Texte intégral
Date : jeudi 4 avril 1996
Source : Europe 1 / Édition du matin
O. de Rincquesen : Y-a-t-il un plan secret de LE PEN, comme le dit la une du magazine L'événement ?
B. Mégret : Non, notre plan n'a rien de secret. C'est de conquérir les responsabilités sur pouvoir au moment où les Français sont de plus en plus déçus par le RPR et l'UDF après avoir été déçus par le Parti socialiste. Le Front national, c'est la vraie alternative, c'est l'autre politique qui est possible dans notre pays. Notre plan, c'est de le proposer aux Français et qu'ils l'acceptent. Ça n'a rien de secret.
O. de Rincquesen : Est-ce que la consigne de J.-M. LE PEN divise le Front national ?
B. Mégret : Pas du tout, il n'y a aucun problème.
O. de Rincquesen : Certains souffriraient des exceptions à cette consigne ?
B. Mégret : Non, c'est une consigne qui a un caractère tactique mais aussi systématique. C'est du systématique et pour le reste, c'est aux électeurs de disposer. Mais je constate, aux vues du sondage de la SOFRES qui est paru dans Le Monde tout récemment, il n'y a que 38 % des électeurs du Front national qui sont d'accord pour voter RPR-UDF au second tour. Cela veut dire que ça fait 60 % qui sont soit pour l'abstention, soit pour le vote à gauche, c'est-à-dire 60 % pour suivre les consignes de J.-M. LE PEN, c'est un beau résultat.
O. de Rincquesen : Vous donnez la consigne et S. BASSOT est élue dimanche dernier, dans l'Orne.
B. Mégret : C'est une consigne qui a un caractère systématique mais qui ne peut pas avoir des effets systématiques, c'est-à-dire qu'il peut y avoir des cas où la consigne n'a pas l'effet qu'on recherchait. Il faut apprécier la chose dans quelque temps, après que plusieurs cas de figure se soient produits. Il y a eu l'échec de M. MARCHANT qui est cinglant à Sète. C'est celui qui avait demandé que l'on retire la nationalité française à J.-M. LE PEN.
O. de Rincquesen : B. GOLLNISCH a quand même dit qu'il y aurait des exceptions.
B. Mégret : Je pense que c'est une mesure qui, comme J.-M. LE PEN l'a dit, doit être systématique.
O. de Rincquesen : Peut-il y avoir des exceptions en sens inverse ? Feriez-vous voter pour un communiste ou B. TAPIE ?
B. Mégret : On ne ferait pas voter pour B. TAPIE, ça non, ni pour M. MELLICK, ni pour les gens qui d'ailleurs, de toute façon, ne peuvent plus se présenter.
O. de Rincquesen : Prendrez-vous le risque de faire revenir la gauche aux affaires en 1998 ?
B. Mégret : Le problème ne se pose pas en ces termes. On nous dit vous faites le jeu de la gauche. Mais c'est le RPR et l'UDF qui, au pouvoir, font eux la politique de la gauche, ce qui ma foi est encore bien pire. Alors c'est ça, le grand problème. M. CHIRAC a été élu président de la République, c'est exactement la même politique que sous le septennat précédent. On a l'impression qu'il applique le slogan célèbre, MITTERRAND l'avait rêvé, CHIRAC veut le faire.
O. de Rincquesen : Pourquoi donnez-vous toujours cette impression de vous sentir trahi ou persécuté ?
B. Mégret : Non, nous n'avons pas le sentiment d'être trahis. Ce sont les Français qui sont trahis par M. CHIRAC, ce sont les électeurs du RPR et de l'UDF qui, me semble-t-il, sont trahis par leur président. Pour le reste, il y a une chose inadmissible, intolérable, c'est que maintenant 15, sans doute 20 % des Français ne sont pas représentés à l'Assemblée nationale. Il y a maintenant une espère de déni de démocratie qui fait qu'il y a deux catégories de citoyens : ceux de plein exercice qui ont droit à la représentation - ce sont ceux qui votent pour l'établissement -, et les électeurs du Front national qui sont privés de ce droit fondamental. Ça ne peut plus durer.
O. de Rincquesen : Vous croyez que c'est en tirant sur tout ce qui bouge dans la majorité que vous sortirez du ghetto dans lequel vous vous plaignez d'être enfermé ?
B. Mégret : Notre démarche n'est pas négative. Notre objectif, dans la bataille politique, ce n'est pas de faire battre les gens de l'UDF et du RPR au profit de la gauche, c'est de faire gagner le Front national. Ce que nous voulons, c'est exercer une pression bénéfique sur le pouvoir en place dans l'intérêt de la France et de la démocratie. C'est bien notre rôle car le Front national est dans l'opposition. Nous exerçons notre devoir d'opposition. Car ce n'est pas la gauche qui incarne l'opposition, la gauche est une opposition d'opérette.
O. de Rincquesen : N'avez-vous pas l'impression de vous isoler encore davantage ?
B. Mégret : Non, parce que je constate, toujours dans ce fameux sondage, qu'il y a près de 50 % des sympathisants de droite, donc sans doute à peu près 40 % des sympathisants du RPR et de l'UDF qui sont d'accord avec nos idées. Notre démarche, c'est d'exercer une pression sur le RPR et l'UDF pour que ces gens-là comprennent que leur parti est dans l'impasse en faisant une politique qui ne sert pas les intérêts de la France et qui ne sert pas l'intérêt de leur formation. À ces gens-là, je dis : le RPR et l'UDF ont choisi la gauche plutôt que le Front national, c'est suicidaire, c'est dangereux, c'est néfaste. Alors si vous partagez une partie de nos idées, réagissez, retournez-vous vers vos états-majors, entrez en dissidence, tournez-vous vers nous. C'est en cela que notre démarche vise à sortir le Front national du ghetto où certains avaient cru pouvoir l'enfermer.
O. de Rincquesen : Il y a adhésion à vos idées, mais dans le même temps les sympathisants ne passent pas à l'acte.
B. Mégret : Ils passent à l'acte, aux dernières élections, à 15 % pour J.-M. LE PEN aux présidentielles. C'est considérable. Mais c'est vrai que nous avons un potentiel électoral qui fait près de 30 %, ce qui est considérable quand on sait d'ailleurs la pression négative qui s'exerce dans l'opinion à propos du Front national.
O. de Rincquesen : Dans ce sondage, vous êtes tout de même toujours perçu comme un danger pour la démocratie et dans des scores qui restent très élevés.
B. Mégret : Ça prouve une chose très grave, c'est que les Français sont très mal informés ou plutôt, qu'ils sont très bien désinformés. En réalité, le danger pour la démocratie, ce n’est pas nous, ce sont les partis de l'établissement qui empêchent les Français d'être représentés à l'Assemblée, qui créent le délit d'opinion avec la loi Gayssot, qui imposent le politiquement correct, ce qui est vraiment la fin de la fin du totalitarisme intellectuel. Non, nous sommes le garant de la liberté car la liberté ne s'use que si on ne s'en sert pas. Imaginez un seul instant que le Front national, que J.-M. LE PEN ne puissent plus s'exprimer, ça serait la chape de plomb totalitaire qui s'abattrait sur notre pays puisqu'on entendrait partout le même son de cloche. Donc nous incarnons, en usant de notre droit de liberté d'expression, la défense concrète des libertés dans notre pays.
Date : 10 avril 1996
Source : La Croix
La Croix : Le Front national développe actuellement en matière économique et sociale une campagne ultra protectionniste après avoir épousé, il y a quelques années, l’ultralibéralisme. N’est-ce pas contradictoire ?
Bruno Mégret : Nous n'avons jamais été ultralibéraux et nous ne sommes pas ultra protectionnistes. Néanmoins, les deux ne sont pas contradictoires : nous sommes pour une économie de liberté dans un cadre territorial qui soit protégé de l’extérieur. Ce cadre peut être la France si l’Europe ne remplit pas ce rôle. Nous sommes animés par une logique nationale et identitaire.
La Croix : Mais Jean-Marie Le Pen, qui a repris à son compte le slogan « Ni droite ni gauche, Français », a eu des mots très durs au mois de décembre à l’égard du mouvement social.
Bruno Mégret : Le problème avec le mouvement social de l'automne dernier, c'est qu'il y a la réalité et l'habillage institutionnel et médiatique qui en a été fait. On a laissé croire qu’il s’agissait d’un conflit classique entre les syndicats politisés classiques et l’État-patron classique sur des revendications classiques. En réalité il n’en était rien. C’est un mouvement tout à fait nouveau et original dans lequel les syndicats étaient totalement à la remorque.
La Croix : Jean-Marie Le Pen n’a-t-il pas réagi, lui aussi, à la manière tout à fait classique d’un leader d’extrême-droite ?
Bruno Mégret : Il y a eu une réponse classique à une présentation médiatique et institutionnelle classique. Mais derrière tout cela, il y a un mouvement de fond de nature très nouvelle. C’est l’inquiétude des travailleurs français, qu’ils soient du public ou du privé, à l’égard de la précarité et de l’instabilité qui résultent de l’ouverture des frontières, de Maastricht, du Gatt, de la concurrence sauvage, de la dérégulation, du capitalisme international et des délocalisations. Cela prouve que les luttes sociales sont en train de rejoindre le terrain de la lutte contre la mondialisation. Personnellement, je pense que s’il n’y avait pas eu l’encadrement artificiel des syndicats politisés, notre place aurait été à côté des manifestants.
La Croix : Votre parti appelle régulièrement à battre les candidats de la majorité dans les élections partielles. Le FN a-t-il les moyens de se poser en arbitre de la vie politique nationale ?
Bruno Mégret : Il y a une nouvelle donne qui résulte de la baisse du potentiel électoral de l'UDF et du RPR, de la remontée relative de la gauche et de la poursuite de la progression du Front national. Notre mouvement est désormais incontournable pour l'UDF et le RPR.
La Croix : Qu’espérez-vous obtenir exactement en faisant ainsi pression sur la majorité ?
Bruno Mégret : Nous attendons un changement de mode de scrutin qui corrige la non-représentation du FN, véritable déni de démocratie, et nous attendons une inflexion de la politique du gouvernement vers la défense des intérêts nationaux. Nous voulons aussi qu'un certain nombre de forces au sein du RPR et de l'UDF qui n'approuvent pas la ligne actuellement suivie se réveillent et s'organisent pour exister à l'intérieur et passer des accords avec nous.
La Croix : Vous sentez-vous des affinités avec le discours d'Alain Madelin ?
Bruno Mégret : Il y a au sein du RPR et de l'UDF une droite conservatrice et antiétatique, que peut incarner Alain Madelin, et qui a naturellement vocation à s’entendre avec la droite nationale.
La Croix : Quel bilan tirez-vous, près d'un an après les élections municipales, de la gestion par votre parti des villes de Toulon, Orange et Marignane ?
Bruno Mégret : Nous pouvons déjà enregistrer un certain nombre de points positifs. D'abord, tout ce qui avait été annoncé de dramatique avant l'élection ne s'est pas produit. Il n'y a pas eu d'apocalypse ni d'épuration ethnique dans les villes où le FN est arrivé aux responsabilités. Deuxièmement, il y a des actions positives qui ont été mises en œuvre, notamment dans la lutte contre l'insécurité. Il y a, par exemple, eu à Marignane, depuis la mise en place de la nouvelle municipalité, deux fois plus d'interpellations que pendant toute l'année précédente. Il y a, par ailleurs, un effort de bonne gestion et de baisse des impôts qui est entrepris et qui constitue la priorité de notre action.
La Croix : À Toulon, cependant, les impôts locaux augmentent, contrairement aux promesses électorales...
Bruno Mégret : C'est regrettable, je le dis tout net. Mais ce n'est que provisoire, il faudra faire le bilan global en fin de mandat et on constatera alors que les promesses ont été tenues.
Date : 15 mai 1996
Source : Le Figaro
Le Figaro : Que pensez-vous, vous et votre parti, de l'affaire mettant en cause la gestion de France Télévision ?
B. Mégret : Telle qu'elle se présente, cette affaire a tout d'un scandale financier. Il est tout à fait anormal que les animateurs de télévision touchent des sommes comme celles que l'on nous a annoncé, surtout lorsqu'il s'agit de chaines publiques, c'est-à-dire de chaînes qui sont financées avec l'argent des Français. Et de ce point de vue, on constate qu'il y a aujourd'hui dans notre pays une grave dérive au sein de ce que nous appelons l’établissement, politico-médiatique. Les scandales qui ont défrayé la chronique dans le monde politique sont peut-être en passe de contaminer le monde médiatique, comme si toutes les institutions de pouvoir étaient aujourd'hui corrompues par l'argent et tout cela se faisant sur le dos des Français.
Le Figaro : Le pouvoir des conseils d'administration de France 2 et France 3 vous semblent-ils suffisants ?
B. Mégret : Il s'agit d'une question technique, qui n'est pas au centre du problème, c'est vrai qu'il est choquant qu'apparemment, M. Elkabbach ait signé tout seul des contrats de cette importance. Mais, au-delà du problème du contrôle du président de la chaîne par son conseil d’administration, ce qui est posé, c'est le problème du contrôle des médias, et plus particulièrement des médias publics. Car si l’indépendance au regard du pouvoir est un impératif, encore faut-il que le pouvoir audiovisuel, dans la mesure où il est sans doute le quatrième pouvoir de la République, soit lui aussi, comme les autres, soumis à un contrôle.
Et, force est de constater que ce contrôle n'est pas suffisant, ni sur le plan financier ni sur le plan du contenu des programmes, et je pense naturellement au nécessaire pluralisme qui n'est pas assuré de façon loyale entre toutes les familles de pensée politique, notamment à l'encontre de celle que nous incarnons. Nous n'avons pas dans les médias et dans les médias publics la place qui nous revient.
Le Figaro : La tutelle de l'État est-elle suffisante ou doit-elle être renforcée ?
B. Mégret : Il s'agit de trouver une tutelle qui soit adaptée. La tutelle de l'État n'est pas mauvaise en soit, dans son principe, encore faut-il qu'elle puisse être exercée par un canal impartial et pas directement par le gouvernement. L'existence d'un Conseil supérieur de l'audiovisuel est une bonne chose, mais ce conseil est actuellement beaucoup trop impuissant face aux chaînes de télévision, tant pour le contrôle financier, pour lequel il n'est pas compétent, que sur le plan du contenu, dans la mesure où il est encore lié par des réglementations obsolètes. Je pense à la règle des trois tiers, un tiers gouvernement, une tierce majorité, une tierce opposition, pour la répartition des temps d'antenne entre les formations politiques et aux moyens dérisoires dont il dispose pour contraindre les chaînes à observer une certaine déontologie. Il y a là nécessité de renforcer, peut-être par le canal du CSA, la tutelle et le contrôle des chaînes de télévision.
Le Figaro : Selon vous, faut-il privatiser France 2 ?
B. Mégret : Je ne suis pas certain que ce soit d'actualité. D'abord l'expérience montre que les chaînes privées, sur le plan politique n'assurent pas un meilleur pluralisme et sur le plan de la qualité des programmes ne sont pas nécessairement en meilleure position. Il n’est jamais bon de réagir sous la pression et dans la précipitation sur des affaires aussi importantes.