Déclaration de M. Alain Bocquet, président du groupe communiste de l'Assemblée nationale, à Seclin (Nord) le 29 juin 1997 et lettre le 30 à M. Lionel Jospin, Premier ministre, publiées dans "L'Humanité" les 30 juin et 1er juillet, sur la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde (Belgique), et interview à RTL le 4 juillet, sur "l'intervention citoyenne" et l'engagement du PCF au sein de la majorité gouvernementale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Confirmation le 29 juin 1997 par la direction de Renault de la décision de fermeture de l'usine de Vilvorde (Belgique)

Média : Emission L'Invité de RTL - L'Humanité - RTL

Texte intégral

Date : 30 juin 1997
Source : L’Humanité

Alain BOCQUET, président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, participait hier à Seclin à la fête du journal « Liberté ». À propos de Vilvorde, il a notamment déclaré : « Dès hier après-midi, l’émotion et l’amertume étaient grandes dans le monde du travail. Cette décision, après un simulacre du réexamen du dossier, est inacceptable. La casse d’une usine compétitive, qui fabrique 140 000 voitures par an, serait un immense gâchis économique et humain : le plan social annoncé n’est qu’un pis-aller.

Ce n’est pas en cédant aux exigences des marchés financiers – à l’annonce de la fermeture de l’usine de Vilvorde, l’action Renault a fait un bond de 13 % – que l’on engagera une politique de production automobile moderne et de créations d’emplois, que l’on donnera en France et en Europe la priorité au progrès social. D’Amsterdam à Vilvorde, du pacte de stabilité, véritable carcan pour la France, à cette annonce de la fermeture de l’usine Renault, c’est la même logique de l’ultralibéralisme et de la financiarisation de l’économie à tout crin qui domine. Pour la combattre, pour l’inverser efficacement, la pratique du « mi chèvre, mi chou » n’est plus de notre temps. Il faut faire résolument et fermement le choix des hommes et de l’emploi.

Les députés communistes ne peuvent accepter le pseudo-argument de la fatalité. Il y va de la crédibilité de la gauche d’assurer une véritable politique de changement. Cela suppose évidemment des mesures durables, et dans la durée. Ce qui implique nécessairement qu’il n’y ait aucune faiblesse face aux exigences de toutes les technostructures, à commencer par celles de la haute finance.

Nous, communistes, c’est parce que nous sommes obsédés par la réussite de la politique de la gauche que nous nous exprimons en toute franchise dans la plus totale transparence. Il faut avoir conscience qu’il faudra beaucoup d’acteurs pour concrétiser le changement. Les députés communistes ont demandé une commission d’enquête sur l’industrie automobile. Je demande au Premier ministre de prendre ce dossier en main pour que Vilvorde continue à vivre. »


Date : 1er juillet 1997
Source : L’Humanité

Le président du groupe communiste à l’Assemblée nationale, Alain Bocquet, a écrit hier au Premier ministre Lionel Jospin : « L’annonce de la décision de la direction de Renault de la fermeture de Vilvorde suscite émotion et amertume dans le monde du travail. Les Français ne se sont pas prononcés pour un tel choix. Vous avez rouvert ce dossier sur lequel la responsabilité de l’ancien gouvernement était directement engagée. Toutes les possibilités doivent être étudiées. Il est à mon avis trop tôt pour refermer le dossier de Vilvorde, surtout quand les méthodes proposées par la direction ont déjà révélé, dans le passé, leur inefficacité économique, aggravé le chômage et créé des drames humains. Il n’est pas possible de se contenter de l’avis d’un seul expert qui, de l’avis d’un seul expert qui, de surcroît, va dans le sens de la direction. Toutes les instances concernées doivent être saisies, en particulier le Parlement. Il faut s’entourer de tous les avis, notamment des organisations syndicales représentatives.

L’État est le principal actionnaire, il a un réel pouvoir de décision. Il n’est pas trop tard et la question est d’autant plus importante que de nouveaux licenciements économiques sont prévus par les directions dans l’industrie automobile. C’est la raison pour laquelle je vous demande, au nom des députés communistes, d’engager les concertations sur le maintien de l’activité de l’usine de Vilvorde, dans l’intérêt de l’emploi et de l’avenir du potentiel automobile français et européen. »


RTL : Vendredi 4 juillet 1997

O. Mazerolle: Est-ce que vous avez entendu, hier soir, et vu, un Premier ministre que vous avez envie de soutenir ?

A. Bocquet : « Écoutez, moi je suis dans la majorité du plain-pied et je soutiens la politique de la majorité, du Gouvernement, même si je ne partage pas toutes les décisions. C’est bien clair, c’est dans cet esprit que les communistes y sont pour construire en disant leur point de vue sur tel ou tel point qu’ils discutent. »

O. Mazerolle: Quand L. Jospin dit : ne me jugez pas comme des notaires, mesure par mesure à l’aune de mes propos électoraux, mais en vous demandant si ce que nous faisons est juste et bon pour le pays, vous êtes d’accord ?

A. Bocquet : « Je pense qu’il faut toujours juger une politique sur les actes. Les propos sont une chose et c’est à partir des actes qu’il faut vérifier si les engagements qui ont été annoncés sont appliqués, sont en mis en œuvre. Je crois que c’est, effectivement, dans les semaines et les mois qui viennent que nous pourrons apprécier le changement. »

O. Mazerolle: Vous êtes optimiste là-dessus ?

A. Bocquet : « Je suis un lutteur, un combattant et je suis donc un optimiste. Je suis dans cette majorité pour construire, pour me battre et je crois qu’il y a un aspect intéressant qui est apparu dans la déclaration du Premier ministre d’hier soir, c’est qu’il a fait appel à l’avis de l’opinion publique, c’est-à-dire qu’il a laissé un espace pour l’intervention citoyenne, c’est-à-dire que sur les questions qui restent en débat, sui ont été évoquées comme les problèmes du service public, les problèmes des privatisations, sur les problèmes relatifs à la fiscalité, de savoir si on fait, oui ou non, payer les plus riches. Eh bien, cela laisse un champ, un espace pour que les gens interviennent. Il a parlé d’un chemin, un vieux proverbe dit que ce sont les passants qui font le chemin. Je le crois très fortement. »

O. Mazerolle: Vous allez rameuter les passants au PC ?

A. Bocquet : « Je pense qu’il n’y a pas trop d’acteurs pour le changement. Le changement ne viendra pas seulement du Gouvernement, voire de la majorité à l’Assemblée nationale ou au Sénat, plus exactement de la majorité à l’Assemblée, il viendra de l’intervention citoyenne, des acteurs, de ceux qui ont voté récemment pour que cela chante dans ce pays, qui ont battu la droite et qui veulent maintenant palper concrètement ce changement. Je pense que l’intervention citoyenne est une grande question dans les semaines et les mois qui viennent. »

O. Mazerolle: Dans les semaines qui viennent, pourtant, les Français sont en vacances, l’intervention citoyenne va exister tout de même ? Vous allez la stimulez ?

R. « Nous, nous sommes pour que les gens, les citoyens participent au changement, nous ferons tout pour éveiller leurs consciences, pour les informer. »

O. Mazerolle: Par exemple ?

A. Bocquet : « Sous toutes les formes. Vous savez même pendant les vacances les communistes, même s’ils prennent un peu de repos en tant que militant sont aux côtés de ceux qui souffrent, aux côtés de ceux qui luttent et à côté de ceux qui espèrent. »

O. Mazerolle: On ne va pas avoir des défilés sur les places, quand même ?

A. Bocquet : « Il y en aura peut-être vous savez. Il s’en prépare, par exemple, pour le 21 août à Dunkerque comme cela se fait traditionnellement dans le département du Nord, comme depuis 10 ans. Il y en aura, sans doute, mais il y aura des fêtes du PC où il y aura des rencontres citoyennes, des débats des discussions. La lutte pour le changement ne peut pas partir en vacances. »

O. Mazerolle: Quand L. Jospin dit : s’il y a une contradiction entre la croissance et l’euro, le pays nous aidera à trancher, vous pensez qu’il annonce peut-être un référendum ?

A. Bocquet : « je n’ai pas compris cela. Précisément, je n’ai pas entendu le mot, mais qu’il y ait la nécessité avant les défis européens de demain, les choix européens de demain, qu’il y ait une consultation des Français et des Françaises, cela me paraît indispensable. »

O. Mazerolle: Vous, vous voulez le référendum ?

A. Bocquet : « Nous, on a demandé qu’il y ait une consultation. Cela fait des mois qu’on le dit. On l’a répété lors de notre dernier comité national. »

O. Mazerolle: Consultation, cela veut dire référendum ?

A. Bocquet : « On peut consulter les Français sous toutes les formes, y compris par référendum. »

O. Mazerolle: Ah ? Et quelles sont les autres formes ?

A. Bocquet : « Je n’en sais rien. Ce sont des choses qui s’examinent, qui se discutent mais pourquoi pas un référendum. »

O. Mazerolle: Il y a trois jours vous demandiez que Vilvorde reste ouverte et, hier soir, L. Jospin a dit que cela ne serait pas le cas. Il a même ajouté : j’ai tenu mon engagement en faisant ce que j’ai fait. Vous êtes d’accord avec lui ?

A. Bocquet : « Il a tenu son engagement de rouvrir le dossier. Je regrette qu’il soit clos aussi vite parce qu’il me semble qu’il y a autre chose à faire en ce qui concerne Vilvorde. C’est un dossier témoin ; on aurait pu, là, précisément prendre un peu de temps pour trouver d’autres solutions que celles qui sont imposées ».

O. Mazerolle: Vous considérez qu’il n’y a pas eu de reniement de sa part ?

A. Bocquet : « Quant à l’idée de rouvrir le dossier, non. Quant à la volonté que vraiment que ce dossier soit réglé pour défendre le potentiel industriel automobile européen et français, je pense que, là, il y a des questions qui se posent. »

O. Mazerolle: Vous n’êtes pas tout à fait convaincu que L. Jospin est allé au bout du cheminement possible ?

A. Bocquet : « Je le pense. Je l’avais dit il y a quelques jours, je le répète. Mais que voulez-vous, cela fait partie… »

O. Mazerolle: C’est contradictoire avec ce qu’il avait dit pendant la campagne ou pas ?

A. Bocquet : « Il a allé soutenir les ouvriers de Vilvorde dans cette manifestation de Bruxelles. Je pense que les ouvriers de Vilvorde et les salariés de l’automobile espéraient que dans l’hypothèse d’une victoire de la gauche, le dossier doit être traité d’une autre manière. »

O. Mazerolle: L. Jospin, dans ses propos d’hier soir, semble avoir accompli des pas vers l’ouverture du capital de certaines entreprises publiques dont France Télécom, certaines banques également. Cela vous conviendrait ?

A. Bocquet : « Écoutez, il a ouvert ce débat, il a ouvert cette piste, moi je pense que c’est aux salariés de ces grandes sociétés publiques de participer aux choix qui devront êtes faits pour demain et je compte beaucoup sur la concertation et là encore, sur l’intervention des salariés. »

O. Mazerolle: L’ouverture du capital c’est un casus belli avec le PC ?

A. Bocquet : « Cela fait partie des débats, des discussions et en tout état de cause les communistes sont dans cette majorité en fonction du rapport de force qui existe au plan électoral et dans le cadre de l’équilibre qui nous a été attribué par le suffrage universel. »

O. Mazerolle: Si M. Gayssot, ministre communiste se voyait demander par son Premier ministre d’ouvrir le capital d’Air France, à votre avis il devrait parti où faire ce que lui dit le Premier ministre ?

A. Bocquet : « Je suppose que mon ami J.-C. Gayssot discutera, qu’il s’entourera – je sais qu’il le fait – de toutes les compétences et de tous les avis, en particulier ceux des représentants des salariés – et pas seulement d’eux bien entendu – et qu’à partir de là il prendra une décision et fera les choix qui s’imposent. Le PC n’est pas au Gouvernement pour partir. Il est au Gouvernement pour construire. »

O. Mazerolle: Même si on lui demande de faire des choses qu’il n’a pas envie de faire ?

A. Bocquet : « On en débattra. Je ne peux pas vous dire comment sera écrit demain. Pour l’instant, nous sommes dans ce Gouvernement en toute conscience, en toute lucidité, les yeux grands ouverts pour essayer d’agir pour que cela change dans ce pays. Les ministres ont leurs responsabilités, leurs rôles à jouer, les parlementaires ont leur propre rôle et le mouvement social et citoyen a aussi son rôle à jouer. »

O. Mazerolle: Si je vous dis que vous avez bien répondu à l’appel à la discipline lancé par L. Jospin à se majorité il y a trois jours, vous êtes d’accord avec moi ?

A. Bocquet : « Il a appelé la majorité à être solidaire mais en même temps il a dit qu’il fallait que la diversité s’exprime. Alors je pense que l’on peut marier les deux et c’est ce que nous essayons de faire, concrètement, chaque jour, dans notre activité de militant et de parlementaire. »