voulait un gouvernement féminisé, encore qu’on puisse ne pas aimer cette expression où en tout cas les femmes jouent un rôle important : M. Aubry est numéro deux du Gouvernement ; les femmes disposent de responsabilités très importantes dans le Gouvernement. Il avait dit qu’il voulait un gouvernement pluraliste, c’est-à-dire où il n’y ait pas le seul Parti socialiste. Il n’a pas été le seul à gagner les élections, donc il faut que ceux qui ont contribué à cette victoire de la gauche soient représentés. C’est le cas : il y a des ministres écologistes, des ministres communistes, des ministres radicaux, des ministres issus du Mouvement des citoyens. Bref, c’était un signe qu’il fallait renvoyer à l’opinion publique. Nous tenons nos engagements.
J. Dorville : La journée a paru longue, hier. Y a-t-il eu des problèmes, des anicroches entre L. Jospin et J. Chirac sur l’attribution des ministères que l’on dit régaliens ?
F. Hollande : À ma connaissance – vous savez que le Parti socialiste n’a pas participé à la composition du Gouvernement – il n’y a eu aucun problème. Ce Gouvernement a été fait dans un délai très court. Je vous rappelle que L. Jospin a été nommé avant-hier à 11 heures, que le Gouvernement a été constitué hier dans l’après-midi. Donc, aucun temps n’a été perdu ; aucun conflit de quelque nature que ce soit n’a été enregistré à l’Élysée.
J. Dorville : C’est un Gouvernement qui porte la marque de L. Jospin avec une pléiade de fidèles. En revanche, il écarte les anciens éléphants du PS, qui fait très peu de place aux fabiusiens et pas de place du tout à l’aile gauche du Parti socialiste. Il va falloir gérer les grognements de certains, non ?
F. Hollande : Dans un gouvernement, il y a des heureux – encore qu’on ne sache pas si ce sont ceux qui sont dedans ou dehors ! – qui sont plutôt dedans. Ceux qui n’y sont pas pensent généralement qu’ils auraient eu normalement leur place. C’est la vie. À seize, voire à peine trente, il y a nécessairement ce type de choix qui peut être quelquefois injuste aux yeux de beaucoup. Mais nous voulons renouveler. Là encore, Jospin l’avait dit, il l’a fait. Nous voulions aussi qu’il n’y ait pas de choix de ministres en fonction de courants ou de sensibilités : on prend ceux qui correspondent le mieux à la tâche qui leur est confiée. On ne regarde pas s’ils appartiennent à tel ou tel courant de pensée du Parti socialiste, ce n’est pas l’essentiel.
J. Dorville : Trois ministres communistes pour un ministre vert : n’est-ce pas un peu déséquilibré ?
F. Hollande : Cela représente aussi ce qu’est l’Assemblée nationale : il y a 37 députés communistes et 7 Verts. C’est aussi le reflet de ce qu’est la majorité parlementaire. Maintenant, le ministère qui a été confié à D. Voynet n’est pas celui que l’on donne généralement à l’écologiste du Gouvernement : c’est un grand ministère de l’environnement et de l’aménagement du territoire. Les Verts tenaient à cette appellation, qui ne sera d’ailleurs pas seulement une appellation, mais qui correspondra véritablement à des compétences élargies.
J. Dorville : Le PS sera-t-il parti godillot ou un parti aiguillon ?
F. Hollande : Notre rôle n’est pas de nous taire ou de parler à tort ou à travers, ce qui est toujours un risque lorsqu’on est dans la majorité : soit on se tait parce qu’on considère qu’on ne peut pas faire de bruit, donc pas de gêne, soit on parle excessivement, au risque de gêner ceux qui gouvernent. Donc, on essaiera de jouer notre rôle. Quel est-il ? C’est à la fois de mobiliser tous ceux, qui nous ont suivi dans cette campagne électorale : ils n’étaient pas tous socialistes, loin de là. Il faut donc les accueillir au sein du Parti socialiste. Ils y ont leur place. Moi, je m’efforcerai en tout cas de poursuivre le travail de rénovation de L. Jospin et d’accueillir, d’ouvrir et de donner des responsabilités à toutes les générations du Parti socialiste.
J. Dorville : D’ouvrir à qui précisément ?
F. Hollande : Précisément, à ceux qui ne sont pas socialistes qui, longtemps n’ont pas cru qu’il fallait un parti : qui pensent quelquefois que les partis ne sont utiles que pendant les campagnes électorales alors qu’à nos yeux, les partis politiques de toute nature sont utiles après les campagnes électorales pour qu’il y ait un dialogue entre ceux qui gouvernent et ceux qui, à un moment, ont fait le choix de les soutenir. Deuxièmement : je crois qu’il faut que le Parti socialiste, bien sûr, soutienne le Gouvernement, mobilise également ceux qui veulent que ça marche, que ça réussisse. Enfin, il faut que ce parti dialogue avec franchise avec le Gouvernement, c’est-à-dire dise qu’il y a peut-être des rythmes à accélérer, des réformes à faire, des propositions à reprendre. Donc, ce sera un Parti socialiste citoyen.
J. Dorville : Vous avez donc un équilibre difficile à trouver entre le fait d’être le relais de l’opinion auprès du Gouvernement et le relais du Gouvernement auprès de l’opinion.
F. Hollande : Oui, mais lorsqu’un gouvernement – on l’a bien vu dans la période récente – ne dialogue plus avec l’opinion publique, n’a plus d’interlocuteur, n’a plus d’intermédiaire, il finit dans l’autisme. Il finit généralement tout seul.
J. Dorville : Alors le Gouvernement va se mettre au travail très rapidement. Les chantiers sont innombrables, essentiellement des chantiers économiques et sociaux et les marges de manœuvre financière, on le sait, sont très limitées. Qu’est-ce qui va l’emporter, les promesses ou le réalisme ?
F. Hollande : Eh bien le réalisme dans l’application des promesses. C’est-à-dire qu’on ne fait pas des promesses simplement pour gagner des élections. Ça peut se faire, je crois que cela s’est fait d’ailleurs, ça peut marcher une fois, par deux fois. On l’a constaté lors des dernières élections, donc il faut appliquer les promesses, les engagements que l’on a adressés au pays. Et le rôle, par exemple, du Parti socialiste est de rappeler un certain nombre d’engagements qui ont été pris et de voir – c’est ce que souvent L. Jospin évoque – qu’il y a un calendrier, qu’on ne pas faire tout, tout de suite, qu’on est pas là pour quarante jours – comme disait un ancien Premier ministre – on est là pour une durée de législature et donc il faut organiser le travail gouvernemental à travers l’application de nos promesses tout au long de la période de vie de ce Gouvernement.
J. Dorville : Mais un exemple concret : aujourd’hui ce devrait être l’ouverture au privé du capital de France Télécom. Tous les pays d’Europe ont ouvert le capital des Télécoms. Que doit faire le gouvernement français ? Qu’est-ce que vous suggérez ?
F. Hollande : Nous l’avons dit dans la campagne : nous souhaitons qu’il y ait une entreprise française de télécommunications qui reste publique. France Télécom est une entreprise qui marche bien. Elle réussit trois performances : elle répond aux besoins des usagers – on est même en avance technologiquement – ; deuxièmement, elle répond en fonction des principes de service public ; troisièmement elle fait des bénéfices. Alors pourquoi casserait-on cet outil qui fonctionne ? Il n’y a pas de raisons de faire des réformes qui, quelquefois, affaiblissent les entreprises plutôt qu’elles les renforcent. Mais on est dans un environnement concurrentiel et donc on doit s’adapter l’entreprise sans briser ce qui fait sa force. C’est-à-dire le principe même du service public.
J. Dorville : On a tous relevé le silence de J. Chirac depuis dimanche soir. Est-ce que vous attendez un signe ou un message présidentiel ?
F. Hollande : Ce n’est pas moi le mieux placé pour souhaiter que J. Chirac s’exprime ou ne s’exprime pas.
J. Dorville : En tant que citoyen ?
F. Hollande : Le Président de la République est libre de sa parole comme tout citoyen et il a de multiples occasions de trouver les formes de communication. Il a même des conseillers pour cela.
Date : jeudi 5 juin 1997
Source : La Montagne
La Montagne : Votre nomination à la place de premier secrétaire est une preuve de confiance. Comment allez-vous assurer cet intérim, en parti gouvernemental ?
F. Hollande : Il faut être responsables, soutenir l’action du gouvernement, et ça suppose d’avoir un parti vivant, dynamique qui mobilise et non un parti frileux qui se cache derrière le gouvernement. Il faut continuer le travail de rénovation et d’ouverture de Lionel Jospin, fondé sur l’intégrité et le respect des engagements. Et dépasser les différences de courants qui nuisent à la cohérence comme c’est le cas à droite. Le congrès aura lieu en décembre ; si j’ai pu répondre aux attentes et mobiliser et continuer la rénovation, et si les militants le souhaitent, je serais le premier secrétaire. C’est un intérim pour réussir et une marque de confiance pour le succès collectif.
La Montagne : Quelles incidences va avoir votre nouveau rôle sur vos mandats de député et de conseiller municipal de Tulle ?
F. Hollande : Je suis d’abord député de la Corrèze. J’ai pensé qu’être premier secrétaire par délégation était le meilleur service à rendre à la circonscription, pour parler haut et fort et faire avancer nos dossiers corréziens. Je serai même plus disponible qu’avec des obligations ministérielles. Je serai à Tulle dès vendredi, et avec René Teulade nous renforcerons notre implantation en Corrèze. S’il n’y avait pas eu cette circonscription il n’y aurait pas eu tel ou tel destin. C’est pour cela que Jospin souhaitait que je sois élu, et qu’il est venu en Corrèze (1).
La Montagne : Avec Ségolène Royal, vous êtes un « couple » de députés inédit dans la Ve République. Comment se vit à deux, cette ascension vers le pouvoir ?
F. Hollande : C’est un privilège d’être lié à une personne qui fait, à son niveau et avec son talent personnel, la même vocation que vous. Ça aide à faire comprendre les contraintes de chacun, ce n’est pas une gêne : l’un ne fait pas de l’ombre à l’autre, au contraire. C’est une heureuse complémentarité. Rien n’interdisait que Jacques Delors et Martine Aubry fusent au gouvernement, comme nous aurions pu y être tous les deux.
(1) Avant le premier tour.
Date : jeudi 17 juin 1997
Source : RTL
RTL : En ce début de législature, quel rôle doit jouer le PS ? J.-M. Ayrault, le président du groupe à l’Assemblée affirmait hier : ni godillot, ni contre-pouvoir. Cela ne laisse pas une très grande marge ?
F. Hollande : Non, mais le Gouvernement non plus n’a pas une très grande marge. Le contexte est à la fois favorable – sortant d’une élection victorieuse – et en même temps le contexte, on le voit bien, est difficile. Difficile au plan européen avec des négociations extrêmement ambitieuses qui ont été engagées par L. Jospin. Je crois qu’il a déjà obtenu des concessions importantes ; contexte aussi difficile parce que nous sommes en cohabitation ; contexte difficile parce que les attentes sont nombreuses. Donc le rôle d’un parti comme le Parti socialiste, c’est à la fois de soutenir ce Gouvernement, qui est d’ailleurs, lui-même, pluraliste, c’est un gouvernement de toute la gauche et, en même temps, de rappeler les engagements qui ont été pris devant les Français et puis, enfin, d’ouvrir très largement ses portes pour que beaucoup de Français viennent dialoguer avec lui, discuter de façon à ce qu’on puisse aussi faire des propositions à ce Gouvernement.
RTL : Premier secrétaire délégué du Parti socialiste, si je vous dis : les jospinistes et les rocardiens au Gouvernement, les fabiusiens à l’Assemblée aux postes clés, c’est le partage ?
F. Hollande : Ce sont peut-être des distinctions anciennes, qui n’ont plus lieu d’être mais c’est vrai qu’il y a eu le souci, de la part de L. Jospin, d’avoir un Gouvernement resserré. À partir de là il y avait des personnalités qui ne se retrouvaient pas, c’est bien normal, au Gouvernement – des personnalités éminentes comme J. Lang, P. Quilès ou d’autres – et c’est tout à fait normal que les socialistes aient placé ces personnes-là à des postes de responsabilités à l’Assemblée nationale. Nous aurons besoin de tout de monde dans cette phase à la fois gouvernementale et parlementaire.
RTL : Selon un sondage Louis Harris pour Valeurs actuelles, qui paraîtra samedi, les Français sont partagés : 43 % jugent positivement l’action du nouveau Premier ministre et 41 % ne se prononcent pas.
F. Hollande : Oui, je pense que c’est ça qui est intéressant. C’est-à-dire qu’il y a beaucoup de Français qui, aujourd’hui, veulent voir ce qui va se passer ; qui veulent juger les actes, pas les paroles ; qui veulent enfin qu’on tienne des engagements et qui ne se prononcent pas tant que, justement, le Gouvernement n’a pas donné les preuves de sa bonne volonté et je crois qu’il est en train de les donner. Il les donne sur la négociation européenne – elle est engagée et elle est engagée pour l’emploi – il les donne aussi en matière de discussions salariales – vous aller voir ce qui va se passer pour le Smic – ; et le Gouvernement est aussi engagé dans les remises en cause de plan sociaux – on a cité Vilvorde, on pourra parler de Peugeot – parce qu’il est important qu’on donne également confiance au pays, qu’on montre que les plans sociaux, que ces plans de licenciement qui se succèdent les uns aux autres ne pourront pas être effectués comme il est prévu.
RTL : Le Gouvernement va faire quelque chose concernant Peugeot ?
F. Hollande : Il va regarder ce qu’il y a lieu de faire sur ce plan. Ce n’est quand même pas très convenable de la part de la direction de Peugeot d’avoir attendu la fin des élections, et avant même que le gouvernement de L. Jospin ne soit constitué pour annoncer des suppressions d’emplois, donc il faudra regarder cela. Renault…
RTL : … C’est une entreprise privée quand même !
F. Hollande : Oui, mais vous savez qu’il y a des préretraites, on demande le soutien de l’État, on demande à ce que ces préretraites soient financées. Je crois qu’il est tout à fait normal que la puissance publique dise : attention ! Quand c’est nous qui payons, nous voulons aussi regarder ce que sont ces plans.
RTL : Va-t-il y avoir un coup de pouce important sur le Smic ? L. Viannet parlait de 8 % voire 10 % au 1er juillet.
F. Hollande : Ce qui compte c’est que ce ne soit pas un feu de paille, c’est-à-dire qu’on n’augmente pas le Smic au mois de juillet prochaine et puis après plus rien. Vous vous souvenez que lorsque J. Chirac a été élu Président de la République, on a augmenté le Smic de 4 %, on a augmenté les impôts presque d’autant et après il n’y a eu aucune augmentation du Smic les deux années qui ont suivi. Eh bien nous, nous n’avons pas cette conception-là. Nous allons augmenter le Smic au mois de juillet…
RTL : … De combien ?
F. Hollande : Ça c’est au Gouvernement d’en décider mais je crois qu’il y aura un rattrapage et un coup de pouce. Et puis ensuite, il y aura, tout au long des mois qui vont venir, le souci de donner du pouvoir d’achat aux Français, pas d’un seul coup, mais tout au long des mois qui viennent. »
Q. Rattrapage et coup de pouce, ça fait combien en ordre de grandeur ?
F. Hollande : Ce n’est pas moi mais le Gouvernement qui fixe le Smic.
RTL : Le pacte de stabilité est avantageux pour la France disait, ici même, ce matin, V. Giscard d’Estaing.
F. Hollande : Oui, mais je fais observer que s’il n’y avait pas eu la victoire de la gauche, il y a maintenant quinze jours, il n’y aurait pas de remise en cause de ce pacte de stabilité. Aujourd’hui, tout le monde a l’air de s’en réjouir. Vous citez Giscard d’Estaing, même le Président de la République, J. Chirac, dit qu’il est très heureux que le gouvernement Jospin ait pris cette initiative, mais qu’est-ce qui se serait passé s’il n’y avait pas eu la victoire de la gauche ? On aurait avalisé purement et simplement un pacte de stabilité qui n’est rien d’autre qu’un plan de rigueur supplémentaire pour les Français. Heureusement qu’il y a eu cette alternance politique, qu’il y a eu la volonté du gouvernement Jospin de dire non, il faut mettre l’emploi au cœur de la négociation, il faut qu’il y ait un chapitre social qui s’ajoute aux seules directives budgétaires, et il faut enfin que l’on puisse mettre le social, l’Europe sociale, au cœur de la négociation.
RTL : Mais ce terme de l’emploi, ce sera autre chose que des bonnes paroles et des vœux pieux ou un texte de plus pour donner satisfaction à…
F. Hollande : Nous, ce que nous souhaitons, c’est qu’il y ait une coordination des politiques économiques et qu’on en laisse pas la Banque centrale européenne seule décider des choix les plus importants qui concernent tous les Européens. Vous voyez qu’on est à la fois dans la discussion sur le pacte de stabilité, mais en même temps on est déjà dans les institutions européennes futures. Ce sera l’objet du conseil dit d’Amsterdam, la semaine prochaine. Donc il faut absolument qu’il y ait une autorité politique, au plan européen, qui régule les choix économiques.
RTL : Et également dans la question des critères de Maastricht puisque l’OCDE disait que les déficits publics seraient de 3,2 % en 97 en France, en Allemagne et en Italie. Concernant le collectif budgétaire, comment, à la fois faire ce que vous souhaitez, c’est-à-dire une certaine forme de relance, et diminuer, donner un signal fort qu’on diminue le déficit ?
F. Hollande : Tout d’abord chacun sait que les critères ne seront tenus nulle part, pas plus en Allemagne qu’en France ou en Italie. Dans ces conditions, ce qui doit être considéré, c’est la tendance vers ces fameux 3 %, ce n’est pas le chiffre lui-même. Enfin rien n’interdit le gouvernement Français et je crois, qu’au contraire, il faut qu’il aille dans ce sens, de relancer l’économie parce que c’est la meilleure façon de réduire les déficits. Si on asphyxie l’économie on a moins de rentrées fiscales, on a moins de rentrées de cotisations sociales et, au bout du compte, on a plus de déficits. Donc la meilleure façon d’avoir une économie équilibrée au plan de ses finances publiques, c’est justement de redonner un peu de tonus à cette économie.